Parce qu'on m'a demandé de faire un discours…
Je vous signale tout de suite, mesdames et messieurs, que
je vais parler pour ne rien dire.
Oh! je sais!
Vous pensez: "S'il n'a rien a dire... Il ferait mieux de se taire !"
Oui c'est trop facile… C'est trop facile!
Vous voudriez que je fasse comme ceux qui n'ont rien a dire et qui le gardent pour eux ?
Et bien, non ! Mesdames et messieurs, moi quand je n'ai rien a dire,
je veux qu'on le sache !
Je veux en faire profiter les autres !
Et si vous mêmes, mesdames et messieurs, vous n'avez rien a dire,
eh bien, on en parle.
On en discute, je ne suis pas ennemi du colloque.
Mais, me direz-vous,
si on parle pour ne rien dire, de quoi allons nous parler?
Eh bien, de rien ! ...
De rien !
Car rien, ce n'est pas rien !
La preuve, bah c'est que l'on peut le soustraire.
Rien moins rien, égale moins que rien. Alors si l'on peut trouver moins que rien, c'est que rien vaut déjà quelque chose.
On peut acheter quelque chose avec rien… en le multipliant.
Une fois rien… C'est rien.
Deux fois rien... Ce n'est pas beaucoup, d’accord.
Mais trois fois rien…
Pour trois fois rien, on peut déjà acheter quelque chose.
Et pour pas cher !
Maintenant, si vous multipliez trois fois rien par trois fois rien:
Rien multiplié par rien… Rien.
Trois multiplié par trois égale neuf.
Ça fait: rien de neuf !

Parlons d'autres choses ! Parlons d'autres choses.
Parlons de la situation, tenez! Parlons de la situation,
sans préciser laquelle.
Si vous le permettez, je vais faire brièvement l’historique de la situation
Quelle qu'elle soit.
Il y a quelque mois, souvenez-vous, la situation,
Pour n'être pas pire que celle d’aujourd’hui
N'en était pas meilleur non plus !
Déjà, nous allions vers la catastrophe et nous le savions…
Nous en étions conscient, car il ne faudrait pas croire que les responsables d'hier étaient plus ignorants de la situation que ne le sont ceux d’aujourd'hui.
D'ailleurs ceux sont les mêmes.

Oui ! la catastrophe, nous le pensions, était pour demain !
C'est-a dire qu'en fait elle devrait être pour aujourd’hui d’ailleurs… Si mes calculs sont justes.
Or, que voyons nous aujourd'hui ?
Quelle est toujours pour demain !
Alors, je vous pose la question, mesdames et messieurs:
Est-ce en remettant toujours au lendemain la catastrophe que nous pourrions faire le jour même que nous l'éviteront ?
D'ailleurs, je vous signale entre parenthèses que
si le gouvernement actuel n'est pas capable d'assumer la catastrophe…
Il est possible que l'opposition s'en empare.

Raymond Devos - Parler pour ne rien dire - 1979