Si à ce moment précis Madame D me demande de quoi parle le poème que je viens de massacrer, je ne saurais pas quoi lui répondre.
Je l’ai appris un vers après l’autre, dans le seul but d’être capable de la réciter de mémoire et de m’assurer la moyenne…
Surtout, je rétorquerais que « de toute façon un ce n’est pas un poème, c’est une récitation ».
« C’est la même chose, me préciserait
alors Madame D.
- Ah bon!
- Oui, c’est un poème que tu viens de réciter. »
Mais Mme D ne
me pose pas la question. Aucun maître, aucune maîtresse, ne m’a jamais posé cette question.
Pourquoi le jeudi on a « récitation » et pas « poésie »?
Pourquoi me demande-t-on d’apprendre les vers par
coeur dans le but d’être noté plutôt
que de les lire pour leur
beauté, leur signification, leur musique?
Qui a décidé, un jour, de faire d’un poème une corvée, une sentence, une humiliation?
Mes oreilles bourdonnent et mon
coeur est au galop. J’imagine Baudelaire, Ronsard, Prévert, Eluard, La Fontaine, Hugo,
Mallarmé, Valéry, se frottant les mains en ricanant à l’
idée des millions de gamins qui allaient être pris de sueurs froides,
debout près de leur table, les
mains dans le dos, en récitant leurs vers. Mais non, ce n’est pas ça, un poète.
Un poète est amoureux et n'a pas assez des mots de tous les jours pour
dire "je t’aime".
Il est seul et a besoin d'écrire
pour aller jusqu'à demain.
Il a fait la guerre et cherche à quoi sa rime, la vie.
Il est humain et veut partager ce qu'il comprend à la vie. Retenir ce qu'il y découvre de précieux.
Illuminer ce qu'il y trouve d'odieux. Propager ce qu'il y voit de miraculeux. Dénoncer ce qu'il y remarque d'injuste.
Il s’efforce, par la
poésie , comme d’autres par la musique, la peinture, la sculpture ou le cinéma,
d’arrêter le cours du temps et de donner une sens à sa vie. À sa vie. Il cherche ce lien magique qui, le temps d’une lecture intérieure,
unit par la sensation deux êtres qui ne se connaissent pas, qui peuvent avoir vécu
à des époques différentes, dans des pays étrangers :
l’artiste et le spectateur. L’auteur et le lecteur. Le premier, dans la solitude de son bureau,
a écrire des
mots inspirés de ce qu’il a vécu et qui vont résonner dans
la vie du second.
Le moment est différent,le lieu n’est pas le même, mais la sensation est identique.
Ca pourrait être de la science-fiction.
C’est de l’art.
Mais ça
personne ne me le dit quand, en CM2, je me rassois à ma table sous les gloussements de certains de ma classe.
Mickaël Olivier - Celui qui n’aimait pas lire - 2004