Nima
les BOLOs ne sont pas que des unités de voisinage ou des arrangements pratiques. Ceci n'est que leur aspect technique et externe. La véritable raison qui pousse les IBUs à vivre ensemble est leur acquis culturel: le NIMA. Chaque IBU a ses propres convictions et sa vision de la vie, mais certains NIMAs ne peuvent être réalisés que si d'autres IBUs ont le même NIMA. Le BOLO permet à ces IBUs de vivre, de transformer et compléter leur NIMA commun. D'autre part, les IBUs dont le NIMA exclut les formes sociales (ermites, clochards, misanthropes, yogis, fous, anarchistes individualistes, magiciens, martyrs, sages ou sorcières) peuvent rester seuls et vivre dans les interstices de ces BOLOs qui sont partout, mais pas obligatoires.
Le NIMA comprend la mode vestimentaire, le style de vie, la philosophie, les valeurs, les intérêts, les habits, l'art culinaire, les manières, les comportements sexuels, l'éducation, la religion, l'architecture, l'artisanat, les couleurs, les rituels, la musique, la danse, la mythologie, les tatouages: tout ce qui appartient à l'identité culturelle ou à la tradition. Le NIMA définit la vie imaginée par l' IBU dans sa forme pratique et quotidienne.
Il y a autant de sources de NIMAs que de NIMAs. Parmi ces sources, il y a les traditions populaires (vivantes ou redécouvertes), les courants philosophiques, les sectes, les expériences historiques, les luttes communes, les catastrophes, les formes mixtes ou inventées. Un NIMA peut être défini jusque dans les détails (comme dans le cas des sectes ou des traditions populaires) ou bien ne préciser que certains aspects de la vie. Il peut être très original ou n'être qu'une variante d'un autre NIMA. Il peut être très ouvert aux innovations ou fermé et conservateur. Les NIMAs peuvent apparaître comme des modes ou se répandre comme des épidémies et mourir. Ils peuvent être doux ou brutaux, passifs-contemplatifs ou actifs-extravertis 7
. Les NIMAs sont la vraie richesse des BOLOs. (Richesse = multitude des possibillités spirituelles et matérielles.)
Comme il existe toutes sortes de NIMAs, il est aussi possible que des cliques brutales, patriarcales, répressives, obtuses ou fanatiques s'établissent dans certains BOLOs. Il n'y a pas de règles ou de lois humanistes, libérales ou démocratiques définissant le contenu des NIMAs et il n'y a pas d'État pour les faire appliquer. Personne n'empêche un BOLO de se suicider en masse, de mourir en essayant des drogues, de se tourner vers la folie ou d'être malheureux sous un régime violent. Des BOLOs avec un NIMA de bandits pourraient terroriser des régions entières ou même des continents comme le firent les Huns ou les Vikings. Liberté et aventure, terrorisme généralisé, lois de gangs, raids, guerres tribales, vendettas, pillages, tout est possible.
Mais la logique du BOLO'BOLO pose des limites à l'existence et à l'expansion de ce genre de comportements et de traditions. Le pillage et le banditisme ont leurs propres lois économiques. En outre il est absurde de transposer les motivations des systèmes fondés sur l'argent et la propriété dans le BOLO'BOLO. Un éventuel BOLO de bandits doit être relativement fort et bien organisé et il a besoin d'une structure de discipline interne et de répression. Pour la clique dominante d'un tel BOLO cela signifie une vigilance permanente et une grande quantité de travail répressif. Leurs IBUs peuvent quitter leur BOLO à tout moment, d'autres IBUs peuvent s'opposer à l'évolution d'un tel BOLO dès le début. Ils peuvent envoyer des hôtes, restreindre leurs échanges, ruiner la réputation du BOLO-bandit, aider les opprimés du BOLOcontre la clique dirigeante. L'approvisionnement en nourriture, armes et autres biens présente beaucoup de difficultés pour un tel BOLO. Les IBUs du BOLO-bandit doivent d'abord travailler pour s'aménager une base pour leurs raids, d'où la possibillités de rébellion contre les chefs. Sans un appareil d'État d'un niveau relativement développé, la répression nécessite beaucoup de travail et n'est pas profitable pour les oppresseurs. Ni les raids ni l'exploitation ne sont rentables, car il faut transformer les biens volés en une valeur facilement transportable (or, argent, etc.). Personne ne veut faire des échanges avec un tel BOLO. C'est pourquoi il est contraint de voler les biens sous leur forme naturelle, ce qui signifie beaucoup de travail de transport et la nécessité de multiplier les raids. Comme il n'y a que peu de routes, peu de voitures, peu de moyens de transport individuels, un BOLO-bandit ne peut faire des expéditions que contre ses voisins et il épuise rapidement leurs ressources. Ajouté à cela la résistance des autres BOLOs, la possibillités d'intervention des milices de communautés plus larges (TEGA, FUDO, SUMI ou YAKA) et le banditisme est finalement un comportement très peu rentable, un comportement marginal.
Au cours de l'histoire, les pillages et l'oppression entre les nations ont toujours été les effets, soit d'une répression interne, soit d'un manque de possibiIlités de communication. L'une et l'autre de ces causes n'existent pas dans le BOLO'BOLO: les BOLOs sont trop petits pour une répression effective et, parallèlement, les moyens de communication sont bien développés (réseau téléphonique, réseau d'ordinateurs, facilités de voyage, etc.). Dans un BOLO isolé, la domination ne paie pas et l'indépendance n'est possible que sur une base agricole propre. Les BOLOs prédateurs sont bien sûr toujours possibles, mais seulement comme une sorte d''art pour l'art' et pour de courtes périodes. De toute façon: pourquoi devrions-nous recommencer puisque nous avons maintenant à notre disposition les expériences historiques? Et qui donc devrait être le contrôleur mondial si nous ne sommes pas capables de comprendre ces leçons?
Dans une grande ville on risque de trouver les BOLOs suivants: Alcolo- BOLO, Sym- BOLO, Sado- BOLO, Maso- BOLO, Végé- BOLO, Les- BOLO, Franco- BOLO, Italo- BOLO, Play- BOLO, No- BOLO, Retro- BOLO, Thai- BOLO, Sun- BOLO, Bleu- BOLO, Paléo- BOLO, Dia- BOLO, Punk- BOLO, Krishna- BOLO, Taro- BOLO, Jésus- BOLO, Tao- BOLO, Nécro- BOLO, Possi- BOLO, Impossi- BOLO, Para- BOLO, Basket- BOLO, Coca- BOLO, Inca- BOLO, Techno- BOLO, Indio- BOLO, Snow- BOLO, Mono- BOLO, Hebro- BOLO, Ara- BOLO, Freak- BOLO, Proto- BOLO, Her- BOLO, Macho- BOLO, Pyramido- BOLO, Sol- BOLO, Tara- BOLO, Foot- BOLO, Sparta- BOLO, Bala- BOLO, Gam- BOLO, Tri- BOLO, Logo- BOLO, Mago- BOLO, Anarcho- BOLO, Ecolo- BOLO, Dada- BOLO, Digito- BOLO, Bom- BOLO, Hyper- BOLO, Ras-le- BOLO, etc. D'autre part il y a aussi des BOLOs tout ce qu'il y a de plus normaux où les gens vivent une vie raisonnable et riche (quoi qu'on entende par là).
La diversité des identités culturelles détruit la culture de masse, les modes commercialisées de même que les langues nationales standardisées. Comme il n'y a pas de système scolaire centralisé, chaque BOLO parle sa propre langue ou dialecte. Il s'agit là de langues anciennes, d'argots ou de langues artificielles. Ainsi les langues officielles et leur fonction de contrôle et de domination déclinent et on se trouve en face d'une sorte de chaos babylonien, c'est-à-dire l'ingouvernabilité par la dysinformation. Comme ce désordre linguistique cause quelques problèmes pour les voyageurs, ou en cas d'urgence, il y a ASA'PILI, un vocabulaire artificiel de quelques termes de base que tout un chacun peut apprendre facilement. ASA'PILI n'est pas un vrai langage, car il ne comporte que quelques mots tels que IBU, BOLO, SILA, NIMA, etc. et leurs signes correspondants pour les illettrés et les sourds-muets. À l'aide de l'ASA'PILI chaque IBU subvient à ses nécessités de base telles que la nourriture, l'abri, les soins médicaux, etc. S'il veut comprendre mieux la langue d'un BOLO qui lui est étranger, il doit l'étudier. Comme il a beaucoup de temps, ce n'est pas un problème. La barrière de la langue naturelle est aussi une protection contre la colonisation culturelle. Les identités culturelles ne peuvent pas être consommées de manière superficielle. On doit vraiment s'habituer à tous ces éléments et passer du temps avec les gens 8
7. «... Ils peuvent être doux ou brutaux, passifs-contemplatifs ou actifs-extravertis», p. 94.
Les BOLOs ne sont pas d'abord des systèmes de survie écologiques, car, s'il ne s'agissait vraiment que de survivre, pourquoi se donner tant de peine? Les BOLOs sont un cadre pour le développement de toutes sortes de styles de vie, de philosophies, de traditions et de passions. BOLO'BOLO n'est pas un style de vie en soi, mais simplement un système flexible de limites (biologiques, techniques, énergétiques, etc.). Pour la détermination de ces limites, la pensée écologique et alternative peut être utile, mais elle ne devrait jamais être utilisé pour déterminer le contenu des différents styles de vie. (Le fascisme avait, lui aussi, ses éléments biologiques et idéologiques...) Au cœur du BOLO'BOLO il y a NIMA (l'identité culturelle) et non la survie. Pour cette même raison, le NIMA ne peut pas être défini par le BOLO'BOLO, il ne peut qu'être vécu directement. On ne propose pas d'identité particulière 'alternative' (menu santé, chaussures indiennes, habits de laine, mythologie bio, etc.).
La fonction cruciale que revêt l'identité culturelle est illustrée par le destin des peuples colonisés. Leur misère actuelle n'a pas commencé par une exploitation matérielle mais par la destruction plus ou moins planifiée de leurs traditions et religions par les missionnaires chrétiens. Même dans les conditions actuelles, beaucoup de ces nations pourraient se trouver plus à l'aise, mais elles ne savent plus comment et pourquoi elles devraient améliorer leur sort. La démoralisation est plus profonde que l'exploitation économique. (Les nations industrielles, elles aussi, ont été démoralisées de la même manière, mais il y a plus longtemps et cela fait maintenant partie de leur culture standard.) Dans les îles Samoa occidentales, il n'y a pas de famine, presque pas de maladies et la charge de travail est faible. (Ceci est principalement dû à la douceur du climat et à la diète monotone: taro, fruits et cochons.) Samoa compte parmi les 33 pays les plus pauvres du monde. On y trouve le taux de suicide le plus élevé du monde. La plupart des suicidés sont des jeunes et ces suicides ne sont pas dûs à la seule misère (même si on ne peut pas nier que la misère existe), mais à la démoralisation et au manque de perspectives. Les missionnaires chrétiens ont détruit les vieilles religions, traditions, danses, fêtes, etc. Les îles sont pleines d'églises et d'alcooliques. Le paradis a été détruit bien avant l'arrivée de Margaret Mead. Malgré certaines conceptions du marxisme vulgaire, la 'culture' est plus importante que la 'survie matérielle' et la hiérarchie entre les besoins de base et les autres besoins n'est pas si évidente que ça. Elle fait partie de l''ethnocentrisme' occidental. La nourriture ne se réduit pas aux calories, la gastronomie n'est pas un luxe, la maison n'est pas qu'un abri et les habits ne sont pas qu'une protection thermique du corps. Il n'y a pas de raison d'être intrigué si l'on voit des gens qui meurent de faim se battant pour leur religion, leur honneur, leur langue ou d'autres 'bizarreries' avant de demander un salaire minimum garanti. Il est vrai que ces motivations culturelles ont été manipulées par des cliques politiques, mais ceci est vrai aussi pour les luttes économiques 'raisonnables'. Il s'agit de tenir compte aussi de cette réalité.
D'où peut venir le NIMA? Il est certainement faux de ne chercher d'identité culturelle que dans les anciennes traditions populaires. La connaissance et la redécouverte de telles traditions est très utile et peut être une source d'inspiration, mais une 'tradition' peut aussi naître aujourd'hui. Pourquoi ne pas inventer de nouveaux mythes, langages, formes de vie commune, d'habitations, d'habillement, etc.? La tradition de l'un peut devenir l'utopie de l'autre. L'invention des identités culturelles a été commercialisée et neutralisée sous forme de modes, cultes, sectes, 'vagues' et styles. Le développement des sectes montre que beaucoup de gens sentent le besoin d'une vie guidée par un acquis idéologique bien défini. Ce désir qui est perverti dans les sectes est celui d'une unité entre les idées et la vie, un nouveau 'totalitarisme' (ora et labora). Ainsi on peut définir BOLO'BOLO comme une sorte de 'totalitarisme' pluraliste. Surtout depuis les années 60, on peut dire qu'une période d'invention culturelle a commencé dans beaucoup de pays, en particulier les pays industrialisés: les traditions orientales, égyptiennes, folk, magiques, alchimistes et autres ont revécu. On a commencé à expérimenter des styles de vie utopiques ou traditionalistes. Après avoir été déçus par la 'richesse matérielle' des sociétés industrielles, beaucoup de gens retournent à la richesse culturelle.
Comme le NIMA est le cœur du BOLO, il n'y a pas de lois ou même de règles à son propos. Pour la même raison, une réglementation générale des conditions de travail dans les BOLOs n'est pas possible. La réglementation du temps de travail a toujours été la pièce maîtresse des constructions utopiques. Thomas More (1516) garantit 6 heures par jour, Weitling 3 heures par jour, Callenbach 20 heures par semaine, André Gorz (Les chemins du Paradis, l'agonie du Capital, Galilée, 1983) propose une vie de travail de 20.000 heures. En tenant compte des recherches de Marshall Sahlins (Âge de Pierre, Âge d'Abondance, Gallimard, 1976), la journée de travail de deux ou trois heures est en train de gagner la course. Le problème devrait être de savoir qui nous contraindra à cette journée de travail minimum et comment. De tels règlements postulent un État central ou des organismes du même genre pour contrôler et punir. Comme il n'y a pas d'État dans le BOLO'BOLO, il ne peut pas y avoir de règlement (même laxiste) à ce sujet. C'est le contexte culturel qui définit ce qui est considéré comme travail (=effort) dans un certain BOLO et ce qui est perçu comme loisir (= plaisir) pour autant qu'il soit nécessaire de faire une distinction. Faire la cuisine, par exemple, peut être un rituel important dans un BOLO et même une passion alors que, dans un autre BOLO, ce n'est qu'une fastidieuse nécessité. La musique aussi peut être considérée comme très importante dans l'un alors que, dans un autre, elle n'est considérée que comme un bruit gênant, et ainsi de suite. Personne ne peut savoir si la semaine de travail d'un BOLO est de 70 ou de 15 heures. Il n'y a pas de style de vie obligatoire, pas de comptabilité générale du travail et des loisirs, mais seulement un flux plus ou moins libre de passions, de perversions, d'aberrations, etc.
Le KENE représente ce que Gorz entend par «travail hétéronome». À la différence de Gorz, le «secteur hétéronome» est entièrement soumis au «secteur autonome» qui est aussi largement «autonome» vis-à-vis du premier. Les BOLOs ont un pouvoir de contrôle basé sur leur autarcie, un pouvoir que l'individu isolé de Gorz ne pourrait jamais exercer sur l'État anonyme hétéronome... retour à la lecture du texte
8. «... On doit vraiment s'habituer à tous ces éléments et passer du temps avec les gens», p. 98.
Pourquoi ne pas choisir une langue internationale existante comme l'anglais ou l'espagnol? Ces langues ont été les instruments de l'impérialisme culturel et elles tendent à détruire les traditions locales et les dialectes. L'institution de langues 'nationales' standardisées au seizième et au dix-septième siècles (Académie française, 1638) a été un des premiers pas des jeunes bourgeoisies pour détruire l''opacité' du prolétariat industriel naissant: on ne peut imposer des lois et des règlements de fabrique que s'ils sont compris. L'incompréhension ou le fait de faire l'idiot a été une des premières formes du refus de la discipline industrielle. Ces mêmes langues nationales sont d'ailleurs devenues par la suite les instruments de la discipline au niveau impérialiste. BOLO'BOLO signifie que chacun peut se remettre à faire l'idiot.
Même des langues prétendument internationales comme l'Espéranto sont modelées sur les langues 'nationales' européennes et liées à la culture impérialiste.
La seule solution est une 'langue' complètement fortuite, déconnectée et artificielle, sans liaisons culturelles. C'est ainsi qu'ASA'PILI a été rêvé par l'IBU et aucune recherche étymologique ou autre ne sera en mesure d'expliquer pourquoi un ibuest un IBU, un BOLO est un BOLO, un YAKA est un YAKA, etc.
ASA'PILI est composé d'un groupe de 17 sons (plus une pause) que l'on rencontre dans de nombreuses langues. En français ils se prononcent ainsi:
voyelles :
a comme dans larme
é comme dans été
i comme dans hiver
o comme dans océan
u comme dans coucou
consonnes : p, t, k, b, d, g (dur), m, n, l, s, y, f.
Les mots ASA'PILI peuvent être écrits au moyen de signes (voir table des signes in fine). Il n'y a pas besoin d'alphabet. Dans ce texte les caractères latins ne sont utilisés que par convenance, d'autres alphabets (hébreu, arabe, cyrillique, grec, etc.) feraient aussi l'affaire.
Le doublement d'un mot indique un pluriel organique: BOLO'BOLO = tous les BOLOs, le système des BOLOs. Grâce à l'apostrophe (') on peut composer à volonté des mots. Le premier mot détermine le second (au contraire du français): ASA'PILI (le langage planétaire), FASI'IBU (le voyageur), YALU'GANO (le restaurant), etc.
En plus du petit ASA'PILI (qui contient environ 30 mots) on pourrait créer un grand ASA'PILI pour les échanges scientifiques, les conventions internationales, etc. C'est l'assemblée planétaire qui a pour tâche de définir un dictionnaire et une grammaire. Espérons que ce sera facile. retour à la lecture du texte