Instant T
Temps,
tendances,
typographie

Une proposition des étudiants de l’ÉSAD Pyrénées, aux rencontres de Lure en 2019.

Léo Gaullier, Marjorie Bozonnet, Léa Poitte, Margot Laforge, Arthur Billaud, Thibault Maïo et Julien Bidoret.

Références en images et en vidéos sur
ateliers.
esad-pyrenees.fr
/lure/

Léo: Thibault, t’as vu le truc que je t’ai envoyé là sur insta avec les essais typo qui bougent ?

Thibault: Ouais j’ai vu gros mais relou, on voit ça depuis 2016 avec The Moving Poster, et depuis, les réseaux sociaux sont inondés du même genre d’affiche, enfin la même esthétique du moins. Y’avait quelques articles intéressant sur ces affiches & posters animées et les évolutions du medium mais là j’ai plus l’impression que c’est une démonstration de compétences.

Surtout qu’on voit le même genre d’affiche 100 fois par jour… Une 3D un peu chiadée qui tape, des trucs qui tournent sur eux-mêmes sur fond noir et une typo extrabold en caps et en réserve blanche. On voit ça à toutes les sauces, tout le monde y va de son “expérimentation”.

Léo: Ah ouais sur insta ? Et tu penses que c’est qui les influenceurs ?

Thibault: je sais pas si on pourrait dire que c’est un genre d’influenceur graphique mais y’a Dirk Koy, DIA, qui expérimentent pas mal l’animation typographique, sur les fils d’actualité y a la même chose qui revient tout le temps Mais c’est comme pour les affiches animées c’est repris encore et encore. Un mot répété autant de fois que nécessaire pour qu’une forme émerge et occupe raisonnablement les blancs. puis une animation sur C4d, After effects ou autre…

Léo: Ah oui on peut aussi noter le générique du Arte Journal, réalisé par movement Paris et qui a été primé il me semble.

Léo: d’ailleurs c’est quand même chaud à apprendre les logiciels pour toute ces anim

Arthur: Je sais pas, j’ai un pote à l’Ésam de Caen qui avait réussi à faire quelques affiches animées en 2 semaines juste en suivant des tutoriels sur internet. Ça peut rebuter un peu quand on y connait rien mais avec les tutoriels au final, on peut apprendre assez vite à reproduire quelque chose.

Thibault: C’est ouf de voir le peu de différence entre le tutoriel et les formes animées sur instagram. Souvent c’est juste conférer des propriétés physiques aux caractères typographiques : tissu, liquide, flasque, des cylindres… les drapeaux en mouvement y’en a eu partout un moment avec la lettre comme texture.

Sinon y’a pas longtemps Kiel Mutschelknaus, qui a développé Space Type Generator. Ça génère des animations typo avec une interface assez intuitive. C’est fait avec processing et la librairie p5.js.

Marjorie: D’ailleurs, c’est sur cet outil que se sont appuyés Louis Eveillard et Émilie Coquard pour créer les animations typo des Rencontres Instant T.

Ah ouais et puis j’ai vu y a pas longtemps c’est Drawbot, une application open source pour Mac qui permet d’écrire des scripts Python simples pour générer des formes graphiques fixes ou animées en 2D. Ça permet en particulier de jouer facilement avec les axes des fontes variables.

Léo: Aaaah les fontes variable, bénie soit l’année 2016, quand Adobe, Apple, Google, et Microsoft se sont mis d’accord sur un principe commun. Aujourd’hui le format de fontes variables nous permet d’avoir des fichiers beaucoup plus légers pour une infinité de graisses, de chasses, etc. La forme ne fait que varier selon des données pré-enregistrées.

Ainsi, la fonte n’est plus statique, elle est évolutive, en mouvement, car elle est générée par du code en plus du dessin.

Léa: Mais on les utilise comment ?

Léo: et bien, on peut jouer sur les axes pour varier entre plusieurs extremes. et puis tu peux voir ça par exemple sur la plateforme V-font, de Nick Sherman ou Axis Praxis par Frank Adebiaye. Sinon y’a aussi les Néerlandais d’Underware, qui s’amusent beacoup avec tout Ca. Ils font des expérimentations et les diffusent sur Very able fonts

Margot: Ah ouais mais d’ailleurs j’ai vu un truc chanmé sur twitter là il y a les spicegirls qui ont fait un concert et au final en arrière plan il y avait des variables fonts, je sais plus qui c’est qui a fait ça, vous avez pas vu ça ?

(pause vidéo)

Léa: Si si c’est le studio Moross qui a fait toutes leurs vidéos et il n’y a pas que les variables font c’est un mélange avec du motion type, tout ça dans un univers bien rétro. Elles ont vieilli, les girls.

Margot: au final c’est vraiment une utilisation du plein potentiel de ce format, on y retrouve des changement de chasse et de graisse ainsi que des drapeaux en mouvement et des univers graphiques différents qui se divisent en 5 actes et servent la scénographie du show.

Arthur: Ouais la musique c’est une bonne scène, un bon vecteur pour faire passer des tendances parce que ça se renouvelle tout le temps et ça a des médiums et des formats de diffusion qui lui est propre. Que ce soit les pochettes d’album, la scénographie ou les clips. C’est un milieu à la fois très écouté et en même temps chargé d’artistes. Si on veut percer il faut savoir se démarquer ou/et surfer sur la tendance.

Léo: Ah ouais chromatic sur youtube non ?

Arthur: Non non ça s’appelle Colors qui invite les artistes à performer un de leur titre. Leurs vidéos sont des antinomies en réponse à la quantité de clips similaires qui sortent tous les jours. Ils apparaissent régulièrement dans les tendances youtube. L’artiste seule qui chante dans une pièce d’une couleur unie. Au delà, comme les moyens de diffusion autour de la musique sont multiples, les visuels d’albums, les clips, les vêtements, tout ça c’est relié au final. D’ailleurs ce n’est pas pour rien qu’on utilise souvent le terme de trendsetter en musique ou en mode, pour désigner celui qui définit la tendance. On voit aussi de plus en plus apparaître des gammes chromatiques polarisées on va dire.

Margot: Ah ouais Nekfeu il a sorti un album il n’y a pas longtemps “les étoiles vagabondes”, le packaging a fait sensation un peu ; on dirait une ration pour des astronautes. C’est Samuel Lamidey, alias Raegular, qui l’a réalisé. Ils avaient aussi bossé ensemble pour Cyborg l’album précédent.

Thibault: Mais ya Allon Kaye qui fait ça depuis dix ans !

Margot: Et je savais pas mais Nekfeu il sort des fringues avec son label Seine Zoo, t’as vu leo ?

Léo: Ah ouais il fait des collaborations notamment avec Agnes B, vendues un peu chères d’ailleurs. Mais c’est pas le seul rappeur, regardez PNL cette année avec AuDD, ils ont collaboré avec la marque de luxe Offwhites pour faire la promo de la marque. Marque qui vend des claquettes à 150 euros, et des t-shirts à 535. Donc, Virgile Abloh en fait, le fondateur bien vu que les ambassadeurs aujourd’hui d’un état d’esprit street était très souvent les rappeurs. La collaboration ne m’étonne pas trop parce que s’il l’on regarde PNL ils ont été vraiment très très fort sur leur stratégie de diffusion, tout en indépendant, pas de radios, pas de télé, pas d’interview, des actions coups de poing, comme par exemple passer leur album en avant première dans une centaine de Uber dans les plus grandes villes de France, ou afficher leur tête sur le bâtiment de leur cité en 20 mètres par 30. Alors forcément on se dit que la Tour Eiffel est un joli présentoir pour la marque de Virgile Abloh

Marjorie: C’est qui Virgile Abloh ?

Léo: Alors oui En 2013 il a lancé son label de mode basé à Milan, Off-White, une extension de son premier projet Pyrex Vision, très streetwear. C’est aussi le directeur artistique homme chez Louis Vuitton, il est DJ, il a été directeur artistique de Kanye West, il a été nommé pour le dernier award de la best pochette d’album

Margot: Mais il a pas été un peu controversé ce type là ?

Léo: En 2013 quand il a lancé son label offwhite c’était un extension de son premier projet et il a proposé une collection de vêtement pour homme et femme inspiré de la contre culture. Et le lancement de sa marque a été sujet à de nombreuses polémiques puisqu’il a été accusé de plagiat : pour ses premiers modèles, le créateur a racheté un stock de chemises rugby de Ralph Lauren et des sweat-shirt de la marque Champion et les a customisés avec des logos de sa marque, ce qui a suscité de vives réactions. Depuis il a eu d’autre polémique notamment autour d’une chaise créée en partenariat avec Ikea qui ressemble fortement a une pièce de Paul Mccob datant de 1950…

C’est d’ailleurs intéressant quand on sait que Louis Vuitton et Supreme ont fait une collaboration. Vous connaissez Suprême ?

Léa: Ouais j’ai vu qu’il y avait une collaboration. Mais cette marque ce sont ceux qui ont repris les code graphique de Barbara Kruger non ?

Marjorie: Ah oui c’est ceux qui ont repris le langage de Barbara Kruger pour leur leitmotiv, ils recyclent les formes de tout, font des collaborations à gogo et n’importe quoi sert de support de diffusion. Leur vêtements se vendent à des prix hallucinants sur internet, ils se disent contre cette pratique mais bien sur que ca fait monter la côte. Et finalement la cible c’est les plus jeunes, c’est ceux qui font la tendances, ou du moins ce sont les meilleurs vecteurs, alors ca ne m’étonne pas trop qu’on fasse appel à ces acteurs.

Léo: Il font vraiment de la récupération en quelque sorte, et ce qui est ingénieux dans cette approche ce sont les supports de diffusion. Ils en utilisent de toute sortes, des plus conventionnels aux plus atypiques. Regardez des serviettes, des queues de billard, des pistolets à eau, des queues de billards, une véritable invasion, un petit camion…

Léa: Oh et tiens ça me fait penser, regarde production type ils ont mis le spécimen de leur caractères le signal sur un petit camion blanc ça ressemble vraiment à cette pub de Supreme.

Tous les diffuseurs de caractères essaient aussi d’innover,

Margot: James Edmonson, d’OhNoTypeCo l’a fait par exemple à travers une vidéo pour promouvoir son Vulf Sans.

Pause vidéo

Léa: La revue la perruque impriment des spécimens en glanant les marges des impressions offset de Media Graphic à Rennes. OMSE Type, pour la sortie de leur fonte Agenda 2020, ont organisé une exposition et sorti une application de réalité augmentée. Ça peut soulever des questions sur l’influence de la réalité augmentée dans le dessin de caractères.

Léo: Ah ben justement j’ai aussi vu des expérimentations d’Andrew Johnson combinant variable font et réalité augmenté poussant un peu plus loin le potentiel de lisibilité des polices en fonction des conditions de lecture.

Léa: Et puis de nombreux studios sortent des fringues, Benoît Bodoin, Dinamo explore même des objets tel que des brosse à dents…

Les fonderies et les plateformes repensent, au delà de la diffusion, les manières de vendre des polices de caractères : No Foundry a pour principe de promouvoir les jeunes travaux d’étudiants et leur permettre de vendre leur fontse librement sur le site.

Arthur: La plateforme Future fonts, elle, a trouvé un système de pré-diffusion pour vendre des polices de caractères dès une première version du travail qu’ils proposent à des prix très attractifs qui amène un certain dynamisme et une plus rapide mise en lien entre créateurs et utilisateurs avant même qu’elles ne soient terminées. Il y a un aspect expérimental, vivant et évolutif dans les travaux.

David Jonathan Ross, lui, a créé Font of the month, avec un principe d’abonnement. Tous les mois, il dessine une nouvelle fonte et si tu fais partie des abonnés il te l’envoie, c’est un travail bien acharné.

Fontstand lui est aussi plutôt en vogue, c’est une plateforme qui regroupe beaucoup de fonderies. Avec son système d’essai gratuit et de location au mois des polices, la diffusion est optimisée un max.

Marjorie: Quelque part c’est du streaming typo?

Léo: Ouais c’est presque de l’Uberisation dans le sens où on cherche à mettre un intermédiaire, là où il n’y en avait pas avant pour faire du profit. Cependant, ça reste un outil très confortable pour les designers graphiques qui ont besoin de tester facilement et rapidement plusieurs polices de caractères.

Mais... Y’à beaucoup de fonderies non les gars, vous trouvez pas que… je sais pas il y a Google fonts, ils en ont au moins 800, elles sont toutes gratuites, on pourrait juste se servir de Ca, non ?

Arthur: Ouais mais Google, ça a ses limites. Leur principal intérêt dans la diffusion de caractères, c’est toujours d’accumuler des données pour vendre de la publicité. Et puis, on a besoin de fantaisie parfois non ? Je pense par exemple à d’autre fonderies qui proposent des licenses libres comme Velvetyne, Opensource publishing ou The league of Moveable Type. Et ça répond bien à une demande d’une esthétique autre que celle proposée par les google fonts

Léo: T’imagine dans quelques années on aura des fonderies de polices en 3D.

Arthur: Beh tu crois pas si bien dire regarde, dinamo ils ont fait un collaboration avec High Type récemment !

Marjorie: ah c’est quoi Ca, High type ?

Thibault: C’est une jeune fonderie berlinoise qui s’est spécialisée dans le dessin de caractère pour l’environnement 3D et pour l’impression 3d aussi. Ça parait pas ouf comme ça (exemple typo forme de crotte) mais bon, la typo dans la 3d généralement c’est des fontes qui sont seulement extrudées avec le logiciel et y’a pas énormément de maîtrise là-dessus. En plus la fonderie Dinamo a fait une collaboration avec eux, ils ont utilisés la Monument Grotesk, donc c’est plutôt bon signe finalement, les dessinateurs de caractères commencent à mettre la main dans la 3d.

Arthur: Ouais et en parlant de rendre plus diversifié le champs des polices de caractères, il va en même temps de rendre accessible des outils pour développer des polices. Des nouveaux outils disponibles en ligne comme FontStruct qui permet de créer des polices avec des motifs géométriques ou Metaflop, qui est un modulateur de polices. Toutes ces manières de concevoir et de diffuser ramènent aussi à la création commune. Et heureusement certains logiciel comme certaines polices sont proposées en Open Source.

Marjorie: j’ai télécharger y’a quelques temps la police IBM Plex, j’ai eu genre 47 fontes en open source.

En fait, c’est Mike Abbink le creative director d’IBM avec Bold Monday en décembre dernier pour dessiner une font IBM Plex, pour se débarrasser d’Helvetica, qui était la police de caractère officielle de la marque depuis loooongtemps. Et en vrai, c’est un gros travail cette font, elle couvre je crois plus de 110 langages, des versions avec sérif et sans sérif, avec différentes graisses… et elle est pas dégueu.

Léo: Ouais elle a été beaucoup utilisée quand même… À l’école, on l’a vue dans le boulot d’un étudiant sur trois

Margot: Ah ouais mais regarde c’est un peu pareil avec les fonts du Cnap, l’infini, ou Faune. À chaque fois, que se soit public ou privé mais quand y a une grosse « boîte » qui distribue et commande une nouvelle police de caractères gratuite elle est vachement bien diffusÉE et on la voit partout, Le risque est seulement de vite s’en lasser ; on verra la longévité de l’IBM plex

Léa: Et regardez : pour en revenir à ce qu’on disait tout à l’heure, que les outils tels que Prototypo, Glyphr studio…, ouvrent un peu au dessin de caractères pour tous. Il y a Glyphs drawing club qui s’est mis en place. C’est un site internet complètement libre, il ne faut rien télécharger tout est en ligne, et tu peux faire des polices de caractères ou des dessins modulaires sur une grille. Il y a toute une librairie de formes déjà mise en place, le site est assez élaboré, tu as des système de couches pour pouvoir venir complexifier le dessin, sans avoir aucune connaissance fonctionnelle des logiciels traditionnels de dessin de caractères.

Le collectif de “fan professionnel” Whavvel ou Rayan scheuer dessinent leur caractères sur Glyphdrawingclub.com et les diffusent gratuitement sur leurs sites respectifs.

Et par la suite tu peux leur envoyer tes dessins de caractères qu’ils récupèrent pour faire un fanzine qui devient un système de diffusion des ces travaux que l’on pourrait qualifier d’amateur.

Léo: ouais les fanzines, c’est très spontané comme forme en général

Léa: Beh on le voit aussi avec High On Type, le collectif diffuse, entre autre, leurs expérimentations/recherches calligraphiques et de peinture en lettre à travers un fanzine, le Week one alphabet zine. Il a super bien marché cette année, ils l’ont distribué en deux deux entre leurs deux expo, en france et aux Pays-Bas.

Marjorie: Ouais et j’ai découvert un zine là il n’y a 1 ou 2 ans, c’est Skate witches, je le trouve plutôt cool car c’est un nouveau fanzine de skate gratuit, qui se détache du format type magazine et des modes de diffusion habituel (Ca change de l’édition hyper chiadé A Skateboarding Annual #3 sortie par Carhartt). En fait, the Skate witches est l’un des premiers uniquement dédié à la pratique du skate féminin et c’est trop hype ! Il y a un côté très punk dans cette édition, noir et blanc, beaucoup d’image, petit format qui renvoi à une esthétique du fanzine et du skate dans les années 80, 90. C’est Kristin Ebeling et Shari White deux américaines qui l’on créé pour rassembler et montrer un peu la visibilité des filles dans le skate. Le zine s’est fait connaître principalement sur instagram et dans les shops de skateboard par le bouche à oreille. Bref. Le skate c’est catalyseur de tendance, et l’image y est un outil de diffusion et de rassemblement d’une communauté.

Arthur: Le fait qu’une communauté se retrouve autour d’un même centre d’intérêt, ça se retrouve aussi dans les fanzines typographiques. Il y a Femmetype notamment, une plateforme qui réunit différentes réalisations de femmes dans l’industrie typographique.

Il me semble que tout est parti d’un compte instagram et aujourd’hui c’est devenu une communauté et également un ouvrage qui est sorti depuis début juillet. Dans le même objectif on peut trouver aussi le site alphabettes.org, qui se définit comme une vitrine, un espace d’échange et recherche sur le dessin de caractères afin de promouvoir les productions féminines dans ces champs du design. La communauté regroupe aujourd’hui de plus de 200 personnes à travers le monde. C’est la force aussi des réseaux et d’internet plus largement de réunir des personnes autour d’un centre d’intérêt, d’une motivation, et créer une émulsion propice à l’apparition de tendance. 36 days of type en est un bon exemple aussi. Au départ c’est un défi que deux designers graphiques se sont lancés. Aujourd’hui, c’est devenu une sorte de rendez-vous sur les réseaux sociaux qui a lieu chaque année d’avril à mai. Chacun peut participer pour créer un caractère par jour.

Margot: À cette période de l’année nos fils d’actualité sont bombardés de lettrages et de caractères. Bien sur on y voit de tout, on ne pourrait pas qualifier cela comme un diffuseur de tendance, ça agit plutôt comme un miroir, un prisme avec différentes influences et tendances. Comme de nombreux comptes instagram ou sites qui réunissent des créations typographiques comme Typosters, typographic posters ou Blankposters.

Ca crée de la place pour des pratiques très décomplexées, expérimentales et ouvertes du poster. (bon, parfois un peu gratuites…)

À une toute autre échelle, il y a le festival international de l’affiche de Chaumont qui récompense les meilleures affiches de l’année, créées par des designers internationaux.

Cette année c’est le studio deValence qui a remporté le grand prix avec ses affiches réalisées pour La commune. L’affiche ça reste quand même un incontournable objet de design graphique.

Marjorie: J’ai beaucoup entendue parler de Formes vives cette année, c’est eux qui ont obtenu le prix Espoir à Chaumont, Avec des images intéressantes : ils sont passés d’une logique très manuelle, dans l’héritage de Grapus, à des formes plus numériques.

Margot:

À Chaumont je suis allée à une conférence de Tereza Ruller, elle fait partie du studio “The Rodina”. Elle a présenté un jeu vidéo type arcade ou tu collectes des jetons dans un temps imparti. Le sound design du jeu est créer à partir de de bruits qui proviennent de l’environnement de travail de son studio. Son but est de nous faire comprendre par le jeu ce qui se passe derrière un processus créatif.

Après cette conférence j’ai assisté à sa performance au signe. Elle a formé un mouvement politique et bienveillant Unionize promue par des affiches et en complément des performances ou elle apporte un regard critique sur les conditions de travail des designers.

Si ça vous intéresse son livre “Action to surface” retrace la naissance de sa pensée, le fait d’intégrer la performance au design.

D’ailleur son clip “playbour” illustre bien le regard critique qu’elle a envers sa profession.

Arthur: Il y avait aussi le studio Dumbar qui y était exposé, j’apprécie vraiment leurs boulots. Avec plus de 40 ans d’activité, ils arrivent toujours à se positionner dans les tendances. Leurs dernières affiches typographiques issues de l’identité visuelle qu’ils ont développés pour l’Amsterdam Sinfonietta, elles sont impressionnantes. À côté de Ca, ils ont récemment créé un festival de Motion Design qui s’appelle Demo festival. La première édition aura lieu en novembre et présentera de nombreux designers. Ils l’expliquent d’ailleurs eux-mêmes. Tout est né des fils d’actualité sans fin d’instagram remplis de motion design innovants. L’idée c’est de donner une scène à cette pratique.

Thibault: Toujours à Chaumont y’avait aussi Spassky Fischer et leurs affiches pour le MacVal. Ils utilisent un vocabulaire graphique hyper réduit, un peu dans la ligne d’Experimental Jetset – qui utilisent presque exclusivement l’Helvetica. Leurs formes sont assez raides, mais c’est fait avec pas mal de précision et finalement de finesse. Le problème, c’est que tout un tas de designers s’engouffrent dans ce style, et recyclent vaguement les formes du modernisme sans que ça propose grand chose de neuf.

Léa: Même les grandes marques de mode s’y sont mises (Burberry, Saint Laurent, Balenciaga, Berluti…). Au final, cette tendance conduit à un appauvrissement total des formes.

Marjorie: D’un autre côté, comme toujours, y’a des réactions. Groupe CCC, par exemple, qui déglingue et déforme des typos pour leur identité du Collectif La Horde, ou qui produisent des dessins de caractères totalement décomplexés, presqu’illisibles.

Léo: Radim Pesko, aussi, qui est capable de dessiner des caractères très précis (Larish, Agipo) mais qui produit aussi des dessins très expérimentaux.

Margot: Ou Benoit Bodhuin et ses caractères géométriques, modulaires ou sauvages. J’aime bien le Pickle Standard.

Thibault: Il y a plein de linéales avec des parti-pris forts qui apparaissent. On a parlé du Vulf Sans, mais le Sporting grotesque de Lucas Le Bihan est un autre exemple. On sent aussi ce besoin de formes plus chaleureuses, moins parfaites.

Arthur: Le site Trendlist.org recensait les “tendances” dans le champ du design graphique. Ils ont récolté des tas de “patterns”, des motifs, des manières de faire qui se diffusaient et apparaissaient partout : 1729 pages d’exemples de Left, Right, Up & Down, 536 de typographies en escalier, 965 exemples de bleu Klein.

Ces tendances sont aussi des contre-courants, par rapport à un certain design mainstream, mais ça produit aussi des phénomènes de mode dans le petit monde du graphisme, avec des courants internes, parfois très auto-référencés…

Marjorie: Un autre exemple, c’est le genre “brutaliste” dans le web design. Il est venu en réaction à une large uniformisation des sites web. On avait partout les mêmes couleurs, les mêmes illustrations et icônes, flat et material design, des dégradés de bleus, etc. Au départ, c’était plutôt une bonne chose : les standards de lisibilité, de hiérarchie de l’information étaient plus élevés. Mais au final, c’est terriblement lassant.

On a alors vu des approches qui revendiquent une économie de moyens. Mais ça va bien au delà du simple “minimalisme”. En utilisant les typos système, en recyclant le vocabulaire vernaculaire du web, pas loin des logiques de l’antidesign, se souciant peu d’esthétique ou de confort d’utilisation.

Léa: Pendant quelques années, le site web brutalist websites a réuni beacoup de ces sites (plus de 1600 au final). Il est fermé aujourd’hui, et annonce en gros “Brutalist websites are dead”. Ils définissaient le design web brutaliste comme “une réaction d’une jeune génération à la légèreté, à l’optimisme et à la frivolité du design web actuel”. Mais au final, ça a produit une tendance, avec ses propres codes, sa propre esthétique. Et qui finit aussi par s’épuiser.

Léo: Parfois même, des grandes marques ou médias s’en sont emparé : Adidas, Nike, le magazine Bloomberg, le New York Times, même Google…

Arthur: Mais au final, c’est quoi pour vous une tendance ?

Ben par exemple pour moi c’est une expérimentation qui fait ses preuves et est approuvées par le public

Ah non pour moi c’est c’est un questionnement qui remet les marges en question et qui résonne et qui fait de plus en plus de bruit, parfois des contre tendances deviennent des tendances à proprement parler

Mais ce serait pas tout simplement ce qu’on reçoit sur nos réseaux.

Une direction, une influence commune à un groupe de personnes, à une communauté.

Des contradiction successives, le flux et le reflux

Tendance -> réaction à une tendance -> tendance -> réaction à une tendance.

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