Bienvenue dans
l’envers du décor.

Vous avez traversé l’interface au design épuré de Spotify. Vous êtes maintenant dans la section qui tend à exposer des informations qui auraient pû vous échapper sur l’entreprise.

Le prix du succès

En 2023, le prix de l’abonnement pour une personne augmente pour la première fois (en France) depuis 2009 et passe ainsi de 9,99€ à 10,99€. Depuis ce chiffre monte inéxorablement, petit à petit. Après une stabilité de 13 mois, la société vient tout juste d’annoncer une hausse à partir de juillet 2025.

Un design optimisé

Reconnaître Spotify passe évidemment par le design. Qui aujourd’hui n’est pas capable de citer la couleur de la marque ? Qui n’a jamais vu son logo rond aux trois ondes ? Malgré une constance dans la gamme de couleur et l’iconographie musicale (les ondes), l’identité visuelle a tout de même beaucoup évolué. Et cela pour aller avec son temps, s’adapter aux tendances, signe d’une faim grandissante de nouveaux abonnés partout dans le monde. Ci-contre l’évolution du logo de l’entreprise avec les versions de 2008, 2013, 2015 et 2024.

Mais cette vision de la conception graphique à destination de l’utilisateur pose des questions. Le design sur écran, soit le plus répandu aujourd’hui, est-il condamné à s’aseptiser, devenir un ensemble de formes de couleurs pastels et une typographie rappelant les débats sur le style suisse ? Ce style est-il le plus pertinent pour accompagner la musique ? En tout cas, cet univers graphique semble être celui qui permet de vendre à l’heure actuelle, et il n’est pas nécessaire de rappeler qu’il s’agit du but recherché ici.

Impossible de ne pas parler du phénomène Wrapped. Il s’agit du récapitulatif en diapositives proposé à chaque fin d’année par Spotify pour tous ses utilisateurs. Il permet aux auditeurs de revoir leurs statistiques et les artistes qu’ils ont favorisé sur les onze derniers mois, le tout dans un déluge de formes et de couleurs. Il faut admettre que le résultat est visuellement réussi. Il l’est sûrement aussi économiquement puisque ce rendez-vous annuel donne un argument de plus en faveur de la plateforme pour attirer des clients. Les autres services de streaming se sont progressivement mis à l’exercice de la même manière.

Spotify n’est pas la seule super-entreprise à mettre en oeuvre cette approche du design d’interface. En effet, lorsqu’on visite le site dédié (Spotify possède tout un ensemble de sites satellites), Spotify Design, les soupçons soulevés par l’interface se confirment. Difficile de ne pas voir les similarités dans l’esprit de conception, que ce soit dans le choix des formes, des icônes, des police de caractères sans empattements avec celui des autres géants du numérique, en particulier Google. Ce dernier propose aussi un site consacré à son design et même un outil open-source permettant d’appliquer la vision du design de google par soi-même.

Material 3, le système de design de Google

Quelques exemples :

2015 : partenariat avec Playstation Music (Sony)
2017 : intégration du lecteur Spotify pour la conduite dans Waze
2019 : intégration du lecteur Spotify dans Discord
2022 : partenariat avec le FC Barcelona (naming du stade Spotify Camp Nou, sponsor sur maillot) contre 70m€/an

Type d’abonnement

2024

2025

Personnel

11,12€

12,14€
(+9,17%)

Duo

15,17€

17,20€
(+13,38%)

Étudiants

6,06€

7,07€
(+16,67%)

Famille

18,21€

21,24€
(+16,64%)

Perfect Fit Content

En janvier 2025, la journaliste américaine Liz Pelly a publié son livre Mood Machine: The Rise of Spotify and the Costs of the Perfect Playlist. Celui-ci est le fruit entre autres d’une enquête menée pendant plus d’un an à propos du programme "Perfect Fit Content" de Spotify.

Ce "PFC", comme on l’abrège en interne, est un programme lancé autour de 2017 par Spotify avec comme objectif de permettre à la société de baisser les coûts en royalties dûs aux artistes. Comment ? En commandant des musiques calibrées pour ses playlists d’ambiance chill. Ce système permet de remplir des playlists créées par Spotify avec des morceaux à petit budget. Plus précisément, de la musique au mètre issue de studios proposant des enregistrements instrumentaux correspondant à des ambiances et des genres musicaux précis, avec qui Spotify négocie des conditions avantageuses – ce que confirment d’anciens employés et un examen des archives internes.

Cette notion de design accessible et dans l’air du temps ne s’arrête pas au logo de la société. L’identité visuelle de Spotify est immédiatement reconnaissable dans l’organisation de son interface, le choix des icônes, les arrêtes arrondies… L’ensemble procure une sensation de douceur, une pureté prétendument au service de la musique. Les playlists confectionnées directement par Spotify sont un exemple de cette imagerie utilisant des photos et/ou des couleurs lisses.

Les pièces de ce puzzle rassemblées par Liz Pelly, reprenant son enquête mais aussi celles plus anciennes de médias spécialisés suédois, ne laissent que peu de doutes sur les intentions des dirigeants de l’entreprise. La musique n’est plus un art mais un outil comme un autre, qui permet d’engranger des bénéfices. Cette stratégie a d’ailleurs sûrement joué un rôle clé dans le premier bilan annuel positif de l’histoire de Spotify. Mais il n’y a malheureusement pas qu’une seule menace qui pèse sur la musique, et l’intelligence artificielle en est une autre si tant est qu’elle n’est pas déjà au cœur du Perfect Fit Content.

La justification de cette hausse reste évasive : "Alors que nous continuons à développer notre plateforme, nous mettons à jour nos prix, afin de pouvoir continuer à innover dans des conditions de marché changeantes. Grâce à ces mises à jour, nous apporterons toujours de la valeur aux fans." (support Spotify).

Le service devient plus cher que Deezer et creuse son écart avec Apple Music, dont les abonnements personnels sont respectivement de 11,99€ et 10,99€.

De nombreuses
collaborations

Si Spotify paraît si omniprésent, si incontournable lorsqu’on parle de service de musique, c’est aussi grâce à ses partenariats. En effet, durant la décennie passée, l’entreprise suédoise s’est affiliée à des franchises et services à l’international. Cette stratégie permet au géant du streaming de prendre de plus en plus de place et ainsi séduire tout type de clientèle.

Début 2025, Duetti a publié son rapport annuel concernant les redevances distribuées par les plateformes de streaming lors de l’année passée. Ce rapport n’incluant que le marché américain et anglais, raporte que la somme générée pour 1000 streams a en moyenne atteint les 3$ chez Spotify. À titre de comparaison, pour autant de streams, Duetti révèle que Youtube Music et Deezer reversent 4,8$, Apple Music 6,2$, Tidal 6,8$ et Amazon Music 8,8$, ce qui place Spotify bon dernier. Ce compte rendu fait aussi état d’une diminution constante de la moyenne des redevances versées par l’ensemble des plateformes de streaming (voir graphique ci-contre).

Graphique partagé par Duetti

Les musiciens de studio qui les enregistrent sont anonymes et de faux noms sont inventés pour duper l’auditeur. Prenons l’exemple de la playlist "Lofi Chill". Pratiquemment aucun des titres n’est publié par un artiste en son nom et il n’est pas difficile de démasquer ces artistes fantômes. Leur page ne contient aucune information sur eux, seuls des singles sont disponibles et les pochettes sont génériques, probablement le fruit d’une intelligence artificielle générative.

Les bénéfices du succès
(pour les artistes)

Qui dit année de bénéfices records dit redistribution généreuse pour les artistes streamés ? Après la partie sur le PFC rien n’est moins sûr… Et même si Spotify n’utilisait pas cette méthode, on ne peut pas dire que les redevances versées aux artistes soient fantastiques. Mais il existe tout de même une différence entre gagner sa vie modestement et plus du tout, d’où la dangerosité du Perfect Fit Content.

Cette stratégie a atteint son rodage. Spotify a créé un réseau d’entreprises qui lui fournit des morceaux pas chers. C’est le cas notamment de Firefly Entertainment dont un des dirigeants serait Nick Holmstén, un ami de longue date de Fredrik Hult, directeur de la musique chez Spotify, d’après Liz Pelly.

Cette amitié, documentée sur le compte Instagram de Hult, rend cocasse les efforts de Spotify pour minimiser ses relations avérées avec les sociétés de production de musique qui font tourner son programme PFC. Et ces entreprises sous contrat semblent également tenues à garder le silence, alors même qu’en quelques années, Firefly Entertainment a décuplé ses revenus, alimentés par les royalties du streaming, toujours selon les informations de la journaliste.

Technofascime ?

Il était question dans la partie précédente des conflits entre une grande entreprise et les syndicats suédois, chose qu’Elon Musk a eu le plaisir d’expérimenter avec sa société Tesla. +1 point commun avec Spotify.

Le milliardaire sud-africain est rapidement devenu la figure de ce qu’est le technofascisme et a soutenu Donald Trump tout au long de sa candidature. Il a donc évidemment fait un don pour sa cérémonie d’investiture.
+1 point commun avec Spotify.

Fin janvier 2025, le journal suédois Nagens Dyheter révèle que la direction de Spotify a alloué 150 000 dollars de dons à la cérémonie d’investiture du 47e président des États-Unis. Suite à cette révélation, la société a communiqué "Le don vise à continuer à étendre notre présence à Washington D.C. tout en favorisant les objectifs de notre plateforme et de nos créateurs. Cela s’inscrit dans le cadre du travail que nous effectuons dans les capitales du monde entier pour faire avancer nos questions politiques, quel que soit le pouvoir en place".

De son côté, Spotify s’est défendu par le biais d’un représentant, affirmant que les informations révélées par l’étude de Duetti étaient ridicules et infondées. Il a ensuite ajouté : "Aucun service de streaming ne paie à l’écoute, car cette approche inciterait les plateformes à minimiser leurs diffusions. Cela se traduirait par un faible engagement, moins de connexions avec les artistes et des rémunérations globales plus faibles".

Alors que le streaming ne représentait que 9% du chiffre d’affaires du marché de la musique en 2011, ce chiffre se rapproche aujourd’hui du trois quarts des contributions à l’industrie musicale. Spotify déclare même que 70% de son chiffre d’affaires est reversé aux labels et aux éditeurs. Mais les sommes perçues directement par les artiste ne sont pas homogènes.

Les redevances et royalties sont calculées différemment, en fonction du pays de diffusion ou du type d’abonné en train de streamer (abonné premium ou non). Et à cela s’ajoute bien sûr le facteur de la signature en label, qui aura plus de poids sur la négociation lors des accords contrairement à un artiste indépendant de contrat mais dépendant du système de répartition de Spotify.

La définition officielle de ce "contenu parfaitement adapté" est "de la musique commandée pour correspondre à une certaine playlist/humeur permettant de réaliser des marges plus importantes". Ce que Daniel Ek ne dit pas là, c’est qu’il compte en réalité sur la passivité de ses clients. Ces derniers, en recherche d’une musique ambiante leur permettant de faire autre chose sans être trop concentrés sur ce qu’ils écoutent, ne se rendent pas compte qu’ils streament des artistes fantômes qui alourdissent les poches des dirigeants de Spotify. Voyant tout cela se dérouler sous leurs yeux, certaines personnes travaillant à plein temps chez Spotify sur la programmation des playlists internes sont dévastées.

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Mais ce prétexte a du mal à passer lorsqu'on connaît l'importance du podcaster complotiste Joe Rogan dans l'élection de Donald Trump. Une importance dont les dirigeants de Spotify se seraient félicités puisque les droits de diffusions du podcast The Joe Rogan Experience ont été achetés par Spotify à hauteur de 100m$ en 2020. Le syndicat américain United Musicians and Allied Workers a publié sur X le 22 janvier : “Ces entreprises et leurs PDG ultra-riches ne se soucient pas des travailleurs qui font tourner leurs entreprises, ils se soucient de se rapprocher du pouvoir oligarchique de Trump”.

Capture d'écran du site Spotify Investors

À l'heure de la victoire de la post-vérité incarnée par les noms cités précédemment, on peut à raison s'inquiéter du pouvoir d'influence de ces PDG milliardaires qui prêtent allégeance à l'extrême droite montante.

En Suède, 90% des travailleurs sont couverts par des conventions collectives. Pourtant, Spotify n’en a conclu aucune dans son pays d’origine et ne reconnaît pas de syndicat suédois. Des négociations conjointes avec Unionen, Sveriges Ingenjöner et Sveriges Akademikers Centralorganisation ont eu lieu mais ont été stoppées par l’entreprise en août 2023. Des conflits du travail similaires se sont produit dans le pays avec Tesla ou Klarna par exemple en 2024. Non loin en Europe, les employés de la branche allemande à Berlin ont quant à eux élu un comité d’entreprise la même année.

Aux États-Unis, Spotify reconnaît les syndicats dans ses filiales de podcast. Le rachat des entreprises de podcast Gimlet Media, Parcast et The Ringer entre 2019 et 2020 ont entraîné la naissance de nouveaux syndicats ou la continuité d’autres pré-existants. Certains sont rattachés à la Writers Guild of America, East.

Les bénéfices du succès
(pour les employés)

Bien que Spotify enregistre une dizaine de milliards de chiffre d’affaires chaque année depuis 2022, mauvaise passe des marchés financiers oblige, trois vagues de licenciements ont lieu chez Spotify durant l’année 2023. Ce sont au total entre 2000 et 3000 emplois qui sont supprimés car l’entreprise doit se serrer la ceinture.

La question du syndicalisme est encore un peu plus complexe chez Spotify.

Sources (1re partie)

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Sommaire

Conclusion

Pour conclure, il seraît malhonnête d'avancer que Spotify est une entreprise diabolique qui menace directement le sort de l'humanité. Seulement, force est de constater qu'elle ne l'améliore pas forcément malgré ce que pourraient en dire les dirigeants. La recherche de profits de cette entreprise par tous les stratagèmes disponibles a relégué l'art au second plan pour attirer toujours plus de nouveaux clients et vendre des espaces publicitaires. La musique ne serait qu'un moyen d'acquérir des profits et ce au détriment des artistes, des employés et même des auditeurs.

Note de l'auteur

Ce site web n'est pas une accusation à charge contre l'entreprise Spotify mais simplement un modeste regroupement d'informations disponibles gratuitement en ligne, mis en forme pour un projet de diplôme. Étant moi-même un abonné payant de Spotify, ce site est ma propre réponse aux questions que je pouvais avoir sur le fonctionnement d'un service de streaming que j'utilise.

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Sources

Première partie
Deuxième partie