Il est possible d’avoir des bâtiments « verts » dont l’impact carbone ou énergétique est nul, mais ces indicateurs ne prennent pas en compte la consommation d’énergie intrinsèque ou la destruction écologique qui se produit pendant la construction. En d’autres termes, ces bâtiments ne rendent pas à la nature plus qu’ils ne lui prennent, et ne sont donc pas soutenables. Le fait de considérer les bâtiments « comme des paysages », plutôt que comme un ensemble de composants, révèle des possibilités d’utiliser la structure et la surface pour créer de nouveaux espaces écologiques. La « conception pour les écoservices » augmente les multiples « services gratuits » fournis par la nature. Cela peut concerner des jardins d’enfants, des modules de rénovation solaire passive, des « échafaudages verts », ou diverses structures spatiales autour, entre ou même à l’intérieur des bâtiments. Les bâtiments peuvent contribuer à la soutenabilité s’ils offrent plus d’avantages que l’absence totale de constructions, et si les villes existantes sont réaménagées pour transformer les déficits écologiques et sociaux en gains. La conception écopositive applique la pensée du système ouvert à la conception de l’environnement bâti, ainsi qu’au contrôle et à l’évaluation du développement dans l’aménagement urbain.
En règle générale, les constructions physiques concentrent les richesses, privatisent les ressources, éliminent la diversité biologique et culturelle et renforcent le gaspillage et les conditions de vie inéquitables. En bref, elles bloquent les options futures. Les approches conventionnelles du design durable ne contribuent guère à inverser cette tendance. Les villes pourraient améliorer la qualité de vie et régénérer l’environnement, mais cela ne suffit pas. Les défenseurs et défenseuses de la conception écopositive (ou du design à impact net positif) insistent sur le fait que « l’empreinte écologique positive de la nature » doit dépasser l’empreinte négative de l’humanité. Pour augmenter les options futures et compenser les effets écologiques cumulatifs inévitables, les villes dans leur ensemble doivent générer des gains écologiques et sociaux nets. Cela est techniquement possible. Par exemple, comme le démontrent Renger et al. (2015), les bâtiments peuvent séquestrer plus de carbone qu’ils n’en émettent au cours de leur cycle de vie et, comme le suggèrent Pearson et al. (2014), les stratégies de conception telles que les échafaudages verts peuvent fournir trois douzaines de services écosystémiques.
Fondé sur une critique des approches conventionnelles du design durable, un cadre écopositif alternatif permet une forme de construction qui donne plus à la nature et à la société qu’elle ne prend. Ainsi, les villes doivent non seulement intégrer la nature vivante aux bâtiments, mais aussi augmenter la « base écologique » totale. Alors que les paradigmes standards de design durable – tels que résumés par Hes et du Plessis (2014) – appellent à concevoir « avec » ou « comme » la nature, la conception écopositive agit « pour » la nature. En outre, une condition préalable à une démocratie soutenable est un environnement humain équitable et écoproductif qui répond aux besoins de base et plus encore. Les villes devraient accroître le « domaine public », l’accès direct et universel aux moyens de subsistance, l’engagement social et le bien-être individuel.
L’incapacité des approches actuelles du design durable à apporter une contribution nette positive peut être attribuée au paradigme dominant des systèmes fermés. Celui-ci remonte à la métaphore du « vaisseau spatial Terre » des années 1960 et à l’argument des « limites à la croissance » des années 1970, qui étaient censés contrer le modèle linéaire du progrès industriel. En 1980, la « Stratégie mondiale de la conservation » appelait à « vivre dans les limites de la capacité de charge des écosystèmes » – un autre argument en faveur des « limites de la nature ». Ces messages négatifs ont été ignorés, probablement parce que les « limites » suggéraient une baisse du niveau de vie. L’influent rapport Brundtland de 1987 a perpétué le modèle du système fermé. Il a également omis de prendre en compte l’environnement bâti et a relégué l’aménagement soutenable aux institutions décisionnelles. La soutenabilité biophysique est un problème de conception, et pas seulement de gestion. Elle exige de modifier non seulement les structures physiques, mais aussi les institutions et les cadres décisionnels qui les façonnent.
Le design peut créer des relations positives et synergiques qui multiplient les avantages publics et les gains écologiques. En revanche, la prise de décision politique s’appuie sur des cadres fermés permettant seulement de comparer des alternatives ou de répartir les coûts entre les priorités. Les modèles de décision technocratiques, réductionnistes et informatisés sont néanmoins considérés comme une « pensée supérieure », tandis que le design est marginalisé comme un sous-ensemble mou et subordonné. Pourtant, la conception écopositive introduit un modèle de système ouvert pour guider les changements fondamentaux de paradigme dans les domaines conceptuel et matériel. Tout d’abord, il s’agit de remplacer la prise de décision réductionniste par des cadres décisionnels fondés sur la conception, qui soient en mesure d’accroître les relations symbiotiques entre les humains et la nature. Deuxièmement, il s’agit de transformer écologiquement les structures physiques afin d’augmenter l’espace vital écologique et de maximiser les avantages publics.
Comme nous l’avons vu, le design durable se caractérise aujourd’hui par une pensée en système fermé. Ce concept est né avec les bâtiments « autonomes en ressources » dans les années 1970 et la fabrication en « boucle fermée » dans les années 1990. Dans un système fermé, les solutions de conception consistent essentiellement à « recycler ». Étant donné que les bâtiments modernes sont composés de nombreux produits manufacturés, le recyclage et/ou le surcyclage (upcycling) à des valeurs économiques plus élevées peuvent réduire de nombreux effets. Cependant, cela ne peut pas en soi créer des environnements éco-positifs. Même un bâtiment à impact nul ne contribuerait pas nécessairement de manière positive à la soutenabilité écologique. L’objectif du recyclage étant la performance zéro, les normes habituelles n’exigent qu’une réduction des effets négatifs. En outre, les évaluations d’impact reposent sur des « limites systémiques » imaginaires, au-delà desquelles les conséquences cumulatives et intrinsèques deviennent trop informes et complexes pour être mesurées. Ceux-ci ne sont donc pas comptabilisés. Cela limite la responsabilité des équipes de conception aux incidences mesurables à l’intérieur de limites artificielles, telles que les limites de propriété, excluant ainsi les questions éthiques plus larges.
Aujourd’hui, les « outils d’évaluation des bâtiments verts », des outils commerciaux sous forme de cases à cocher, restent prépondérants dans la profession urbaniste. Ces systèmes de certification volontaire gérés par le secteur privé ont été introduits par les conseils de la construction écologique, créés dans de nombreux pays depuis 1990, afin d’anticiper les exigences de la réglementation sur la construction durable. Ces outils d’évaluation illustrent une pensée réductionniste et limitée. Ils visent uniquement à réduire les effets existants ou prévus par rapport à la norme. Ainsi, une réduction des effets négatifs est souvent qualifiée de « positive » ; pourtant, dans une perspective plus large, une réduction de 40 % de la consommation d’énergie n’empêche pas qu’il y ait en fin de compte une augmentation globale de 60 %.
L’application des outils d’évaluation conventionnels laisse également de côté des questions fondamentales de soutenabilité telles que la justice sociale. Elle néglige les avantages publics potentiels, encourage les compromis entre des valeurs incommensurables, considère les économies financières réalisées grâce à la productivité des travailleurs comme des gains « écologiques », etc. En revanche, les méthodes de conception écopositive sont abordables dans les régions défavorisées. La situation sociale exige l’équité et la justice environnementale à l’échelle régionale, ce qui peut être évalué par des analyses de flux, comme le soulignent Byrne et al. (2014). Ces nouvelles normes prescrivent une architecture entièrement nouvelle.