Pédagogie

Jonathan Dawson

éducation, pédagogie, capacitation

Pédagogie : du latin paedagogia, « éducation, accompagnement des garçons », et du grec paidagogos, « professeur », « guide ».

La pédagogie peut être considérée comme la Cendrillon du monde de l’éducation – elle est largement négligée malgré le rôle essentiel qu’elle joue dans le foyer éducatif. Cela est particulièrement évident dans le domaine de l’économie : les manifestations étudiantes de ces dernières années ont porté sur le programme d’études, avec des demandes centrées sur la nécessité d’enseigner d’autres écoles de pensée que celle de l’économie néolibérale. L’hypothèse implicite est que le remplacement d’un ensemble de manuels par un autre suffira à remédier au dysfonctionnement actuel de la discipline. En y regardant de plus près, cette analyse apparaît insatisfaisante et superficielle.

Un certain nombre d’hypothèses fondamentales régissent la pratique éducative actuelle – et celles-ci sont si profondément ancrées que nous sommes à peine conscients de leur existence. C’est ce que Stephen Sterling appelle « la géologie souterraine de l’éducation » (Sterling, 2008). Ces hypothèses comprennent la croyance qu’il existe un ensemble fixe de savoirs spécifiques à chaque matière et devant être transmis par un enseignant « expert » ; que l’intellect est la seule faculté légitime d’apprentissage ; et que l’apprentissage est un processus individuel et compétitif, dans lequel la collaboration est dénoncée comme une tricherie.

Heureusement, ces hypothèses de base sont de plus en plus remises en question et nous assistons à une nouvelle vague d’expériences éducatives fondées sur une éthique beaucoup plus éclairée.

Il est de plus en plus reconnu que la connaissance, plutôt que d’être figée et de représenter en quelque sorte une vérité objective, est en fait socialement construite – la construction du sens émergeant d’un processus itératif continu d’expérimentation, de questionnement et de réflexion au sein de la communauté d’apprentissage. Dans ce voyage d’apprentissage continu, et en nous appuyant sur les idées de Paolo Freire, nous comprenons que le langage que nous utilisons pour interpréter le monde n’est pas une représentation fidèle d’une réalité objective, mais qu’il émerge plutôt de relations de pouvoir structurelles qui, lorsqu’elles ne sont pas remises en question, tendent à se perpétuer insidieusement (Freire, 2021 [1968]).

Dans cette optique, le centre de l’autorité doit se déplacer de l’enseignant vers la communauté d’apprentissage, le rôle de l’éducateur étant de « faire sortir de » (educere), de se transformer en ressource, en mentor, en provocateur et, dans un certain sens, en pair, plutôt que d’être un simple transmetteur d’informations.

Cette évolution a été particulièrement marquée dans les contextes où le rôle de l’éducation dans le processus de colonisation idéologique a été particulièrement fort. Par exemple, l’Universidad de la Tierra (ou Unitierra), à Oaxaca, au Mexique, a été créée en réponse à la conviction que « l’école a été le principal outil de l’État pour détruire le peuple autochtone ». L’Unitierra a développé une éthique de l’apprentissage qui repose plus étroitement sur la pratique éducative autochtone et qui met l’accent sur l’éducation informelle, fondée sur des projets portés par des pairs, plutôt que sur le modèle hiérarchique de la relation conventionnelle enseignant-élève.

La méthode scientifique conventionnelle s’appuie fortement sur la rationalité et sur des formes de validation fondées sur des preuves empiriques. L’étudiant/chercheur est censé se tenir à l’extérieur du champ d’études en tant qu’observateur impartial, capable de tirer des conclusions objectives sur la base du seul raisonnement cognitif. Notre compréhension émergente du processus d’apprentissage resitue l’apprenant comme étant profondément immergé et impliqué dans le monde, l’explorant avec toute la gamme des facultés humaines : rationnelles et cognitives, expérientielles, intuitives, relationnelles et corporelles.

La validation du subjectif que cela implique redonne vie à la salle de classe. Les élèves ne sont plus tenus de laisser leurs émotions, leur intuition et leur corps à la porte de la classe. Au contraire, ils et elles sont invités à entrer dans un espace qui accueille leur créativité et leur sens du jeu, leurs passions et leurs larmes. Le rôle de l’étudiant passe de celui d’objet sur lequel on opère à celui de sujet au sein de relations.

Par exemple, dans le cadre de leurs cours de maîtrise, les étudiants et étudiantes en économie du Schumacher College, dans le Devon, en Angleterre, participent à un atelier de « théâtre de l’opprimé », où ils et elles dessinent une constellation de contextes politico-économiques divers, en utilisant leur corps pour cartographier des systèmes complexes et expérimenter somatiquement des pistes d’action potentielles (Dawson et Oliveira, 2017).

Un nombre croissant d’études et d’enquêtes sur les initiatives éducatives innovantes constatent que cette approche plus holistique de l’éducation – qui stimule « la tête, le cœur et les mains » – est nettement plus efficace pour catalyser le changement de comportement. Elle permet aussi aux étudiants et étudiantes d’aborder de manière critique et créative les valeurs, les compétences et les connaissances requises pour les défis liés à la soutenabilité auxquels nous sommes confrontés.

Enfin, la pratique pédagogique conventionnelle définit l’élève comme un apprenant autonome et essentiellement indépendant, en compétition avec ses pairs dans la course aux notes. Une interprétation alternative émergente reconnaît que l’étudiant est intégré dans de multiples relations au sein du monde humain et autre qu’humain, et que ce sont précisément ces relations qui permettent et catalysent l’émergence de la connaissance.

Dans ce contexte, il n’est pas surprenant qu’une caractéristique commune à de nombreuses initiatives éducatives pionnières d’aujourd’hui soit leur enracinement dans la communauté. Des centres tels que les nombreux écovillages du monde entier qui accueillent le programme d’enseignement élaboré par Gaia Education, et des institutions telles que la Swaraj University et le Barefoot College en Inde, sont conçus explicitement pour être intégrés dans des communautés de vie et d’apprentissage – elles-mêmes profondément ancrées dans la tradition gandhienne des ashrams et du nai talim (Sykes, 2009). Dans ces programmes, les étudiants et le personnel travaillent côte à côte pour gérer le centre d’éducation : cultures, cuisine, vaisselle, nettoyage et entretien des bâtiments. La « classe vivante » est ainsi élargie à toutes les dimensions de la vie étudiante, ce qui permet de briser les frontières artificielles qui existent habituellement entre la théorie et la pratique de la soutenabilité. Les élèves apprennent à faire face à des questions liées à la prise de décision et à la résolution des conflits, à l’approvisionnement et à la préparation des repas, et à la façon d’entrer en relation avec les autres de manière respectueuse et régénératrice.

Pendant trop longtemps, les subjectivités dynamiques et créatives des élèves ont été exclues de la salle de classe. L’histoire qui a été imposée – celle d’un être solitaire, compétitif et hyper-rationnel disséquant le monde afin de le manipuler plus efficacement pour son propre avantage – nous a privés de sens, tandis que la Terre saigne. Nous avons besoin de nous retisser à la fabrique du vivant. Une refonte de la forme et de l’objectif de l’apprentissage est un bon point de départ.

Pour aller plus loin

D’Alisa, Giacomo, Federico Demaria et Giorgos Kallis (dir.) (2015), Décroissance : vocabulaire pour une nouvelle ère, Neuvy-en-Champagne : Le Passager clandestin.

Dawson, Jonathan et Hugo Oliveira (2017), « Bringing the Classroom Back to Life », EarthEd: Rethinking Education on a Changing Planet, Washington, DC : Island Press et Worldwatch Institute, p. 207-219.

Freire, Paulo (2021 [1968]), La Pédagogie des opprimés, Marseille : Agone.

Lakoff, George et Mark Johnson (1986 [1980]), Les Métaphores dans la vie quotidienne, Paris : Minuit.

Sterling, Stephen (2008), « Sustainable Education: Towards a Deep Learning Response to Unsustainability », Policy and Practice, no 6, www.development educationreview.com

Sykes, Marjorie (2009), The Story of Nai Talim: Fifty Years of Education at Sevagram, India, 1937-1987, New Delhi : ncert.

Jonathan Dawson est éducateur au Schumacher College dans le Devon, en Angleterre, où il coordonne le programme de maîtrise sur l’économie de transition. Il fait partie de l’équipe qui a créé le programme d’études de Gaia Education (www.gaiaeducation.org) et a été président du Global Ecovillage Network.