ÉCOLOGIE SOCIALE

Brian Tokar

démocratie directe, écologie, confédération, hiérarchie, communauté, assemblée, mouvements sociaux

L’écologie sociale offre une nouvelle perspective politique révolutionnaire, en remettant en question les conceptions conventionnelles des relations entre les communautés humaines et le monde naturel, et en proposant une vision alternative des villes, villages et quartiers, libres, confédérés et pratiquant la démocratie directe, qui cherche à réharmoniser ces relations. L’écologie sociale a été initialement proposée par le théoricien social Murray Bookchin – qui a travaillé aux États-Unis entre les années 1960 et le début des années 2000 – et a été développée plus avant par ses collègues et de nombreuses autres personnes dans le monde entier. L’écologie sociale a exercé une influence sur divers mouvements sociaux, notamment les campagnes des années 1970 contre l’énergie nucléaire, certains des mouvements altermondialistes et de justice climatique, et la lutte actuelle pour l’autonomie démocratique des communautés kurdes en Turquie et en Syrie.

L’écologie sociale considère que les problèmes environnementaux sont fondamentalement de nature sociale et politique, et qu’ils sont enracinés dans les héritages historiques de la domination et de la hiérarchie sociale. L’écologie sociale prend ses racines dans les courants du socialisme anarchiste et libertaire, qui remettent en question le capitalisme et l’État-nation et considèrent les institutions de la démocratie locale comme le meilleur antidote au pouvoir centralisé de l’État. Murray Bookchin a été l’un des premiers penseurs occidentaux à identifier l’impératif de croissance du capitalisme comme une menace fondamentale pour l’intégrité des écosystèmes vivants. Il a soutenu que les préoccupations sociales et écologiques sont fondamentalement inséparables. Par le biais d’études approfondies sur l’histoire et l’anthropologie, Bookchin a remis en question la conception occidentale commune selon laquelle les humains cherchent par essence à dominer le monde naturel, concluant plutôt que la domination de la nature est un mythe enraciné dans les relations de domination entre les peuples qui ont émergé de l’effondrement des anciennes sociétés tribales en Europe et au Moyen-Orient. Les tenants de l’écologie sociale sont également influencés par des éléments de la pensée autochtone nord-américaine et par diverses écoles de théorie sociale critique, comme l’approche historiquement ancrée du féminisme écologique portée par Ynestra King et Chaia Heller.

En prenant en compte ces influences, l’écologie sociale met en évidence divers principes sociaux égalitaires que de nombreuses cultures autochtones – passées et présentes – ont en commun et les élève au rang de guides pour un ordre social renouvelé. Ces principes, mis en avant par des anthropologues critiques et des penseurs autochtones, comprennent les concepts d’interdépendance, de réciprocité, d’unité dans la diversité et une éthique de la complémentarité – c’est-à-dire l’équilibre des rôles entre les différents secteurs sociaux, notamment à travers la compensation active des différences entre les individus. Le conflit inhérent entre ces principes directeurs et ceux des sociétés hiérarchisées de plus en plus stratifiées a donné lieu à des héritages antagonistes entre domination et liberté pendant une grande partie de l’histoire de l’humanité.

La réflexion philosophique de l’écologie sociale examine l’émergence de la conscience humaine au sein des processus de l’évolution naturelle. La perspective du naturalisme dialectique examine les forces dynamiques de l’histoire de l’évolution et considère l’évolution culturelle comme un développement dialectique influencé par des facteurs naturels et sociaux. Les tenants de l’écologie sociale remettent en question la conception dominante de la nature comme un « domaine de nécessité », suggérant que dans la mesure où l’évolution naturelle a fait progresser les qualités de diversité et de complexité, et a également été à l’origine de la créativité et de la liberté humaines, il est impératif pour nos sociétés d’exprimer et de déployer pleinement ces tendances évolutionnistes sous-jacentes.

Ces explorations historiques et philosophiques sont à la base de la stratégie politique de l’écologie sociale, que l’on qualifie de « municipalisme libertaire » ou « confédéral », ou, plus simplement, de « communalisme », découlant d’idées clés héritées de la Commune de Paris de 1871. L’écologie sociale reprend les racines grecques anciennes du mot « politique », comme étant l’autogestion démocratique de la polis, ou municipalité. Bookchin a plaidé pour des villes et des quartiers libérés, gouvernés par des assemblées populaires ouvertes et librement confédérées, pour contester l’esprit de clocher, encourager l’indépendance et construire un véritable contre-pouvoir. Il a célébré les traditions persistantes des town meetings dans le Vermont et dans toute la région de la Nouvelle-Angleterre aux États-Unis, décrivant comment ces réunions ont pris un caractère de plus en plus radical et égalitaire dans la région durant les années qui ont précédé la révolution américaine.

Les tenants de l’écologie sociale estiment que si les institutions du capitalisme et de l’État renforcent la stratification sociale et exploitent les divisions entre les personnes, des structures alternatives ancrées dans la démocratie directe peuvent favoriser l’émergence d’un intérêt général de la société pour un renouveau social et écologique. Les personnes inspirées par ce point de vue ont introduit des structures de démocratie directe et des assemblées populaires dans de nombreux mouvements sociaux aux États-Unis, en Europe et au-delà, depuis les campagnes populaires d’action directe contre l’énergie nucléaire à la fin des années 1970 jusqu’aux mouvements plus récents autour de la justice mondiale et de l’altermondialisme, comme Occupy Wall Street. La dimension préfigurative de ces mouvements – anticiper et mettre en œuvre les différents éléments d’une société libérée – a encouragé les participants et participantes à remettre en question le statu quo et à promouvoir des visions d’avenir porteuses de transformations.

Les partisans de l’écologie sociale ont également cherché à renouveler la tradition utopique de la pensée occidentale. Le cofondateur de l’Institute for Social Ecology, Dan Chodorkoff, plaide ainsi en faveur d’un « utopisme pratique ». L’idée est de combiner les connaissances théoriques et la pratique politique de l’écologie sociale avec les principes avancés de la construction écologique et du réaménagement urbain, ainsi qu’avec les écotechnologies, pour produire de la nourriture, de l’énergie et d’autres produits de première nécessité. Les concepts de design écologique, tels que la permaculture, qui encouragent une compréhension plus approfondie des modèles du monde naturel, résonnent avec la vision de l’écologie sociale selon laquelle les êtres humains peuvent participer à la nature de manière créative et mutuellement bénéfique, tout en cherchant à renverser les héritages historiques d’abus et de destruction.

Les perspectives de l’écologie sociale ont profondément influencé les acteurs des mouvements sociaux, depuis les premières années de la politique écologiste jusqu’aux campagnes récentes en faveur de l’autonomisation locale par le biais d’assemblées populaires, dans plusieurs villes européennes et canadiennes. Les tenants de l’écologie sociale ont inspiré les efforts en faveur d’un urbanisme plus vert et du pouvoir des quartiers dans de nombreuses régions du monde. L’influence actuelle la plus frappante concerne peut-être les militants et militantes des régions kurdes du Moyen-Orient – particulièrement déchirées par la guerre –, où des populations d’origines ethniques diverses, longtemps marginalisées par les pouvoirs coloniaux et étatiques, ont créé des institutions de démocratie directe confédérale. Malgré la persistance des guerres sectaires et des violences religieuses, les villes kurdes proches de la frontière turco-syrienne œuvrent en faveur de l’égalité des sexes et de la reconstruction écologique, en s’inspirant largement de l’écologie sociale et d’autres perspectives sociales critiques ancrées dans une grande variété de points de vue culturels.

Pour aller plus loin

Institute for Social Ecology, www.social-ecology.org

New Compass Press, www.new-compass.net

Bookchin, Murray (1982), The Ecology of Freedom: The Emergence and Dissolution of Hierarchy, Palo Alto : Cheshire Books.

Bookchin, Murray (2020 [1982 et 1990]), L’Écologie sociale : penser la liberté au-delà de l’humain, Marseille : Wildproject.

Bookchin, Murray (2022 [2015]), La Révolution à venir : assemblées populaires et promesses de démocratie directe, Marseille : Agone.

Eiglad, Eirik (dir.) (2015), Social Ecology and Social Change, Porsgrunn : New Compass Press.

Brian Tokar est maître de conférences en études environnementales à l’université du Vermont, aux États-Unis. Il est membre du comité de direction de l’Institute for Social Ecology, après en avoir été directeur. Il est notamment l’auteur de Toward Climate Justice: Perspectives on the Climate Crisis and Social Change (édition révisée, New Compass Press, 2014 [2010]).