Religions chinoises

Liang Yongjia

confucianisme, taoïsme, écologie

L’expression « religions chinoises » désigne ici les croyances et les pratiques religieuses qui ont vu le jour en Chine et se sont diffusées depuis ce pays au fil des siècles. Parmi celles qui ont survécu, les plus influentes sont le confucianisme et le taoïsme.

Le confucianisme a été fondé par Confucius (551-479 av. J.-C.), qui a réinventé les rituels royaux sous la forme d’un système de pensée et de pratiques élaboré autour des idées de piété filiale et de loyauté. Devenu l’idéologie impériale au 2e siècle avant Jésus-Christ, le confucianisme a été suivi en Chine jusqu’au début du 20e siècle. Le taoïsme s’est quant à lui institutionnalisé autour du 1er siècle de notre ère, en syncrétisant différentes philosophies de l’univers et du salut. Il est resté l’une des religions les plus influentes de Chine pendant deux millénaires, en grande partie grâce à ses pratiques diffuses et immensément populaires.

L’expression « religions chinoises » est apparue pour la première fois en Occident sous la plume des jésuites du 17e siècle et a été utilisée par Max Weber dans Confucianisme et taoïsme (2000 [1915]). La construction élitiste de Weber laisse l’impression que le confucianisme et le taoïsme sont les religions véritablement opérantes en Chine. Mais en réalité, on ne peut les comprendre sans tenir compte du bouddhisme et des autres religions. De plus, le confucianisme et le taoïsme ont tous deux connu un déclin significatif au début du 20e siècle, subissant des changements radicaux afin de mieux répondre aux problèmes contemporains. Cela a conduit à une réinterprétation des concepts et des traditions liés à l’harmonie, à la nature, à la justice et à l’écologie.

Au début du 20e siècle, le confucianisme avait perdu son autorité et ses institutions orthodoxes en raison de la disparition de l’Empire chinois. Au cours des trois premières décennies de la République populaire de Chine, il a de plus été dénoncé comme un vestige féodal. Depuis le début du 21e siècle, le confucianisme a connu une forte renaissance avec le soutien de l’État. Les principaux acteurs de cette renaissance sont les « néo-confucianistes continentaux », qui souhaitent créer une religion reconnue par l’État et orienter le pays vers un constitutionnalisme confucéen.

Les revivalistes croient généralement que le confucianisme peut surmonter la crise de la modernité occidentale, grâce à des techniques sociales et corporelles alternatives liées à la paix intérieure, à la solidarité communautaire, à la civilité et à l’autodiscipline (Tu, 2010). Le confucianisme offrirait des remèdes à la corruption politique, à la disparité économique, à l’instabilité sociale et au désastre écologique. Les néo-confucianistes estiment que la modernité, caractérisée par la démocratie libérale et le capitalisme mondial, n’est plus souhaitable pour la Chine. Au lieu de cela, le confucianisme, sorte de « religion civile » (Jensen, 1997 : 4), enseignera à la Chine et au monde entier la vie spirituelle, morale et rituelle. Beaucoup encouragent la lecture des classiques confucéens dans les établissements d’enseignement et proposent des formations aux entrepreneurs, aux politiciens, aux professionnels et aux personnes en quête de spiritualité. Il existe également des écologistes qui réorientent la vision anthropocentrique confucéenne en fonction des idées d’harmonie avec la nature, d’aspiration à la longévité, d’acceptation des difficultés et de désir d’une justice soutenable. L’International Confucian Ecological Alliance tente de combiner la sagesse confucéenne et la science écologique afin de créer un réseau mondial de sensibilisation à la grave crise écologique que traverse notre planète.

Le renouveau contemporain du confucianisme reste largement rhétorique. Dépourvu de pouvoir institutionnel, il est surtout actif par le biais d’écrits philosophiques, d’initiatives commerciales, de militantisme de terrain et de lobbying politique. Il trouve une résonnance dans divers mouvements syncrétiques, rédempteurs et salvateurs qui ont fleuri il y a un siècle, comme le Yiguandao (Voie de l’unité) et l’Église confucéenne (Kongjiaohui) (Goossaert et Palmer, 2012 [2011]). Si la plupart des idées mobilisées sont des invocations spéculatives pour un monde meilleur, le mouvement est cependant en train de s’institutionnaliser. Son potentiel pour offrir des modes de développement alternatifs réside dans sa perspective éthique sur l’harmonie de la société humaine et sur le monde en général (Fei, 1992 [1948]).

Au début du 20e siècle, le taoïsme a été sévèrement attaqué par les penseurs des Lumières chinoises qui l’ont rejeté comme superstitieux, pseudo-scientifique et égoïste. Le taoïsme a été faiblement institutionnalisé en 1912 (Goossaert et Palmer, 2012 [2011]), mais ses pratiques continuent d’influencer la vie sociale chinoise.

Au tournant du 21e siècle, les élites taoïstes ont commencé à promouvoir la valeur de l’harmonie humain-nature. Le canon fondateur du taoïsme, le Tao te king (Le Livre de la voie et de la vertu), est célébré comme l’un des premiers enseignements d’éthique écologique de l’histoire de l’humanité. De nombreux et nombreuses spécialistes affirment que le taoïsme a découvert que les humains font partie de l’univers et qu’ils doivent « revenir à l’innocence » (fanpuguizhen) en entretenant des relations harmonieuses avec la nature plutôt que de la dominer. D’autres idées dans cette veine incluent le « non-agir » (wuwei), le fait de « nourrir la vie » (yangsheng) et le « penser moins, désirer moins » (shaosiguayu), toutes promouvant une exploitation limitée des ressources naturelles et un usage restreint du plaisir (Girardot et al., 2001).

Les érudits et les praticiens taoïstes écrivent sur les vertus de l’altruisme, de la simplicité et de la compassion qui contribuent à la santé des corps, des esprits, des sociétés et des nations. Ils et elles célèbrent la façon dont les anciens enseignements peuvent guérir les maux de la modernité : consumérisme excessif, crise énergétique, pollution, insécurité alimentaire, disparité des revenus et injustice sociale. L’Association taoïste chinoise promeut l’écologie en ce qui concerne l’architecture des temples taoïstes, les techniques corporelles, les rituels, le verdissement des espaces, le drainage de l’eau et la combustion de l’encens. Elle déclare que le fondateur du taoïsme, Lao Zi, est « le dieu de la protection écologique » (Duara, 2014 : 43-44).

Les pratiques taoïstes de la vie quotidienne regorgent de connaissances pratiques concernant la nourriture, les techniques corporelles, la géomancie et les rituels communautaires. Les Chinois et Chinoises ordinaires ne rencontrent aucune difficulté à apprécier les idées d’utilisation restreinte des ressources, de flux équilibré de l’énergie cosmique et l’art d’être non violent. Les temples des villages regorgent d’activités de réciprocité appropriée entre les humains et la force cosmique. Les parcs urbains sont remplis d’aînés qui pratiquent le flux correct de l’énergie vitale. L’alimentation, les exercices de respiration et la culture spirituelle reflètent les idées taoïstes d’équilibre et de contrainte. Indépendamment de toute promotion institutionnelle, le taoïsme en Chine incarne le véritable lieu des voies alternatives pour le bien-être humain.

Pour aller plus loin

Duara, Prasenjit (2014), The Crisis of Global Modernity: Asian Traditions and a Sustainable Future, Cambridge (Royaume-Uni) : Cambridge University Press.

Fei, Hsiao-t’ung (1992 [1948]), From the Soil: The Foundations of Chinese Society, Berkeley : University of California Press.

Girardot, Norman J., James Miller et Xiaogan Liu (dir.) (2001), Daoism and Ecology: Ways within a Cosmic Landscape, Cambridge (États-Unis) : Harvard Divinity School.

Goossaert, Vincent et David Palmer (2012 [2011]), La Question religieuse en Chine, Paris : cnrs Éditions.

Jensen, Lionel M. (1997), Manufacturing Confucianism: Chinese Traditions and Universal Civilization, Durham (États-Unis) : Duke University Press.

Tu, Weiming (2010), The Global Significance of Concrete Humanity: Essays on the Confucian Discourse in Cultural China, New Delhi : Centre for Studies in Civilizations et Munshiram Manoharlal Publishers.

Weber, Max (2000 [1915]), Confucianisme et taoïsme, Paris : Gallimard.

Liang Yongjia est professeur d’anthropologie au département de sociologie de l’université agricole de Chine. Il est spécialiste des questions de religion et d’ethnicité en Chine. Il est notamment l’auteur de Reconnect to Alterity: Religious and Ethnic Revival in Southwest China (Routledge, 2013) et a écrit des articles sur le patrimoine culturel, la royauté et le don pour des revues.