Dans son essence même, l’idéal pacifiste implique l’injustifiabilité de la guerre et l’engagement à la résolution des conflits par des moyens non violents. Les premières organisations politiques pour la paix ont été créées dans les premières décennies du 19e siècle aux États-Unis et en Angleterre. C’est toutefois Émile Arnaud, président de la Ligue internationale de la paix et de la liberté, qui a proposé, en 1901, les termes « pacifisme » et « pacifistes » pour désigner un mouvement politique spécifique. À l’époque contemporaine, les mouvements pacifistes ont poursuivi leur idéal non par un simple rejet de la guerre, mais par la promotion d’objectifs positifs tels que la justice, les droits humains et le développement.
« Le développement est le nouveau nom de la paix », affirmait le pape Paul VI en 1967, avec un slogan qui est devenu célèbre par la suite. L’encyclique Populorum progressio résumait en une seule expression les attentes et les aspirations de toute une époque, où la foi en la libération de la pauvreté, de l’esclavage et de la violence était liée à la promesse de développement. La paix et le développement n’étaient pas conçus comme une seule et même chose, mais le second – dans l’ombre de la guerre froide et de la décolonisation – semblait être une condition essentielle à la réalisation de la première. Par la suite, il est apparu que ce lien postulé par le Populorum progressio était particulièrement problématique pour au moins trois raisons.
La première de ces raisons est la relation entre la consommation des ressources et les guerres liées à ces mêmes ressources. Notre modèle de développement est fondé sur un flux continu de ressources que nous extrayons de territoires qui sont souvent invisibles aux yeux des consommateurs et consommatrices. De nombreuses guerres, parmi les plus longues et les plus sanglantes, tournent pourtant autour des ressources naturelles. Ce phénomène peut être appelé « extractivisme militarisé », ou même « militarisme extractif ». On trouve non seulement des entreprises privées qui, pour accéder à une zone stratégique ou en conserver le contrôle, n’hésitent pas à financer des armées, des factions ou à engager des forces de sécurité privées, mais on constate aussi un recours croissant à des missions militaires gouvernementales pour le contrôle ou la gestion de sites stratégiques et de circuits commerciaux.
Deuxièmement, il existe une symbiose entre les industries militaires et civiles, qui, au cours des dernières décennies, ont été de plus en plus imbriquées et fusionnées. Les industries technologiques les plus avancées – mécanique, aérospatiale, électronique, informatique, qui ont pour cœur les nanotechnologies et les nouveaux matériaux – ont trouvé dans l’armée l’un de leurs principaux clients. En fait, il existe une gamme croissante de produits et de technologies directement ou potentiellement « doubles », c’est-à-dire pouvant être utilisés à des fins civiles et militaires. Si nous regardons la liste des 100 plus grandes entreprises productrices d’armes et de services militaires, nous pouvons constater qu’elles impliquent des secteurs tels que la technologie aérospatiale, les satellites et la sécurité, l’aéronautique, la production de moteurs, de turbines et de systèmes de propulsion, la mécanique navale, l’électronique, les communications et les technologies de l’information, ou encore des conglomérats tels que General Electric, Mitsubishi Heavy Industries, Kawasaki Heavy Industries et Hewlett-Packard, qui opèrent dans des secteurs économiques très différents.
Troisièmement, il existe une connivence entre le système bancaire et le commerce des armes. Les grandes banques rendent possibles des transactions financières énormes et fructueuses en lien avec ce marché, grâce à leur diffusion et leur présence internationale, leur rapidité et leur sécurité dans les paiements, leur connaissance des clients, les possibilités de crédit et un certain degré de confidentialité dans les opérations bancaires.
Par conséquent, si nous considérons l’augmentation du pillage des ressources, l’accroissement de la production de biens et la croissance des banques d’investissement dans le commerce des armes, nous pouvons remarquer qu’il existe une forte connexion entre le développement capitaliste actuel et le déploiement de la violence au niveau mondial.
Pendant un demi-siècle, depuis le célèbre discours de Harry Truman sur l’état de l’Union en 1949, la « pauvreté » des régions « sous-développées » a été conçue comme une « menace », quelque chose qu’il fallait combattre et éliminer par l’aide, les ajustements structurels et les politiques de développement. Mais aujourd’hui, devant le pillage et la pollution des écosystèmes, l’augmentation des déchets et des gaz à effet de serre, la perte de la biodiversité, le changement climatique et les guerres pour des ressources qui se font toujours plus rares, une nouvelle prise de conscience s’impose. Il est clair que le déséquilibre et la menace pour la paix proviennent de la croissance incontrôlée de la « richesse », c’est-à-dire de la propension capitaliste à une augmentation continuelle de l’extraction, de la production, de la commercialisation et de la consommation.
Pour de multiples raisons, on pourrait donc dire : « La décroissance est le nouveau nom de la paix. » Aujourd’hui, la décroissance dans les « pays développés » est en effet une « condition nécessaire à la paix », même si elle n’est pas une « garantie suffisante ». En réalité, nous devons nous demander à quelles conditions nous parviendrons concrètement à une réduction raisonnable des formes de production et de consommation. Aujourd’hui, le double défi de ce qui serait de l’ordre d’un « pacifisme critique » et d’une « décroissance démocratique et non violente » est de comprendre plus profondément les liens entre les « moyens de production » et les « moyens de destruction », entre les manières dont nous produisons la richesse et la prospérité économique et les manières toujours nouvelles dont les guerres et la violence se propagent (Deriu, 2005). Pour le mouvement pacifiste, il ne suffit pas de critiquer l’action militaire si l’on ne construit pas en même temps une opposition suffisamment forte et organisée au système économique et politique, lequel exige des opérations militaires pour défendre les intérêts économiques fondamentaux des pays « développés ». Pour le mouvement de la décroissance, il est fondamental d’examiner comment – en l’absence d’un mouvement participatif et démocratique fort – la simple évocation des risques de catastrophe socio-écologique laisse un espace pour un traitement sécuritaire et militarisé de la question environnementale (Buxton et Hayes, 2015).
Il est donc nécessaire de développer des stratégies de lutte non violente (Engler et Engler, 2016) contre les modèles politiques, économiques et juridiques imposés par les instances nationales et transnationales. Nous devons réfléchir aux formes que pourrait prendre la défense non violente des territoires et de la communauté locale. L’objectif est de pouvoir décrire, à travers des voies de mobilisation locales et internationales, une « crise publique » qui révèle les injustices et oblige l’opinion publique et les gouvernements à entreprendre des actions adéquates pour défendre la démocratie, l’équité et la soutenabilité environnementale, dans les relations entre les personnes, les pays, les genres et les générations.