Écovillages

Martha Cecilia Chaves

écovillage, paradigmes cosmocentriques, communauté intentionnelle, spiritualité

Les écovillages constituent un mouvement grandissant d’alternatives pratiques qui vont à l’encontre des mondes centrés sur l’humain et porteurs de destruction, créés par la plupart des sociétés modernes. Définir ce qu’est un « écovillage » constitue une tâche difficile car le concept évolue en permanence dans la façon dont il est envisagé et mis en application. La définition la plus courante utilisée par le Global Ecovillage Network1 est : « une communauté intentionnelle ou traditionnelle ayant recours à des processus participatifs locaux afin d’associer de manière holistique les dimensions écologiques, économiques, sociales et culturelles de la soutenabilité, pour régénérer les environnements sociaux et naturels ».

Le terme « écovillage » a été défini pour la première fois par Robert Gilman (1991 : 10), comme une « implantation à taille humaine pleinement fonctionnelle, dans laquelle les activités humaines sont intégrées au monde naturel sans lui nuire, d’une manière qui favorise un développement humain sain et qui puisse assurer sa persistance dans un avenir indéfini ». Cette définition est étroitement liée aux expériences communautaires de vie alternative issues de divers courants tels que les mouvements de retour à la terre des années 1960 et 1970, principalement dans le Nord global. Ces mouvements trouvent leurs racines dans un profond mécontentement quant aux récits dominants de l’après-guerre sur le développement guidé par l’industrie. Ils recherchent des alternatives aux valeurs matérialistes et une reconnexion à la nature, à travers des sites d’habitation à échelle humaine.

La définition de Gilman a été critiquée pour son caractère trop ambitieux, car elle décrit un état final que très peu de villages ont atteint. Dawson, pour sa part, énonce plutôt cinq caractéristiques définissant les écovillages (2013 : 219) :

« […] des initiatives de citoyens et de citoyennes ordinaires ; dans lesquelles l’impulsion de la communauté est d’une importance cruciale ; qui cherchent à regagner un certain contrôle sur les ressources dont la communauté dépend ; qui ont un puissant socle de valeurs partagées, souvent appelé “spiritualité” ; et qui agissent comme des centres de recherche, de démonstration, et, dans la plupart des cas, de formation. »

Dawson admet cependant que cette définition est surtout représentative du Nord global. Dans le Sud global, le concept d’écovillage est plus souvent utilisé pour construire des alliances entre des acteurs très différents, notamment entre des communautés traditionnelles ou autochtones et des ong, des gouvernements locaux et/ou des citadins, qui cherchent à construire des réseaux pour réduire la pauvreté, faire face au changement climatique, lutter pour la justice socio-environnementale et obtenir le respect de la diversité culturelle, territoriale et spirituelle.

Dans la pratique, il existe de nombreuses formes d’écovillages. On peut citer des centres éducatifs comme Findhorn en Écosse (500 personnes), la communauté intentionnelle The Farm dans le Tennessee, aux États-Unis (200 résidents), et le site de design permaculturel de Crystal Waters en Australie (plus de 200 personnes). Il existe également des réseaux organisés tels que Sarvodaya, qui regroupe 2 000 villages soutenables actifs au Sri Lanka ; 100 villages traditionnels sénégalais munis par le gouvernement de techniques apprises des écovillages ; et la ville écologique d’Auroville dans le sud de l’Inde, inspirée par Sri Aurobindo, qui abrite environ 2 800 résidents. Il existe également de nombreux écovillages à petite échelle, comme l’écovillage familial Anthakarana (9 habitants) ou Aldeafeliz (30 habitants) dans les Andes colombiennes. À travers cette diversité, nous voyons bien comment la définition classique de l’écovillage par Gilman a évolué pour devenir plus inclusive, englobant à la fois des communautés intentionnelles et traditionnelles.

Bien que le mouvement des écovillages soit parfois critiqué pour ses tendances élitistes et isolationnistes, des changements significatifs ont eu lieu au cours des dernières décennies, entraînant une transformation de son identité, de son rôle et de son potentiel. En collaboration de plus en plus étroite avec des franges progressistes de la société, le mouvement des écovillages s’élargit pour inclure d’autres types de réseaux et d’initiatives communautaires, tout en expérimentant en matière de dialogue interculturel et d’action collective. On peut observer cela au sein du Consejo de Asentamientos Sustentables de las Américas (casa – Conseil des sites d’habitation soutenables des Amériques), un réseau qui a élargi son action au-delà du seul domaine des écovillages pour inclure des communautés autochtones et afro-descendantes, ainsi que les communautés du mouvement Hare Krishna et des urbanistes. Dans des pays comme la Colombie et le Mexique, les membres de ce réseau tissent les savoirs, les coutumes et les rituels traditionnels avec ceux issus du monde urbain, afin d’établir des liens nouveaux et plus forts avec la nature et d’améliorer leurs pratiques de vie écologique (Chaves, 2016).

Les écovillages contribuent à l’émergence d’un nouveau type de mouvement social caractérisé par une diversité d’acteurs, des formes décentralisées de leadership et un véritable effort pour vivre de manière synchrone avec la Terre. Le militantisme de ces mouvements s’appuie sur le pouvoir des réseaux sociaux et des technologies de la communication, où des exemples vivants de modes de vie bas carbone sont combinés aux technologies modernes et aux valeurs spirituelles. Les écovillages représentent donc une stratégie de transition visant à rassembler divers acteurs progressistes pour imaginer des paradigmes cosmocentriques, dans le but de démontrer au grand public la viabilité et même la joie que peut procurer un mode de vie à faible impact environnemental et plus proche de la nature. De cette façon, les écovillages sont étroitement liés, par la réduction de la production et de la consommation, au mouvement de la décroissance, ainsi qu’au mouvement des villes en transition qui représente un modèle plus large d’engagement communautaire.

Outre les nombreux défis qu’implique la pratique de la soutenabilité dans une dynamique collective, le mouvement des écovillages rencontre de grandes difficultés à générer un attrait plus large et un changement au niveau des institutions. Étant donné que ses valeurs ne sont ni axées sur le marché ni adoptées par la majorité, il suscite un intérêt limité auprès de la plupart des gouvernements. On peut donc se demander dans quelle mesure il offre une alternative viable à l’individualisme et au matérialisme de la plupart des mondes modernes. En outre, du moins dans le Nord global, la reproduction du modèle des écovillages s’avère difficile en raison du prix des terrains et des permis de construire. Conscient de la nécessité d’un engagement sociétal accru, le mouvement des écovillages fonde son potentiel de transformation sur le développement de centres d’apprentissage pour la transition, qui diffusent de plus en plus les idées, les compétences et les alliances post-développement dans la société dominante.

Pour aller plus loin

Global Ecovillage Network, www.ecovillage.org

Chaves, Martha Cecilia (2016), Answering the “Call of the Mountain”: Co-creating Sustainability through Networks of Change in Colombia, thèse de doctorat, université de Wageningue (Pays-Bas).

Dawson, Jonathan (2013), « From Islands to Networks: The History and Future of the Ecovillage Movement », dans Joshua Lockyer et James R. Veteto (dir.), Environmental Anthropology Engaging Ecotopia: Bioregionalism, Permaculture, and Ecovillages, New York : Berghahn Books.

Gilman, Robert (1991), « The Eco-village Challenge: The Challenge of Developing a Community Living in Balanced Harmony – With Itself as Well as Nature – Is Tough, But Attainable », In Context, no 29, p. 10-14.

Martha Cecilia Chaves est une chercheuse indépendante qui travaille à l’interface des sciences sociales et naturelles, au sein du groupe de recherche colombien mingas. Elle est aussi active au sein de l’ong Mentes en Transición, qui promeut les transitions culturelles et pratiques vers un mode de vie soutenable. Elle contribue au réseau casa en Colombie et entretient des liens étroits avec l’université de Wageningue, aux Pays-Bas, ainsi qu’avec l’université de Quindío, en Colombie.

  1. Le Global Ecovillage Network est un réseau de communautés et d’initiatives durables en plein essor, qui relie différentes cultures et différents pays et continents. Il sert d’organisation fédératrice pour les écovillages, les initiatives de villes en transition, les communautés intentionnelles et les individus du monde entier sensibles aux questions écologiques. Voir www.ecovillage.org