« Hurai » (« toutes les choses les meilleures ») exprime la logique de transformation à partir de la nature vers les animaux, puis vers les êtres humains, en accord avec la cosmologie du peuple touvain de Chine. Ce concept entretient la croyance selon laquelle les êtres humains sont capables de recevoir continuellement le hurai et les bienfaits de la nature (Hou, 2014). Ce terme est fortement lié au bien-être autochtone et aux traditions de naturalisme et de chamanisme, qui s’articulent autour de l’interaction soutenable entre le peuple touvain de Chine et les animaux, la nature et les dieux.
Les Touvains sont un ancien peuple de chasseurs et de nomades, dont les origines remontent à la dynastie Tang. Aujourd’hui, le peuple touvain est dispersé dans la région du Xinjiang en Chine, ainsi qu’en Mongolie-Extérieure et en Russie. Les Touvains de Chine vivent principalement dans les trois villages de Kanas, Hemu et Baihaba, et leur population totale est d’environ 2 500 personnes (Hou, 2013). Le hurai, en tant que concept ancestral, imprégnait le quotidien du peuple touvain de Chine à l’époque de leur vie de nomades et de chasseurs. Il signifiait en général la bénédiction accordée par les dieux aux humains, aux animaux ainsi qu’aux autres éléments de la nature, dans un contexte culturel de chamanisme et de naturalisme. Par exemple, le champignon Ophiocordyceps sinensis, que l’on trouve dans les zones de haute altitude, a une grande valeur économique et médicale, mais il a rarement été exploité par les Touvains de Chine, car ils considèrent qu’il s’agit du protecteur de la prairie et de l’une des sources leur apportant le hurai. Cependant, son énorme valeur économique a attiré de plus en plus de personnes extérieures qui le cueillent secrètement et sans retenue, causant ainsi des dommages écologiques. Pour faire face à ce problème, les dirigeants de la communauté touvaine en Chine ont spontanément constitué une équipe de gardes forestiers. Le concept de hurai s’applique en outre à de nombreux autres aspects de la vie.
Bien que la modernisation, la sédentarisation et le tourisme aient eu un effet considérable sur les cultures et les moyens de subsistance traditionnels, le hurai joue désormais un rôle important dans la renaissance culturelle et dans le déploiement de moyens stratégiques qui permettent de s’opposer au développement moderne. Dans le système de pensée autochtone du peuple touvain, il n’existe pas de notion qui corresponde à celle du développement linéaire. Le hurai, en tant que concept holistique, intègre des éléments tels que la vie bonne, la santé, la soutenabilité, l’amour, le sacré, etc. C’est un concept anti-anthropocentrique, qui place la nature, les animaux et les dieux avant les humains. Il se traduit par une notion de bien-être qui implique que lorsque la nature, les animaux et les dieux sont heureux, les humains peuvent naturellement connaître le bonheur. Pour obtenir le hurai, les humains doivent mettre en œuvre des actions visant à préserver le bien-être dans son ensemble, non seulement dans le cadre de rituels mais aussi dans la vie quotidienne.
Les chefs de la communauté touvaine, à travers les pratiques de la vie quotidienne et les cérémonies ou les fêtes, éduquent les jeunes à s’impliquer pleinement dans le culte de la nature et le chamanisme, d’une manière qui contraste avec l’éducation scolaire traditionnelle. Grâce à cet ensemble de pratiques, les jeunes perçoivent et comprennent la relation étroite entre les humains et la nature. Ainsi, des « relations naturelles » sont établies entre les humains et la nature, les animaux et les êtres spirituels. Les visions écologiques du peuple touvain de Chine se manifestent dans les tabous : les enfants sont éduqués à ne pas les enfreindre et à respecter les règles de la nature. On leur apprend à ne pas nuire aux plantes et aux animaux, et à vivre en harmonie avec leur propre bien-être et leur bonheur. Les Touvains et Touvaines entretiennent par exemple la croyance selon laquelle des cicatrices apparaîtront sur le visage d’une personne si des œufs d’oiseaux sont cassés, ou celle selon laquelle les gens souffriront de tics si un arbre vivant est abattu. En ce qui concerne l’exploitation des ressources naturelles, les Touvains de Chine observent scrupuleusement des tabous tels que l’interdiction de creuser la terre en profondeur ou sur de vastes surfaces. En outre, le peuple touvain de Chine a recours à des cérémonies et des rituels annuels divers pour éduquer les jeunes sur la manière de gérer la relation entre les humains et la nature.
Sous l’effet du développement moderne, le hurai, qui était une notion autochtone traditionnelle, est devenu un concept destiné non seulement à guider les activités quotidiennes, mais aussi à faire revivre la culture traditionnelle et à résister à la modernisation. Cette transformation permet d’unir le peuple touvain de Chine et de revitaliser les liens naturels entre les humains et la nature, les animaux et les dieux. Dans la « cérémonie de destruction des os », le mot magique « hurai », répété plusieurs fois et accompagné de danses et de chants, suscite une jubilation collective et contribue à faire revivre la hiérarchie et la structure ancestrales entre les humains et la nature. Cette cérémonie souligne l’importance de consacrer, de recevoir et d’éprouver le bien-être, à travers la consommation de moelle (Hou, 2016). Comme d’autres rituels dans la société touvaine de Chine, elle permet de renouveler la signifiance du concept ancien de hurai. En réalité, le concept de hurai aide le peuple touvain de Chine à affronter les menaces que représentent les défis extérieurs et la modernité, mais aussi à faire face aux difficultés sociales et culturelles au sein de leur propre société. Les efforts et les stratégies adoptés par les leaders de la communauté touvaine de Chine permettent d’espérer la continuité des anciens principes du hurai, renforcés par le mouvement de renaissance culturelle de la société touvaine chinoise.