Permaculture

Terry Leahy

agriculture, permaculture, mode de subsistance soutenable

La « permaculture » est un terme inventé par les Australiens Bill Mollison et David Holmgren. Il peut être traduit par « agriculture permanente » ou « culture permanente ».

Le mouvement de la permaculture a évolué en trois phases, chacune étant représentée par un livre clé. Permaculture 1 (2021 [1978]) met l’accent sur le remplacement des cultures annuelles par des plantes vivaces. Selon Mollison et Holmgren, la permaculture est « un système intégré et évolutif d’espèces végétales et animales pérennes ou autoperpétuées utiles à l’homme \[sic] ». L’agriculture est une « forêt comestible ». La fertilité des sols agricoles dépend de l’humus déposé par des siècles de couverture forestière. Lorsque ces terres sont défrichées pour la culture des céréales, cette couche arable s’épuise progressivement. La permaculture tente d’échapper à ce piège en utilisant des plantes vivaces pour fournir de la nourriture et améliorer la qualité du sol.

Lors de la deuxième phase du mouvement, cette définition par les plantes vivaces est discrètement abandonnée. Dans Permaculture: A Designers’ Manual (1988), Mollison définit la permaculture en deux phrases :

« La permaculture (agriculture permanente) est la conception consciente et le maintien d’écosystèmes productifs sur le plan agricole, qui ont la diversité, la stabilité et la résilience des écosystèmes naturels. »

Cela équivaut à une définition en termes de soutenabilité agricole : stabilité et résilience. La phrase suivante élargit considérablement la permaculture :

« C’est l’union harmonieuse du paysage et des personnes, qui répondent de manière soutenable à leurs besoins en nourriture, en énergie et en logement, ainsi qu’à d’autres besoins matériels et non matériels. »

Il ne s’agit pas seulement ici de systèmes agricoles, mais de tout type de technique que les êtres humains peuvent utiliser pour entrer en relation avec la nature. Cela inclut l’énergie, l’utilisation des métaux, la poterie et même les ordinateurs, pour autant que toutes ces choses puissent être produites de manière soutenable ! Mais en réalité, le Designers’ Manual est presque entièrement consacré aux stratégies agricoles, à l’exception d’une brève discussion sur le []{.ital role=”ital”} design []{.ital role=”ital”} solaire passif des habitations. Mollison y ajoute quatre règles d’« éthique de la permaculture » : prendre soin de la terre, prendre soin des autres, fixer des limites à la population et à la consommation, distribuer les surplus. Ces positions éthiques sont communes à l’ensemble du mouvement écologiste.

La phase la plus récente du mouvement de la permaculture est issue du livre influent de Holmgren, Permaculture : principes et pistes d’action pour un mode de vie soutenable (2017 [2002]). Cet ouvrage poursuit le glissement d’une permaculture initialement définie comme une simple stratégie agricole vers un ensemble de « principes de design » pertinents pour toutes les prises de décision – personnelles, économiques, sociales et politiques. Par exemple, « ne pas produire de déchets » et « obtenir un rendement ».

Cet élargissement du concept de permaculture peut faire perdre de vue la vocation populaire de ce mouvement de vulgarisation de l’agriculture soutenable et du design des établissements humains. Les stratégies permaculturelles nous montrent la direction dans laquelle il faudrait que nous nous engagions toutes et tous pour réduire la consommation d’énergie. Les principes de la permaculture sont pertinents pour tout type d’agriculture non capitaliste, pour les situations où les coûts des intrants industriels ne sont pas couverts par les profits élevés des cultures de rente, et pour celles où le coût de la main-d’œuvre n’est pas un facteur déterminant.

Résumons les leçons de la permaculture – la sagesse accumulée du mouvement :

- La permaculture privilégie l’agriculture biologique : les engrais chimiques synthétiques, les pesticides et les herbicides nuisent au sol, à notre santé et aux autres espèces.

- Un []{.ital role=”ital”} design []{.ital role=”ital”} permaculturel doit inclure et mettre en valeur les cultures pérennes, pour entretenir et conserver les sols, pour fournir du fourrage, du combustible et de la nourriture.

- La polyculture est la meilleure stratégie agricole pour maximiser la biodiversité et lutter contre les parasites et les maladies sans utiliser de produits chimiques nocifs. La réunion de l’élevage et des cultures est ici nécessaire afin que les ressources des deux puissent être facilement échangées.

- Nous devons nous passer des machines, des transports et des intrants qui dépendent de combustibles fossiles. Nous sommes déjà en train d’épuiser ces ressources et le réchauffement de la planète est un sérieux problème.

- L’agriculture doit entourer et pénétrer les zones d’habitation, de sorte que le transport des aliments puisse se faire à pied ou par traction animale.

- Une agriculture locale permet de recycler les nutriments contenus dans le fumier humain et animal et évite de devoir réfrigérer les aliments carnés ou végétaux.

- La permaculture privilégie les espèces végétales (mais aussi animales) qui se montrent robustes dans un milieu particulier, et non celles qui dépendent de l’irrigation et des intrants de synthèse.

- Les emplois agricoles doivent être diversifiés et doivent mobiliser une main-d’œuvre nombreuse, ce qui nécessite la connaissance d’un éventail d’espèces et de leurs interactions.

- La permaculture met l’accent sur les structures construites pour retenir et utiliser l’eau dans le paysage, plutôt que de pomper l’eau sur de longues distances et d’utiliser des énergies fossiles.

Ces leçons ont du sens pour une stratégie de post-développement. Alors que l’intégration dans une économie mondiale à forte intensité énergétique ne peut sauver les pauvres, les stratégies de permaculture sont démocratiques, avec des emplois accessibles à toutes et tous. Celles et ceux qui pratiquent une agriculture de subsistance et ne peuvent se permettre d’acheter des intrants commerciaux disposent ici d’une stratégie biologique. Les cultures pérennes nourrissent les animaux, fixent l’azote et fournissent un paillis. La variété empêche qu’une espèce nuisible ne vienne anéantir toute la récolte. Une agriculture locale ne dépend pas des longues chaînes d’approvisionnement et des transports polluants fonctionnant au pétrole. La proximité permet de relier facilement les cultures et les animaux, de manière à recycler les nutriments. Les travaux de terrassement réalisés localement servent à collecter la pluie là où elle tombe et à gérer l’approvisionnement en eau pour l’usage domestique et les cultures. La permaculture permet un travail agricole gratifiant.

Des exemples de design en permaculture sont apparus dans le monde entier. Lorsqu’ils ont perdu l’accès au pétrole de l’Union soviétique, les Cubains ont pu sauver leur pays de la famine avec l’aide de volontaires pratiquant la permaculture, lesquels ont mis en place une agriculture locale qui ne dépendait ni du pétrole ni des intrants industriels. Le plateau de Lœss en Chine, transformé en désert par des siècles d’exploitation agricole, a été restauré grâce aux techniques de permaculture. Au Niger, World Vision a fait œuvre de pionnier en matière de « régénération naturelle gérée par les agriculteurs », pour rétablir un régime agricole mixte composé de zones boisées et de cultures. Aux Philippines, les paysans endettés par les cultures de rente ont abandonné l’agriculture à forte intensité d’intrants pour se concentrer sur la sécurité alimentaire. Ils se sont réunis au sein du mouvement masipag, qui signifie « diligent et énergique » en langue tagalog. Au Zimbabwe, le clan de Chikukwa a rétabli la sécurité alimentaire de six villages grâce à un projet de permaculture appelé « Abeilles fortes » en langue shona. Il a été initié par la population locale et se poursuit toujours, 20 ans après (Leahy, 2013). D’autres expériences de ce type vont proliférer à mesure que l’économie de croissance vacille.

Pour aller plus loin

Chikukwa Project

masipag, www.masipag.org

Permaculture Research Institute, www.permaculturenews.org

Birnbaum, Juliana et Louis Fox (dir.) (2014), Sustainable [R]evolution: Permaculture in Ecovillages, Urban Farms, and Communities Worldwide, Berkeley : North Atlantic Books.

Holmgren, David (2017 [2002]), Permaculture : principes et pistes d’action pour un mode de vie soutenable, Paris : Rue de l’échiquier.

Leahy, Terry (2013), « The Chikukwa Permaculture Project (Zimbabwe) – The Full Story », Permaculture News, 15 août, www.permaculturenews.org

Mollison, Bill (1988), Permaculture: A Designers’ Manual, Tyalgum : Tagari Publications.

Mollison, Bill et David Holmgren (2021 [1978]), Permaculture 1 : une agriculture pérenne pour l’autosuffisance et les exploitations de toutes tailles, Athis-Val de Rouvre : Charles Corlet.

Terry Leahy est un sociologue militant, retraité de l’université de Newcastle, en Australie. Son site www.gifteconomy.org.au démontre la pertinence de la permaculture dans les projets de sécurité alimentaire en Afrique.