Mouvement slow

Michelle Boulous Walker

militantisme de la lenteur, philosophie de la lenteur, décélération, complexité, attention

Le mouvement slow comprend un rassemblement éclectique de personnes qui se consacrent au militantisme de la lenteur. Le premier et le plus important des mouvements slow est le mouvement Slow Food. Le militantisme de la lenteur appelle à une décélération du rythme de la vie technologique moderne, arguant que le capitalisme avancé est dominé par une logique qui assimile vitesse et efficacité. Pour ses militants et militantes, les possibilités de relation contemplative avec les autres et le monde naturel s’amenuisent dans un monde en constante accélération. Sur le plan temporel, notre existence même dans le monde est mise au défi par une demande incessante de décider, de répondre et d’agir, sans avoir le temps nécessaire pour se confronter réellement à la complexité de la vie. Une culture de la précipitation s’est infiltrée dans nos espaces sociaux et politiques du 21e siècle.

En réponse à cette culture, le mouvement Slow Food a été l’un des premiers de ce type à émerger dans le monde occidental. En 1989, Carlo Petrini s’est opposé à la prolifération de la restauration rapide et industrialisée et a défendu, à sa place, les repas simples, faits maison, qui adoptent les produits et les traditions de la cuisine locale. Le Slow Food s’est développé à partir de là pour célébrer le plaisir de prendre le temps de cuisiner et de partager convivialement la nourriture avec d’autres, dans un contexte plus paisible et moins commercial. En outre, le mouvement sensibilise aux problèmes écologiques et éducatifs liés à la production et à la consommation de nourriture dans le monde. En tant que tel, il fournit la base d’une prise de conscience politique sur des questions telles que la soutenabilité et l’agriculture coopérative à petite échelle, conçues comme des alternatives à la restauration rapide et à la production alimentaire à grande échelle.

La Long Now Foundation, créée à San Francisco en 1996, s’oppose à la culture de l’accélération en encourageant la réflexion et la responsabilité à long terme. Elle remet en question le lien entre efficacité, productivité et vitesse, en promouvant le « plus lent/meilleur » plutôt que le « plus rapide/moins cher ». Alors que le sentiment que le « plus lent » est « meilleur » a parfois été critiqué comme étant élitiste et réservé aux gourmets, le mouvement Slow Food fait revivre les premières protestations sociales de Petrini, en défendant une politique alimentaire équitable et la justice pour les personnes les plus désavantagées par les systèmes alimentaires mondiaux. Terra Madre, par exemple, est un réseau international qui promeut l’agriculture soutenable et la biodiversité afin de garantir une alimentation bonne, saine et équitable. Désormais, les débats internationaux se concentrent généralement sur l’accès à une alimentation locale, soutenable et nutritive pour les groupes de la communauté qui sont souvent négligés dans les débats éthiques et par les politiques sociales. Le mouvement de Portland, dans l’Oregon, soutient par exemple que les travailleurs agricoles latinos doivent être intégrés à n’importe quel militantisme Slow Food, si celui-ci doit évoluer.

Il existe aujourd’hui 1 500 mouvements conviviaux Slow Food répartis dans 150 pays à travers le monde, aussi bien dans les pays du Nord global qu’au Niger, en Angola, en Bolivie, au Sri Lanka et en Indonésie. En outre, le militantisme Slow Food a inspiré une série de mouvements en réponse aux effets déshumanisants de la mondialisation. Ces mouvements comprennent le jardinage slow, les villes slow (Cittaslow), les écoles slow, l’éducation slow, la parentalité slow, le voyage slow, la vie slow, la lecture slow, les biens slow, l’argent slow, l’investissement slow, le conseil slow, le vieillissement slow, le cinéma slow, l’église slow, l’expertise-conseil slow, la mode slow, les médias slow, la communication slow, la photographie slow, la science slow, la technologie slow, le design slow, l’architecture slow et l’art slow. Ce dernier, l’art slow, dénonce la pensée capitaliste en soulignant sa complicité avec un système qui profite matériellement et culturellement de l’exploitation du monde non occidental. Cette autoconscience chez les habitants et habitantes des pays riches est, de plus en plus, un élément déterminant de ce qui caractérise une pratique comme slow. Dans les pays du Sud global, le mouvement slow se manifeste par des préoccupations liées à la gouvernance et l’urbanisme slow, explorant les liens entre crises urbaines, récession économique, migration, dépossession, expulsion et exclusion. Dans ces contextes, le militantisme slow est étroitement lié à la récupération des terres communes.

Bien qu’il existe une diversité considérable dans la façon dont la lenteur est adoptée par les mouvements populaires et locaux dans le monde, ce qui les réunit est sans doute la détermination à éprouver le plaisir de répondre aux besoins fondamentaux de la vie quotidienne avec une sorte de lenteur artistique. Ces mouvements cherchent à établir une relation plus substantielle et durable avec la complexité du monde. Le livre de Carl Honoré, Éloge de la lenteur, publié pour la première fois en 2004, explorait la manière dont les sociétés industrialisées pouvaient penser la lenteur comme un mouvement ayant le potentiel de défier la croyance selon laquelle « plus vite » équivaut toujours à « mieux ». Depuis lors, le mouvement slow a évolué pour embrasser plus consciemment sa pratique du militantisme de la lenteur à travers le monde. Celui-ci implique en partie la remise en question de nos rôles de consommatrices et consommateurs passifs, dans un système capitaliste dédié à la croissance économique et aux échanges non régulés.

La réhabilitation de la lenteur s’étend également aux espaces culturels consacrés à la « pensée ». L’assimilation de la vitesse et de la précipitation à l’efficacité est ancrée dans un style européen typique de pensée rationnelle instrumentale, où l’attention cède la place au calcul, et où la pensée – en général – est réduite à une manipulation et à une utilisation creuse et technique des faits. La philosophie de la lenteur est la pratique qui consiste à résister à un mode de pensée incapable de se recueillir, de faire une pause, d’examiner et de contempler. En cela, elle est une forme de militantisme slow particulièrement profonde et critique. Tout comme le mouvement slow, la philosophie de la lenteur s’appuie, de manière moderne et contemporaine, sur des pratiques n’impliquant pas de rapports de domination. Elle remet ainsi en question la relation instrumentale à la vie ; elle est, avant tout, la culture d’une attention accrue. Elle permet des rencontres intenses qui nous ouvrent à la beauté et à l’étrangeté du monde, et cette intensité est sans aucun doute au cœur de tout militantisme slow.

Pour aller plus loin

Terra Madre, www.terramadre.info

The Long Now Foundation, www.longnow.org

Boulous Walker, Michelle (2016), Slow Philosophy: Reading Against the Institution, Londres et New York : Bloomsbury Publishing.

Honoré, Carl (2021 [2004]), Éloge de la lenteur, Vanves : Marabout.

Petrini, Carlo (2007 [2005]), Slow Food Nation: Why Our Food Should be Good, Clean, and Fair, New York : Rizzoli Ex Libris.

Petrini, Carlo (2011 [2009]), Terra Madre : renouer avec la chaîne vertueuse de l’alimentation,Paris : Alternatives.

Michelle Boulous Walker dirige le European Philosophy Research Group au sein de l’École de recherche historique et philosophique de l’université du Queensland, en Australie. Elle est l’autrice de Philosophy and the Maternal Body: Reading Silence (Routledge, 1998) et de publications sur la philosophie européenne, l’esthétique, l’éthique et la philosophie féministe.