La technologie pourrait jouer un rôle positif dans la résolution des crises environnementale, climatique, sociale, sanitaire et économique que nous connaissons et qui s’aggravent de jour en jour. Les technologies devraient pour cela être écologiquement soutenables, socialement justes, et adaptées aux spécificités culturelles et locales, et intégrer une perspective de genre. Cependant, force est de constater que dans les sociétés industrielles, la technologie est devenue principalement un outil utilisé pour augmenter les profits des grandes entreprises et des groupes économiques puissants. C’est assurément le cas des technologies qui alimentent ce que l’on appelle la « quatrième révolution industrielle » – biotechnologie, génomique, nanotechnologie, informatique, intelligence artificielle et robotique1. La convergence de ces technologies a des implications et des effets considérables sur les sociétés.
Lorsque la technologie est présentée comme la solution à toutes les crises, cela sert celles et ceux qui contrôlent les technologies. Le mythe de la technologie comme solution miracle repose sur l’hypothèse erronée selon laquelle il n’est pas nécessaire de s’interroger sur les causes profondes des crises, car chaque problème disposerait d’une solution technologique. Face à la crise alimentaire, par exemple, les gouvernements et les entreprises ont réagi en proposant : une « agriculture de précision » fondée sur la technologie de pointe ; des apports plus importants de substances agrotoxiques ; des semences et des animaux génétiquement modifiés ; une « agriculture climato-intelligente » ; des semences suicide dotées de la technologie Terminator ; et des « manipulations génétiques » visant à éradiquer des espèces entières considérées comme « nuisibles ». Face aux crises énergétique et climatique, les systèmes de production et de consommation non soutenables qui dépendent des combustibles fossiles ne sont pas remis en question. De nouvelles technologies sont proposées pour permettre une utilisation plus intensive de la biomasse, à travers la biologie synthétique et les nanotechnologies, favorisant l’expansion de monocultures géantes d’arbres et de plantes génétiquement modifiées. L’industrie vante invariablement les avantages potentiels de ces technologies tout en minimisant leurs risques ou en les présentant comme incertains ou discutables. En réponse à cela, des réseaux d’organisations, de mouvements sociaux et de scientifiques critiques émergent dans le but de comprendre et de surveiller l’horizon technologique complexe créé par l’industrie, tout en exigeant l’application du principe de précaution2.
Parmi les fausses solutions technologiques, l’une des plus évidentes et extrêmes est la géo-ingénierie, également appelée « manipulation du climat ». La géo-ingénierie fait référence à une série de propositions d’intervention à grande échelle sur les écosystèmes et de modification de ceux-ci, et se présente comme une « solution technique » au changement climatique. Elle comprend deux concepts principaux, chacun correspondant à des types d’intervention particuliers : la gestion du rayonnement solaire et l’élimination du dioxyde de carbone (ou élimination des gaz à effet de serre). Ces propositions peuvent impliquer des interventions sur terre, en mer ou dans l’atmosphère. Aucune d’entre elles ne tente de s’attaquer aux causes du changement climatique. À la place, elles se concentrent sur la gestion de certains de ses symptômes.
Il existe une série de propositions de géo-ingénierie, parmi lesquelles : l’injection de sulfates ou d’autres produits chimiques dans la stratosphère, afin de bloquer la lumière du soleil et de produire un effet d’assombrissement ; la création d’installations de captage du dioxyde de carbone de l’atmosphère et d’enfouissement dans des réservoirs marins ou géologiques ; la fertilisation des océans avec du fer ou de l’urée pour stimuler la prolifération du plancton, dans l’espoir qu’il absorbe de plus grandes quantités de dioxyde de carbone, modifiant ainsi la chimie de la mer ; et des méga-plantations de cultures transgéniques qui réfléchiraient la lumière du soleil. Toutes ces propositions comportent des risques énormes, peuvent avoir des effets négatifs synergiques imprévisibles et impliquent des impacts transnationaux3.
Si chaque projet de géo-ingénierie présente des risques et des effets potentiels spécifiques, ils ont tous en commun un certain nombre d’impacts négatifs :
1. Ils proposent de manipuler le climat – un écosystème dynamique global essentiel à la vie sur la planète –, avec le risque de créer des déséquilibres plus importants que le changement climatique lui-même.
2. Pour produire un effet sur le climat mondial, ces projets doivent nécessairement être à méga-échelle et pourraient donc également amplifier les conséquences.
3. La géo-ingénierie est née de tentatives militaires visant à modifier le climat en tant qu’arme de guerre, ce qui signifie qu’il existe toujours un risque qu’elle soit utilisée à des fins militaires.
4. Les projets peuvent être déployés unilatéralement : un groupe de pays ou d’acteurs économiques pourrait les mettre en œuvre et les déployer à des fins hostiles ou pour défendre des intérêts commerciaux.
5. Les effets seront ressentis de manière inégale selon les régions, affectant gravement de nombreux pays du Sud global, qui ont le moins contribué au changement climatique.
6. Les phases expérimentales ne sont pas possibles. Étant donné l’échelle et la durée nécessaires pour différencier les effets de la géo-ingénierie des phénomènes climatiques en cours, l’expérimentation équivaudrait au déploiement de la technologie.
7. De nombreux projets ont été conçus dans un but lucratif et commercial, notamment pour gagner des crédits carbone, ce qui pourrait amplifier la commercialisation des crises climatiques.
8. Enfin, et surtout, les solutions technologiques fournissent une excuse pour continuer à émettre des gaz à effet de serre.
Outre les gouvernements des pays du Nord global, les principaux acteurs intéressés par la géo-ingénierie sont les entreprises du secteur de l’énergie et d’autres industries qui comptent parmi les principaux responsables du changement climatique. Pour ces acteurs, la géo-ingénierie est une bonne solution, car elle leur permet de continuer à émettre des gaz à effet de serre tout en étant payés pour, prétendument, « refroidir la planète ». Les défenseurs les plus actifs de la géo-ingénierie comprennent un petit nombre de scientifiques, localisés principalement aux États-Unis et au Royaume-Uni, qui ont réussi à convaincre leurs académies des sciences respectives de publier des rapports sur la géo-ingénierie. Ces scientifiques exercent également une certaine influence sur le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat qui, dans son cinquième rapport d’évaluation, a inclus une proposition de géo-ingénierie – la bioénergie avec captage et stockage du carbone (becsc) – comme composante de la plupart des scénarios de stabilisation de la température à la surface de la Terre. Il est ainsi espéré que la becsc servira de base à des « émissions nettes de carbone égales à zéro » ou à des « émissions négatives ». Ces concepts sont néanmoins hautement spéculatifs et créent l’illusion que les émissions de gaz à effet de serre peuvent être augmentées puisqu’elles seraient compensées par la becsc ou par d’autres solutions technologiques. Il n’existe aucune preuve indépendante ou étude scientifique démontrant la viabilité énergétique, économique ou technologique d’un tel procédé. En outre, l’effet de la becsc sur la biodiversité et l’utilisation des terres et de l’eau pourrait être énorme. La becsc entrerait notamment en concurrence avec l’agriculture pour l’usage des terres et constituerait une menace pour les territoires des autochtones et des paysans.
En l’absence d’un dispositif scientifique mondial transparent et efficace pour traiter le cas de ces technologies, la Convention sur la diversité biologique a établi, en 2010, un moratoire de facto sur la géo-ingénierie, en défendant le principe de précaution, et ce, en raison des impacts potentiels de la géo-ingénierie sur la biodiversité et les cultures qui la soutiennent. Compte tenu de la gravité des conséquences et de leur caractère intrinsèquement injuste, plus d’une centaine d’organisations et de mouvements sociaux à travers le monde ont demandé l’interdiction des technologies de géo-ingénierie depuis 2010.