Si l’ancienne sagesse de la tradition juive – le tikkoun olam ou « réparation du monde » – était fusionnée avec les idées des économistes et des écologistes radicaux d’aujourd’hui, elle pourrait fournir au développement durable une nouvelle base dont il a grandement besoin.
En hébreu, « tikkoun olam » signifie « transformation et guérison du monde ». La prière juive l’associe à la vision d’un monde enraciné dans le respect de l’énergie « féminine » et le soin de la Terre. Le problème central auquel nous sommes confrontés aujourd’hui est que le système capitaliste mondialisant a besoin d’une expansion sans fin pour survivre. Il exploite donc les ressources limitées de la planète sans se soucier du fait que, ce faisant, il la pollue avec des poisons et des déchets à n’en plus finir, privant simultanément les générations futures des ressources consommées de façon irresponsable. Les personnes dont la conscience a été formée au sein de ce paradigme en viennent à croire et à ressentir qu’il n’y a « jamais assez » et qu’elles ont besoin de toujours plus de choses, d’expériences et d’opportunités. Il est essentiel de s’affranchir du rôle déformant de l’argent dans la vie sociale, la politique et le système éducatif, et de mettre fin à une industrie médiatique soumise aux riches. Les processus démocratiques ne permettront jamais de parvenir à une nouvelle conscience qui transcende le sentiment interne de « non-suffisance », à moins que notre politique ne soit intrinsèquement liée à une transformation spirituelle de la société.
Les traditions spirituelles peuvent favoriser la compréhension intérieure du fait qu’il y a assez, que nous sommes assez, ainsi que le courage d’arrêter de chercher toujours plus. Nous pouvons alors nous concentrer sur la meilleure façon de partager ce que nous avons déjà, dans un esprit de générosité. Un bon point de départ consiste à populariser la notion de « nouveau but ultime ». Les entreprises, les politiques gouvernementales et le système éducatif pourraient être jugés « efficaces, rationnels ou productifs » dans la mesure où ils maximisent nos capacités humaines à être empathiques et généreux. Nous devons être capables de traiter la Terre non pas d’abord comme une « ressource », mais comme un être vivant qui suscite la crainte, l’émerveillement, l’étonnement radical et la reconnaissance1.
Cela soulève la question de la « sécurité nationale » et des milliers de milliards de dollars de fonds publics dépensés dans une stratégie de pouvoir sur les autres. La domination s’exerce à de nombreux niveaux – militaire, économique, sous forme de pénétration culturelle ou de diplomatie, et par simple intimidation. Nous avons plutôt besoin d’une stratégie de générosité, qui se manifeste par un nouveau plan Marshall mondial évitant les principales erreurs des programmes de développement passés. Un tel plan exigerait que les sociétés industrielles avancées consacrent annuellement, pendant les 20 prochaines années, 1 à 2 % de leur produit intérieur brut à des causes favorables à la vie. C’est tout ce qu’il faudrait, non pas pour une lente amélioration de la situation, mais pour une élimination de la pauvreté mondiale, des problèmes de logement, de la faim, et des insuffisances en matière d’éducation et de soins de santé. Dans le même temps, 200 ans de croissance et de développement irresponsables sur le plan environnemental, engendrés par le capitalisme et le socialisme, pourraient être réparés. Ce type de plan Marshall mondial diffère de tous les plans d’aide ou de développement précédents. Pour y parvenir, nous aurions besoin d’un amendement de la Constitution des États-Unis, relatif à la responsabilité sociale et environnementale, qui rendrait obligatoire le financement public des élections nationales et régionales. Les entreprises domiciliées aux États-Unis qui vendent des biens ou des services devraient prouver tous les cinq ans à un jury composé de citoyennes et de citoyens ordinaires qu’elles ont fait preuve d’un comportement responsable satisfaisant ; elles seraient aidées en cela par des représentants écologistes. Des témoignages seraient requis non seulement de la part de l’entreprise, mais aussi de personnes du monde entier affectées par ses activités, ses politiques d’emploi et ses répercussions écologiques et sociétales. La nouvelle Constitution rendrait également obligatoire l’éducation écologique à tous les niveaux d’enseignement, de la maternelle à l’université, dans les études supérieures et dans les écoles professionnelles.
Toutes ces mesures seraient nécessaires mais non suffisantes pour créer une société « soucieuse des autres et de la Terre ». La Torah institue une pratique, que nous devrons faire revivre sous une forme moderne : l’année sabbatique. Tous les sept ans, la société entière arrête de produire des biens et se concentre plutôt sur la célébration de l’univers. Dans notre contexte moderne, nous arrêterions la production de biens, les ventes et l’utilisation de l’argent – en introduisant une monnaie sabbatique distribuée de manière égale à chaque personne de la société.
Au cours de l’année sabbatique projetée, au moins 85 % de la population pourrait cesser de travailler tout en conservant des services vitaux tels que les hôpitaux, la distribution de nourriture et quelques autres services. En attendant, pour les 85 % qui participeraient, voici un aperçu de ce à quoi cela pourrait ressembler. Les écoles seraient fermées et les élèves de la sixième à la terminale œuvreraient dans des fermes pour s’occuper d’animaux, tout travaillant avec la terre pour faire l’expérience de la proximité avec la nature à travers l’action. Bien que certaines personnes regretteraient l’absence d’ordinateurs, de téléphones portables, d’automobiles ou de nouveaux styles de vêtements et d’accessoires, la plupart d’entre elles se trouveraient libres de participer à la prise de décision au sein de leur communauté et à la programmation des six prochaines années, au contraire de la situation actuelle où les gens n’ont pas assez de temps pour s’engager dans la planification. D’autres avantages pourraient être une reconversion professionnelle ou un partage des compétences ; du temps pour le jeu, la danse, l’exercice, la méditation, la prière, la randonnée, la natation, la peinture, l’écriture de poèmes ou de romans, et la création de films ou d’émissions de télévision. En bref, un congé sabbatique pourrait nous donner l’occasion de célébrer la grandeur et le mystère de l’univers.
L’enseignement central de l’année sabbatique serait assimilé par tout le monde : « il y a assez et vous êtes assez », de sorte que vous n’avez pas toujours besoin de faire quelque chose de plus, ou d’avoir plus, pour avoir une vie satisfaisante. Avec cette conscience, qui devrait se répandre comme un feu de prairie, nous disposons des bases psycho-spirituelles pour construire un autre type de monde fondé sur une toute nouvelle conception du développement. Le tikkoun olam est la manière juive de dire que le monde a besoin d’être réparé, et que c’est à nous de le faire. Selon la tradition de l’éthique de la Mishna2, il n’est pas nécessaire de terminer ce travail – mais vous n’êtes pas libre de l’ignorer.