Le mouvement de la Transition a vu le jour en 2005 au Royaume-Uni, initialement en vue d’une « désintoxication de l’Occident prospère ». Inspiré du modèle de « Contraction et Convergence » du Global Commons Institute (Meyer, 2000), il avait pour objectif d’inciter les gens à concevoir l’ampleur des réductions d’émissions de carbone que devaient mettre en œuvre les nations occidentales comme un pas « vers » quelque chose, plutôt que comme un « éloignement » de quelque chose d’irremplaçable. Le mouvement de la Transition s’est enraciné dans celui de la permaculture, dans le biorégionalisme et dans le mouvement en faveur du local, mais il s’est également inspiré du mouvement féministe et des cultures autochtones, entre autres.
Pensé à l’origine comme « une réponse au changement climatique et au pic pétrolier » (Hopkins, 2014 [2013]), il a été motivé par le besoin de considérer ces deux défis comme nécessitant de se détourner massivement des combustibles fossiles et comme une occasion historique de faire quelque chose de nouveau et de remarquable. Depuis sa création, le concept a évolué à partir de son expérience en tant que « réseau apprenant ». Il existe désormais plus de 1 400 initiatives dans 50 pays du monde entier. Transition Network, la fondation britannique créée pour soutenir son évolution, décrit la Transition comme un mouvement de communautés qui réimaginent et reconstruisent notre monde.
Le mouvement de la Transition s’est diffusé suivant le concept de l’open source. En dehors de quelques principes et valeurs clés, les communautés sont invitées à se saisir du modèle, à l’adapter, à le façonner, à se l’approprier. Deux éléments sont particulièrement saillants dans le modèle de la Transition. Le premier, qui a évolué depuis sa création, est celui du REconomy Project. De nombreux groupes de la Transition mettent en place des projets, que ce soit dans le domaine de l’alimentation, de l’énergie, du logement ou autre, mais ne disposent pas des compétences nécessaires pour les transformer en entreprises viables et durables. Le REconomy Project développe des outils et des modèles pour favoriser l’investissement communautaire, tels que les forums d’entrepreneurs locaux et les options d’actionnariat, ainsi que des plans économiques locaux pour permettre aux groupes de la Transition de défendre ce qu’ils font, sur le plan des arguments économiques.
L’autre volet clé qui a évolué au sein du mouvement de la Transition est ce que l’on appelle la « transition intérieure ». Il s’agit de reconnaître que lorsqu’un groupe réalise un projet, le « comment » est aussi important que le « quoi ». Travailler en étant attentifs et attentives aux facteurs qui conduisent à l’épuisement permet de développer des compétences vitales en matière de prise de décision, de conduite de réunions efficaces, de gestion des conflits, etc. Travailler en tant que militants et militantes pour une société soutenable, mais en utilisant des outils enracinés dans les modèles mêmes que nous essayons de changer est en fin de compte autodestructeur. Le volet de la transition intérieure s’inspire d’un éventail de traditions psychologiques et spirituelles, ainsi que des groupes d’affinité qui se sont développés dans le mouvement féministe des années 1970.
La façon dont le mouvement de la Transition conçoit le développement diffère fondamentalement de l’idée de développement promue par les gouvernements occidentaux. Elle se concentre sur les principes suivants :
Localisation appropriée : il est judicieux de rapprocher la production alimentaire, celle de l’énergie et celle des matériaux de construction, du domicile et des consommateurs et consommatrices.
Résilience : mettre en place des infrastructures qui permettent aux communautés d’être en meilleure position pour résister aux chocs, tout en profitant de l’occasion pour réimaginer l’économie locale et répondre plus efficacement aux besoins locaux.
Bas carbone : créer des projets et des entreprises qui sont intrinsèquement sobres en carbone dans leur mode de fonctionnement et dans ce qu’elles créent.
Ressources communautaires : dans la mesure du possible, il s’agit de ranger des ressources (terrains, entreprises, production d’énergie, bâtiments) sous un statut de propriété communautaire. Cela rend les communautés beaucoup plus à même de façonner leur avenir.
Limites naturelles : reconnaître que nous ne vivons plus dans un monde où le crédit, les ressources et l’énergie sont infinis.
Pas uniquement pour le profit personnel : une variété de modèles d’entreprises émergent, tels que les entreprises sociales, les coopératives et les structures axées sur la maximisation du rendement social.
La perspective de la Transition se répand (Feola et Nunes, 2013). Elle est reprise par des universités et des collectivités locales. Elle est de plus en plus remarquée par des professionnels de la santé publique, adoptée par les militants des mouvements sociaux et reprise par certains milieux politiques européens. Il a été fascinant de voir son émergence, aux côtés des mouvements complémentaires du buen vivir et de La Vía Campesina, et des initiatives de transition en Amérique du Sud et ailleurs. À São Paulo, Transition Brasilândia voit une favela s’auto-organiser autour de l’entreprise sociale, de la fin de la violence envers les femmes, de la santé publique et de l’agriculture urbaine. En Afrique du Sud, à Greyton, une ville marquée par l’apartheid, le modèle de la Transition a été promu par Nicola Vernon, qui a déclaré : « En matière de dynamique d’intégration sociale, c’est ce que j’ai rencontré de mieux en 30 ans de travail pour le bien-être des habitants. » Le groupe a lancé de nombreux projets avec les écoles locales, notamment le festival Trash to Treasure (« Du déchet au trésor »), la plantation de milliers d’arbres et la construction de nouveaux bâtiments à l’aide d’« écobriques », des bouteilles en plastique vides remplies de déchets non recyclables.
Le modèle de la Transition a néanmoins suscité quelques critiques. Pour le collectif Trapese, en mettant l’accent sur les actions individuelles, ce modèle néglige l’importance du changement structurel. Cependant, les « transitionneurs » soutiennent que leur approche qui consiste à construire activement des alternatives, à chercher un terrain d’entente plutôt que la confrontation politique, et à s’efforcer de trouver une définition différente de ce qui constitue le « politique », est tout aussi valable que d’autres pour parvenir à un changement structurel. Certains accusent le mouvement de la Transition de ne s’engager que dans des actions à petite échelle. Ce point de vue plutôt condescendant ne tient pas compte des réalisations plus ambitieuses des groupes de la Transition, qui ont permis de créer des liens sociaux et de donner aux gens la confiance nécessaire pour entreprendre des projets de plus grande envergure. D’autres ont critiqué le fait que ce mouvement soit majoritairement composé de personnes blanches et issues de la classe moyenne. Il s’agit d’un problème que l’on retrouve dans de nombreux mouvements de changement social et que de nombreux groupes de la Transition s’efforcent de corriger, en mettant davantage l’accent sur les besoins locaux, la production de moyens de subsistance et le potentiel que cela ouvre en vue d’un engagement plus large.
Pensé dès l’origine à l’image du réseau mycorhizien des champignons, le mouvement de la Transition se propage par sa propre dynamique, s’auto-organise, tisse des liens, trouve sa propre voie et porte ses fruits, parfois quand on s’y attend, parfois quand on ne s’y attend pas. Il ne s’agit pas d’un processus organisé selon une marche à suivre. La Transition a beaucoup à apprendre d’autres mouvements et approches ; elle a aussi, après dix ans d’expérimentation, beaucoup à leur offrir.