Un discours politique a émergé à la fin des années 2000, décrivant une nouvelle vague d’extractivisme dans les pays d’Amérique latine. Ce discours accompagne la flambée mondiale des prix des matières premières et coïncide avec l’arrivée au pouvoir de certains gouvernements latino-américains de gauche. Le terme associé, « néo-extractivisme », qualifie une variante de l’extractivisme mise en œuvre par ces États pour financer des réformes sociales. En Afrique, le parent du néo-extractivisme est le nationalisme des ressources, qui se comprend comme l’affirmation du contrôle d’un gouvernement sur les ressources naturelles de son territoire, dont il tire des profits.
En général, la politique néo-extractiviste comprend : la nationalisation pure et simple d’une partie ou de la totalité des industries extractives ; l’augmentation de l’actionnariat public ; une renégociation des contrats ; des efforts pour augmenter la rente des ressources par le biais de mécanismes fiscaux innovants ; et des activités à valeur ajoutée. Des institutions et des initiatives mondiales, telles que l’Organisation des nations unies, l’Organisation de coopération et de développement économiques (ocde) et l’Initiative pour la transparence dans les industries extractives (itie) ont de plus en plus promu des orientations néo-extractivistes. Dans le contexte africain, l’Union africaine, la Banque africaine de développement et le Africa Progress Panel ont joué un rôle actif dans ce processus.
Le néo-extractivisme et son équivalent africain moins développé, le nationalisme des ressources, ont été présentés par leurs partisans comme des alternatives qui soutiennent le développement national, protègent l’environnement et profitent aux communautés locales. Cependant, au-delà de ce vernis de progresismo, le modèle d’accumulation capitaliste reste inchangé. « Le néo-extractivisme latino-américain a démontré les limites de ce modèle, qui consiste à attendre des exportations et des investissements étrangers qu’ils résolvent les problèmes historiques et structurels d’inégalité, d’iniquité et, surtout, la destruction de l’environnement » (Aguilar, 2012 : 7).
Même si les régimes de propriété peuvent passer, en partie ou en totalité, du secteur privé à l’État, les processus productifs continuent de suivre les règles standards de maximisation des profits, de compétitivité, d’efficacité et d’externalisation des conséquences. Alors que le discours de l’autodétermination nationale accompagne le néo-extractivisme, les pays riches gardent le contrôle en déterminant, comme ils le font déjà, quelles ressources ils importent et d’où elles proviennent. L’idéologie du progresismo défend l’extractivisme avec, comme soubassement, une logique de croissance, en affirmant que le « gâteau doit grossir » afin de combattre la pauvreté. Par conséquent, les investissements étrangers et le productivisme sont encouragés, au détriment de la protection des ressources naturelles et des droits de subsistance des autochtones et des autres communautés concernées.
Le néo-extractivisme provoque des conflits autour des ressources naturelles, échoue à créer des emplois et externalise les coûts sociaux et environnementaux. Partout où les nationalisations ont eu lieu, les entreprises minières d’État ne fonctionnent souvent pas différemment des entreprises privées : elles continuent à détruire l’environnement et à mépriser les relations sociales. Les responsabilités civiques de l’État sont compromises par la nécessité de préserver les conditions d’accumulation. L’État défend le néo-extractivisme comme étant dans l’intérêt national, et les mouvements et communautés qui dénoncent ses conséquences sont étiquetés comme « anti-développementalistes ». Gudynas (2010) a fait remarquer que lorsque les bénéfices excédentaires sont utilisés par l’État pour financer des programmes sociaux et de bien-être public, ce dernier gagne ainsi une nouvelle source de « légitimité sociale ». L’idée que l’extractivisme est indispensable au développement est fortement promue dans le discours public, qui lui confère un statut hégémonique.
L’expérience de l’Amérique latine est riche d’enseignements pour les autres régions du monde qui cherchent à se développer par le biais du néo-extractivisme et du nationalisme des ressources. L’initiative Africa Mining Vision et le cadre stratégique qui l’accompagne, Minerals and Africa’s Development (Union africaine et uneca, 2011), sont l’expression la plus concrète de cette tendance en Afrique. Le point de départ de ce cadre est l’allégation selon laquelle l’Afrique est riche en minéraux inexploités, qui ont été mal utilisés dans le passé et qui devraient maintenant être exploités de manière transparente, équitable et optimale sur le continent, afin de parvenir au développement socioéconomique attendu. La clé de cette stratégie de développement moderniste est l’industrialisation fondée sur les minéraux, qui devrait permettre d’éradiquer la pauvreté et de parvenir à une croissance durable, telle que définie par les Objectifs du millénaire pour le développement. Cependant, la stratégie Africa Mining Vision, largement soutenue par les organisations de la société civile africaine à travers l’African Initiative on Mining Environment and Society a échoué face à la crise récente des prix des matières premières, la concurrence interétatique et l’ingérence des entreprises dans l’arène politique nationale.
Pour en revenir à la question de l’externalisation, les conséquences du développement fondé sur l’extractivisme ont une forte incidence sur les questions de sexe/genre. WoMin, une alliance pour les droits des femmes dirigée par des femmes, qui lutte contre l’extraction destructrice des ressources naturelles en Afrique, travaille sur ce sujet aux côtés d’autres organisations féministes en Amérique latine, en Asie, et dans le Pacifique. Ces organisations rendent visible la manière dont le travail bon marché ou non rémunéré des femmes de la classe ouvrière et des paysannes du Sud global contribue à l’accumulation du capital. Ces relations d’exploitation souvent occultées restent inchangées sous le régime néo-extractiviste dirigé par l’État. Le rôle des femmes dans le travail reproductif signifie que les femmes de la classe ouvrière et les paysannes travaillent plus dur et plus longtemps que les hommes pour accéder à l’eau potable et à l’énergie, mais aussi pour soigner les enfants, les travailleurs et les autres membres de la famille exposés aux polluants. La responsabilité traditionnelle des femmes en matière de reproduction sociale n’est que partiellement soulagée par les investissements de l’État dans les services sociaux. Outre les coûts sociaux et environnementaux immédiats pour les communautés, les effets à long terme de l’extractivisme sur le changement climatique seront principalement pris en charge par les femmes pauvres qui travaillent à la restauration des écosystèmes endommagés.
Le néo-extractivisme, comme le nationalisme des ressources, n’est ni transformateur ni émancipateur. Il s’agit, au mieux, d’une trajectoire réformiste, drapée dans le manteau du développement néolibéral appelé progresismo. Cette idéologie peut favoriser certaines réformes sociales à court ou moyen terme, mais elle ne parviendra pas à résoudre la contradiction profonde entre « le capital et la vie », qui détruit l’humanité et la planète même.