Nayakrishi Andolon, le Nouveau Mouvement agricole dirigé par des agriculteurs et des agricultrices et impliquant plus de 300 000 unités écologiques domestiques diverses au Bangladesh, se concentre stratégiquement sur la « semence » dans ses pratiques agricoles innovantes. L’objectif est de démontrer la manière shohoj de vivre joyeusement, qui consiste à assurer la régénération écologique et « biodiverse » de la nature pour recevoir de la nourriture, des fibres, du bois de chauffage, des remèdes, de l’eau potable et de nombreuses autres choses répondant aux besoins biomatériels et spirituels de la communauté. Le mot shohoj trouve son origine dans la puissante tradition spirituelle du Bengale et signifie généralement une manière intuitivement simple mais transparente d’être dans l’univers. D’un point de vue philosophique, il s’agit d’apprendre à entrer en relation avec les réalités internes et externes par l’intermédiaire de l’ensemble de nos facultés humaines formant une unité, sans aucune hiérarchie entre nos facultés sensorielles, intellectuelles ou imaginatives. Ainsi, dans la pratique, le shohoj explore le potentiel bio-spirituel des communautés humaines dans le monde matériel réel, pour transcender une existence déshumanisée, faite de douleur et d’oppression.
Le mouvement utilise la « semence » comme une métaphore puissante de la continuité et de l’histoire, et il identifie l’espace régénérateur comme le lieu où l’invisible se manifeste comme le visible et où le potentiel se concrétise comme une réalité. L’agriculture est définie comme la gestion d’un espace cultivé et non cultivé, et non comme une usine générant des produits de consommation ou des marchandises. Dans ses pratiques, le Nayakrishi Andolon célèbre les moments où nous engageons un dialogue sensuel avec la nature ainsi qu’avec nos corps qui travaillent, pour comprendre et transcender les limites de l’intellectualisme abstrait. Ce mouvement est ancré dans les puissantes traditions spirituelles du Bengale, où l’islam a fusionné de manière créative avec les traditions et les pratiques religieuses autochtones, pour donner naissance à des mouvements bhakti tels que celui prêché par Chaitanya (1486-1534), et où il a produit à son apogée de grands saints tels que Fakir Lalon Shah (1772-1890) (Sharif, 1999 : 241-273).
Depuis 1997, les agriculteurs et agricultrices suivent 10 règles simples pour préserver et régénérer les sols vivants et fertiles, ainsi que les diverses formes de vie et la variabilité des écosystèmes, et pour développer la capacité du système de connaissances autochtone à saisir et s’approprier les dernières avancées des sciences biologiques. Pour être un agriculteur ou une agricultrice du Nayakrishi Andolon, il faut suivre les 10 règles. Les règles 1 à 5, qui comprennent des clauses telles que « l’absence totale d’utilisation de pesticides ou de produits chimiques » et « l’apprentissage de l’art de produire des sols par des processus biologiques naturels », énoncent les pratiques de base pour devenir membre. Les règles 6 à 10 concernent les pratiques intégrées et avancées, telles que la préservation de l’eau au niveau de la surface et de l’aquifère, l’élevage de diverses espèces de poissons dans les étangs et l’élevage de volaille et d’autres animaux nourris avec des aliments biologiques produits à la ferme. Le développement de systèmes écologiques intégrés et complexes maximise le rendement systémique et contribue à la conception de modèles écologiques intéressants. Cela prouve l’immense potentiel économique de l’agriculture écologique fondée sur la biodiversité, en tant que résistance pratique efficace contre la mondialisation. L’économie est considérée comme le lieu où se produit un échange social entre les activités de maintien de la vie de diverses communautés. Nayakrishi Andolon est un mouvement en pleine croissance et expansion. Son succès et sa consolidation présupposent les éléments suivants :
1.La disponibilité d’un système de semences paysannes est la clé de l’innovation menée par les agriculteurs et agricultrices, qui a historiquement contribué à l’évolution agroécologique et à la génération de connaissances agricoles.
2.L’accès au savoir communautaire et sa disponibilité dépendent de la communication orale, la mémoire communautaire et la préservation de la sagesse populaire à travers les histoires et les récits.
3.L’existence d’un système de culture suffisamment fonctionnel en ce qui concerne notamment l’alimentation et la nutrition, qui met en lien la production agricole et la consommation dans des systèmes agroécologiques spécifiques. Nayakrishi Andolon vise à transformer les relations hiérarchiques de classes, de castes et celles liées au patriarcat ; par conséquent, les femmes et les agriculteurs marginaux sont les leaders naturels du Nayakrishi Andolon.
4.L’existence d’un système informel ou formel d’échange social d’intrants d’origine agricole, de main-d’œuvre et de connaissances, capable de fonctionner en dehors du marché capitaliste – y compris la gestion communautaire de ressources communes telles que l’eau, les forêts et la biomasse.
5.Une notion opérationnelle de propriété commune, prenant en compte les sources cultivées et non cultivées de nourriture et de moyens de subsistance, ainsi que les valeurs morales communes qui garantissent le droit des membres de la communauté à utiliser les richesses naturelles.
Le mouvement a connu une innovation institutionnelle avec le développement d’une action collective d’agriculteurs appelée Nayakrishi Seed Network. Ce réseau a la responsabilité spécifique d’assurer la préservation in situ et ex situ de la biodiversité, avec le ménage agricole comme point focal. Il comporte trois niveaux.
Premièrement, les cabanes à semence sont établies par l’initiative indépendante d’un ou deux ménages du village, appartenant au Nayakrishi Andolon, prêts à prendre la responsabilité de s’assurer que toutes les espèces et variétés communes sont replantées, perpétuées et conservées par les agriculteurs.
Deuxièmement, le Specialized Women Seed Network est un réseau composé de femmes qui se spécialisent dans certaines espèces ou certaines variétés. Leur tâche consiste à collecter des variétés locales dans différentes régions du Bangladesh. Elles surveillent et documentent également l’introduction d’une variété dans un village ou une localité, et tiennent à jour les informations sur la variabilité des espèces dont elles s’occupent.
Troisièmement, la banque de semences communautaire est le dispositif institutionnel qui structure la relation entre les agriculteurs au sein d’un village et entre les villages, voire les districts, et également avec les institutions nationales, pour le partage et l’échange de semences. La banque entretient également une pépinière bien développée. La construction des banques de semences repose sur deux principes : (a) elles doivent être construites avec des matériaux de construction disponibles localement, et (b) l’entretien doit refléter les pratiques de conservation des semences au sein des ménages. Tout membre du Nayakrishi Andolon peut récupérer des semences dans les banques, en s’engageant à reverser, après la récolte, le double de la quantité reçue. Dans les banques, il y a une collection de plus de 3 000 variétés de riz, et 538 variétés de légumes, de lentilles et de plantes servant à produire des huiles et des épices.
Nayakrishi Andolon encourage la reproduction de diverses plantes, y compris des herbes qui ne sont pas cultivées mais qui sont bonnes comme sources de nourriture pour les humains et les autres animaux. Plus les terrains sont épargnés des produits chimiques, plus on trouve d’aliments non cultivés dans les environs. Cela est évalué par le biais de pratiques culturelles telles que la célébration de Chaitra Sankranti (le dernier jour de l’année civile bengalie), au cours de laquelle la coutume veut que l’on mange un repas contenant au moins 14 types différents de légumes-feuilles (shak), la plupart provenant de sources non cultivées. Il s’agit d’une vérification naturelle qui garantit des sources alimentaires renouvelables pour l’avenir. Les agriculteurs et agricultrices disposant de peu de ressources parviennent à couvrir près de 40 % de leurs besoins alimentaires et nutritionnels à partir de sources non cultivées.
Nayakrishi Andolon représente la résistance des paysans et paysannes contre la mainmise des entreprises sur la chaîne alimentaire mondiale, une affirmation selon laquelle c’est la communauté agricole qui nous nourrit. Ce mouvement est en train de recréer l’avenir en défendant l’agriculture comme mode de vie, en soutenant les activités agraires et en traçant des voies shohoj vers l’ananda, c’est-à-dire la joie d’être au monde.