Éthique islamique

Nawal H. Ammar

Coran, interdépendance de la création, miséricorde, khalifa, modération, hay'a

Les spécialistes s’accordent à dire que la source de l’islam est le Qu’ran ou Livre saint, qui est la parole de Dieu transmise par l’ange Gabriel au prophète Mohammed. L’islam fait aussi intervenir la sunna ou les traditions du Prophète ; les hadiths ou les communications orales attribuées au Prophète ; et les voies de la charia pour l’action quotidienne, y compris la jurisprudence (fiqh) et les écoles juridiques (madhahib). Dans la tradition islamique, le Coran est l’enseignement qui fait le plus autorité sur la façon dont Dieu a créé l’ordre de la nature. Pourtant, si la nature doit être respectée en tant que création de Dieu, elle est en dehors du domaine de la divinité en tant que telle. Il est contraire au principe premier de l’islam, le tawhid ou l’unicité de Dieu, d’attribuer un caractère sacré à la nature – animaux, humains et autres formes de vie.

Toutes les créations de Dieu sont interdépendantes, mais dépendantes de Dieu. Les humains ont été choisis par Dieu pour être les protecteurs de la Terre – non pas parce qu’ils sont supérieurs, mais plutôt comme un défi. Ils sont chacun khalifa ou intendant de la Terre, mais ils n’en sont pas les propriétaires. Le couple Al-Faruqi (1986) souligne que cette protection est une destinée humaine, une confiance sacrée ou amanah visant à développer les capacités morales des personnes. L’ultime défi dévotionnel pour les musulmanes et les musulmans est de transmettre d’une génération à l’autre les bienfaits de la Terre, intacts sinon améliorés. Les êtres humains font partie de la communauté écologique – et toute la création dérive du même élément, l’eau. « Il n’y a pas de bêtes sur la terre, il n’y a pas d’oiseaux volant de leurs ailes qui ne forment, comme vous, des communautés » (Coran, 6:38). Dans le Coran, la justice écologique consiste à utiliser les ressources de la Terre de manière équilibrée, ainsi qu’à refuser activement le mal et à faire de bonnes actions.

Haq (2001) affirme que l’islam « promulgue ce que l’on peut appeler une cosmologie de la justice », pour traiter le dilemme humain de la protection et de l’utilisation de la Terre. Le Coran aborde des questions relatives à la dignité des handicapés (80:1-9), aux droits des orphelins (93, sourate entière ; 89:17-18), à l’honnêteté dans l’échange et le troc (83:1-13) ; il condamne la cupidité et l’accumulation des richesses (100:6-11), appelle à nourrir les pauvres (89:17-23) et traite de l’échange équitable (11:85), du fait de s’abstenir de l’usure (2:161), de la justice distributive par l’impôt (2:267), du gouvernement juste (88:21-22, 18:29, 4:58, 5:8, 16:90, 42:15, 38, 49:9, 13) et du respect des différences sociales comme étant la volonté de Dieu (10:99, 99:18). C’est par cette cosmologie de la justice que les humains peuvent accomplir leur destin d’intendants de la Terre.

L’islam ne met pas l’accent sur le spirituel au détriment du matériel, ou vice versa ; au contraire, il les met en harmonie. Ce n’est pas une religion extatique qui ordonne le détachement des biens de ce monde, mais une religion qui encourage l’engagement dans les plaisirs humains. Selon le verset coranique, « les richesses et les enfants sont la parure \[zinat] de la vie de ce monde » (18:46). Dans sa vision sociale, l’islam est communautaire plutôt qu’individualiste ; et en tant que perspective nataliste, il ne favorise pas l’abstinence. Certaines parties du Coran traitent même de la planification familiale. Dans la dimension morale de l’obéissance et de l’accomplissement de l’alliance avec Dieu, les musulmanes et les musulmans sont censés adhérer au principe de l’équilibre (42:17, 55:7-9, 57:25). C’est l’épreuve théologique pour atteindre les jardins du paradis – la modération en toute chose (2:143, 17:110, 25:67).

Si le judaïsme est décrit comme reposant sur un paradigme de justice, le christianisme sur l’amour, et le bouddhisme sur la non-violence, des chercheurs comme Al-Idrissi (2004) suggèrent que le paradigme éthique de l’islam s’appuie sur la miséricorde comme attribut de Dieu. Cependant, la dépendance économique mondiale vis-à-vis du pétrole a démoralisé les sociétés du Moyen-Orient : un écart de richesse flagrant existe entre les élites et les classes inférieures ; l’extraction pétrolière et la guerre dévastent l’eau, les sols et les corps ; les femmes sont dénigrées et privées de leurs droits ; le terrorisme menace la vie quotidienne. Alors que le Coran parle du respect de la diversité – y compris envers les non-musulmans – et de la protection de l’environnement comme de devoirs dévotionnels, de nombreux musulmans et dirigeants de la majorité musulmane ne les respectent pas aujourd’hui.

Pour des raisons historiques, l’identité islamique est devenue fragile. Actuellement, plus de 1,5 milliard de musulmans et musulmanes vivent dans le monde, de l’Australie au Groenland, parlant plus de 80 langues. Nombre de ces communautés se trouvent du mauvais côté de la mondialisation postcoloniale et du développement moderniste, et subissent le racisme et la diabolisation. Il n’existe pas de compréhension monolithique et univoque de l’islam, et il convient de noter que là où il existe des carences sociales et éducatives, la pratique musulmane est souvent simplement rituelle, et non réfléchie. Certains musulmans affirment même que si les humains ne parviennent pas à réaliser leur destinée éternelle, cela reflète la prédestination et la volonté de Dieu.

D’autres versets coraniques et traditions prophétiques enjoignent les fidèles à accomplir délibérément de bonnes actions envers la communauté humaine et les autres créatures. Ainsi, l’usure (riba) est réprouvée, tandis que le système fiscal idéal (zakat) est défini comme socialement redistributif et fondé sur la capacité à payer. Parmi les notions islamiques plus progressistes, le mot arabe hay’a désigne une approche de respect de l’environnement ou de retenue digne dans l’utilisation de la nature et dans les autres comportements humains. Ce terme a un potentiel écospirituel pour les militantes et militants impliqués dans le dialogue interconfessionnel et les mouvements sociaux. Dans le Coran et les hadiths, la hay’a implique le respect des femmes – qui sont traditionnellement rendues invisibles dans de nombreuses interprétations locales de l’islam. Cet aspect de la justice de genre résonne, à son tour, avec la justice écologique, partout où la question démographique est une préoccupation.

Pour aller plus loin

Masson, Denise (trad.) (1967), Le Coran, Paris : Gallimard, coll. Pléiade.

Al-Faruqi, Ismail Raji et Lois Lamya al-Faruqi (1986), The Cultural Atlas of Islam, New York : Macmillan.

Al-Idrissi, A. (2004), « The Universality of Mercy in Islam », Portada, vol. 273, p. 1-15.

Ammar, Nawal H. (2000), « An Islamic Response to the Manifest Ecological Crisis: Issues of Justice », dans Harold Coward et Daniel C. Maguire (dir.), Visions of a New Earth: Religious Perspectives on Population, Consumption, and Ecology, Albany (New York) : suny Press.

Haq, S. Nomanul (2001), « Islam and Ecology: Toward Retrieval and Reconstruction », dans Mary Evelyn Tucker et John A. Grim (dir.), Dædalus: Journal of the American Academy of Arts and Sciences, vol. 130, no 4.

Khalid, Fazlun et Joanne O’Brien (dir.) (1992), Islam and Ecology, New York et Londres : Cassell.

Nawal H. Ammar est professeure de droit et de justice et doyenne du College of Humanities and Social Sciences de la Rowan University dans le New Jersey, aux États-Unis. Elle a publié de nombreux ouvrages sur la justice et les droits humains, et ses derniers travaux portent sur les musulmans devant les tribunaux et dans les prisons.