Mon héritage autochtone est nyikina ; dans ma langue, « ngajanoo Yimardoowarramarnil » signifie « une femme qui appartient au fleuve ». Cela me situe comme une propriété appartenant au Mardoowarra, le pays du fleuve Fitzroy. Nous sommes les gardiennes et gardiens traditionnels de ce fleuve sacré dans la région du Kimberley, en Australie-Occidentale. Les règles de la loi Warloongarriy nous ont été transmises par notre ancêtre Woonyoomboo. Il a créé le Mardoowarra en tenant ses lances fermement plantées dans Yoongoorroonkoo, la peau du serpent arc-en-ciel. Alors qu’ils se tordaient et tournaient dans le ciel et dans le sol, ils ont ensemble sculpté la piste de la vallée du fleuve, comme le conte le chant « Warloongarriy » sur la création du fleuve. C’est la Première Loi de Bookarrarra, le début du temps. Et tout cela est inhérent à ce que nous nommons « pays ».
Le 17 novembre 2015, la loi constitutionnelle de l’État d’Australie-Occidentale, datant de 1889, a été modifiée pour reconnaître pour la première fois les habitants aborigènes de l’État comme le premier peuple d’Australie-Occidentale, et comme les propriétaires et gardiens traditionnels de cette terre – ce que nous appelons nous-mêmes « pays ». L’amendement promeut l’idée selon laquelle le parlement de l’État doit chercher à se réconcilier avec le peuple aborigène d’Australie-Occidentale. Bien que l’amendement soit un geste de soutien, ni le gouvernement de l’État ni le gouvernement fédéral n’ont encore reconnu toute l’étendue des droits des autochtones.
Les 2 et 3 novembre 2016, les leaders aborigènes se sont réunis à Fitzroy Crossing pour annoncer au monde la reconnaissance du fleuve Fitzroy – patrimoine national – comme notre ancêtre vivant, de sa source à la mer. La Déclaration du fleuve Fitzroy affirme :
« Les propriétaires traditionnels de la région de Kimberley, en Australie-Occidentale, sont préoccupés par les vastes propositions de développement auxquelles sont confrontés le fleuve Fitzroy et son bassin-versant, ainsi que par le risque d’effets cumulatifs sur ses valeurs culturelles et environnementales uniques. Le fleuve Fitzroy est un être vivant ancestral et a droit à la vie. Il doit être protégé pour les générations actuelles et futures, et géré conjointement. »
Le guide « United Nations Permanent Forum on Indigenous Issues: Background Guide 2017 », lancé en 2016, fournit un modèle important pour la gouvernance culturelle de nos ressources naturelles et culturelles. Le cadre de l’onu est au fondement de la Déclaration du fleuve Fitzroy et de la résolution finale des propriétaires et des gardiens traditionnels du Kimberley, nous permettant « d’étudier les options juridiques […] renforçant la protection en vertu de la loi du Commonwealth sur la protection de l’environnement et la biodiversité (Environment Protection and Biodiversity Conservation Act, 1999) », de concert avec la loi de l’État d’Australie-Occidentale sur le patrimoine aborigène (Aboriginal Heritage Act, 1972), tout en explorant la législation sous toutes ses formes pour protéger le bassin-versant du fleuve Fitzroy.
L’invasion et l’occupation coloniales britanniques qu’ont subies notre pays et nos peuples ont été violentes et brutales. Elles ont abouti à l’asservissement et à l’esclavage du peuple, bien que l’invasion ait été définie comme un « développement ». Les États coloniaux ont été établis pour créer des richesses au profit d’intérêts privés et étrangers, cela aux dépens de nous, peuples autochtones, de nos terres et de nos eaux. Étant donné que le discours historique sur le développement, du point de vue anglo-australien, porte sur le processus et les conséquences de l’invasion, on peut se demander comment celui-ci profite aux peuples des Premières Nations, aux Aborigènes et aux insulaires du détroit de Torrès.
En tant que propriétaire traditionnelle de 27 000 kilomètres carrés du pays nyikina, je suis à la fois témoin et actrice de la lutte pour concilier les conditions imposées aux Aborigènes du continent avec le respect du droit traditionnel. La politique du gouvernement fédéral et des différents États, ainsi que les investissements privés sont axés sur le développement du Nord de l’Australie selon un modèle économique occidental. De fait, la société colonisatrice1 anglo-australienne ne tient pas compte de la valeur de notre « capital » humain fondé sur les systèmes de connaissances traditionnelles et sur les droits de la nature. Les intérêts étrangers considèrent notre pays comme une ressource pour l’investissement : de l’industrie pastorale et de l’agriculture intensive à l’exploitation minière des diamants et de l’or, et des perles à la fracturation hydraulique pour le gaz et le pétrole. Aucune de ces industries n’est soutenable : chacune a un effet néfaste sur l’air, la terre, l’eau et la biodiversité ; chacune est source de pauvreté pour les populations locales. L’expérience des Aborigènes du Kimberley et de toute l’Australie est partagée par d’autres peuples des Premières Nations dans les pays colonisés aux 17e et 18e siècles. Le philosophe norvégien Johan Galtung qualifie cette inégalité légiférée de « violence structurelle ». Ses effets se mesurent par des taux de mortalité élevés chez les enfants comme chez les adultes, par l’abus endémique d’alcool et de drogues, par les « maladies socialement transmises » et par les traumatismes psychiques transgénérationnels. Les effets sur ces vies en marge sont répétés de génération en génération et aggravés par la violence de l’enlèvement des enfants à leur famille, une politique d’État connue aujourd’hui sous le nom de « génération volée ».
En 2017, nous nous souvenons de la décennie qui s’est écoulée depuis que notre gouvernement a ratifié la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones. Cependant, nous n’avons pas vu ces principes intégrés dans le droit australien. Beaucoup d’entre nous – dont le droit coutumier est reconnu par la loi sur les droits fonciers autochtones (Native Title Act, 1993)2 – travaillent maintenant ensemble pour prendre en charge leur propre destin et s’associer à des personnes partageant les mêmes idées, en vue de rendre la justice sur la base de la Première Loi sur l’eau du Mardoowarra. C’est une histoire d’espoir, d’innovation et de créativité culturelle, alors que nous examinons nos droits et nos responsabilités pour créer nos propres systèmes, en revenant aux principes de la Première Loi sur l’eau, qui est la loi du « pays ». Cette Première Loi englobe les relations que nous entretenons les uns et les unes avec les autres, avec nos voisins et, surtout, avec notre famille d’êtres non humains – animaux et plantes. Ces relations sont la clé de notre bien-être personnel, communautaire, culturel, économique et écosystémique.
Comme le démontre notre centre (le Nyikina Cultural Centre, www.majala.com.au), notre culture, notre science, notre patrimoine et notre économie fondée sur la préservation de la nature sont en plein essor, trouvant leur origine dans notre connexion et nos identités culturelles. Guidés par la Première Loi sur l’eau, nos systèmes d’« eau vivante » constituent notre force vitale, reliant les eaux de surface aux eaux souterraines et unissant les divers paysages culturels du Kimberley. Dans le même temps, nous construisons des systèmes de connaissances collaboratifs, combinant les sciences occidentales, le savoir traditionnel et les pratiques industrielles, pour partager nos ressources les plus précieuses – l’eau et la biodiversité. Ainsi, nous redessinons ce qu’est la « vie soutenable » dans notre pays.