Nouveau paradigme de l'eau

Jan Pokorný

énergie solaire, transpiration des plantes, cycles de l'eau, climat, gestion du paysage

Les humains ont vécu sur Terre comme chasseurs et cueilleurs pendant des centaines de milliers d’années, et la capacité de charge d’une forêt est d’une à trois personnes par kilomètre carré. Mais les civilisations, caractérisées par une surproduction agricole destinée à approvisionner les villes et les armées, se sont développées au cours des dix derniers millénaires, asséchant leur environnement ; les archéologues trouvent leurs vestiges enfouis sous le sable. La croissance démographique a entraîné la conversion des forêts en terres agricoles. Les plantes cultivées, telles que les céréales, le maïs et les pommes de terre, ne toléraient pas les inondations, de sorte que les agriculteurs drainaient les zones humides et les champs. L’eau de pluie était également collectée et évacuée hors des villes. Les anciennes civilisations de Mésopotamie et de la vallée de l’Indus, les Incas d’Amérique du Sud et les peuples d’Afrique du Nord ne brûlaient pas de combustibles fossiles, une combustion qui augmente la concentration de dioxyde de carbone dans l’atmosphère ; ces civilisations se sont plutôt effondrées en raison du manque de précipitations et de la forte salinité du sol. C’est la mauvaise gestion des terres et de l’eau qui a entraîné une perte de fertilité des sols, des sécheresses et des tempêtes de sable. L’industrialisation introduira de nouvelles perturbations anthropogéniques.

La Conférence des Nations unies sur les changements climatiques qui s’est tenue en 2015 à Paris (cop21) a fixé un objectif de limite du réchauffement climatique visant à contenir l’augmentation de la température moyenne mondiale en dessous de 2 °C par rapport aux niveaux préindustriels. Selon le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (giec), le critère quantifiable du changement climatique est la température moyenne mondiale, et la raison du réchauffement climatique est l’augmentation des concentrations de gaz à effet de serre, en particulier le CO~2~ et le CH~4~. La vapeur d’eau n’est considérée que comme un « agent de rétroaction » passif plutôt que comme un agent actif du changement climatique. Le giec minimise le rôle de l’eau et de la couverture terrestre comme facteurs déterminants du climat, alors que la quantité de vapeur d’eau dans l’air est supérieure d’un à deux ordres de grandeur par rapport à la quantité de CO~2~ et de CH~4~. La vapeur d’eau forme des nuages qui empêchent le passage de l’énergie solaire vers la Terre, ce qui réduit considérablement les températures. La transition entre les trois phases de l’eau – liquide, solide et gazeuse – est liée à l’énergie thermique. Mais les modes de gestion du paysage – déforestation, drainage des zones humides, imperméabilisation des sols urbains – modifient la répartition de l’énergie solaire, de telle sorte qu’elle ne peut être utilisée dans le processus de refroidissement par évaporation de l’eau dans l’atmosphère.

Par une journée ensoleillée, jusqu’à 1 000 W d’énergie solaire tombent sur chaque mètre carré de la Terre. Les terres sèches et les surfaces des villes – toits, asphalte, trottoirs – peuvent chauffer jusqu’à environ 60 °C, alors qu’à l’ombre des arbres, la température ne dépasse pas 30 °C. Environ 50 % des zones humides ont été drainées aux États-Unis (soit 45,9 millions d’hectares), ce qui a libéré une énorme quantité de chaleur dans l’atmosphère. Un arbre se refroidit activement et rafraîchit son environnement par évaporation de l’eau. Un arbre alimenté en eau est un système de climatisation fonctionnant à l’énergie solaire. L’énergie solaire est cachée ou latente dans la vapeur d’eau et est libérée dans les endroits frais lorsque la vapeur d’eau retourne à une forme liquide. L’arbre équilibre donc les gradients de température de deux façons : il refroidit à travers l’évaporation et chauffe à travers la condensation. La climatisation technologique est imparfaite par rapport à la végétation : d’une part, parce qu’elle dépend de la production d’électricité polluante ; d’autre part, même si elle refroidit l’intérieur d’une pièce, elle libère de la chaleur à l’extérieur, ce qui augmente la température ambiante.

Les analyses conventionnelles du réchauffement climatique, comme celles proposées par le giec, sont typiques de ce que l’on peut appeler l’« ancien paradigme de l’eau ». Celui-ci traite des effets du réchauffement climatique sur le cycle de l’eau plutôt que de considérer l’eau comme un déterminant actif du climat. L’ancien paradigme de l’eau soutient que :

- L’augmentation de la température moyenne mondiale est le principal problème climatique ;

- L’atténuation du réchauffement climatique par la diminution des émissions de gaz à effet de serre pourra peut-être avoir lieu dans quelques siècles ;

- Le drainage et le paysage urbain ont un effet minimal sur le cycle de l’eau ;

- La vapeur d’eau agit comme un gaz à effet de serre et provoque une augmentation des températures ;

- La végétation a un faible albédo, c’est-à-dire une faible capacité de réflexion solaire, et augmente ainsi l’effet de serre.

Le nouveau paradigme de l’eau décrit dans le livre Water for the Recovery of the Climate (Kravčík et al., 2007) considère l’eau comme le moyen de réduire les différences de température dans le temps et l’espace, entre le jour et la nuit, ici et là. Les hypothèses sont les suivantes :

- Les conditions météorologiques extrêmes, les épisodes de sécheresse imprévisibles et les orages cycloniques constituent le principal problème climatique ;

- La déforestation, l’agriculture à grande échelle et l’urbanisation modifient le cycle de l’eau au niveau local, ce qui, par suite, a des conséquences sur les conditions atmosphériques mondiales ;

- La transpiration de la végétation diminue la température de l’air, et la couverture nuageuse limite l’intensité du rayonnement solaire arrivant à la surface de la Terre ;

- La vapeur d’eau se condense la nuit et empêche que le rayonnement infrarouge ne se déplace de la surface de la Terre vers le ciel ;

- Grâce à une nouvelle approche de la gestion de l’eau, on peut s’attendre à une éventuelle restauration du climat d’ici quelques décennies.

Les principes du nouveau paradigme de l’eau ont été démontrés en Australie par la méthode du natural sequence farming mis au point par Peter Andrews. Celle-ci imite le rôle des cours d’eau naturels pour inverser la salinité, ralentir l’érosion et augmenter la qualité du sol et de l’eau, recharger les aquifères souterrains et permettre à la végétation endémique de restaurer la ripisylve. En Inde, le projet Tarun Bharat Sangh, lancé par Rajendra Singh, repose sur la renaissance des réservoirs d’eau traditionnels. Le travail vise à concevoir des structures de collecte d’eau, ou johads. Il s’agit de simples barrières de boue construites sur les pentes des collines pour arrêter le ruissellement de l’eau pendant la mousson. La hauteur de la digue varie en fonction du site, du débit de l’eau et de la topographie. Un johad constitue un réservoir d’eau pour le bétail et permet à l’eau de pénétrer à travers le sol pour recharger l’aquifère jusqu’à 1 kilomètre de distance. Cette collecte d’eau a permis d’irriguer environ 140 000 hectares et a fait passer la nappe phréatique d’environ 100-120 mètres de profondeur à 3-13 mètres. Le rendement des cultures s’est fortement amélioré. La couverture forestière est passée de 7 % à 40 %. Plus de 5 000 johads ont été construits en tout, et plus de 2 500 vieilles structures ont été restaurées par les communautés villageoises dans 1 058 villages depuis 1985. Des projets similaires en Slovaquie ont créé des opportunités d’emploi et renforcé le sentiment d’appartenance à la communauté.

Pour aller plus loin

Andrews, Peter (2006), Back from the Brink: How Australia’s Landscape Can Be Saved, Sydney : abc Books.

Kravčík, Michal, Jan Pokorný, Juraj Kohutiar, Martin Kováč et Eugen Tóth (2007), Water for the Recovery of the Climate: A New Water Paradigm, www.waterparadigm.org

Makarieva, Anastassia M. et Viktor Gorshkov (2007), « Biotic Pump of Atmospheric Moisture as Driver of the Hydrological Cycle on Land », Hydrology and Earth System Sciences, vol. 11, no 2, p. 1013-1033.

Pokorný, Jan, Petra Hesslerová, Hanna Huryna et David Harper (2016), « Indirect and Direct Thermodynamic Effects of Wetland Ecosystems on Climate », dans Jan Vymazal (dir.), Natural and Constructed Wetlands: Nutrients, Heavy Metals and Energy Cycling, and Flow, Zurich : Springer.

Ponting, Clive (1991), A Green History of the World: The Environment and the Collapse of Great Civilizations, New York : Penguin Books.

Schneider, Eric D. et Dorion Sagan (2005), Into the Cool: Energy Flow, Thermodynamics, and Life, Chicago : University of Chicago Press.

Jan Pokorný, spécialiste en physiologie végétale, est diplômé de l’université Charles de Prague. Il a mené des recherches sur la photosynthèse des plantes en zones humides avec l’Académie tchécoslovaque des sciences et la Commonwealth Scientific and Industrial Research Organisation en Australie. Depuis 1998, il est directeur de l’organisation de recherche enki, qui s’intéresse à l’incidence directe des conditions paysagères et de l’activité des plantes sur la distribution de l’énergie solaire, les cycles de l’eau et les effets climatiques, et sur leur interaction.