L’enseignement social catholique moderne trouve ses racines dans la révolution industrielle européenne. Des prêtres, tels qu’Adolph Kolping à Cologne, ont observé que l’industrialisation renforçait la misère des pauvres. Von Ketteler, évêque de Mayence, était également conscient des effets sociaux négatifs du capitalisme libéral. Le pape Léon XIII s’en est fait l’écho dans le Rerum novarum (1891), une encyclique qui critiquait l’exploitation des ouvriers dans les usines et réclamait un salaire de subsistance et le droit de créer des syndicats.
En 1967, le pape Paul VI est allé au-delà de la question du développement économique dans son Populorum progressio. Cette encyclique novatrice, dont le titre peut être traduit par « Sur le développement des peuples », a établi un cadre de référence pour évaluer le développement humain authentique. En effet, de nombreux pays, en particulier en Afrique, avaient obtenu de leurs maîtres coloniaux la liberté politique, mais faisaient en même temps l’expérience du néocolonialisme à travers leurs liens de dépendance économique avec l’Europe ou l’Amérique du Nord.
Presque toutes les encycliques sociales écrites au 20e siècle et au début du 21e ne contiennent que très peu d’éléments relatifs aux préoccupations écologiques. Le concile Vatican II a coïncidé avec la publication de Printemps silencieux (1962) de Rachel Carson, et quoiqu’il ait transformé le catholicisme à bien des égards, il n’a guère ouvert de discussion sur l’écologie. Cependant, le dernier document de discussion du concile, Gaudium et Spes :constitution pastorale sur l’Église dans le monde de ce temps (1965), faisait référence à la vision du grand mystique et scientifique jésuite Pierre Teilhard de Chardin, dont les idées avaient été condamnées par le Vatican en 1957. Il s’était formé pour devenir paléontologue et géologue et avait participé à la découverte de l’Homme de Pékin. Ses expériences ont abouti à des livres influents, tels que LePhénomène humain et LeMilieu divin.
Le père Thomas Berry a prolongé l’œuvre de Teilhard de Chardin en une théologie solide de la Création, notamment à travers deux livres : The Dream of the Earth et The Universe Story. Il s’attachait à y définir la place qui revient à l’humanité dans l’histoire de l’évolution de l’Univers émergent, de la planète Terre et de toute forme de vie sur cette planète. Berry soutenait que cette histoire, qui s’appuie sur diverses sciences et réflexions religieuses, devait devenir dès lors la pierre de touche de l’ère écologique naissante. Pour Berry, la tâche de l’humanité était de concevoir une nouvelle façon de vivre avec le reste du monde naturel.
J’ai commencé à m’intéresser aux questions écologiques en 1978, alors que je vivais parmi le peuple t’boli dans les hauts plateaux de la province de Cotabato du Sud, sur l’île de Mindanao, aux Philippines. J’y ai été témoin des conséquences désastreuses de la déforestation. En 1980, j’ai étudié avec Thomas Berry au Riverdale Center for Religious Research, à New York. La clarté de ses vues sur la « transe technologique » qui s’empare de la culture mondiale a donné un sens aux catastrophes dont j’avais été témoin aux Philippines. Mon premier livre, To Care for the Earth: A Call to a New Theology, a été publié en 1986. J’ai ensuite participé à la rédaction de la première lettre pastorale des évêques philippins, What Is Happening to Our Beautiful Land?
Dans les années 1970, Leonardo Boff, au Brésil, et le théologien péruvien Gustavo Gutiérrez ont jeté les bases de la théologie de la libération. Au cours des premières années, les théologiens de la libération ont souvent rejeté la « théologie de la Création » comme relevant d’une classe moyenne davantage préoccupée par la planète que par les pauvres. Cependant, le livre de Boff, Cry of the Earth, Cry of the Poor, relie la théologie de la libération aux questions écologiques telles que le changement climatique, l’extinction des espèces et la pollution des océans et de l’eau douce. En se concentrant sur la région de l’Amazonie, Boff montre les liens entre le sort de la forêt tropicale, celui des peuples autochtones et celui d’autres peuples pauvres. Cet ouvrage a reçu un accueil extraordinaire. Le prêtre australien Denis Edwards, spécialisé en théologie systématique, est une autre personnalité qui a contribué à ancrer l’écologie dans la foi catholique. Dans Ecology at the Heart of Faith et dans d’autres livres, Edwards aide le grand public, le prédicateur, le directeur spirituel, l’étudiant et le théologien à abattre les murs qui séparent trop souvent le mysticisme, la théologie, la prophétie, la poésie et la science.
Le 18 juin 2015, le pape François a publié son encyclique Laudato si’ : sur la sauvegarde de la maison commune. Dans la lignée de son mentor saint François, il lance un appel : « Le défi urgent de sauvegarder notre maison commune inclut la préoccupation d’unir toute la famille humaine dans la recherche d’un développement durable et intégral, car nous savons que les choses peuvent changer » (§ 13). Au § 59, le pape interpelle les négationnistes avec les mots suivants : « Ce comportement évasif nous permet de continuer à maintenir nos styles de vie, de production et de consommation. » Or, la « gravité de la crise écologique exige […] patience, ascèse et générosité, [et que nous nous souvenions toujours] que “la réalité est supérieure à l’idée” » (§ 201). Le pape François écrit encore : « Il n’y a pas deux crises séparées, l’une environnementale et l’autre sociale, mais une seule et complexe crise socio-environnementale » (§ 139). De surcroît, il soutient que « la détérioration de l’environnement et celle de la société affectent d’une manière spéciale les plus faibles de la planète » (§ 48).
Les technologies humaines causent des dommages importants au tissu de la vie sur Terre. Dans Laudato si’ (§ 128), le pape François soutient que le travail constitue une part nécessaire du sens de la vie sur Terre, un chemin de croissance, de développement humain et d’épanouissement personnel. Malheureusement, l’histoire récente a clairement montré que les changements technologiques, l’automatisation, la robotique et l’apprentissage automatique signifiaient la fin du travail permettant l’auto-accomplissement, tel que nous l’avons connu. Le développement de l’intelligence artificielle et du big data entraînera un chômage important dans le secteur tertiaire de l’économie. L’Église catholique et les autres religions doivent commencer à faire campagne, dès à présent et de toute urgence, pour un mécanisme de revenu de base, afin de garantir le bien-être des citoyens sous ce régime de développement « technologique ».