Reconnaissons que la dette extérieure est, à tout moment, l’expression la plus visible d’une évolution qui va bien au-delà des simples préoccupations financières et économiques. C’est pourquoi il ne suffit pas d’affirmer que la dette extérieure et sa gestion ont provoqué des crises économiques répétées dans de nombreux pays du monde. Les crises de la dette elles-mêmes ont souvent été une autre manifestation des crises du système capitaliste. Celles-ci se produisent de manière récurrente avec, chaque fois, une série d’éléments nouveaux et une répétition des éléments précédents. Ainsi, à maintes reprises, la dette a joué et continue de jouer un rôle important de levier, en imposant la volonté des pays prêteurs – presque toujours de grandes puissances impériales – aux pays endettés. Il s’agit d’un diktat qui recouvre diverses caractéristiques, dont la violence.
Sur la base d’une longue histoire accumulée, qui met en évidence le fait qu’il n’existe aucun système de droit permettant un traitement impartial, transparent et équitable du problème de la dette extérieure, la nécessité d’un mécanisme pour répondre au problème de la dette mondiale s’est fait ressentir.
L’idée d’un mécanisme de ce type a une longue histoire, depuis la grave crise de la dette des années 1980. Alberto Acosta et Óscar Ugarteche Galarza ont conçu un Tribunal international d’arbitrage de la dette souveraine, dont les éléments fondamentaux ont été débattus au sein de l’Assemblée générale des Nations unies à deux reprises1. Le processus a été bloqué en raison de l’opposition de six grandes économies de la planète. Le principe du Tribunal est que le redressement judiciaire fait partie intégrante des cycles économiques longs. Par conséquent, un mécanisme est nécessaire pour déterminer quels sont les éléments qui motivent la mise sous séquestre et comment procéder à leur encontre. Une préoccupation récurrente dans la littérature sur cette question est de savoir à quel moment on déclare – mais aussi qui peut déclarer – qu’un débiteur ne peut plus être facturé, qu’il y a un moratoire, que le paiement a été suspendu et qu’un processus de restructuration des dettes a été engagé. Dans l’idéal, tous les créanciers devraient suspendre simultanément le recouvrement des créances pendant que l’on s’accorde sur le réaménagement du calendrier des paiements. Cela implique qu’aucun créancier ne peut quitter cette liste, ce qui signifie qu’il n’y a pas de resquilleurs.
Qui décide qu’un pays n’est pas en mesure de remplir ses obligations ? Il s’agit d’une question fondamentalement éthique. S’il existe un contrat qui engage le débiteur à payer et si le principe de pacta sunt servanda est appliqué, alors, face à des prévisions économiques houleuses, l’État prêteur peut demander une restructuration de la dette avant même d’être confronté à une crise de paiement. Cette option permet d’éviter une aggravation de la crise, qui affecte fortement les conditions économiques, sociales, voire environnementales du pays endetté. Sur la base de cette décision, le Tribunal international d’arbitrage de la dette souveraine apparaît comme le moyen de résoudre cette situation de manière transparente, sans parti pris et en respectant les règles minimales de l’État de droit.
Les principes de base pour le fonctionnement du Tribunal sont les suivants :
- Le paiement de la dette extérieure ne peut être, à aucun moment, une entrave au développement humain ou une menace pour l’équilibre environnemental. L’objectif est la création d’un système économique plus stable et équitable qui se traduise par des bénéfices pour l’ensemble de l’humanité. Ce système doit inclure la taxe Tobin pour freiner les flux spéculatifs et mettre fin aux paradis fiscaux – pour ne citer que deux actions indispensables à la construction d’une autre économie pour une autre civilisation.
- Il est inacceptable, dans le cadre du droit international, que les accords de dette extérieure soient des instruments de pression politique, permettant à un État prêteur ou à une instance contrôlée par les États prêteurs – le Fonds monétaire international (fmi) et/ou la Banque mondiale – d’imposer des conditions insoutenables à un État endetté.
- Les conditions de tout accord, négociées au niveau international, doivent être fondées sur les droits humains et les droits de la nature.
- Sur la base des principes énoncés, il est nécessaire de créer un code financier international qui englobe tous les pays sans exception.
- Le point de départ de toute solution, y compris l’arbitrage, consiste à identifier la créance légalement acquise qui peut être payée et à la distinguer de l’endettement illégitime selon la doctrine de la dette odieuse et corrompue.
- Cela nécessite la participation active de la société civile, au sein de laquelle n’interviendront ni les gouvernements ni les prêteurs, mais seulement les cabinets d’audit et les associations juridiques et comptables, accompagnés d’autres organisations, qui livreront leurs conclusions directement au Tribunal.
- La proportionnalité – pari passu – doit être établie entre tous les prêteurs. Selon ce principe, doivent être soumis à la négociation de la dette non seulement les prêteurs privés, mais aussi les prêteurs multilatéraux et bilatéraux.
- Pour le service de la dette contractée et renégociée avec des accords définitifs dans des conditions de légitimité, des paramètres clairs doivent être établis en termes fiscaux, afin que le service de la dette qui reste à payer n’affecte ni les investissements sociaux, ni la capacité d’épargne interne, assurant ainsi la capacité de paiement du pays.
- Les causes de la suspension de paiement doivent être déterminées de sorte que les cas de force majeure soient traités différemment des cas de mauvaise administration.
- L’espace du Tribunal doit être établi à Genève, en raison de la proximité des bureaux de la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (cnuced) et des unités des Nations unies spécialisées dans la dette extérieure, en dehors du fmi.
- Le fmi doit reprendre son rôle initial. Ce contrôleur doit être supervisé, et c’est la société civile nationale et internationale qui, dans chaque cas, doit avoir la capacité de le contrôler. Le fmi doit être responsable devant l’Assemblée générale des Nations unies, avec un système de sanctions.
- Sera créé un réseau international d’organisations de la société civile qui surveilleront, dans chaque pays, le fonctionnement de cette organisation internationale. Elles remettront des rapports à leurs gouvernements et à une commission permanente de contrôle au sein des Nations unies. Une évaluation du travail du fmi sera effectuée chaque année.
- Le sujet de la souveraineté est complexe. Un pays qui accepte l’arbitrage reconnaîtrait, dans une certaine mesure, son incapacité à payer et serait soumis aux conclusions du Tribunal. Néanmoins, en acceptant le dogme de la non-faillite – afin de ne pas affaiblir sa souveraineté –, un pays assumera passivement la nécessité de conditions pour garantir le paiement de la dette et perdra de facto sa souveraineté par les politiques qui découlent des accords imposés par leurs prêteurs.
- Dans un monde réellement mondialisé, le Tribunal serait composé de représentants et représentantes de tous les pays.