« Agdal » – au pluriel igudlan/igdalen, ou plus communément agdals – est un terme d’origine tamazight, c’est-à-dire de la famille linguistique amazighe/berbère d’Afrique du Nord. Il fait principalement référence à un type de gestion communautaire des ressources, qui inclut une restriction temporaire de l’utilisation de ressources naturelles spécifiques sur un territoire défini, dans l’intention de maximiser leur disponibilité durant les périodes de besoin critiques (Auclair et al., 2011). Les agdals pastoraux dans le Haut-Atlas marocain, où les bergers ne peuvent amener leurs troupeaux que pendant une période convenue collectivement, en sont un exemple parlant. Les agdals peuvent également être des zones arboricoles, comme les forêts d’arganiers (Argania spinosa) dans l’Ouest du Maroc, où l’accès est interdit pendant la saison de mûrissement des fruits, avant la récolte. Les restrictions relatives aux agdals s’appliquent plus largement aux terres agricoles, aux champs d’algues, aux cultures de plantes fourragères et médicinales, aux vergers et aux sites sacrés, entre autres, dans les basses terres côtières, les montagnes, les oasis et même les zones urbaines.
L’analyse des agdals révèle des avantages à la fois biologiques et sociaux par rapport à d’autres approches de gestion des terres. Les agdals favorisent une répartition relativement équitable des bénéfices tirés des ressources naturelles, grâce à la prise de décision collective et la reconnaissance de droits d’accès communs, et ils sont régis par des institutions locales qui établissent des règles d’usage. Les agdals maximisent la production annuelle de biodiversité, culturellement importante, et maintiennent la viabilité de l’extraction des ressources sur le long terme, ce qui se traduit par des écosystèmes plus riches en biodiversité et plus résilients que d’autres qui se situent dans des contextes géographiques similaires, mais qui ne sont pas gérés de manière communautaire. Par exemple, les agdals pastoraux sont généralement ouverts aux troupeaux d’animaux domestiques à la fin du printemps ou au début de l’été, lorsque la plupart des plantes pâturées ont terminé leur cycle de reproduction, ce qui permet d’éviter la dégradation observée dans les pâturages en accès libre au Maghreb.
Cependant, se concentrer uniquement sur le côté productif des agdals ne permettrait pas d’en présenter une image complète. Plus qu’un simple outil agroéconomique, l’agdal est un élément culturel autour duquel tourne tout un système de références sacrées, éthiques, esthétiques et autres références symboliques, qui fait de l’agdal le reflet fidèle d’une culture amazighe montagnarde et l’élève au rang de fait social total. En effet, la régulation rituelle constituait autrefois une part importante du système de l’agdal. Ces rituels consistaient notamment à faire annoncer et légitimer les interdictions annuelles relatives à l’agdal par des descendants de saints, ou encore à leur remettre des offrandes telles que des sacs de céréales, du beurre, du couscous et des sacrifices de bétail. Les descendants partageaient à leur tour ces produits avec tous les autres invités et distribuaient la baraka entre les personnes participant au rituel.
L’existence des agdals est supposée ancienne ; leur origine remonterait aux sociétés amazighes implantées dans la région depuis plusieurs milliers d’années (Auclair et al., 2011 ; Navarro et al., 2017). Les agdals ont vraisemblablement persisté et se sont continuellement renouvelés au fil du temps, en Afrique du Nord et au Sahara, en s’adaptant à diverses situations économiques, environnementales et politiques. Le terme « agdal » a également été utilisé dans de nouveaux contextes, y compris dans des centres urbains en pleine expansion démographique, comme Rabat ou Marrakech. Dans cette dernière ville, le terme aurait pu commencer à être appliqué au domaine situé au sud de la médina, après sa restauration par la dynastie alaouite (17e siècle) – des jardins imaginés et créés par la dynastie des Almohades au 12e siècle (Navarro et al., 2017).
Bien que les jardins de l’Agdal à Marrakech aient acquis une notoriété importante – ils ont été inscrits au patrimoine mondial de l’unesco en 1985 –, les agdals ruraux sont plus pertinents dans le contexte actuel, malgré une méconnaissance générale de leur existence. Ils sont les prototypes de l’aire du patrimoine autochtone et communautaire (Indigenous and Community Conserved Area) au Maghreb. Ils jouent un rôle fondamental dans le maintien du patrimoine culturel, tant immatériel que matériel – des cérémonies rituelles aux agro-écosystèmes traditionnels –, tout en renforçant la résilience des systèmes socio-écologiques dans divers environnements. Après avoir fait l’objet d’études universitaires intensives au début du 21e siècle, les agdals sont régulièrement évoqués comme un modèle de conservation de la nature et d’utilisation durable, fondé sur « les connaissances, les innovations et les pratiques des communautés autochtones et locales qui incarnent des modes de vie traditionnels », pour reprendre les termes de la Convention sur la diversité biologique.
Les agdals sont des hauts lieux de biodiversité, non seulement en tant que riches réservoirs de faune et de flore, mais aussi en tant que zones fortement menacées par l’expansion des espaces agricoles privatisés, l’intensification du pâturage, l’exode rural, la transformation des mentalités culturelles et le changement climatique. Les agdals pastoraux et forestiers jouent un rôle majeur en tant que zones importantes pour les plantes (zip) dans le Haut-Atlas marocain, car ils abritent un grand nombre d’espèces végétales endémiques en voie de disparition et utiles à l’humain.
La prise de conscience de l’importance des agdals conduit actuellement à leur intégration dans des projets communautaires de restauration culturelle et écologique. Ces projets sont pilotés – bien qu’avec le financement et le soutien d’institutions externes – par des associations locales qui cherchent soit à défendre les agdals existants, soit à appliquer le principe de gestion communautaire à des zones dégradées, sur la base de l’interdiction temporaire de l’utilisation des ressources. Ce début de renaissance est motivé par des préoccupations pratiques concernant l’érosion et d’autres problèmes environnementaux, ainsi que par un intérêt plus large pour la restauration de l’identité culturelle et des paysages.
Bien que les agdals ne bénéficient généralement pas d’une reconnaissance gouvernementale explicite – et qu’ils ne soient guère pris en compte dans les plans nationaux d’agriculture et de préservation de l’environnement –, la prise de conscience des avantages bioculturels de ces zones gérées de manière communautaire peut influencer la politique publique en matière d’utilisation durable des terres.
Dans leurs multiples manifestations – comme faits culturels, comme territoires gérés par la communauté et même comme espaces verts urbains –, les agdals restent ancrés dans un contexte humain et géographique spécifique. Les initiatives visant à les recréer ou à les imposer en dehors de ce cadre seraient inappropriées, mais ils restent une alternative viable dans des zones spécifiques du Maghreb, et sont une source d’inspiration pour les défenseurs et défenseuses de la gestion communautaire des ressources naturelles dans le bassin méditerranéen et dans le monde entier.