Le système capitaliste ne peut exister sans un « développement », une « croissance » et une « expansion » illimités. Une alternative radicale de post-développement se doit donc d’être une alternative post-capitaliste. L’écosocialisme constitue l’une de ces alternatives au système. Il s’agit d’un courant de pensée et d’action axé sur l’écologie qui s’appuie sur les fondements du marxisme, tout en se débarrassant de ses scories productivistes. Les écosocialistes considèrent que la logique des marchés et la logique de l’autoritarisme bureaucratique sont incompatibles avec la nécessité de sauvegarder l’environnement. Des penseuses et des penseurs tels que Rachel Carson ou James O’Connor (États-Unis), André Gorz (France), Frieder Otto Wolf (Allemagne) et Manuel Sacristán (Espagne) comptent parmi les pionniers de l’écosocialisme. Plus récemment, les travaux de Joel Kovel, John Bellamy Foster et Ian Angus ont développé l’argument écosocialiste.
La rationalité de l’accumulation, de l’expansion et du développement propre au capitalisme – en particulier dans sa forme néolibérale contemporaine – est guidée par des calculs à court terme et entre intrinsèquement en contradiction avec la rationalité écologique et la protection à long terme des cycles naturels. La concurrence impitoyable, les exigences de rentabilité, la culture du fétichisme de la marchandise et la transformation de l’économie en une sphère autonome, échappant au contrôle de la société ou des pouvoirs politiques, détruisent les équilibres naturels.
Une politique économique radicalement alternative se fonderait sur les critères non monétaires des besoins sociaux et de l’équilibre écologique. Le remplacement de la micro-rationalité du profit par une macro-rationalité sociale et écologique exige un changement de paradigme civilisationnel, concernant non seulement la production, mais aussi la consommation, la culture, les valeurs et les styles de vie.
Dans une société écosocialiste, des secteurs entiers du système productif seraient restructurés et de nouveaux secteurs seraient développés, de sorte que le plein-emploi soit assuré. Cependant, cela est impossible sans un contrôle public et une planification démocratique des moyens de production. Les décisions relatives aux investissements et aux changements technologiques doivent donc être soustraites aux banques et aux entreprises capitalistes afin de servir le bien commun. Une économie en transition vers l’écosocialisme doit ainsi être « réinscrite », comme le dirait Karl Polanyi, dans l’environnement social et naturel. Dans ce cadre, la planification démocratique signifie que les investissements productifs sont choisis par la population, et non par les « lois du marché » ou un Politburo omniscient. Loin d’être « despotique », cette planification constitue la manière dont une société exerce sa liberté et se libère de l’aliénation et de « lois économiques » réifiées.
La planification et la réduction du temps de travail sont les deux étapes les plus décisives de la marche de l’humanité vers ce que Marx appelait « le royaume de la liberté ». Une augmentation significative du temps libre s’avère en effet nécessaire pour que les travailleurs et travailleuses puissent participer au débat démocratique et à la gestion de l’économie et de la société. Le passage du « progrès destructeur » du capitalisme au socialisme est un processus historique, une transformation révolutionnaire permanente de la société, de la culture et de la subjectivité. Cette transition conduirait non seulement à un nouveau mode de production et une société égalitaire, mais aussi à un « mode de vie » alternatif, à une nouvelle civilisation écosocialiste, au-delà du règne de l’argent. Une telle transformation révolutionnaire des structures sociales et politiques ne peut s’opérer sans le soutien actif d’une majorité de la population à un programme écosocialiste. Le développement de la conscience socialiste et de la sensibilité écologique constitue un processus dans lequel le facteur décisif est l’expérience collective de lutte vécue par chacun et chacune, à travers des confrontations locales et partielles.
Certains écologistes pensent que la seule alternative au productivisme consiste à « arrêter la croissance » ou à la remplacer par une croissance négative – nommée « décroissance ». Cette dernière repose sur une réduction drastique de la consommation, qui viserait à diviser par deux les dépenses d’énergie, tandis que les particuliers renonceraient au chauffage central, aux machines à laver, etc. Les écosocialistes, de leur côté, mettent plutôt l’accent sur une « transformation qualitative » de la production et de la consommation. Cela signifie qu’il faut mettre fin au gaspillage monstrueux des ressources par le capitalisme, qui repose sur la production à grande échelle de produits inutiles et/ou nuisibles, comme c’est le cas avec l’industrie de l’armement. De nombreux « biens » produits par le capitalisme sont intrinsèquement obsolètes ; ils sont conçus pour être remplacés rapidement afin de générer des profits. Dans une perspective écosocialiste, la question n’est donc pas tant celle de la « consommation excessive » que celle du « type » de consommation. Une économie fondée sur l’aliénation mercantile et l’acquisition compulsive de pseudo-nouveautés imposées par la « mode » est tout simplement incompatible avec une rationalité écologique.
Une société nouvelle orienterait la production vers la satisfaction des besoins authentiques, à commencer par ceux qualifiés de « bibliques » – eau, nourriture, vêtements, logement –, et sur les services publics de base tels que la santé, l’éducation et les transports. Les besoins authentiques seraient clairement distingués des besoins artificiels ou fictifs induits par une industrie publicitaire manipulatrice. La publicité est une dimension indispensable de l’économie de marché capitaliste, qui n’a pas sa place dans une société en transition vers le socialisme. Dans cette dernière, les gens seraient informés sur les biens et les services par des associations de consommateurs. Le test pour distinguer les besoins authentiques des besoins artificiels consisterait à voir lesquels persistent après la suppression de la publicité.
Les écosocialistes travaillent à la construction d’une vaste alliance internationale entre le mouvement ouvrier, les mouvements écologistes, autochtones, paysans et féministes, et d’autres mouvements populaires dans le Nord global et le Sud global. Ces luttes peuvent mener à une alternative socialiste et écologique, mais pas en tant que résultat inévitable des contradictions du capitalisme ou des « lois de fer de l’histoire ». Il n’est pas possible de prédire l’avenir, si ce n’est au conditionnel. Ce qui est clair, cependant, c’est qu’en l’absence d’une transformation écosocialiste, c’est-à-dire d’un changement radical de paradigme civilisationnel, la logique du capitalisme ne peut que conduire la planète vers des désastres écologiques dramatiques, menaçant la santé et même la vie de milliards d’êtres humains, voire la survie de notre espèce.