Autonomie zapatiste

Xóchitl Leyva Solano

zapatisme, pratiques autonomes, bon gouvernement, luttes anticapitalistes

L’autonomie zapatiste est un élément central des pratiques de résistance et de rébellion du mouvement zapatiste. Elle comprend des modes, des processus et des réseaux de lutte, de gouvernement et de vie rebelle qui, ensemble, constituent une alternative radicale au système établi et à ses institutions. L’autonomie zapatiste émerge du bas et de la gauche en temps de guerre. Elle comporte de multiples facettes.

En tant que résistance. La longue résistance de l’Armée zapatiste de libération nationale (ezln) a été mentionnée dans la Première Déclaration de la forêt lacandone, le 1er janvier 1994 : « Nous sommes le produit de 500 ans de lutte. » L’ezln a alors déclaré la guerre au gouvernement et a appelé le peuple mexicain à se joindre à sa lutte pour le travail, la terre, le logement, la nourriture, la santé, l’éducation, l’indépendance, la liberté, la démocratie, la justice et la paix. En 1994, l’ezln a également annoncé la création de 38 municipalités rebelles, rompant ainsi le siège militaire et affrontant politiquement la stratégie de contre-insurrection mise en œuvre par le gouvernement.

En tant que bon gouvernement, digne et rebelle. L’ezln a trouvé un soutien pour ses premières actions dans l’article 39 de la Constitution mexicaine, qui stipule que « le peuple détient toujours le droit inaliénable de changer ou de modifier sa forme de gouvernement ». L’appel à cet article s’est renforcé après le refus du gouvernement de respecter les accords de San Andrés signés en 1996 avec l’ezln. Contrairement à ce que prévoyaient ces accords, le gouvernement n’a pas généré un nouveau cadre constitutionnel qui aurait rendu possible l’exercice de l’autonomie et de l’autodétermination par les peuples autochtones, dans tous les domaines et à tous les niveaux.

Confronté à l’amplification d’une guerre d’usure prolongée, le mouvement zapatiste a mobilisé des pratiques et des réseaux de gouvernements autonomes tissés à partir des communes populaires, donnant naissance aux municipalités autonomes rebelles zapatistes (municipios autónomos rebeldes zapatistas – marez) et aux régions et zones zapatistes. Toutes ces entités sont organisées selon le principe du « gouverner en obéissant », qui repose sur les fondements suivants :

- servir et non pas être servi ;

- représenter et non pas supplanter ;

- construire et non pas détruire ;

- obéir et non pas commander ;

- proposer et non pas imposer ;

- convaincre et non pas vaincre ;

- descendre et non pas monter.

Ces fondements en action ramènent l’éthique au cœur de la politique et dénoncent les pratiques de « mauvais gouvernement » du système politique mexicain, notamment la corruption, la violence et l’impunité.

Lorsque « le peuple commande et le gouvernement obéit », cela implique des « devoirs » et des « obligations » permanents de la part du peuple et du gouvernement. L’élection des autorités se fait, en général, par des assemblées. Les autorités des différents niveaux sont les suivantes : les agents autonomes et les commissars ; les membres des conseils autonomes municipaux et régionaux ; les coordinateurs des différents domaines de travail ; et les membres des différentes commissions et des conseils de bon gouvernement (juntas de buen gobierno), qui opèrent au niveau de chaque zone et siègent dans les caracoles zapatistes1.

Le gouvernement autonome zapatiste est organisé selon des « domaines de travail » qui changent avec le temps et d’une municipalité à l’autre, mais qui incluent généralement : la santé, l’éducation, l’agroécologie, les femmes, les questions agraires, la justice, la communication, le commerce, le transport, l’administration et l’état civil. Dans ces domaines et à d’autres niveaux de gouvernement, les différents postes sont occupés par rotation, de manière collective, et sans rémunération. Chaque personne qui participe est reliée aux autres sur la base de son propre potentiel et de sa capacité à être, à faire, à apprendre et à désapprendre. Ce faisant, les zapatistes remettent en question les formes dominantes d’organisation sociale et de pouvoir fondées sur le classement des individus et le travail salarié spécialisé.

Comme une alternative radicale, intégrale et créatrice de vie. Le soutien populaire et local du mouvement zapatiste est composé de campesinos et campesinas autochtones qui cultivent la terre pour assurer leur subsistance et leur reproduction et génèrent ainsi les conditions matérielles de leurs luttes autonomes. Les femmes occupent une place centrale, tout comme la terre/le territoire et la Terre-Mère, en tant que créatrices et donneuses de vie.

La loi révolutionnaire des femmes zapatistes a incorporé les femmes dans la lutte révolutionnaire en insistant et en veillant sur leurs droits politiques et sociaux et leur intégrité physique et morale. Le contenu de cette loi n’aurait eu aucun sens sans le soutien des femmes de terrain qui, en dialogue avec les femmes armées de l’ezln, en sont venues à incarner ces luttes dans tous les sens du terme : face à l’armée d’occupation ; en cultivant quotidiennement la terre de leurs propres mains ; en récupérant les territoires perdus ; en resocialisant leurs propres enfants ; en organisant des coopératives ; en tant que professeures d’éducation autonome ; en tant que promotrices de la guérison autonome ; et en tant que réalisatrices de radio et de vidéos. Il ne fait aucun doute que la lutte zapatiste a pris racine grâce aux femmes et aux hommes de terrain. Avec leur soutien, la politique zapatiste a acquis une force que beaucoup d’autres expériences révolutionnaires n’ont pas pu atteindre, car elles n’ont pas réussi à relier leurs luttes aux sphères de la vie quotidienne et à intégrer les dimensions des femmes, de la famille, de la communauté, de la vie ordinaire, des collectifs et de la transnationalité.

Comme une référence clé à la mondialisation par le bas qui est en cours. Vingt ans après la première Rencontre intercontinentale zapatiste pour l’humanité et contre le néolibéralisme, Alejandra, jeune tutrice de la Petite École zapatiste (Escuelita Zapatista), résume ainsi la conscience planétaire glocale2 zapatiste :

« Comme nous le savons, le système capitaliste fait ce qu’il veut ; il décide comment gouverner, comment nous devons vivre, et c’est ce que nous ne voulons pas. […] Nous ne luttons pas seulement pour notre propre intérêt […], nous voulons la liberté pour toutes et tous […]. En tant que zapatistes, nous n’utilisons pas d’armes […] ; nous utilisons nos mots, notre politique ; […] nous voulons vaincre le système, c’est notre objectif principal. » (ezln, 2014, no 1 : 53)

Pour aller plus loin

cideci-UniTierra Chiapas, www.seminarioscideci.org

Enlace Zapatista, www.enlacezapatista.ezln.org.mx

ProMedios de Comunicación Comunitaria, www.promedioschiapas.wordpress.com

Radio Zapatista, www.radiozapatista.org

ezln (2013), Cuadernos de texto de primer grado del curso, Mexico : Escuelita Zapatista-ezln.

ezln (2014), Rebeldía Zapatista: la palabra del ezln, no 1 et no 3, www.enlacezapatista.ezln.org.mx

ezln (2016), Critical Thought in the Face of the Capitalist Hydra I: Contributionsby the Sixth Commission of the ezln, Brisbane : PaperBoat Press.

Xóchitl Leyva Solano est cofondatrice de collectifs et de réseaux altermondialistes au sein desquels elle milite. Chercheuse au ciesas Sureste du Chiapas, au Mexique, elle a coproduit de nombreuses vidéos et réalisations multimédias, et a rédigé plusieurs articles et livres avec des femmes et de jeunes autochtones en résistance. Ces productions sont utilisées dans des contextes militants, universitaires et communautaires.

  1. ndt : Les caracoles sont les centres régionaux où se déroulent les activités politiques et culturelles qui associent plusieurs municipalités autonomes.
  2. ndt : Adjectif issu de la contraction de « global » et « local ».