Abstract

Ce mémoire explore les techniques narratives du cinéma d’exposition à travers le prisme de deux notions inhérentes au cinéma et à l’expérience humaine; l’espace et le temps. En s’intéressant à la manipulation de ces paramètres, cet exposé permet de comprendre comment notre perception, nos sens et notre corps peuvent avoir un impact sur la narration d’un film, la co-construisent en quelque sorte.

Dans le cinéma d’exposition et antérieurement dans le dispositif vidéo, cette relation de spectateur-acteur au film est fondamentale. Elle redéfinit les frontières de l’écran de projection dans une dimension immersive qui déplace l’expérience du spectateur dans une expérience sensible, physique et singulière du film.


Introduction

Les expérimentations vidéo dans le domaine de l’art contemporain engendrent un glissement et une modification des représentations cinématographiques traditionnelles. Elles redéfinissent le dispositif cinématographique en créant de nouveaux espaces de projection, tant sur le plan architectural que technique. Ces innovations permettent de repenser la place du spectateur et d’explorer des formats narratifs alternatifs, remettant ainsi en question les conventions établies du cinéma traditionnel. Il reflète l’ouverture croissante de l’histoire de l’art aux domaines cinématographiques, vidéographiques et technologiques, en lien avec l’évolution des pratiques artistiques contemporaines.

Le cinéma étendu1(Expended cinema), le cinéma d’exposition et toute autre forme de pratique cinématographique « installée dans l’espace » ont pour point commun de rompre avec le paradigme moderniste qui remet en question l’espace de monstration de l’œuvre. Dans le cinéma d’exposition, les limites de l’écran de projection disparaissent, le film s’étend dans l’espace et se répartit sur divers écrans ou supports de projection. Le film en tant que tel devient multiple, fragmentaire…

La salle de cinéma construite sur le modèle de la salle de théâtre traditionnelle induit un public statique qui regarde une projection sur un écran unique. Dans l’organisation du cinéma d’exposition, le film interagit de manière dynamique avec le corps du spectateur qui déambule dans l’espace d’exposition et devient en quelque sorte le visiteur d’un film.

Donner une définition claire et précise du cinéma d’exposition s’avère compliqué de par l’hétérogénéité des productions. En réalité, s’il existe autant d’œuvres que de définitions possibles, nous pouvons tout de même associer le cinéma d’exposition à des pratiques issues du champ des arts plastiques comme la sculpture, l’installation et la performance. Les connexions avec l’art sonore et l’art vidéo sont également nombreuses. L’arrivée des technologies numériques a aujourd’hui bouleversé définitivement les paradigmes de production et de diffusion du cinéma. Dans l’espace d’exposition, le film se transforme en œuvre multidimensionnelle.


Narrations alternatives ?


Pour raconter leurs « histoires », les œuvres de cinéma d’exposition ne misent pas seulement sur le contenu, mais aussi et surtout sur l’expérience du spectateur-visiteur. Pour mener à bien cette expérience, il est essentiel de considérer les deux notions fondamentales qui régissent notre réel : l’espace et le temps. Les œuvres de cinéma d’exposition qui s’étendent dans l’espace développent une forme d’immersivité qui demande au spectateur de s’adapter à un environnement pour percevoir le film dans son intégrité. Le spectateur est appelé à évoluer entre les parties séparées de l’œuvre filmique pour en reconstruire un ensemble cohérent, ce qui ajoute une dimension sensorielle et participative à son expérience sensible. Il faut ici aborder la question d’un point de vue phénoménologique.


En phénoménologie2, on a longtemps dissocié le corps et l’esprit pour tenter de revenir à une limite plus fluide entre le dedans et le dehors. L’installation immersive donne au cinéma d’exposition l’occasion de jouer avec cette limite. Le corps du spectateur rentre dans le film en tant qu’acteur. Il faut ici parler du Spect’acteur3. Une installation immersive de cinéma d’exposition plonge le spectateur-visiteur dans une œuvre filmique qu’il va pouvoir explorer. Il s’agira d’expérimenter d’autres relations entre son propre corps et le film. Le corps du spectateur est projeté dans un univers sensoriel qui appartient à l’espace d’exposition autant qu’au film, qu’il soit narratif ou abstrait.

Dans ce mémoire, j’aimerais articuler ma réflexion autour de deux notions inhérentes au cinéma, l’espace et le temps. Je vais m’intéresser à différents films/dispositifs/installations et à leurs différents procédés narratifs, tout en portant une attention particulière au spectateur, à la place du corps et à ses perceptions.


Par quels moyens les œuvres de cinéma d’exposition parviennent-elles à manipuler les éléments spatio-temporels pour créer une narration alternative et une expérience à la fois contrôlée et propre au spectateur ?


  1. Notion qui désigne un nouveau mouvement des années 1960–1970 et qui englobe différents supports médiatiques (ordinateur, vidéo, télévision), devenus par un acte créateur, supports artistiques. ↩︎

  2. La phénoménologie est l’étude de phénomènes, étude dont la structure se fonde sur l’analyse directe de l’expérience vécue par un sujet. On cherche le sens de l’expérience à travers les yeux d’un sujet qui rend compte de cette expérience dans un entretien ou dans un rapport écrit. ↩︎

  3. Le spect’acteur (prosumer en anglais, pour producer/consumer) que décrit Pierre Barboza, intervient dans la narration : à la confluence entre le spectateur qui est témoin de l’action et l’acteur qui agit, le spect’acteur apporte une notion d’interactivité avec le contenu.

    ↩︎


La dimension spatiale de l’œuvre

L’espace d’exposition

Les œuvres de cinéma d’exposition et leurs procédés narratifs fonctionnent, car elles sont dans un lieu donné et fini. Elles s’accompagnent d’un cadre, d’un contexte et d’une scénographie qui contribuent ensemble au déroulement de la narration. La création d’une scénographie passe par plusieurs éléments essentiels, tels que l’échelle du lieu, des objets, des projections, le son, la lumière, la mise en place des différents dispositifs, leurs formes, couleurs, matériaux, induisant ou non la participation du corps dans l’espace.

L’échelle du lieu et du dispositif vidéo

Quand on parle d’échelle dans le cinéma d’exposition, on sous-entend alors plusieurs choses ; l’échelle du lieu d’exposition et/ou l’échelle du dispositif vidéo, dans un rapport au corps. Un dispositif d’exposition confiné et un espace d’exposition induiront une relation sensible différenciée entre le spectateur et l’œuvre. L’impact visuel et l’immersivité d’une image grand format sur le spectateur opère dans ce rapport d’échelle. Face à un écran grand format, comme c’est le cas dans la salle de cinéma, le spectateur passif peut oublier son propre corps pour se fondre dans l’image et les fictions qu’elle lui porte. L’image petit format, en général diffusé sur un moniteur, induit un rapport sensible tout à fait différent avec le spectateur. Celui-ci est non plus dissous dans une image, mais face à un objet réduit bien circonscrit qu’il est en mesure de « dominer ». L’image est un objet non-immersif réduit à lui-même.

Le cinéma d’exposition travaille donc avec ces rapports d’échelle dans des espaces et des dispositifs à géométrie variable. Ces rapports d’échelle sont signifiants dans la construction du rapport entre l’œuvre et le spectateur, mais influent aussi sur la structure narrative des œuvres.
Si la salle de cinéma est conçue pour se faire oublier, il existe certains dispositifs vidéo qui confinent le corps du spectateur, qui le contraignent à exister au sens physique du terme comme faisant partie intégrante de l’œuvre.


En exemple, il y a dans l’histoire de l’art vidéo des années 90, une installation vidéo de Mona Hatoum qui s’intitule Corps étranger4. Réalisée en 1994, si cette œuvre précède la notion de Cinéma d’exposition, elle l’anticipe à bien des égards.

Mona Hatoum, Corps étranger (1994)

Dans Corps étranger, Mona Hatoum fait le choix d’isoler le sujet. Le spectateur accède à la vidéo en entrant dans une capsule cylindrique.Mona Hatoum, Corps étranger (1994), Centre Georges Pompidou, 1994, Paris, France. La vidéo est projetée de façon circulaire au sol. L’artiste révèle au spectateur des images vidéo de l’intérieur de son corps réalisées à l’aide d’une caméra endoscopique. Appareil normalement réservé à l’imagerie médicale. Du point de vue narratif, la structure conçue par l’artiste pour accueillir la vidéo endoscopique influence dès le départ la réception de l’œuvre par les spectateurs. En lui demandant de rentrer dans un espace si étroit, l’artiste crée ainsi une sensation d’intimité, à laquelle s’ajoute l’obscurité, le son et la vidéo. En réalisant cette mise en scène, elle configure alors un espace immersif à travers lequel le spectateur développe instantanément une sensation de proximité et d’intimité avec elle. Cette proximité, face à des images si étrangères, peut provoquer un malaise et un certain inconfort. En révélant son intimité de façon aussi directe, l’artiste place le spectateur en tant que voyeur.

En exemple plus récent, nous pouvons citer une œuvre de cinéma d’exposition qui comme chez Hatoum immerge le spectateur en l’enfermant dans son dispositif. Cependant, il s’agit ici d’un espace moins étroit qui permet de donner au spectateur une impression de distance entre lui et l’image. Il est important de souligner qu’au-delà de l’échelle du lieu, la taille des éléments vidéo joue un rôle important dans la transmission et la réception du propos de l’auteur. L’impact visuel et émotionnel change, lorsque l’on se retrouve face à une vidéo de taille réduite, ou encerclé par de vastes projections.

L’artiste suisse Ugo Rondinone, réalise entre 2001 et 2002, Roundelay, directement inspirée d’un poème de Samuel Beckett au titre éponyme. Dans cette installation vidéo on pénètre dans un dispositif immersif réalisé avec 6 écrans formant un hexagone et 18 haut-parleurs. Dans l’enceinte de ce lieu, le ou les spectateurs reçoivent les sons et les images projetées d’un film vidéo à six facettes.

Ugo Rondinone, Roundelay (2003), Centre Georges Pompidou (Paris)

Un homme et une femme, marchent sans jamais se croiser dans les rues du quartier de Beaugrenelle à Paris. Les notions de « boucle » et de « délais » énoncés dans le titre prennent sens dans les images ; On observe ces deux personnages errer, seul au milieu des architectures sans fin et déshumanisantes de ce quartier. L’architecture de la pièce circulaire évoque la notion de boucle dans laquelle les deux personnages sont pris au piège. La structure du dispositif de diffusion redouble la stratégie narrative du film d’exposition Roundelay. Les angles, les lignes et points de fuite des architectures filméesUgo Rondinone, Roundelay (2003), Centre Georges Pompidou, du 5 mars au 28 avril 2003(Paris). projetés sur les écrans sont le décor qui conduit les deux personnages et le spectateur dans un labyrinthe mental.

La spatialité du son

L’utilisation du son ou non, est un choix narratif qui influence directement les images. Il n’aura pas la même portée en fonction de l’échelle de la pièce, de ses caractéristiques techniques (volume, résonance), et de sa spatialité dans le lieu. Le son peut manipuler la perception que se fait le visiteur de l’espace. Mais peut aussi être utilisé pour mettre en valeur certains éléments visuels en coordonnant les images, ou tout simplement pour raconter une histoire.

Pour accompagner son installation, Rondinone utilise un dispositif de son créé pour six canaux et diffusé en surround5. Rajoutant ainsi une dimension d’autant plus immersive. Roundelay s’appuie sur une bande-son inspirée d’une musique de Philip Glass, Glass étant connu pour ses motifs répétitifs et puissants. Les images ne se contentent pas d’apparaître, mais sont intégrées dans l’atmosphère sonore. Au lieu de rester dans un état de contemplation calme (rêverie), l’œuvre conduit le spectateur à une exploration plus désordonnée ou indéfinie (errance), où l’on se perd dans les sensations et les émotions.

Lumière et projection dans l’espace

La perception, étroitement liée à la vision, dépend de la présence de la lumière. Lorsque celle-ci disparaît, nous perdons notre capacité à voir, ce qui entraîne une désorientation et une perte de repères. Dans le même temps, nos autres sens (le toucher, l’odorat, le goût et l’ouïe) deviennent plus sensibles.
L’obscurité peut alors être perçue comme une forme d’immersion. Une fois plongé dans le noir, loin d’un environnement éclairé, notre perception du temps et de l’espace est perturbée. Ainsi, la pénombre, tout comme un éclairage immersif, occupe le vide. Alors que la lumière nous permet de voir, de s’orienter, d’explorer, l’absence de lumière, pour beaucoup une source d’angoisse, nous coupe du monde. Incapable d’appréhender ce qui nous entoure, l’obscurité nous rend vulnérable. Cela souligne l’importance de la lumière, non seulement pour la survie, mais aussi pour vivre des expériences spatio-temporelles.

Il est possible de jouer avec la lumière et l’éclairage pour renforcer l’aspect immersif d’une installation, mais il est tout aussi important de considérer la lumière pour ce qu’elle est, un médium. En effet, il ne faut pas négliger la plasticité de la lumière et les nombreuses possibilités qu’elle offre à une installation.

On sait depuis la naissance du cinématographe, que la lumière est consubstantielle du film projeté. La lumière permet de projeter des images sur différentes surfaces, transformant chaque recoin de la pièce en un écran potentiel. La maîtrise du médium « lumière » ouvre la voie à des techniques numériques contemporaines comme le mapping vidéo qui permet de contrôler les dimensions et la forme d’une image projetée et de la superposer aux structures tridimensionnelles de l’architecture. Le cinéma d’exposition en hérite ici dans un espace de projection contrôlé.

Les arts visuels n’ont bien sûr pas attendu le cinéma pour prendre en compte l’importance de la lumière. Des peintures de la renaissance jusqu’à l’art contemporain, la lumière a toujours été un facteur non-dissociable d’une œuvre. La révolution opérée par certains artistes du XXe siècle réside dans l’utilisation de la lumière artificielle comme matériau à part entière. Avec The Diagonal of May 25Dan Flavin, the diagonal of May 25, 1963 (à Constantin Brancusi), 1963, l’artiste Dan Flavin, réalise la première œuvre constituée uniquement d’un tube fluorescent et ouvre ainsi la voie à de nouvelles expérimentations plastiques et esthétiques de la lumière.


Dans l’art contemporain, quand on parle de plasticité de la lumière, il est impossible de ne pas mentionner Anthony McCall ou James Turrell, deux figures emblématiques qui explorent la lumière comme matériau central de leurs œuvres.

La série Skyspace de James Turrell se compose d’installations dotées d’ouvertures rondes, ovales ou carrées dans le plafond, ouvrant sur le ciel. Ces œuvres, qu’elles soient autonomes ou intégrées à des structures existantes, offrent une nouvelle manière d’appréhender ce qui nous entoure. En alliant lumières naturelles et artificielles, Turrell crée des mélanges de couleurs qui renforcent l’aspect surréaliste de ces espaces. Le ciel est redéfini comme une toile vivante/un écran qui change selon les conditions météorologiques.

James Turrell, Green Mountain Falls Skyspace (2022)

L’écran

L’écran occupe une place centrale dans le cinéma et devient particulièrement actif dans le contexte du cinéma d’exposition. On peut faire le parallèle dans l’histoire de l’art avec le tableau, le cadre. Dans le cinéma traditionnel, l’écran représente le cadre à travers lequel l’histoire se déroule. C’est la frontière entre le monde fictionnel projeté et l’espace physique du spectateur. La mise en scène, le cadrage et la composition visuelle sont soigneusement orchestrés pour guider l’attention du public à travers cet écran et dérouler la narration. Dans le cinéma d’exposition, l’écran est souvent réinventé et démultiplié. La multiplicité des écrans devient une toile sur laquelle l’histoire peut se déployer de manière non-linéaire. Pierrick Sorin utilise très régulièrement plusieurs écrans pour ses productions vidéo. À travers ses films, il traite de ses échecs ordinaires tout en laissant transparaître un drame plus profond, lié à l’incapacité de faire face à des questions existentielles. Dans ses installations vidéo, il exploite des thèmes qui parlent à tout le monde comme l’intimité, la banalité, l’enfance…

Pierrick Sorin, J’ai même gardé mes chaussons pour aller à la boulangerie, 1993, Centre George Pompidou, Paris, France

J’ai même gardé mes chaussons pour aller à la boulangerie, est une installation vidéo qui se compose de 6 moniteurs, 6 socles de tailles différentes et 5 bandes-vidéo, le tout dans une salle noire. On y voit l’artiste lui-même, à la manière d’un autoportrait ou « auto-filmage », qui s’exprime sur ses difficultés et sa relation au monde. Le tout ponctué d’éléments comiques, il explore des thèmes comme l’enfermement dans des problèmes existentiels et le dédoublement de personnalité. L’influence du burlesque se fait ressentir dans ses choix par l’humour, l’absurde, la répétition… En résulte un travail à la fois simple, humoristique et profond. Dans ce cas précis, la multiplicité des écrans et des scènes permet au spectateur de se sentir plus proche de l’artiste, de rentrer un peu plus dans son intimité. Sorin joue avec la technologie pour mettre en avant des aspects qui échappent à la rationalité. Ici, la multiplicité des écrans appuie cette idée de dédoublement de soi, de perte de contrôle du soi et du monde.


Dans d’autres cas, la multiplicité des écrans peut être utilisée pour jouer avec l’espace et inviter le spectateur à participer activement à l’expérience. Ces installations mettent à profit l’espace pour créer des environnements immersifs. L’installation Electric Earth de Doug Aitken se déploie sur plusieurs salles et plusieurs projections. Contrairement à l’œuvre de Pierrick Sorin où la narration se construit en simultané, ici elle se construit par fragments. C’est en se déplaçant dans l’espace que le spectateur va reconstituer l’histoire. Au-delà de l’aspect visuel, la multiplicité des écrans ainsi que leurs formats, viennent aussi toucher le spectateur autrement ; l’installation raconte l’histoire d’un jeune homme sûr stimulé par son quotidien. La lumière, les bruits, les objets électroniques…

Doug Aitken, Electric Earth (1999), Whitney Museum of American Art, New York, États-Unis.

Immerger le spectateur dans cet environnement, entouré d’images en mouvement et de sons imposés, lui offre l’opportunité de ressentir, même brièvement, les émotions du protagoniste. Réaliser cette installation à une échelle réduite n’aurait pas eu la même influence. L’expérience offerte par la scénographie du lieu éveille déjà des émotions chez le spectateur et fait écho à ce qu’il s’apprête à voir. La narration se crée alors à travers les images et l’expérience vécue.

Multiplier les écrans peut être très intéressant pour construire une narration, mais penser la projection au-delà de l’écran peut aussi apporter une autre dimension à une œuvre. Le cinéma d’exposition intègre fréquemment diverses technologies pour repousser les limites de l’écran traditionnel comme dans Steam Screens de Stan Van Der BeekJoan Brigham et Stan VanDerBeek, Steam Screens, Projection multiple sur vapeur, 1979 où la projection se fait sur un nuage de vapeur, ou encore dans les Théâtres optiques de Pierrick Sorin, où il met en scène des petits personnages sous forme d’hologrammes qui viennent interagir avec le réel.

Pierrick Sorin, Théâtres optiques, « Pierrick Sorin / Œuvres disponibles 1988–2019 », Maison des Arts de Bages, du 2 juillet au 28 août 2022, Bages, France.

Penser le cinéma dans son espace, et utiliser la matérialité même du lieu pour réaliser sa projection et pour dérouler les images fait basculer la place du spectateur. Traditionnellement passif dans une salle de cinéma, il entre alors en action. Allant même jusqu’à influer sur le résultat de l’œuvre ; Dans Steam Screens ou encore Solid Light, d’Anthony McCallAnthony McCall, Solid Light, du 12 janvier au 11 mars 2018. les participants peuvent modifier la surface de projection avec leurs corps en déplaçant la vapeur, mais peuvent aussi intercepter la lumière pour devenir eux-mêmes des surfaces de projections. L’écran devient non seulement un médium de visualisation, mais aussi un élément interactif qui transforme la façon dont les histoires sont racontées et reçues. L’écran n’est plus simplement une fenêtre, mais devient un portail vers des mondes narratifs expansifs et expérimentaux.


Dans le cinéma d’exposition, l’écran n’a plus seulement une fonction technique. Sa dimension esthétique, symbolique et sa matérialité dans l’espace entrent aussi en jeu. L’écran constitue tout autant l’œuvre filmique que les images diffusées. Dans Two Sides to Every Story (1974), Michael Snow divise l’espace d’exposition en deux à l’aide d’un écran suspendu par un fil. Chaque face de l’écran diffuse en boucle deux vidéos identiques d’une femme qui évolue dans l’espace entre deux caméras disposées d’un bout à l’autre de la pièce. À la seule différence que les deux vidéos ont été enregistrées depuis les deux perspectives opposées.

Michael Snow, Two Sides to Every Story (1974), àngels barcelona, Barcelone, Espagne

Bien qu’il existe deux vidéos en une, il est impossible de définir laquelle des faces de l’écran correspond à l’avant ou à l’arrière, les deux côtés coexistent de façon égale et simultanée. De même que pour la perception de l’espace, qui varie uniquement en fonction du positionnement du spectateur et qui lui est propre. Là où on observe généralement un film d’un seul point de vue, ici le cinéma se redéfinit comme une expérience spatiale dans laquelle le spectateur n’est plus confiné à un point de vue unique. Les mouvements du regard du spectateur ne sont plus restreints à une direction linéaire, mais plutôt libre de naviguer à travers les divers écrans, chacun offrant une perspective unique sur la narration. L’espace devient un composant narratif essentiel, élargissant les horizons de l’expérience cinématographique et encourageant une redéfinition constante de la relation entre le spectateur, l’écran et la narration.

Michael Snow, Two Sides to Every Story (1974), àngels barcelona, Barcelone, Espagne (1)
Michael Snow, Two Sides to Every Story (1974), àngels barcelona, Barcelone, Espagne (2)

Le corps

La peinture, la sculpture et le cinéma sont des arts de l’espace visuel, car ils nécessitent une certaine distance physique entre l’œuvre et le spectateur. Chaque œuvre impose un rythme d’observation depuis l’extérieur, chacune d’elles est conçue en fonction de l’œil du spectateur, généralement immobile devant l’œuvre. Dans une installation immersive, en revanche, le corps du visiteur devient une composante active et sensible du rythme de l’œuvre. Le cinéma au sens large engage un dialogue avec le spectateur, mais surtout nécessite sa collaboration. Dans du cinéma d’exposition, la collaboration du spectateur se fait non seulement par son engagement mental et sa concentration, mais également à travers sa corporalité. Avant les dispositifs de cinéma d’exposition, de nombreuses œuvres d’art vidéo des années 70 engagent le spectateur dans un parcours, linéaire ou non, fini ou infini, dépendamment du lieu et de sa scénographie. Par exemple, lorsque l’on s’intéresse à la pièce de Bruce Nauman, Going around the corner piece (1970), on note que l’artiste contraint le visiteur à se positionner à la fois en tant que spectateur et acteur de sa propre création.

Bruce Nauman, Going around the Corner Piece (Prendre le tournant), 1970 « Bruce Nauman: Disappearing Acts », MoMA The Museum of Modern Art.

Lorsque le visiteur se déplace dans cette salle, les seuls éléments qui se détachent du décor sont 4 caméras vidéo et des moniteurs sur lesquels sont diffusés la retranscription vidéo (légèrement différée) de sa silhouette vue de dos. Il tourne en rond dans cet espace, se découvrant sans cesse disparaître à l’angle suivant, comme une simple réminiscence. Au-delà de l’inconfort que suscite ce décor, une frustration s’installe chez le spectateur, qui lutte en vain pour capturer son image à l’instant précis. Ce cercle vicieux le pousse à courir après lui-même, piégé dans une quête désespérée.


  1. Le titre «  Corps étranger  » renvoie à de multiples significations. Pour l’artiste, l’insertion d’un matériel médical, représentant un corps étranger en elle, peut être une expérience désagréable. De plus, faire face à des images d’elle-même, qui lui sont complètement inconnues et qui font pourtant intrinsèquement partie d’elle, crée un rapport complexe avec son image. Ces images, presque abstraites et impersonnelles d’un corps vivant, la confrontent de nouveau à cette notion de corps étranger. ↩︎

  2. L’objectif du son surround est d’entourer l’espace de son ; Par conséquent, plus vous ajoutez de canaux, plus l’expérience d’écoute est immersive.

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La dimension temporelle de l’œuvre

La perception du temps dans l’espace

Une certaine partie de l’art contemporain s’éloigne de l’œuvre « objet » pour se rapprocher de l’œuvre « espace », notamment à travers ces installations immersives, créatrices d’expériences, mettant alors l’accent sur la participation du spectateur. En s’éloignant de l’œuvre « objet » et en mettant l’accent sur l’expérience vécue par le spectateur, l’installation immersive devient créatrice d’un événement éphémère et d’un lieu d’expérimentation personnelle. Dans une certaine mesure, le cinéma d’exposition et/ou d’installation se rapproche davantage de l’œuvre « espace » que de l’œuvre « objet ».

L’installation se définit principalement en termes d’intensité relationnelle et de co-présence entre l’œuvre et le spectateur. Une installation immersive se définit par les effets qu’elle va générer sur le spectateur. Dans les premières installations vidéo immersives de Dan Graham, ce rapport entre le corps et l’espace est conditionné par un dispositif vidéo en temps réel. L’immersivité ici contribue à mettre en œuvre un questionnement sur la relation au temps, à la présence et donc à la perception que le spectateur a du réel.

Dan Graham, Present Continuous Past(s) (1974), Présentation dans « Extra-large », Forum Grimaldi, Monaco, 2012

Dans son installation Present Continuous Past(s), Dan Graham met en place un lien entre le temps et l’espace. L’installation est composée de deux murs-miroirs, d’une caméra qui filme la pièce et d’un moniteur. Ce dernier affiche les images avec un délai de huit secondes. L’artiste se retire de l’installation et donne la place au spectateur qui a désormais un rôle participatif. Par ailleurs, l’œuvre porte une critique sur la civilisation médiatique ;
En entrant dans cette installation, les visiteurs prennent conscience du pouvoir exercé par la caméra, l’écran et le système de surveillance, qui illustrent le contrôle de la société sur les individus et leurs comportements.

De plus, en évoluant dans cet espace, ils commencent à s’interroger sur leur propre situation et sur la disposition des éléments qui les entourent. Ainsi, le spectateur n’est plus seulement en quête d’une relation esthétique avec l’œuvre, mais il établit plutôt un lien principalement intellectuel. Le plaisir ne réside plus dans la contemplation d’une beauté, mais dans la découverte d’une idée. Le visiteur se retrouve face à un souvenir figé dans le passé, sans possibilité d’en échapper.

Temporalité narrative du film d’exposition

« L’attention portée à l’espace social de la projection ne doit pas occulter l’espace psychologique qui l’accompagne. La projection, en tant que terme polysémique, évoque à la fois une action phénoménologique et un processus mental. Tout comme l’écran sert de surface de projection dans les salles de cinéma, en psychanalyse, il agit comme une barrière de protection ou de refoulement, semblable à “l’écran du rêve” proposé par Bertram D. Lewin. L’idée que la projection fonctionne comme un “mécanisme psychologique impliquant le spectateur” remonte à Hugo Münsterberg, qui voyait le film comme la matérialisation de la vie psychique de l’individu.

Dans les années 70, la vidéo devient une véritable métaphore des processus psychologiques et du flux de la conscience. Cette réflexion nous amène à considérer la convergence entre le travail du rêve – à travers des éléments tels que la répétition, la condensation, etc. – et les techniques photographiques et cinématographiques, comme l’image fixe, la boucle, le ralenti ou le montage, qui favorisent une déstructuration du temps. » Riccardo Venturi, « Écran et projection dans l’art contemporain », Perspective, 1, 2013, 183–190.


L’article de Riccardo Venturi offre dans cet extrait une réflexion sur les interrelations entre la projection, la psychologie et les nouvelles technologies. Ce qui le rend particulièrement intéressant pour mon sujet, c’est sa capacité à établir un lien entre le travail du rêve et les techniques cinématographiques contemporaines.

Ce qui attire particulièrement mon attention, est le parallèle qu’il fait entre le rêve et les techniques cinématographiques. Le rêve, qui par sa nature, ne répond à aucune règle du monde réel et où le temps n’existe plus. En explorant des concepts tels que la répétition, le flash-back, la condensation et la déstructuration du temps à travers des procédés comme le montage et le ralenti, le cinéma peut se permettre également de mettre de côté les règles du monde physique pour recréer un espace-temps propre à chaque œuvre.

Lorsque j’emploie le terme de temporalité narrative, je fais référence à la distorsion temporelle qui se produit au sein même du film. Jusqu’à présent, nous avons examiné la perception du temps en tant qu’expérience vécue par le spectateur dans un dispositif vidéo ou de cinéma immersif. À présent, j’aimerais explorer la distorsion temporelle au niveau du film lui-même et de sa narration.


Les œuvres de Bill Viola et Douglas Gordon, bien qu’elles explorent toutes deux la manipulation du temps au sein du cinéma, le font à travers des approches et des intentions très différentes.

Bill Viola, Passage (1987), Centre Pompidou, Paris, France.

Dans l’installation vidéo Passage de Bill Viola qui date de 1987, le spectateur est immergé dans une scène apparemment ordinaire : la fête d’anniversaire d’une petite fille. L’artiste ralentit le film vidéo et étire à 6 heures et 30 minutes une scène de 26 minutes. Les détails banals deviennent progressivement dérangeants, les cris des enfants ralentis se déshumanisent, on peut entendre des cris d’animaux, des hurlements monstrueux.

Ici, la manipulation du temps ne sert pas seulement à ralentir l’image animée, elle transforme leur sens et leur charge émotionnelle. Ce dispositif permet d’interroger le travail que notre perception opère à partir des éléments produits par la réalité. On le sait, les émotions générées par l’expérience sensible de la réalité et à fortiori du film sont variables et dépendent du sujet. Le travail de Viola procède d’une exploration de nos états de conscience, de notre perception et de notre rapport au temps familier.

Douglas Gordon, 24 Hours Psycho, Modern art Oxford, Oxford, Royaume uni, 1993

24 Hours Psycho de Douglas Gordon repose sur une technique proche de celle de Bill Viola, mais avec des enjeux différents. Plutôt qu’à cet espace mental que représente notre quotidien, l’anniversaire de la fille de Bill Viola, Douglas Gordon s’intéresse ici au médium cinématographique : il étend le film Psychose d’Hitchcock qui passe de 1 heure et 49 minutes à 24 heures en réduisant le rythme de défilement de 24 images/seconde à une image toutes les 0,5 secondes. Cette transformation fait ressortir des détails souvent négligés et permet aux spectateurs de considérer les images devenues statiques comme des œuvres picturales à part entière6. La narration est toujours présente, mais elle est secondaire face à l’aspect visuel. Gordon joue ainsi avec les attentes des spectateurs, les plaçant dans un rôle d’observateur critique plutôt que de simple consommateur de récit.

En somme, bien que ces deux artistes utilisent le ralenti vidéo, qui permet une manipulation de la durée et de la dimension temporelle de l’œuvre, leurs objectifs diffèrent. Viola cherche à susciter une réflexion sur la perception de notre quotidien au travers notre perception de la réalité, Gordon prend en charge le temps du spectateur en l’éprouvant dans sa capacité à donner de son temps d’attention. Sa co-présence est essentielle. La nature même de l’image animée, du film cinématographique altéré en est la condition. Dans les deux cas Viola et Gordon, le temps devient un élément essentiel, non seulement pour l’expérience sensible du spectateur, mais aussi pour l’expérience narrative du film. La manipulation temporelle du film se manifeste de plusieurs manières, notamment à travers des techniques comme le ralentissement, l’accélération, les boucles… Ces procédés permettent aussi de jouer avec la chronologie des événements narratifs du film.

Nous nous éloignerons ici du cinéma d’exposition pour se référer à un film grand public d’Harold Ramis, Groundhog Day (Un jour sans fin)Harold Ramis, Un jour sans fin (1993). Dans ce film, le protagoniste joué par Bill Murray revit la même journée indéfiniment. Cela lui permet de réfléchir sur ses actions et d’évoluer. Ce mécanisme crée non seulement une tension dramatique, mais incite aussi à une réflexion sur le temps, le libre-arbitre et le changement. Cette répétition peut avoir un impact émotionnel chez le spectateur. Elle l’incite à envisager le temps non comme une ligne droite, mais comme une série de cycles et de possibilités.


Cela peut également évoquer des thèmes de l’ennui, de la stagnation, mais aussi de la transformation et de la rédemption. Dans le cinéma expérimental, des artistes comme Rodney Graham et David Rimmer utilisent la boucle et défient la narration traditionnelle. Par exemple, dans Vexation Island, Rodney Graham joue avec le temps et l’espace pour créer un paradoxe, où les événements se répètent, plongeant le spectateur dans une réalité altérée. « J’aime jouer avec l’idée du paradoxe qu’illustre parfaitement le loop. La blessure sur mon front est là avant la chute de la noix de coco. Elle donne implicitement l’idée du cycle perpétuel. » – Rodney Graham7

Rodney Graham, Vexation Island (1997)

Vexation Island (1997) est un film de neuf minutes, conçu pour être visionné en boucle, le film présente un début et une fin indiscernables une fois lancé. On y voit un personnage qui fait une sieste sous un cocotier sur la plage d’une île déserte. Graham incarne un corsaire assoupi sur le sable, avec une plaie saignante sur le front et un perroquet qui saute sur sa jambe. Après s’être réveillé, le corsaire s’approche du cocotier et le secoue. Une noix de coco lui tombe sur la tête et le replonge alors dans le sommeil. Et ainsi de suite, l’action se répète indéfiniment.

Il est essentiel de souligner que toute œuvre cinématographique exposée est inévitablement soumise à la contrainte de la boucle. Cette notion souligne la façon dont le spectateur interagit avec le film : il entre dans la salle, saisit le film déjà en cours, le visionne jusqu’à sa conclusion s’il le souhaite, puis a la possibilité de rester pour observer les séquences projetées au début, avant son arrivée. Ce processus crée une expérience propre, où le spectateur est libre de choisir s’il souhaite s’engager pleinement avec l’œuvre ou non. Les œuvres mentionnées précédemment, comme 24 Hours Psycho de Douglas Gordon et Passage de Bill Viola, illustrent parfaitement cette dynamique relationnelle avec l’œuvre. En raison de leur durée prolongée, même les visiteurs les plus passionnés peuvent se retrouver dans l’incapacité de les visionner dans leur intégralité. Ces films ne sont finalement pas vraiment conçus pour être regardés du début à la fin ; ils possèdent plutôt un statut expérimental et une dimension conceptuelle qui invitent à une exploration plus profonde de la forme et du temps. En définitive, ces films d’expositions ne visent pas tant une visualisation complète qu’une exploration des limites de la narration cinématographique. Ces procédés narratifs redéfinissent ainsi notre rapport à l’art vidéo et cinématographique. Ils soulignent l’idée que le véritable engagement avec l’œuvre peut résider dans la manière dont elle remet en question nos attentes et nos habitudes de visionnage.


Live Cinema

Une des singularités de l’installation vidéo est qu’elle offre la possibilité au vidéaste de réaliser des œuvres uniques9, en direct. VJing, video mapping, live performance

Dans ce contexte, le vidéaste peut manipuler les images en temps réel, créant alors une expérience propre à l’instant et au lieu. Les installations vidéo en direct permettent également d’explorer des thèmes de l’éphémère et de l’immédiateté. Le processus de création devient aussi important que le produit final, incitant le public à réfléchir à la nature du temps et de la présence. Cela entraîne un questionnement sur les notions traditionnelles d’achèvement et d’authenticité propres à l’œuvre d’art. Avec le cinéma d’exposition et certains dispositifs d’art vidéo, l’art peut exister comme un flux. On peut ici convoquer la définition de « Time Based Art » que les Anglo-Saxons ont adoptée pour nommer les médiums du cinéma et de la vidéo. Le cinéma, cet art, basé sur le temps, permet à fortiori d’en faire un art vivant. Le Live Cinema est un genre relativement nouveau et en développement dans le champ de l’art numérique. Il rassemble des approches expérimentales de la réalisation cinématographique narrative et non-narrative, avec la musique live et les arts du spectacle.

Au lieu de projeter un film montré de manière linéaire, une performance cinématographique en direct offre aux artistes la liberté d’expérimenter et d’improviser avec une variété de matériaux (sample vidéo, plug in génératifs…). Cette flexibilité permet à l’artiste une grande liberté d’expérimentation. Les flux vidéo peuvent être diffusés sur plusieurs écrans, superposés, mis en boucle et assemblés pour créer des œuvres immersives en trois dimensions, très différentes de l’expérience cinématographique traditionnelle, assis dans une salle de cinéma face à un écran géant. Les artistes comme Ryoji Ikeda ou Bill Viola exploitent souvent ces approches pour enrichir leurs œuvres, fusionnant vidéo, son et performance en direct.

Ryoji Ikeda, Test Pattern, 2022

Dans son œuvre live Test pattern, Ikeda utilise un programme informatique en temps réel pour convertir le texte, le son et la photographie en « données », qui s’affichent sur un sol électronique sous forme binaire, comme un code-barres convulsé par des flashs stroboscopiques aveuglants et hypnotiques. Les images en mouvement défilent à une vitesse incroyable, atteignant jusqu’à 100 images par seconde. Dans cette œuvre, Ikeda fusionne une esthétique à la fois minimale et monumentale, et met à l’épreuve les limites de la perception et de la vision humaine. Cette œuvre constitue un terrain d’expérimentation pour les dispositifs audio et visuels en temps réel, tout en interrogeant les perceptions individuelles.



  1. Je renvoie ici à la lecture du livre Omega de Don DeLillo qui restitue l’expérience sensible d’un spectateur de l’œuvre de Gordon.

    ↩︎

  2. TRONCY, Éric. « Pourquoi devez-vous absolument connaître Rodney Graham, génial artiste touche-à-tout ? ». Numéro, 24 août 2017. ↩︎

  3. Chaque représentation devient une œuvre distincte, marquée par son moment et son lieu. ↩︎

Conclusion

En conclusion, on pourrait dire que le cinéma d’exposition est en pleine expansion. Il est le théâtre de nombreuses expérimentations, où le cinéma/la vidéo et l’art contemporain se réunissent, faisant éclater les murs et les normes du septième art. Ces nouvelles formes d’art numérique remettent donc en question les codes établis, offrant des installations, performances plus immersives, dans lesquelles le spectateur n’est plus simplement spectateur, mais un acteur engagé dans une narration, dans un lieu et à un moment donnés. D’où le terme spect’acteur théorisé par Pierre Barbosa. Le cinéma d’exposition remet en question la nature même de l’œuvre cinématographique et le statut du spectateur dans sa relation à l’œuvre. La scénographie, l’éclairage et le son prennent une part essentielle dans la construction de l’expérience et du récit du film d’exposition. L’échelle du lieu, les images et la manipulation de la lumière contribuent à immerger le spectateur dans l’œuvre, tout en altérant son expérience du temps et de l’espace. En s’intéressant à des artistes comme Mona Hatoum ou Ugo Rondinone, nous avons constaté que le public lui-même devenait une composante essentielle à l’œuvre d’art. L’expérience narrative du film d’exposition se fait dans une dynamique de relation physique du corps à l’œuvre. Le cinéma d’exposition s’affirme ainsi comme un champ d’exploration où les récits cinématographiques ne sont pas seulement racontés, ils sont « interagis », vécus dans une dimension spatiale dynamique.

Nous avons vu comment le cinéma d’exposition, en particulier à travers l’installation immersive et dispositif vidéo remet en question notre perception du temps et de l’espace. En délaissant l’œuvre « objet » pour embrasser l’œuvre « espace », ces pratiques artistiques placent le spectateur au cœur d’une expérience physique du film, créant des moments éphémères et qui lui sont propres et singuliers. La projection lumineuse et à fortiori cinématographique et vidéo, dans sa prise en charge du corps et de l’imaginaire du spectateur, souligne l’importance de la perception individuelle et la manière dont nous interagissons avec le film d’exposition. Nous avons également exploré la temporalité narrative à travers des œuvres emblématiques de Bill Viola et Douglas Gordon. En manipulant le temps, ces artistes invitent le spectateur à reconsidérer ses habitudes de regardeur d’œuvres et de récit cinématographique. La manipulation de la durée du film et de sa dimension temporelle permet de susciter des réflexions critiques sur notre rapport à l’image et ses mécanismes narratifs. De même, l’esthétique de l’instant, propre au Live Cinema, bat en brèche le statut d’une œuvre finale et statique. En mettant en avant le processus de création en direct, cette approche incite le spectateur à apprécier l’éphémère et l’imprévisible. Au final, le cinéma d’exposition n’est pas seulement une histoire racontée. Il invite aussi le spectateur à faire partie intégrante de l’œuvre filmique, redéfinissant ainsi son rôle et sa relation au cinéma.

Mélina Maulet
Glossaire

Glossaire

VJing
Le VJing est un terme large qui désigne la performance visuelle en temps réel. Les caractéristiques du VJing sont la création ou la manipulation de l’image en temps réel via la médiation technologique et en direction d’un public, en synchronisation avec la musique. Le VJing a souvent lieu dans des évènements comme des concerts, clubs, festivals de musique, et en général associé à une autre performance artistique. Cela donne lieu à une performance multimédia qui peut inclure de la musique, des comédiens, des de ou danseurs en même temps que de la vidéo live ou pré-enregistrée.
Mapping Vidéo
Le mapping vidéo, également appelé projection architecturale, fresque lumineuse ou fresque vidéo (en anglais Projection mapping, video mapping ou spatial augmented reality), est une technologie multimédia permettant de projeter de la lumière ou des vidéos sur des volumes, de recréer des images de grande taille sur des structures en relief, tels des monuments, ou de recréer des univers à 360°.
Flashback
Au cinéma et à la télévision, le flashback est un procédé d’écriture de scénario (technique narrative) qui, au sein de la continuité narrative, introduit une action (sous la forme d’un plan, d’une séquence, ou d’une scène) qui s’est déroulée chronologiquement avant l’action en cours.
Mélina Maulet
Références

Références

Bibliographie

ALBERGANTI, Alain. De l’art de l’installation. Paris. L’Harmattan. 2013.

DELVILLE, Michel. Le spectre de la répétition dans l’art vidéo : Gordon, Viola, Atkins. Liège. Presses Universitaires de Liège. 2015. Collection Clinamen.

DELILLO, Don. Point oméga. Actes Sud. Leméac éditeur. 2013. Babel.

DUGUET, Anne-Marie. Déjouer l’image, Créations éléctroniques et numériques. Jacqueline Chambon. Nîmes. 2002. Critiques d’art.

GRAHAM, Dan. Ma position, écrits sur mes œuvres. Les Presses du réel. Dijon. 1992. Écrits d’artistes.

MARCHESSAULT, Janine et LORD, Susan. Fluid Screens, Expanded Cinema. Toronto. University of Toronto Press. Scholarly Publishing Division. 2007.

PARFAIT, Françoise. Vidéo : un art contemporain. Paris. Éditions du Regard. 2001.

REES, A.L., WHITE, Duncan, BALL, Steven, et CURTIS, David. Expanded Cinema: Art, Performance, Film. Londres. Tate Publishing. 1re éd. 2011.

ROMAN, Mathilde. On Stage, La dimension scénique de l’Image Vidéo. Le Gac Press. 2012. Écrits.

YOUNGBLOOD, Gene. Expanded Cinema. New York. P. Dutton & Co., 1970.

Sitographie

ART CRITIQUE. « Loophole, un livre sur la figure de la boucle dans l’art contemporain ». Art Critique, 25 janvier 2020. Disponible en ligne : https://www.art‑critique.com/2020/01/loophole‑livre‑figure‑boucle‑art‑contemporain/. [Consulté le 6 octobre 2024].

BROQUA, Vincent. « Temporalités de l’expérimental ». Miranda, n° 16, 31 mai 2018. Disponible en ligne : http://journals.openedition.org/miranda/11342. [Consulté le 28 janvier 2024].

WEISSBERG, Jean-Louis. « Figures du récit acté ». MédiaMorphoses, n° 2, 2001, p. 57–62. Disponible en ligne : https://www.persee.fr/doc/memor_1626–1429_2001_num_2_1_2372. [Consulté le 28 janvier 2024].

Mélina Maulet
Remerciements

Remerciements

Je tiens à adresser mes remerciements à Alexandra Aïn, pour son aide précieuse dans la construction théorique et ses relectures attentives de ce mémoire qui ont grandement contribué à la clarté et à la cohérence de mes idées.

Je souhaite également remercier Jean-Paul Labro, pour sa disponibilité et ses nombreuses références qui ont enrichi ma recherche. Ses relectures minutieuses m’ont permis d’affiner mes arguments et d’apporter une profondeur essentielle à mon propos.