beauty standards always win ?
Intro
C’est en tombant par hasard sur un livre de poche à la couverture violette titré Corset de papier que m’est venue l’envie de me pencher sur le tutoriel beauté. Ce titre plus qu’évocateur est venu titiller ma réserve d’amertumes et d’interrogations quant aux attendus prétendument universaux de ma condition féminine. Même si cet ouvrage retrace l’histoire de la presse féminine depuis le XIXe siècle, époque où les femmes ont pu s’emparer de la presse et produire leurs propres papiers, il soulève inévitablement la question des standards de beauté, alors promus dans des pages de guides de bienséance et encarts publicitaires. L’analyse que tire Lucie Barette est nette et sans équivoque, même si la presse féminine a su progressivement s’écrire comme féministe, elle a tout de même conservé en traversant les siècles son caractère promotionnel d’un modèle d’une représentation féminine « monolithique ». Devant cet état de fait et comprenant que le sujet de la presse féminine était déjà passé sur la table d’autopsie, je me suis tournée vers mon expérience personnelle et les images qui avaient pu contribuer à façonner ma définition de la « beauté ».
Née à la fin des années 90, j’ai consommé dans les salles d’attentes et tables basses en tout genre la presse féminine, parcourant recettes de cuisine minceur, top des 10 meilleurs anticernes du moment et autres tests de personnalité pour m’aider à choisir entre mini-jupe et jean skinny. Puis est venue la préadolescence et mon abonnement à Miss Star Club rempli de posters de mes acteur·rices préféré·es d’High School Musical1 (que j’accrochais fièrement sur les portes de mon placard), de gloss pailletés et fards à paupières cadeaux. L’avènement pour moi fut l’arrivée de l’ordinateur familial qui est venu s’installer sur un petit bureau à côté du canapé. J’enchaînais séances de maquillage sur ma Stardoll préférée et visionnage des derniers haul et tuto beauté d’@enjoyphoenix et @sananas2106, qui m’expliquaient sur YouTube comment réussir mon smokey eye en cinq minutes. Aujourd’hui j’oscille entre Instagram et YouTube, entre tutoriels express consommés à la chaîne de tendances éphémères, et vidéos critiques d’analyse des standards de beauté actuels.
En retraçant tout cela, je me suis demandée si cette notion de représentation « monolithique »
comme le décrit L.Barette avait évolué. Si du modèle de la ménagère idéale à celui de la clean girl,
l’évolution des médias avait permis une émancipation des standards de beauté. Puisque la société « assigne les femmes à la beauté2 », on peut se demander si le tutoriel beauté vidéo amateur a démocratisé et ouvert les portes d’une redéfinition collective de celle-ci, et si ces vidéos ont su s’échapper des standards jusqu’alors proposés par les médias dominants.
Pour commencer, j’aimerais définir ce que j’entends par tutoriel beauté vidéo et le choix que j’ai fait de me concentrer sur cette catégorie d’objets filmiques. Ce que j’appelle tutoriel vidéo (ou tuto) est un objet vidéo, quelle que soit sa durée, mettant en scène des conseils, dictés oralement et/ou faisant état d’une démonstration visuelle relative à une tâche donnée ; j’ai décidé de me pencher sur la catégorie beauté de ces dits tutoriels. Il faut aussi noter que ce que j’appelle ici tutoriel se joue parfois de la définition originelle que l’on en fait. Dans la définition du Larousse, le tutoriel permet de « décortiquer une tâche à accomplir en présentant chacune des étapes nécessaires à sa complétion ».
Le principe d’un tutoriel est d’expliquer, de faire la démonstration étape par étape de la manière
de faire ; il rend la beauté procédurale. Un tutoriel beauté vidéo, c’est l’un des objet qui catalyse au mieux les injonctions liées à l’apparence ; la beauté étant elle même un concept subjectif relatif à une
société, sa culture et une époque donnée. Pour autant, ceci est un essai sur le tutoriel beauté, pas sur le
maquillage. Ce qui est au cœur de mon humble analyse ce sont les enjeux de l’évolution des médias liée aux
formats de ces objets précis. Aussi, j’ai choisi d’écarter les catégories mode, cuisine, diy ou encore coiffure (pourtant issues des rubriques traditionnelles de la presse féminine) de mon analyse. Les tutoriels beauté sont de ceux qui touchent à la représentation de soi. Ils font appel à un rituel spécifique qu’on retrouve plus difficilement à mon sens dans les autres catégories. Aussi, tout
simplement, parce que l’envergure des archives et des vidéos disponibles au travers des époques sont les plus
nombreuses dans cette catégorie-ci.
Dans cet article je vais interroger la manière dont a évolué le tutoriel beauté vidéo des années 1930 à
aujourd’hui. Comment le développement de nouvelles technologies a influencé le format et ses
modalités de diffusion ? Est-ce que l’arrivée d’Internet a ouvert les portes d’une relecture des standards
de beauté ? Ou est-ce que la reproductibilité de ces tutos a entretenu les standards établis ? Encore, est-ce que les modalités des plateformes de diffusion jouent un rôle dans l’écriture des dits standards ?
Old school tuto
La leçon éducative de beauté
L’une des plus anciennes vidéos « beauté » archivée en ligne que j’ai pu trouver remonte à 1937. Dans ce court métrage en Cinecolor3 de moins de cinq minutes intitulé Daily beauty rituals, on peut voir Constance Bennett, actrice et productrice américaine de la première partie du siècle dernier, nous livrer les secrets de ses rituels de beauté quotidiens. Avec une mise en scène millimétrée sur fond de musique de valse, elle s’adresse à la caméra entièrement apprêtée et maquillée pour « nous aider avec les problèmes que nous pourrions rencontrer ». Elle fait la démonstration de sa routine, en détaillant chaque étape et vantant les mérites de ses produits miracles estampillés Constance Bennett Cosmetics. Le premier tutoriel beauté en vidéo est né.
Cet ovni (pour l’époque) d’un objet vidéo à la frontière entre cinéma et publicité, rejoue les grandes lignes des guides de beauté imprimés (voir annexe) déjà disponibles depuis les années 1920. Les femmes, puisque cela leur était destiné, pouvaient y lire conseils et recommandations pour agir comme « la bonne épouse, la bonne mère, la bonne ménagère4 », le tout en arborant bien sûr une figure digne des égéries Hollywoodiennes de l’époque.
C’est dans une même idéologie que les premières vidéos pensées comme des tutoriels beauté voient le jour dans les années 1940. Certaines sont même distribuées sur des bobines de film 16mm dans les collèges et lycées américains, pour éduquer les jeunes filles aux usages de la beauté. Formulées telles des expériences de chimie, elles décrivaient aux jeunes filles dans un contexte d’après-guerre, la manière idéale de se maquiller pour « être jolie ». La beauté résidait aussi dans le « soin de soi », avant l’étape maquillage il est souvent fait notion des règles d’hygiène de base, comme boire de l’eau ou avoir huit heures de sommeil par nuit. Pour ce qui est du maquillage, les tutoriels de l’époque prônent une « bonne manière de faire » à adapter en fonction de sa carnation, sa forme de visage ou la couleur de ses yeux par exemple. Le but étant, de faire tendre toutes les particularités physiques vers un même modèle de beauté absolue.
Il est aussi à noter que seules des femmes blanches sont représentées à l’écran, comme me l’a confié Stevie McGlinchey sur le sujet (voir entretien) « les femmes afro-américaines étaient exclues » de ces films éducatifs. Il faudra attendre la libération des mœurs et le début des années 1970 pour les voir apparaître à l’écran, à la télévision comme dans le milieu éducatif.
Le tuto VHS
L’apparition de la cassette VHS5 à la fin des années 70 ouvre les portes d’un nouveau système de diffusion vidéo et devient dès 1980 « la norme la plus commune pour la vidéo familiale à travers le monde6 ». Elle permet alors une diffusion large et à volonté des idéaux de beauté, bien entendu auprès de celleux qui disposent d’un magnétoscope.
Au cœur de ces années, où l’on voit aussi l’invention du vidéo-clip et où « la publicité (était) considérée très sérieusement comme un art7 », vient poindre une nouvelle sorte de tutoriel beauté à regarder chez soi ; qui n’est pas sans rappeler celui de Constance Bennett précédemment cité. Les vidéos jusqu’alors produites comme des leçons éducatives, deviennent des encarts publicitaires animés.
Les magazines féminins, maquilleur·euses professionnel·les et marques de cosmétiques s’emparent du format et chacun·e peut alors acheter ou louer sa cassette beauté. Le cours de maquillage à rembobiner se répand, mais bien souvent passe au second plan au profit de la promotion de produits cosmétiques. La « leçon privée » (a private lesson) de la marque Estée Lauder par exemple, affirme dans sa vidéo de plus de 24min, que « today makeup is a personnal expression » et qu’elle est là pour comprendre et répondre aux besoins des femmes d’aujourd’hui grâce à leurs produits. S’adressant donc aux femmes « de tous les jours » la vidéo met pourtant en scène la supermodel de l’époque Paulina Porizkova, qui nul besoin de le préciser coche la majorité des cases des standards de beauté occidentaux : grande, mince, blanche et blonde aux yeux bleus.
La VHS disparaîtra progressivement au cours des années 2000 et ce format de tutoriel beauté mêlant professionnels du monde de la beauté et publicité, migrera vers les émissions de télé dédiées et potentiels DVD.
« Hi everybody ! »
Tout le monde tutote
Les années 90 s’écoulent et accueillent les débuts d’Internet et de ses premiers blogs en tout genre. La révolution des médias numériques est en route : tout le monde peut, avec une connexion Internet, « produire de l’information, (de) la recevoir, et la commenter8 ». Le monde s’ouvre est on assiste à un empowerment des contenus vis à vis des médias classiques dominants. Il ne faudra pas longtemps avant que YouTube, plateforme de partage de vidéos créée en 2005, ne voit apparaître ses premiers tuto beauté ; objets qui vont venir nourrir les fondations d’un nouveau genre sur la plateforme.
La vidéo créditée comme le « premier tutoriel beauté » de la plateforme est celui d’Adrienne K. Nelson qui poste le 29 mars 2006 une courte vidéo d’environ trois minutes intitulée « Makeup Lessons LOOK HOT in 5 Minutes or Less ». On peut y voir deux femmes, l’une maquillant l’autre, sur un fond noir de fortune, le tout filmé avec une caméra qui ne permettra pas de visionner la vidéo au-delà de 240p9. Le montage lui aussi est minimaliste, rythmée par une musique d’ascenseur, chaque étape est signifiée par une pause de l’image sur laquelle Adrienne est venu insérer des encarts textuels d’une police imitant une écriture manuscrite, et des petites flèches qu’elle semble avoir dessiné sur Paint.
Plus besoin d’être un·e supermodel donc, tout le monde pourrait se filmer et proposer son tutoriel beauté avec des moyens techniques et des compétences de montage des plus basiques. L’usage de la webcam10 est détourné et devient la caméra à laquelle nos premières « YouTubeuse beauté » s’adressent, afin de prodiguer leurs conseils et astuces sur les techniques de maquillage. Michelle Phan pionnière du genre, nous explique de cette manière en 2006 comment réaliser un « Seductive smokey eye ». Sur ce terrain qui n’est pas encore codifié, tout reste à inventer et cette période marque une avancée plus que notable dans l’opportunité d’offrir une pluralité des représentations féminines via le tutoriel beauté. La catégorie est un lieu d’échange, de partage et tout le monde peut discuter dans l’espace commentaire du contenu visionné, permettant de créer du lien social entre les créateurs de contenus et celleux qui le consomment.
Pour autant, si les actrices de ces objets animés n’ont nul besoin de correspondre à des standards préétablis par la société, les contenus proposés s’inscrivent dans la volonté d’y adhérer avec une forte popularité à l’époque par exemple des « looks de personnages télé et célébrités11 ». Comme l’explique Mona Chollet il y a « toujours eu cette affinité entre le monde du cinéma […] et celui de la beauté12 » et on ne compte plus les actrices qui deviennent les visages de campagnes de maquillage de luxe. On peut se demander si ce paradoxe de nouvelles représentations face à une volonté de se rapprocher de celles largement véhiculées, ne vient pas à contre sens de la capacité émancipatrice d’une telle plateforme.
Tutoception : le cas des beautyguru
Passés les premiers tâtonnements du monde de la beauté, le genre se précise dans la seconde moitié des années 2010. YouTube connaît une croissance exponentielle et il est posté près de 300 heures de vidéos par minute sur la plateforme. La branche beauté s’agrandit elle aussi, mais surtout se codifie. Adieu webcams, nombres de pixels limités et montages approximatifs, celleux qu’on nommera alors beautyguru, ont maintenant des chaînes aux milliers d’abonnés, des arrière-plans pailletés et une collection de maquillage indécente dont iels listent les marques à chaque vidéo.
C’est suite à une standardisation du genre, via une « reproduction et imitation des tutoriels beauté par de nouvelles vidéastes13 » que la figure du·de la beautyguru a pu être identifiée. Ces nouvelles célébrités ont maintenant des génériques vidéo personnalisés, un vocabulaire spécifique avec des phrases associées14 comme par exemple (le très problématique) James Charles et son « Hi Sister ! », et même des surnoms pour celleux qui sont abonné·es à leurs chaînes et font partie de leurs « communautés » respectives. On peut même trouver des tutoriel vidéos pour apprendre à « filmer comme un·e beautyguru », qui détaillent le matériel et décor nécessaire pour s’insérer dans le milieu. Cette nouvelle évolution qui confère à certain·es le grade de gourou de la beauté change la donne et on voit s’insérer dans une branche d’amateur·rices des partenariats, codes promo et collaborations en tout genre avec des marques. Le tutoriel beauté (re)devient publicité et les beautyguru en sont les nouveaux messagers. Les mécanismes sont d’ailleurs les mêmes que dans la vidéo de 1937 de Constance Bennett ou les VHS de maquilleur.euses, une mise en scène d’un tutoriel de maquillage performé, avec un grand sourire et un décor bien pensé, où viennent se glisser des produits et cosmétiques dont on viendra vanter les mérites. Les vidéos deviennent des « supports de publicité pour les marques » et les vidéastes ont un « contrôle total sur la manière dont ils vont se présenter à leur audience15 ».
Et même si les beautyguru se défont des questions liées au genre en ayant des représentant·es d’un large spectre (Jeffrey Star, Manny MUA, Patrick Starrr, etc.), la résurgence du lien entre ces vidéos et la presse féminine est tout de même notable quand on s’y penche. Placés sous la coupe d’une industrie de la beauté qui veut toujours mieux vendre, les contenus de ces vidéos ne viennent au final que rejouer les mécaniques d’une presse féminine dont on connaît déjà les rouages depuis des années ; les vidéos amateurs n’y changent rien. Mona Chollet le constate dans un épisode du podcast Miroir Miroir, « la logique des magazines féminins, on se l’est complètement appropriée16 ». Ces « influenceur·euses » du monde de la beauté apparaissent parfaitement coiffé·es, la peau lissée par des filtres, affichant un sourire constant dans des décors soignés ; ils « tentent de dépeindre la perfection17 ». Dans une esthétique aseptisée, iels reprennent des catégories héritées de la presse féminine. Le tutoriel beauté se confond en encarts publicitaires avec des haul et crashtest, en rubrique déco avec des Makeup roomtour et même en page scoop dans des Chit chat makeup faussement spontanés.
Les beautyguru s’enferment dans les codes de la presse féminine et perdent peu à peu au profit de l’industrie, la possibilité de s’émanciper des standards établis via leur plateforme. C’est d’ailleurs cette dernière dimension qui va amorcer dés 2017 le déclin du genre. L’omniprésence de contrôle lasse les spectateur·rices et ce sont les contenus dits relatable qui prennent la relève.
Tuto à la chaîne
« Tut’ ? »
L’arrivée de TikTok vient en 2016 redéfinir les formats vidéos et
concurrencer les plateformes telles que Youtube. « Née des cendres de
Musica
On assiste à un schéma similaire que celui connu sur YouTube. Un nouvel espace intangible est rendu disponible avec de nouveaux codes à définir. Balayé·es les beautyguru, c’est le retour pour un temps des tutoriels d’astuces d’amateur·ices à partager. Le maquillage comme outil d’expression de soi affirme et précise des aesthetics nées en ligne. Filmés au smartphone, les short beauté deviennent un lieu d’expérimentation en tout genre, avec leurs maladresses et astuces chaotiques. Le monde de la beauté a des contours flous, et les commentaires réclamant des « tut please ? » fleurissent même sous les vidéos de celleux qui n’en font pas forcément partie.
Mais comme sur YouTube, la standardisation du genre ne se fait pas attendre. Là où la figure du·de la beautyguru s’établit sur un modèle absolu, TikTok repose sur une logique de tendances. Chaque tendance nommée possède ses codes et « l’originalité n’est pas une priorité20 » ; ce qui importe c’est la reproduction. Cette logique est d’ailleurs renforcée par la fonctionnalité de « collage » du média. Chacun·e peut reprendre un extrait (ou vidéo complète) pour annoncer qu’iel va suivre et reproduire celle-ci ; le tuto beauté s’écrit à la chaîne. La rapidité d’exécution, condensée dans des plans serrés, sur fond de musique transforme l’enjeu du tutoriel. Il ne s’agit plus d’expliquer, mais comme avec les beautyguru, de performer un nouveau genre vidéo.
C’est précisément dans cet aspect que l’influence des standards viennent se révéler. Comme l’observe Karolina Zebrowska dans sa vidéo sur
« l’obsession de TikTok pour la beauté » cette mise en scène rejoue entre autres les intro des tutoriels YouTube. Ces scénettes présentent en début et/ou fin de vidéo donnaient un aperçu du résultat du maquillage réalisé. Sans un mot, le visage figé et le regard mystérieux, des plans serrés venaient se succéder sur le visage du·de la YouTubeur·euse qui enchaînait différentes poses. Sur Tiktok, c’est très souvent cette même incarnation du modèle en pleine séance photo qui vient se rejouer. Le tuto-tendance vise à produire en premier lieu des images de soi, prouvant sa cohérence (ou non) avec les standards de beauté établis. Chacun·e peut se promouvoir individuellement égérie beauté et venir alimenter ce système normatif des standards de beauté en ligne. Et pour les malheureux·ses qui aurait eu l’audace de croire que tout le monde pouvait participer à ces tendances, la violence de l’espace commentaire est là pour les rappeler à l’ordre.
Ce format précis, rapide et visible sans recherche préalable, combiné à un glissement de l’objet à travers les plateformes, permet des tendances éphémères et dépasse le cadre d’un seul réseau social. Ce nouveau genre de tuto demeure une extension de la presse féminine et participe activement à l’entretien de l’étroitesse des standards de beauté occidentaux. Mais cette toute puissance de la tendance a aussi ses heureux·ses détracteur·rices et TikTok est un média social où les opinions peuvent converger, mais aussi se confronter.
Mais, pour les magazines féminins, le contexte n’est pas difficile seulement sur le plan économique. Internet n’a pas donné naissance qu’à des blogueuses beauté. En plus de permettre aux femmes – et aux minorités, et aux femmes issues des minorités – de faire entendre leur voix, de faire émerger la réalité de leur vécu, il nous a aussi offert la possibilité de répondre aux médias de masse, au lieu d’en être des consommateurs muets. — Mona Chollet
Tutoception : le cas de la clean girl
La clean girl est une de ces tendances émergentes que l’on voit en boucle sur TikTok ces derniers temps. Les vidéos associées au #cleangirl cumulent aujourd’hui plus de sept milliards de vues et c’est l’une des rares tendances persistantes de la plateforme puisqu’elle y est présente depuis 2021. Le « clean girl makeup » repose sur une idée simple : un maquillage qui donne l’illusion de n’en porter aucun. Inspiré des model off-duty21, il prône une peau parfaite et satinée aux joues rosées, des sourcils faussement négligés, de longs cils recourbés et une bouche glossée. Cette tendance dont le succès est sans appel, catalyse parfaitement ce que Mona Chollet appelle la « guerre des représentations ». D’un côté il y a une adhésion totale au modèle avec des vidéos du genre « how do I achieve clean girl look » qui foisonnent sur la toile, et de l’autre un soulèvement de revendications qui appellent à reconnaître cette trend comme problématique. C’est l’une des forces du média de contester ouvertement le contenu proposé sur cette même plateforme, et c’est ce qui arrive avec cette tendance.
La contestation vise l’aspect discriminant de la performance. Il faudrait pour l’exercer, disposer d’un certain patrimoine génétique et d’un capital économique certain. Une utilisatrice de TikTok @tuuli_tuominen a posté une série de vidéos intitulée « Why I hate clean girl », où elle pointe un « manque de représentation (…) avec une tendance qui est principalement menée par des filles blondes et minces, qui peuvent se permettre de tout mettre à jour dans leur maison en fonction de la dernière tendance » (traduit de l’anglais). Ce qui est assez ironique quand on sait que l’aesthetic trouve ses origines au sein des « communautés noires et métisses22 ». On rejoint aussi la logique de Constance Bennett et des beautyguru ; l’accessibilité au concept de la beauté serait inhérente au pouvoir d’achat. La différence ici, c’est la capacité de réponse et de mise en lumière du fait que cette aesthetic vient « ostraciser les personnes pauvres et celles qui ne sont pas proches de normes hégémoniques de désirabilité23 ».
C’est aussi le terme même de clean girl qui est remis en cause.
Beaucoup ont pointé le fait que le terme « maquillage minimaliste » aurait pu suffire à décrire la tendance. Le terme de « fille propre » sous-entendrait une impureté chez celleux qui n’adhèrent pas à celle-ci. C’est d’ailleurs un lexique que l’on retrouve souvent dans l’industrie de la beauté. Comme l’explique Mona Chollet dans Beauté Fatale, la nouvelle définition de la « féminité contemporaine », repose sur la
« conviction d’un défaut […] d’une forme de saleté », il faudrait se « purifier, se gommer, se désincruster ». Là encore, des vidéos sont venues pointer l’aspect discriminant du nom de la tendance. Dans un mouvement de contre-tendance des vidéos intitulées « clean girl look but with acne » (look de fille propre mais avec de l’acné), ou encore « clean girl makeup but on a brown girl so you can stop associating the clean look with whiteness » (maquillage de fille propre mais sur une fille noire comme ça vous pourrez arrêter d’associer le look propre avec la blancheur) sont nées. Ouvrant ainsi de multiples débats dans les espaces commentaires où là encore s’oppose les idées.
Quoiqu’on puisse en penser, ce cas est une démonstration typique des
nouveaux affrontements possibles sur les médias sociaux quant aux standards de beauté. La démonstration de ses privilèges divise. Il y a
d’un côté celleux qui voient en cette tendance une opportunité de s’auto promouvoir égérie, et celleux qui dénoncent la dimension « classiste, raciste, texturiste et grossophobe24 » du modèle proposé. On peut d’ailleurs s’interroger, au-delà des normes imposées par la tendance elle-même, sur le lien de cause à effet qui fait de ces tutoriels beauté, ceux mis en avant par la plateforme.
Beauté algorithmée
Fonctionnement général
Chacun·e peut poster son contenu sur les médias sociaux, mais la visibilité de celui-ci ne repose pas sur un système égalitaire. Face à la profusion du flux d’informations, il serait devenu nécessaire d’éditorialiser les contenus25. C’est là qu’algorithmes et intelligences artificielles interviennent et agissent, pour décider de ce qui sera mis en avant dans nos feed. Chaque plateforme possède des logiques spécifiques qui coordonnent et modèrent nos affichages et recommandations.
La définition d’un algorithme est « la description d’une suite d’étapes permettant d’obtenir un résultat à partir d’éléments fournis en entrée26 ». Les données en jeu pour établir une mise en forme prétendument pertinente sont nombreuses. Ces systèmes analysent entre autres nos interactions entre utilisateur·rices, les publications aimées et/ou sauvegardées, les vidéos visionnées et le temps que l’on y a consacré. Le but de ces stratégies est toujours le même : créer de l’engagement. Le temps que nous passons à scroller vient remplir l’objectif des éditeur·rices ; « monétiser (notre) présence et (notre) activité27 ».
Mais ces pages de recommandation pour nous, sont aussi soumises à des logiques algorithmiques qui vont au-delà de notre simple interaction avec l’environnement en ligne. Évidemment les contenus sensibles, à caractère raciste, violent, pornographique, etc sont censurés. Mais parfois l’éthique et la moralité de ces motions dépassent les conditions générales d’utilisation. Pendant que certains contenus sont mis en avant, d’autres sont censurés pour des raisons qui nous échappent. TikTok par exemple va, en fonction du pays où il est utilisé, censurer les contenus identifiés comme LGBTQIA+ ou bloquer des « messages de justice sociale28 ». Instagram encore, bien connu pour sa politique binaire en matière de téton, offre des passe-droits à la nudité aux personnes minces mais signale celleux en surpoids. L’algorithme est biaisé puisque, la nudité (ou non) est identifiée par une intelligence artificielle qui va calculer le « pourcentage de peau » de la personne photographiée29. Ces exemples, pourtant officiellement identifiés comme des bugs, sont venus mettre en lumière les limites de ces mécanismes qui rappelons-le, sont le fruit d’une logique humaine imputée aux machines. « Nous avons des préjugés, et l’IA les apprend30 », et quand on sait que ce « nous » est une large majorité d’hommes confortables dans notre système patriarcal, il est peu étonnant de voir poindre ces biais algorithmiques.
C’est là une des failles des plateformes dominantes en terme de
« représentations culturelles collectives ». Nos suggestions ne sont pas uniquement le fruit de nos interactions ; le « déterminisme algorithmique (est) lui même contraint par un déterminisme culturel31 ». Dans l’univers de la beauté en ligne, cette notion est centrale et il apparaît que TikTok en particulier s’arme d’un outil supplémentaire pour hiérarchiser ses contenus.
Online pretty privilege
Si la plateforme offre des débats sur l’hégémonie ambiante des standards en ligne, force est de constater qu’en « vitrine », dans les feed et publications suggérées, il est rare de voir la diversité se côtoyer. TikTok, dont l’algorithme est l’un des plus complexes à percer, collectionne de nombreuses accusations de « racisme et de censure » à ce sujet. Le privilège de la beauté se transpose en ligne et les vidéos mises en avant sont celles d’utilisateur·rices qui correspondent aux normes de beauté établies – critères découlant des standards occidentaux mais aussi d’un algorithme beauté bien particulier.
Dans une note interne (voir annexe), récupérée en 2020 par le magazine d’investigation en ligne The Intercept, une partie de la stratégie de TikTok est détaillée. Il y est demandé aux modérateur·rices du média, pour selon eux « prévenir du harcèlement », de supprimer tout contenu présentant des « visages laids », des personnes « trop ridées » ou celleux atteint de « nanisme »32. Si l’entreprise a depuis répondu que cette note était aujourd’hui obsolète, les enquêtes sur l’algorithme beauté TikTok se sont multipliées. La théorie avancée serait que chaque vidéo, soumise à l’analyse d’une intelligence artificielle, noterait notre « beauté » sur cinq. Angelina Jolie, désignée comme l’une des « plus belle
femme du monde33 » obtiendrait par exemple la note de 4.7/5. En 2021, le tiktokeur @benthamite a
même récupéré dans la documentation de ByteDance, société qui produit TikTok, les lignes de codes qui régissent l’algorithme. Il a produit avec celles-ci un site, tiktokbeautiful
Modelé sur une base de données nommée SCUT
Mais s’il est logique de blâmer l’algorithme pour ses failles éthiques, il faut aussi comprendre la responsabilité de l’utilisateur·rice dans celui-ci. Comme nous l’avons déjà mentionné, le but premier du média est de générer du profit, profit auquel nous participons via notre engagement. Il s’avère que mettre en avant des « visages attractifs » donne de meilleurs résultats. Nous nourrissons l’application avec « nos propres idéaux de beauté toxiques34 ». La plateforme nous donne du contenu que nous l’avons aidé à identifier comme séduisant. Nous tenir pour responsable du système serait pourtant fallacieux. Mais il faut admettre qu’il est le reflet d’une société abusée et fascinée par la beauté. On comprend peut-être mieux ainsi le succès de la clean girl, malgré son manque évident de diversité.
L’impact sur le tutoriel beauté 2.0 et sa (re)définition de la beauté est mesurable. L’affluence du format
TikTok au-delà même de sa plateforme, vient peu à peu lisser le paysage de la beauté en ligne. Au-delà d’une performance ritualisée, les visages se confondent, répondant à un modèle donné et laissant de moins en moins de place à la diversité. Mais quand on voit que la stratégie est efficace, on peut se demander si nous sommes vraiment prêt·es à se défaire du poids des standards relatifs à nos apparences ? Comme le dit Olivier Ertzscheid, sans volonté de comprendre et démystifier ces mécanismes, « le futur technologique sera rempli de stéréotypes35 ».
We can deal with beauty standars but the idea of making them less relevant is just unthinkable – Karolina Zebrowska
Outro
Après ce survol du tutoriel beauté vidéo depuis 1937, on peut sans doute affirmer que l’évolution des médias, et surtout l’arrivée d’Internet et des médias sociaux a changé la donne quant à la possibilité de représentation des standards de beauté. Les plateformes vidéos sont un média dont on peut se saisir pour répondre aux médias dominants. Il est possible de participer à une tentative groupée de réinventer un paysage associé au monde de la beauté, sans normes de genre, d’origine, d’appartenance sociale, etc. Le nouveau format short vient d’ailleurs renforcer cette vague contestataire avec son lot de contre-tendances, de prises de parole et de challenges anticonformistes.
Mais il faut aussi bien se rendre compte que malgré ces nouveaux modes de diffusion, ces injonctions à la beauté existent toujours et sont prédominantes. Elles s’écrivent et survivent via la collaboration entre celleux à qui elles sont enjointes, et des algorithmes d’éditorialisation pensés dans un monde patriarcal et capitaliste. L’industrie de la beauté est une de ces machines intangibles qui sait s’infiltrer et s’ancrer dans les discours, et le web est lui aussi un lieu de promotion d’une idéologie qui persiste malgré ses contestations, en étant même capable de faire muter ces mêmes contestations pour son propre profit. Les tutoriels beauté vidéo font partie des outils dont on peut s’emparer pour élargir et tenter de renverser l’hégémonie ambiante. Mais cela reste difficile (si ce n’est inatteignable) quand les mécaniques internes des plateformes de diffusion jouent contre nous.
Concernant les plateformes les plus mainstream, il est à craindre qu’une révision progressive de ces procédés, nous mène peu à peu vers une standardisation des plus intense du contenu mis en avant. On peut par contre espérer que d’autres36 viendront insuffler de nouveaux échanges vidéos en ligne. Si les premières tendent à faire du web une extension numérique des médias dominants imprimés, d’autres (même si minoritaires) pourraient bien être de nouveaux espaces d’expression libres d’algorithmes beauté et logiques d’éditorialisation à l’éthique discutable.
Je finirai quand même en citant Alice Pfeiffer, autrice et journaliste de mode, à propos du pretty privilege et pour qui la paraphrase serait vaine :
« Last but certainly not least, il ne faut surtout pas oublier que la beauté est également une arme de survie pour des personnes issues de minorités oppressées – un pretty pass ouvrant potentiellement des portes fermements closes à des communautés exclues… en partie par ces mêmes critères esthétiques, pensées par et pour les dominants. Et, are we surprised, ces personnes minorées souffriront par ailleurs beaucoup plus de prettyism que les corps encore et toujours privilégiés. Qu’est-ce que j’apprends de tout ça ? Que personne n’est totalement gagnant·e dans ce vaste outil qu’est la beauté – mais que cela peut-être un cheval de Troie et une arme de résistance néanmoins… » – Alice Pfeiffer
Annexes
Entretiens
Lors de mes recherches j’ai constaté une presque absence totale de ressources vidéo datant des années 70. J’ai alors contacté Stevie McGlinchey par mail, qui tient un blog et une chaîne YouTube qui compile et restaure des archives cinématographiques liées à la beauté et la mode des années 1930 à 1990.
Aurore Tajan Bonjour Stevie, tout d’abord merci d’avoir accepté de répondre à quelques questions, j’en suis très reconnaissante. Pour commencer, pourriez vous vous présenter, ainsi que glamourdaze
Stevie McGlinchey Bonjour, je m’appelle Stevie McGlinchey et je dirige Glamourdaze depuis l’Irlande. J’ai lancé à la fois un blog et une chaîne YouTube en 2008, essentiellement pour mettre en valeur non seulement les femmes dans l’histoire, mais aussi leurs styles et leur éthique de la beauté au fil du temps.
AT J’ai vu que vous restauriez ces films, pouvez-vous m’en dire plus sur ce processus ? D’ailleurs où vous procurez-vous ces films avant de leur redonner vie ?
SMG Les films proviennent soit de sources du domaine public, soit sont directement sous licence des archives cinématographiques. C’est aussi via des arrangements privés avec les détenteurs d’images originales que je peux me les procurer.
AT En sait-on plus sur les modalités de diffusion de ces vidéos, j’ai lu sur votre blog que la plupart sont en fait des cours vidéo destinés aux jeunes filles dans les écoles spécialisées, pouvez vous m’en dire plus ?
SMG Oui, les méthodes de diffusion originales étaient sur des bobines de film 16mm qui étaient distribuées dans les lycées et collèges américains à la fin des années 1940, et dans les années 1950.
AT Pendant que je cherchais parmi vos vidéos, j’ai remarqué que dans les années 70, les tutoriels vidéos de beauté n’étaient pas si courants. Ai-je tort de penser qu’il y a un lien avec la libération des mœurs qui aurait bousculé les normes, ou ai-je manqué quelques vidéos ?
SMG Certes, les femmes à l’école dans les années 1970 avaient un programme plus large et plus libéré, que juste les soins de beauté personnels et la prise en charge de leurs futurs maris ! Mais le grand changement c’est l’inclusion de la culture non blanche dans les films éducatifs. Auparavant, par exemple, les femmes afro-américaines étaient exclues de la télévision américaine, à prédominance raciste.
AT Dernière question, d’un point de vue plus personnel, avez-vous l’impression qu’avec l’arrivée d’Internet et la possibilité pour chacun·e de proposer son contenu beauté, les standards ont évolué ou avons-nous continué d’admirer des égéries qui représentent un certain idéal ?
SMG Je pense que le consumérisme a évolué comme un complément naturel au capitalisme. Ainsi, en ce qui concerne les idéaux de beauté, il y a plus de pression que jamais sur les femmes pour qu’elles adhèrent à certaines tendances beauté. Personnellement, je pense que les styles plus anciens de « less equals more » sont un meilleur modèle à suivre pour toute jeune femme.
J’ai aussi contacté Cynthia Dulude, maquilleuse professionnelle et YouTubeuse beauté depuis 2011 au sujet de son rapport au monde du tutoriel beauté vidéo, en constante évolution.
Aurore Tajan Hello Cynthia, déjà merci de m’accorder ton temps afin de répondre à quelques questions. Je vais commencer par revenir sur ce dont tu parles dans ta vidéo « 12 erreurs maquillage 2.0 ». Qu’est ce que tu entends par la démocratisation de la beauté sur les médias sociaux ?
Cynthia Dulude Hello ! Eh bien je veux dire qu’avant, par exemple quand moi j’étais ado, il n’y avait pas de médias sociaux et donc la beauté on l’apprenait souvent de nos parents. Moi ça a plus ou moins été le cas, ma mère se maquillait un peu mais pas énormément – c’est pas la mère la plus coquette au monde – donc j’apprenais un peu par moi même ou via mes ami·es. Il y avait les magazines surtout, même des dvd qu’on pouvait louer ou acheter, où un·e maquilleur·euse nous faisait un tutoriel maquillage ; c’était pas très accessible. Même mes premières expériences avec le maquillage, mes premiers questionnements, je me rappelle être allée chez La Baie, qui est un gros magasin ici (au Québec), et j’avais demandé des conseils à une maquilleuse X dans une marque X. J’avais entendu parler de la théorie des saisons, tu sais,quelle saison on est en fonction des couleurs qui nous vont le mieux. J’avais vu ça, printemps-été-automne et je me demandais j’étais quoi (rires) pendant qu’elle me maquillait ; j’avais toujours eu une fascination pour tout ça. D’ailleurs, elle m’avait dit que le truc des saisons c’était un peu dépassé comme concept, qu’on pouvait juste porter les couleurs qu’on voulait. Mais, j’avais juste entendu parler de ça, puis il y avait pas trop d’endroits où trouver réponse à ces questions concernant tout ce qui est beauté, tout ce qui est tutoriel. Il y en avait pas vraiment à la télé, c’est ce que je veux dire par démocratisation, c’est que c’est rendu hyper accessible, même les gens qui ont pas beaucoup d’intérêt pour la chose sont au courant que sur Tiktok sur Instagram, on voit passer des avant/après avec des maquillages phénoménaux, ou des trend plus loufoques avec toute sorte de produits/outils. Il y en a vraiment partout.
AT Et avec tout ça est-ce que depuis tes débuts sur Youtube il y a eu un moment où, selon toi, le monde de la beauté s’est retrouvé dans les mains des amateur·ices ? Qu’est ce que ça a changé selon toi ?
CD Oui c’est ça, c’est à cette période-là où il y a eu un switch. Moi j’ai découvert les vidéos beauté sur YouTube à la fin de mon secondaire, j’avais 17 ans, c’est là qu’ont commencé YouTube et les tutoriels. Au début en anglais, puis après en français. Je crois que les gens étaient juste curieux d’en voir d’autres expliquer des concepts et essayer de reproduire du maquillage à la maison ; c’était les premiers balbutiements. Mais après, je dirais vers 2015–16 ça a commencé à être assez gros. Je pense que là, la beauté ça a vraiment explosé avec les médias sociaux. Sur Youtube, il y avait plein de YouTubeuses anglophones qui commençaient à être très connues, si on parle de James Charles, Nikkie Tutorials, tout ça, ils ont toustes eu une ascension dans ces années-là. Pour moi, ça a surtout été à partir de 2015, quand on a entendu l’expression « YouTubeuse beauté », « beauty guru », je pense pas qu’en 2011 on aurait pu utiliser ces expressions là. Ça a été une ascension constante depuis 2011–12 sur YouTube et il y a eu de plus en plus de gens qui ont eu une chaîne beauté.
AT Oui c’est un peu ce que j’ai identifié sur YouTube avec les débuts où tout le monde partageait ses conseils et ensuite, avec l’arrivée des beautyguru, où j’ai envie de dire que ça s’est standardisé. Mon autre question ce serait sur la suite, avec l’entrée en jeu de TikTok et du format short, est-ce que pour toi les enjeux et la vocation à partager et apprendre via ces tutos sont les mêmes ou pas du tout ?
CD Vu ⎷
Glossaire des anglicismes
- aesthetic
- Terme utilisé à l’origine en ligne pour désigner ce que chacun·e trouve beau. Il vient aujourd’hui accompagner des noms de catégories désignant des tenues, décors, objets, maquillages et images appartenant à une aesthetic particulière. (exemple : « Fairycore aesthetic » ou « Old Money aesthetic »)
- beautyguru
- Ou « gourou de la beauté », individu postant des vidéos relatives au monde de la beauté jouissant d’une célébrité certaine.
- chit chat (makeup)
- Sous-catégorie du tutoriel beauté vidéo, il déifinit une vidéo où bavardages (chit chat) et maquillage se mêlent.
- clean girl (aesthetic)
- Littéralement « fille propre », mode de vie à l’esthétique minimaliste se déployant dans les domaines du maquillage, de la mode, de l’alimentation, etc.
- diy
- De l’anglais Do It Yourself ou « fais-le toi-même ». Dans le monde de la vidéo en ligne il est une catégorie de bricolage et loisirs créatifs à réaliser soi-même.
- empowerment
- Traduisible par empouvoirement, il définit le processus par lequel l’individu s’émancipe, s’autonomise et se réempare d’un certain pouvoir qui lui échappait jusque-là.
- feed
- Il définit un « flux de données ». Sur les médias sociaux il est souvent présent comme fil d’actualité.
- haul
- Vidéo qui présente les fruits d’une séance de shopping et souvent postée sur YouTube.
- pretty privilege
- Ou le « privilège de la beauté » est un concept qui faciliterait via des avantages sociaux la vie de celleux identfié·es comme belle·aux par la société.
- relatable
- Personne, situation ou histoire à laquelle on peut s’identifier et dont on se sent proche.
- roomtour
- Sur les plateformes en ligne, il est une visite guidée en vidéo d’une pièce donnée.
- scroller
- De l’anglais scroll qui signifie « parchemin », décrit le fait de faire défiler un contenu web sur un écran.
- smokey eye
- Ou « oeil fumé », maquillage des yeux avec des tons foncés qui permet d’intensifier le regard.
- supermodel
- Terme anglais qui définit les mannequins ayant atteint le stade de célébrité.
- tutoception
- Terme emprunté à la logique du film Inception, et présent deux fois dans cet article. Il définit ici le tutoriel d’un tutoriel malgré lui, via une standardisation du genre.
- trend
- Littéralement « tendance », sur les médias sociaux il définit donc les tendances à y suivre.
Références
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Clean girl | Aesthetics Wiki | Fandom. s.d. aesthetics
#cleangirl | TikTok. maj continue. tiktok
L’évolution du statut de la femme dans la publicité. s.d. lapublicité
C’est quoi PeerTube ? | JoinPeerTube s.d. https:
Podcast
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Vidéos
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HOW TO GET THE CLEAN LOOK TIKTOK COMPILATION. 5 avril 2022. Disponible sur https:
Remerciements
Je remercie Corinne Melin pour sa patience, ses relectures et son engouement pour ce sujet. Je remercie aussi Julien Bidoret pour ses références, relectures et conseils avisés.
Aussi, un merci à toustes mes ami·es et proches pour leur honnêteté, leurs encouragements et leur patience face à mes doutes durant l’écriture de ce mémoire.
Enfin, je remercie la consommatrice de vidéos que je suis d’avoir passé autant de temps à visionner des tutos beauté, qui m’ont souvent fascinée et parfois agacée. Et un point bonus pour l’industrie de la beauté qui a su rester fidèle à elle-même pendant toutes ces années hihi.
Téléfilm musical majeur du cinéma signé Disney Channel et sorti en 2006. &
#8617;& #65038; Propos de Mona Chollet tirés du podcast Faire face aux diktats de la beauté, Binge Audio, 2018. &
#8617;& #65038; Un des premiers processus cinématographique bicolores à modèle soustractif des couleurs. Il a été développé par William T. Crispinel et Alan M et utilisé dès le début des années 30. &
#8617;& #65038; Lucie Barette dans Corset de papier, couverture, 2022. &
#8617;& #65038; Video Home System, est une norme d’enregistrement de signaux vidéo sur bande magnétique de 0,5 pouce (1,27 cm) mise au point par la marque japonaise JVC à la fin des années 1970. &
#8617;& #65038; https:
/ ./ fr .wikipedia .org /wiki /Video _Home _System
↩& #65038; Mona Chollet dans la préface de Femmes-femmes sur papier glacé, Anne-Marie Lugan Dardigna, réédition 2019. &
#8617;& #65038; L’information à l’heure du numérique : La révolution Internet, ritimo, 23 janvier 2017. &
#8617;& #65038; Signifie la hauteur de pixel verticale maximale de la vidéo, aujourd’hui la plupart des vidéos sont disponibles jusqu’en 1080p. &
#8617;& #65038; L’usage initial défini par Nicolas Thély dans Vu à la webcam est de diffuser des images en live, comme « un prolongement sur le Web de la télésurveillance ». &
#8617;& #65038; Inside the YouTube beauty community that’s turning makeup artists into millionaires, Amanda Krause, 2020. &
#8617;& #65038; Propos de Mona Chollet tirés du podcast Faire face aux diktats de la beauté, Binge Audio, 2018. &
#8617;& #65038; LA YOUTUBEUSE : UNE FIGURE FÉMININE MÉDIATIQUE, Paul Baudry, Amélie Demay & Margaux Vinel, 2018. &
#8617;& #65038; THE YOUTUBE MAKEUP TUTORIAL VIDEO – A preliminary linguistic analysis of the language of “makeup gurus”, Girogia Riboni, 2017. &
#8617;& #65038; YouTube As A Net « work » : A Media Analysis of the YouTube Beauty Community, Barbara Casabianca, 2016. &
#8617;& #65038; Propos de Mona Chollet tirés du podcast Faire face aux diktats de la beauté, Binge Audio, 2018. &
#8617;& #65038; LA YOUTUBEUSE : UNE FIGURE FÉMININE MÉDIATIQUE, Paul Baudry, Amélie Demay & Margaux Vinel, 2018. &
#8617;& #65038; Tiktok est devenu un réseau social d’information, juillet 2022. &
#8617;& #65038; Thèque 1, Mes années Tiktok. Marlewe Granados, 2022. &
#8617;& #65038; Ibid. &
#8617;& #65038; ou « mannequin hors service », expression définissant le look des mannequins au jour le jour. &
#8617;& #65038; Pourquoi l’esthétique « clean girl » de TikTok pose problème, Tiana Randall, 2022. &
#8617;& #65038; Propos de Rian Phin, commentatrice sociale et auteure, dans ce même article. &
#8617;& #65038; Pourquoi l’esthétique « clean girl » de TikTok pose problème, Tiana Randall, 2022. &
#8617;& #65038; https:
/ &/ ateliers .esad -pyrenees .fr /web /pages /culturenum /mediaqueries / #8617;& #65038; Thèque 1, Mes années Tiktok. Marlewe Granados, 2022. &
#8617;& #65038; Ibid. &
#8617;& #65038; Les personnes en surpoids plus susceptibles d’être censurées par Instagram, Ophélie Surcouf, 2019. &
#8617;& #65038; Joanna Bryson, There is no AI ethics : The human origins of machine prejudice, 2017. &
#8617;& #65038; L’appétit des géants, Olivier Ertzscheid, 2017. &
#8617;& #65038; TikTok Told Moderators to Suppress Posts by “ Ugly ” People and the Poor to Attract New Users, The Intercept, 2020. &
#8617;& #65038; Selon Vanity Fair en 2009. &
#8617;& #65038; TikTok’s Non -Inclusive Beauty Algorithm & Why We Should Care, Priya Melonio, 2022. &
#8617;& #65038; L’appétit des géants, Olivier Ertzscheid, 2017. &
#8617;& #65038; PeerTube par exemple est une plateforme de partage vidéo, conçue comme un outil libre et dont l’accès au code source est libre. &
#8617;& #65038;