«Intelligences» artificielles et design dans les écoles en 2022
Ce texte se veut un résumé de mes récentes observations que j’ai pu faire «sur le terrain » concernant l’arrivée soudaine du Machine Learning dans le domaine graphique (et aussi textuel). J’ai eu la possibilité de travailler et d’échanger avec beaucoup d’étudiants (Head de Genève, école Camondo, ESAD d’Orléans et l’école des Gobelins) sur ce sujet et j’ai ainsi pu voir leurs attitudes face à ces nouveaux et si puissants outils.
Comme d’habitude de vais utiliser le terme IA pour parler de Machine learning (Deep learning…).
les différentes étapes d’appropriation que j’ai pu observer chez les étudiants :
L’étonnement devant la facilité que procurent ces IA dans la production d’images (le prompt), la stupeur.
La peur (à qui appartiennent ces images, se faire copier ?…), c’est d’ailleurs une des première questions juridiques qui arrivent chez de nombreuses personnes au départ.
La pratique et le jeu avec ces IA (je vais faire un vélo en brocolis…), c’est un peu l’étape « grosse blague ».
Le début d’un projet avec un but précis (la conception d’un meuble, d’une police de caractères…) et la compréhension que ce n’est pas si évident de faire une image intéressante même avec ces outils si rapides.
Passer beaucoup plus de temps à sélectionner les images qu’à les produire (allons-nous tous devenir que des directeurs artistiques ou des commissaires d’exposition ?). Je n’ai jamais vu des étudiants réfléchir et discuter autant autours de leurs images.
Mélanger ces images artificielles avec d’autres types images (photo classique, illustration…) et intégrer les IA dans leur production et pratique; considérer que c’est un nouvel outil (qui peut s’utiliser en amont, comme un générateur de planche de style, et aussi lors de la production servant à produire un vivier d’images très importants, et s’utilisent un peu comme un Pinterest ou autre bases d’images).
Exemples de travaux avec les étudiants de l’école Camondo lors d’un WorkShop qui s’est déroulé en septembre 2022 (les images sont toutes issues de ce WorkShop).
Le groupe #04 Leelou Bruillot, Cléo Perrin et Jiao Mei Chen ont travaillé sur un jeu de cartes des sept familles (de designers). Les étudiantes ont choisi des objets que ces designers n’ont jamais réalisés, puis elles ont demandé à Dall-e de générer ces étranges objets. Elles ont dû utiliser des noms de designer extrêmement connus, mais aussi avec un style très démonstratif. En effet, des designers comme Jean Prouvé ou Dieter Rams ne marchent pas très bien (trop minimalistes et trop fin pour ces fameuses IA).
Le groupe #05 avec Elodie Jochmans, Roman Levy et Arthur Brettenacher, a proposé une exposition de photos d’Henri Cartier-Bresson totalement artificielle. Ils ont travaillé avec tous les outils disponibles de Dall-e et DreamStudio (Outpainting, variation, prompt, retouche de zone…). Pour la restitution de ce travail, ils ont proposé volontairement une scénographie très classique, faisant parfaitement illusion de loin et augmentant ce sentiment de surprise lors d’une observation plus attentive. Ils ont passé beaucoup plus de temps à choisir les bonnes images qu’à les produire. Nous passons du verbe à l’image, sans passer par la phase de production (ou alors très très vite), et une des pistes avec ces IA, serait donc de ne plus être que des directeur artistique (ou commissaire d’exposition), à suivre…
Comment gérer au mieux ce nouvel outil (quelques pistes provisoires)
Manier avec habileté les références culturelles dans le domaine graphique (et autres) afin de guider au mieux les IA.
Développer un imaginaire très personnel permettant de sortir de la normalisation imposée par ces IA.
Cacher ses productions des réseaux afin de rester invisible aux yeux de ces IA. Cela permettrait de se garder un jardin secret imperméable à l’insatiable prédation de ces gigantesques bases de données enrichissant les IA. Cela peut-être une stratégie intéressante, mais extrêmement complexe à mettre en œuvre (et aussi comment se faire connaitre, si on se cache ?).
Développer une IA personnelle centrée sur sa propre production (ou alors ses références personnelles) permettant de ne pas affaiblir la pertinence de sa propre production lissée par les millions d’autres références.
Se focaliser sur l’empathie, la politique et l’éthique, chose que les IA ne peuvent (pour le moment) pas appréhender.
Retourner à l’artisanat, le travail manuel…
Etre encore plus « intelligent » (sensible) que ces machines, être excellent dans sa pratique (on ne peut plus être « moyen »).
Se positionner, non plus en tant que simple exécutant, mais en tant qu’auteur.
Se radicaliser, au sens refuser d’utiliser la moindre IA, voir même outil numérique dans ses productions.
La responsabilité des écoles est immense.
Les écoles vont devoir former de jeunes designers (mais aussi ingénieurs…) capables de gérer à la fois les enjeux écologiques et sociaux, et en même temps, apprivoiser cette arrivée massive des IA dans leur pratique. Ils vont devoir repenser le monde tout en essayant de comprendre de nouveaux outils (de nouveaux outils pour un Nouveau Monde !).
Les IA sont là, il faut donc apprendre à les gérer. On peut, par la suite, ne pas les utiliser en connaissance de cause, mais on ne peut pas les ignorer.
Personnellement, j’ai une grande confiance en la capacité des ces jeunes designers (et ingénieurs…) a s’adapter, à contourner, a apprivoiser, à questionner, à jouer, à trouver de nouveaux usages… et je suis même impatient de voir émerger de nouvelles formes, de nouvelle manière de travailler, de nouvelle manière de penser le monde avec ces outils.