Échappant à la course de vitesse de notre société et à la concurrence visuelle qui y est associée, l’œuvre de Hans Eduard Meier se situe dans une veine de la typographie tournée vers la lisibilité et la nuance – se montrant peu attiré par celle consacrée à la visibilité et à l’impact. Sans but lucratif, conçu comme une contribution volontaire à la typographie et à l’écriture, le projet du Syntax aura nécessité près d’un demi-siècle pour que son auteur lui trouve sa juste forme et le développe sous la forme d’un caractère multistyle.
Peut-être est-ce un trait marquant de notre époque que de faire coexister de tels savoir-faire, tournés vers la modération, avec un champ de création en constant renouvellement, aspirant à innover et tout aussi nécessaire. Exprimant un point de vue très tranché, Meier émet les plus grandes réserves sur l’ouverture réalisée par les pratiques récentes et actuelles, et « trouve absurde la typographie qui se fait en employant toutes les possibilités de l’ordinateur ».[24] À travers son parcours et sa production, sa démarche fait écho à l’éloge de la lenteur formulé par l’écrivain Milan Kundera : « La vitesse est la forme d’extase dont la révolution technique a fait cadeau à l’homme. […] Pourquoi le plaisir de la lenteur a-t-il disparu ? ».[25] Un tel parti pris est aussi affaire de tempérament : le typographe, ici, apparaît plutôt comme un interprète et un passeur, appuyé sur l’expérience et convaincu du travail du temps. En cela, Hans Eduard Meier s’inscrit dans une pratique durable de la typographie, poursuivant un aspect du dessin de caractères dont les formes travaillent très lentement siècle après siècle – hors des courants tout en étant de son temps, et bien au-delà de l’échelle d’une vie.