Chapitre 4

Meier commence à enseigner à l’École des Arts Appliqués de Zurich en 1950. Il y donnera des cours d’écriture (dessin de lettre et calligraphie) pendant trente-six ans, y enseignant également la peinture, le dessin et la perspective (fig. 8 et 9). Il exprime ainsi son expérience en matière d’enseignement du dessin de caractères : « L’enseignement de la connaissance des caractères est une branche particulière dans une école d’art visuel. Et elle n’est pas particulièrement appréciée puisque requérant beaucoup d’attention, d’exactitude et de persévérance […]. Le dessin précis d’un caractère est de même un exercice réellement difficile […]. Souvent, les élèves ne sont pas préparés à l’étude de ces matières. […] Grande est donc leur déception devant les exigences de précision et de rigueur dans le travail. Mais sans ces qualités de perfection et de constance, il n’est guère possible de dépasser le stade des balbutiements – non seulement dans le domaine de l’écriture et des caractères, mais encore par exemple dans la représentation exacte de la perspective par le dessin. […] Au cours des premières semaines d’étude des caractères particulièrement, les libertés créatrices sont donc assez réduites. […] Mais ensuite rapidement d’autres exercices, toujours dans la même optique, permettent de dégager une certaine indépendance et une démarche personnelle ».[6]

Figure 8. Travail d’étudiant effectué dans le cadre d’un cours de H. E. Meier. Exercice : création d’une composition avec deux initiales dans un carré (linogravure en deux couleurs, soit quatre couleurs au total).
Figure 9. Travail d’étudiant effectué dans le cadre d’un cours de H. E. Meier. Exercice: découpage des lettres d’un prénom dans une feuille blanche au format A4. Assemblage de ces lettres et des chutes sur un format A3 noir. Travail d’étudiant.

Dès ses premières années d’enseignement, il prépare à l’attention de ses étudiants des modèles d’écritures historiques, fournissant des copies d’exemples calligraphiés de sa main (fig. 10). Ces pages d’écriture serviront de base à l’élaboration de son ouvrage Le Développement de l’écriture. L’opuscule est édité à Zurich en 1959, publié dès l’origine en trois langues – allemand, français et anglais (comme cela se pratique en Suisse, pays multilingue[7]). Si l’ouvrage a fait l’objet d’une dizaine de rééditions, chacune tirée à 2 500 exemplaires – soit quelque 25 000 exemplaires –, il n’avait pas encore été traduit dans une quatrième langue. En 2011, l’éditeur Campgràfic a entrepris d’en publier une version espagnole sous le titre La Evolución de la Letra, témoignant de l’intérêt conservé par ce petit livre plus de cinquante ans après sa toute première édition. Cette publication constitue une étape bienvenue dans l’aventure et dans la réception de l’ouvrage, permettant désormais à un lectorat hispanophone d’en bénéficier.

Figure 10. Planche dessinée par H. E. Meier : étude de l’évolution de la forme des lettres minuscules, précédées de la capitale. Document destiné à ses étudiants.

Le Développement de l’écriture parcourt l’histoire des principales formes d’écritures manuscrites de l’alphabet latin, que viennent compléter une dizaine de caractères typographiques importants – le tout à travers soixante-dix exemples environ. Cette lente évolution traverse 2 500 ans d’histoire, partant des inscriptions lapidaires grecques du Ve siècle av. J.-C. pour arriver aux caractères sans sérifs du XXe siècle, en passant par les capitales quadrata et rustica, les écritures cursives des premiers siècles de notre ère, l’onciale et la semi-onciale, les écritures mérovingiennes et wisigothiques du haut Moyen Âge, la caroline, différentes gothiques (dont la Textura, qui fut aussi le tout premier caractère d’imprimerie), l’écriture humanistique, le caractère romain, la cancellaresca, les caractères néoclassiques, les écritures à la plume du XVIIIe siècle, et l’égyptienne (fig. 11 à 19).

figure 11. Cursive minuscule du IIIe siècle. « Parallèlement au développement en rustica et en onciale, la quadrata donne naissance à une écriture courante, mieux adaptée à un usage quotidien et rapide […] la majuscule donne naissance à une minuscule qui jouera un rôle décisif dans le développement des écritures occidentales ».
figure 12. Semi-onciale romaine du Ve siècle. « Elle aussi, comme l’onciale, est tracée selon une position horizontale de la plume ».
figure 13. Écriture lombardo-bénéventine du XIe siècle. Elle compte parmi les formes d’écritures alors en usage en Italie.
figure 14. Écriture mérovingienne du VIIe siècle. « En France, la cursive romaine donne naissance, au VIIe siècle, à l’écriture mérovingienne et, plus tard, à l’écriture carolingienne du VIIIe siècle ».
figure 15. Semi-onciale irlandaise du VIIIe siècle.
figure 16. Onciale de la fin de la période carolingienne (contours tracés à la plume fine).
figure 17. Minuscule carolingienne des XIe-XIIe siècles.
figure 18. Textura du XVe siècle.
figure 19. Gothique ronde, dite Rotunda, du XVe siècle.

Tous les spécimens d’écriture manuscrite reproduits dans cet ouvrage sont de la main de Hans Eduard Meier. Son objectif premier ayant été de nature pédagogique, il n’a pas cherché la stricte reproduction d’exemples originaux fournis par l’histoire, mais « une mise en évidence de ce que ces modèles présentent d’essentiel et de typique pour illustrer plus clairement le développement des formes d’écriture ».[8] Les lettres apparaissent le plus souvent dans des fragments de texte, et parfois sous la forme alphabétique. Schématique et didactique, l’ouvrage s’attache à retracer les principaux stades de l’écriture grâce à des dessins aussi justes que possible, laissant de côté certains aspects de la calligraphie. En cela, il s’agit d’un intéressant document tant pour le curieux ou l’historien que pour qui veut s’initier à la calligraphie ou se perfectionner. Dans sa courte préface à une réédition de l’ouvrage[9], Max Caflisch explique d’ailleurs que ces « reproductions de calligraphies originales pourront servir de modèles pour des exercices où l’accent sera mis sur la beauté et la pureté des formes, et non sur des valeurs expressives ou émotives ».[10]

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