À l’opposé d’une telle logique de construction, Hans Eduard Meier cherche le dessin, la forme naturelle,
non
calibrée, et l’empreinte produite par un contrôle du mouvement de la main, donc du corps. Son projet
consiste à
introduire une part d’histoire dans un caractère qu’il veut contemporain. Il s’agit de donner à un alphabet
de
notre temps un peu de l’humanisme propre à l’écriture renaissante, en combinant la structure d’une lettre
datant
de six cents ans avec la forme la plus simple de l’écriture latine, sans empattements, remise en circulation
au
XIXe siècle. Pour ces raisons, la valeur du Syntax s’apprécie au regard de l’histoire. Issu d’un
regard précis et d’une pratique minutieuse, le caractère demande à être observé de près. Ses formes les plus
caractéristiques se retrouvent dans les lettres a, b, g, k, n
et
x (fig. 27). Aux caractères de la Renaissance, Hans Eduard Meier emprunte la spécificité
de
certaines formes, par exemple les proportions des jambages inférieurs, ou le dessin du n, dont l’attaque de
la
courbe est assez plate.[15]
Fusionnant dans un même dessin une structure synthétique avec un modèle de lisibilité et d’élégance, le
Syntax
reflète l’harmonie d’une écriture inspirée d’un canon, et procure un grand confort de lecture – bousculant
par
ailleurs une opinion longtemps (et encore) répandue, affirmant la moindre lisibilité du caractère bâton pour
des
textes de lecture courante.[16]
16. Cette position, que partagent certains professionnels du dessin de lettres,
concerne
les
caractères de labeur destinés à des textes d’une certaine longueur. Si elle trouve des explications, il
semble
néanmoins que la première d’entre elles réside dans des habitudes de lecture séculaires – la plupart des
textes
longs étant typographiés en caractères romains depuis des siècles. L’exemple des fontes de John Baskerville
(XVIIIe siècle) témoigne bien du fait que notre perception en la matière est relative, et
orientée
par des questions d’habitude. Reçu avec une certaine hostilité, le Baskerville a pu faire dire à l’un de ses
détracteurs qu’il était « le moyen d’aveugler tous les lecteurs de la Nation [les États-Unis], à cause
de
ses formes déliées très fines » (cité par Allan Haley in : « John Baskerville of Birmingham.
Letter-founder & printer », U&lc (Upper and lower case), New York, vol. 11, n° 4, février
1985,
p. 15). Aujourd’hui, le Baskerville compte parmi les grands modèles classiques du caractère romain appréciés
pour leur lisibilité.
Les premières esquisses du Syntax remontent aux alentours de 1954-1955 (fig. 28). Elles montrent
un
caractère en phase de recherche, qui n’a pas encore l’assise ni la fluidité de sa forme finale (le départ
des
courbes, par exemple, est encore très plat). C’est sans doute là une marque de la complexité du projet, et
la
preuve de l’importance de détails infimes. Les dessins initiaux ayant été tracés à main levée sans règle ni
équerre, Hans Eduard Meier a involontairement donné une très légère inclinaison aux verticales. Imprévue,
cette
donnée à peine perceptible sera finalement conservée, dotant l’alphabet d’une très légère dynamique. Après
plusieurs années de recherche, la première version disponible du Syntax paraît en 1968, déclinée en trois
variantes pour la composition au plomb (romain, italique et demi-gras, selon Meier).[17]
Il faudra quelques années de plus pour que ces premières fontes s’accompagnent de deux nouvelles variantes
(gras
et extra-gras).