Tout le monde dit que je suis méchant

Ettore Sottsass Jr.

Aujourd’hui, tout le monde me dit que je suis très méchant. Tous disent que je suis vraiment méchant parce que je suis designer. On me dit que je ne devrais pas exercer ce métier – et que sais-je encore ? On me dit que cette profession appartient au domaine du rêve (et ce n’est pas un mal d’ailleurs). On me dit qu’un designer a « pour unique et réel objectif d’entretenir le cycle production/consommation », qu’il ne pense pas à la lutte des classes, qu’il ne sert pas la cause et même qu’au contraire il travaille pour le système. On me dit que tout ce que fait un designer est avalé, digéré par le système qui ne s’en porte que mieux et s’engraisse. On me dit qu’on ne peut rien y faire, c’est comme un horrible péché originel : quand quelqu’un en est marqué, c’est pour l’éternité. On veut me faire croire que je suis entièrement responsable de tout ce qui ne va pas et, peut-être puisque je suis designer va-t-on aussi me faire porter la responsabilité de la guerre du Vietnam puisque, par définition, je travaille pour l’industrie, et que l’industrie c’est le Capital et c’est le Capital qui mène les guerres, etc., on connaît la suite. De même, il faut croire que je suis aussi responsable du nombre de morts sur les routes puisque c’est le Capital qui fabrique les voitures. Ce doit être aussi de ma faute si les citadins se suicident, si les histoires d’amour finissent mal ou ne naissent pas, si des enfants sont malades, si les famines, les maladies et, plus généralement, le malheur existent. Il semble vraiment que je sois responsable de tout car je travaille pour l’industrie et qu’ainsi, je suis un technocrate. Je sais des choses que je suis seul à connaître et que je ne devrais pas. On me dit que je devrais, au contraire, savoir comment détruire le Capital. Mais comment fait-on pour détruire le Capital ? Si on m’explique comment faire, si quelqu’un me montre qu’il est vraiment en train de détruire le Capital, alors, peut-être, oui, j’en suis. J’en suis, surtout si, par la suite, on me démontre qu’on ne remplace pas le Capital par des armées de boy-scouts entonnant des chansons débiles sur le chemin du travail, des chansons censées éduquer. J’en suis, si on me démontre qu’on ne remplace pas le Capital par un puissant capital d’État quiprétende en donner une part à chacun, ce qui serait bien, sans aucun doute, si cela n’ouvrait pas la porte aux souffrances que sont l’aliénation, la solitude, la peur, la fatigue, des souffrances en réalité plus noires et plus cruelles que sur le papier. J’en suis, mais uniquement si on remplace le Capital par une jeunesse suffisamment détachée, impertinente, fantaisiste, impétueuse et dotée d’assez de sens du ridicule pour être capable de se moquer d’elle-même et de ce qu’elle fait à mesure qu’elle le fait. C’est à dire une jeunesse qui n’en n’arrive pas à acheter des avions à des industriels américains aux visages pétrifiés et qui ne fasse pas d’affaires avec le Capital sous prétexte de réalisme politique, même sice n’est pas le coeur du problème. Mais comment un designer peut-il détruire le Capital ?

Et puis comment concevoir une industrie sans design ? Toutes les industries fabriquent, plus ou moins bien, des produits, qu’on ait l’impression de faire du design ou non : on en fait toujours. Et même s’il ne semble pas qu’on en fasse, à un moment ou à un autre, il faut bien que quelqu’un s’assoie face à une feuille de papier, c’est à dire devant une table à dessin, avec une lampe dessus, un crayon, une gomme et une règle. C’est pourquoi, design ou pas, il y a toujours un designer. Le problème n’est alors ni celui de l’horrible péché originel, ni de savoir si on est méchant ou pas quand on est designer, mais plutôt de voir ce que chacun réussit à faire par soi-même, de son rôle de designer et de ses objets. Dès lors il se peut que ceux qui me grondent aient raison, mais je voudrais mieux comprendre. Ce qu’on me dit ne me suffit pas. Ainsi je n’accepte pas davantage qu’on me manipule avec un tel charabia, qu’on me conditionne avec des flots de mots, encore et toujours des mots. Même s’ils servent à faire la politique des partis (pour autant qu’ils suffisent à faire de la politique), ces mots n’ont pas assez de sens pour faire la politique du design. Je voudrais que mes détracteurs viennent voir d’un peu plus près ce qui se passe ici, près de cette table et découvrent ce qu’est mon métier, cette nécessité, cette habitude, cette espérance. Je voudrais qu’ils s’approchent et me parlent de choses que je comprendrais, que je pourrais comprendre étant donné que je suis un designer, qu’ils me parlent de choses possibles et justes à faire, avec des mots qui sonnent bien, qui m’évoquent des images, qui provoquent des gestes, qui me permettent d’agir dans le champ de ce que je peux faire, de ce que je sais faire et que je ne peux pas me passer de faire, puisque dessiner n’est pas un métier que j’ai choisi mais un destin dont je ne parviens pas à me soustraire. Je voudrais qu’ils me parlent avec des mots, proches de ceux que je prononce tous les jours pour donner un sens à ce que je suis en train de faire, et non à ce que je pourrais faire et ne sais pas faire, de la même façon que les mots des syndicalistes sont proches, ou tendent à l’être, du langage de tous les jours des ouvriers. Sinon, ils font de moi un dilettante de plus dans l’armée des dilettantes politiques et révolutionnaires, un producteur de mots, de mots et toujours de mots, jusqu’à épuisement total des forces : il y a des mers, des foules, des assemblées, des congrès, des colloques, des paquets, des conteneurs pleins de dilettantes qui savent tout ce qu’ils doivent dire pour être ou paraître révolutionnaires, pour rester là, du côté des « sans péchés » en quelque sorte et qui, ainsi, tranforment la révolution (s’il est question de révolution) en chimère et ne lui permettent pas de se nourrir d’elle-même.
Je ne sais pas si je m’explique bien. Je ne sais pas non plus si j’ai raison. Je ne sais pas s’il existe des termes politiques assez puissants pour déterminer le sens de tous les gestes de la vie ou si c’est l’inverse, à savoir que pour chaque décision prise, chaque geste exécuté, chaque mot prononcé dans le temps et l’espace, on trouve, on enregistre et on confirme un sens politique allant au-delà du discours ou de l’ethnologie des partis. Naturellement, il me semble que cette seconde idée est meilleure si on veut que la révolution ait lieu. Sinon, il y a répression ou, pire encore, tout cela n’est qu’un gigantesque alibi rhétorique, en réalité fragile, aux mains de la réaction, à la merci du système et, plus encore, d’un métier comme celui de designer. Je veux dire que si quelqu’un doit être designer, ses choix libératoires, il doit les faire en étant designer et non en étant, comme on dit, un politique – c’est à dire en devenant quelqu’un qui utilise le langage et des méthodes qui se disent politiques, en devenant quelqu’un qui ne fait que parler, parler, parler. Pendant que j’écris cette histoire, je ne fais pas de design, j’écris cette histoire qui tout compte fait est celle d’un dilettante. Pourtant si par hasard je suis bon à quelque chose, c’est comme designer et c’est tout, le design, c’est mon métier et, de la politique, de la vraie, j’en fais en l’exerçant.

Si j’écris cette histoire c’est parce que je suis fatigué de m’entendre dire que je suis méchant, que c’est un péché originel, et que personne ne m’explique réellement pourquoi. C’était la même chose pendant la guerre quand j’étais chasseur alpin : les engagés, comme on les appelle, me disaient que je devais être chasseur alpin. Il ajoutaient que j’étais un mauvais chasseur alpin, parce que je n’étais qu’un réserviste, je me tenais mal au garde à vous, je ne bombais pas suffisamment le torse, je ne prenais pas d’initiatives militaires et je ne comprenais rien à la guerre selon eux. Ils me disaient aussi que je n’avais pas ce qu’ils appelaient « l’esprit de corps », et tout ce qui s’ensuit. Il paraît que j’étais un désastre du point de vue de la guerre et des engagés parce qu’eux seuls connaissaient le sens du mot guerre, eux seuls savaient comment la faire et surtout, comment la faire faire aux autres. Moi je n’étais qu’un réserviste, un appelé, etc. Ils le disaient aux autres officiers de réserve, aux autres chasseurs alpins, et ils hurlaient, hurlaient, hurlaient et hurlaient sans cesse que nous étions tous méchants.
Eux, ils restaient dans les bureaux de la compagnie. Mais, à la fin, bon sang, de qui se sont remplis les camps de concentration et les cimetières pour l’avoir faite, cette guerre ?

Permacomputing principles

These design principles have been modeled after those of permaculture.

These are primarily design/practice principles and not philosophical ones, so feel free to disagree with them, refactor them, and (re-)interpret them freely. Permacomputing is not prescriptive, but favours instead situatedness and awareness of the diversity of context. Said differently, its design principles can be as much helpful as a way to guide practice in a specific situation, as it can be used as a device to help surface systemic issues in the relationship between computer technology and ecology.

Also, this is a big work-in-progress :)

Care for life

This is the ethical basis that permacomputing builds on. It refers to the permacultural principles of "care for the earth" and "care for people", but can be thought of as the basic axiom for all choices.

Create low-power systems that strengthens the biosphere and use the wide-area network sparingly. Minimize the use of artificial energy, fossil fuels and mineral resources. Don't create systems that obfuscate waste.

Care for the chips

Production of new computing hardware consumes a lot of energy and resources. Therefore, we need to maximize the lifespans of hardware components – especially microchips, because of their low material ?recyclability.

Keep it small

Small systems are more likely to have small hardware and energy requirements, as well as high understandability. They are easier to understand, manage, ?refactor and ?repurpose.

  • Dependencies (including hardware requirements and whatever external software/libraries the program requires) should also be kept low.
  • Avoid pseudosimplicity such as user interfaces that hide their operation from the user.
  • Accumulate wisdom and experience rather than codebase.
  • Low complexity is beautiful. This is also relevant to e.g. visual media where "high quality" is often thought to stem from high resolutions and large bitrates.
  • Human-scale: a reasonable level of complexity for a computing system is that it can be entirely understood by a single person (from the low-level hardware details to the application-level quirks).
  • Scalability (upwards) is essential only if there is an actual and justifiable need to scale up; down-scalability may often be more relevant.
  • Abundance thinking. If the computing capacity feels too limited for anything, you can rethink it from the point of view of abundance (e.g. by taking yourself fifty years back in time): tens of kilobytes of memory, thousands of operations per second – think about all the possibilities!

Hope for the best, prepare for the worst

It is a good practice to keep everything as resilient and collapse-tolerant as possible even if you don't believe in these scenarios.

  • While being resilient and building on a solid ground, be open to positive and utopian possibilities. Experiment with new ideas and have grand visions.
  • Design for descent.

Keep it flexible

Flexibility means that a system can be used in a vast array of purposes, including ones it was not primarily designed for. Flexibility complements smallness and simplicity. In an ideal and elegant system, the three factors (smallness, simplicity and flexibility) support each other.

If it is possible to imagine all the possible use cases when designing a system, the design may very well be too simple and/or too inflexible. Smallness, simplicity and flexibility are also part of the "small, sharp tools" ideal of the Unix command line. Here the key to flexibility is the ability to creatively combine small tools that do small, individual things.

  • Computing technology in general is very flexible because of its programmability. Programming and programmability should be supported and encouraged everywhere, and artificial lock-ins that prevent (re)programming should be broken.
  • Design systems you can gradually modify and improve while running them.

Build on a solid ground

It is good to experiment with new ideas, concepts and languages, but depending on them is usually a bad idea. Appreciate mature technologies, clear ideas and well-understood theories when building something that is intended to last.

  • Avoid unreliable dependencies, especially as hard (non-optional) dependencies. If you can't avoid them (in case of software), put them available in the same place where you have your program available.
  • It is possible to support several target platforms. In case of lasting programs, one of these should be a bedrock platform that does not change and therefore does not cause software rot.
  • Don't take anything for granted. Especially don't expect the infrastructure such as the power grid and global networking to continue working indefinitely.
  • You may also read this as "grow roots to a solid ground". Learn things that last, enrich your local tradition, know the history of everything.

Amplify awareness

Computers were invented to assist people in their cognitive processes. "Intelligence amplification" was a good goal, but intelligence may also be used narrowly and blindly. It may therefore be a better idea to amplify awareness.

  • Awareness means awareness of whatever is concretely going on in the world/environment but also awareness of how things work and how they situate in their contexts (cultural, historical, biological etc).
  • You don't need to twiddle with everything in order to understand it. Yin hacking emphasizes observation.
  • It may also often be a good idea to amplify the computer's awareness of its physical surroundings with things like sensors.

Expose everything

As an extension of "amplify awareness": Don't hide information!

  • Keep everything open, modifiable and flexible.
  • Share your source code and design philosophies.
  • State visualization: Make the computer visualize/auralize its internal state as well as whatever it knows about the state of its physical environment. Regard this visualization/auralization as a background landscape: facilitate observation but don't steal the attention. Also, don't use too much computing resources for this (updating a full-screen background landscape tens of times per second is a total overkill).

Respond to changes

Computing systems should adapt to the changes in their operating environments (especially in relation to energy and heat). 24/7 availability of all parts of the system should not be required, and neither should a constant operating performance (e.g. networking speed).

  • In a long term, software and hardware systems should not get obsoleted by changing needs and conditions. New software can be written even for old computers, old software can be modifed to respond to new needs, and new devices can be built from old components. Avoid both software rot and retrocomputing.

Everything has a place

Be part of your local energy/matter circulations, ecosystems and cultures. Cherish locality, avoid centralization. Strengthen the local roots of the technology you use and create.

While operating locally and at present, be aware of the entire world-wide context your work takes place in. This includes the historical context several decades to the past and the future. Understanding the past(s) is the key for envisioning the possible futures.

  • Nothing is "universal". Even computers, "universal calculators" that can be readapted to any task, are full of quirks that stem from the cultures that created them. Don't take them as the only way things can be, or as the most "rational" or "advanced" way.
  • Every system, no matter how ubiquitous or "universal" it is, is only a tiny speckle in a huge ocean of possibilities. Try to understand the entire possibility space in addition to the individual speckles you have concrete experience about.
  • Appreciate diversity, avoid monoculture. But remember that ?standards also have an important place.
  • Strict utilitarianism impoverishes. Uselessness also has an important place, so appreciate it.
  • You may also read this principle as: There is a place of everything. Nothing is obsolete or irrelevant. Even if they lose their original meaning, programmable systems may be readapted to new purposes they were not originally designed for. Think about technology as a rhizome rather than a "highway of progress and constant obsolescence".
  • There is a place for both slow and fast, both gradual and one-shot processes. Don't look at all things through the same glasses.

source: https://www.articule.net/2018/11/23/ettore-sottsass-tout-le-monde-dit-que-je-suis-tres-mechant-1973/

Texte paru en 1973 dans le Casabella n°376 sous le titre original Mi diconno che sono cattivo