Comment pouvons-nous, penser/panser le futur effondré à travers des fictions intimes et collectives ?
Comment exprimons-nous notre éco-mélancolie ?
Mona a toujours rêvé de cet effondrement, même si ces rêves étaient parfois peu avouables et tout à fait secrets. D’abord parce qu’un véritable cataclysme serait une preuve de sa clairvoyance, validant son militantisme tout en le renvoyant à une définitive inutilité, ensuite parce qu’elle souhaitait toujours que le monde soit révolutionné et plus souvent encore que crèvent le monde dont elle a hérité et tous ceux qui y vivent, car à quoi bon leurs vies minuscules et destructrices, leurs vies d’insectes aveugles ou malveillants, habités par la volonté de tout ronger en dépit du bon sens.
— Tabor, Phoebe Hadjimarkos Clarke
Quelles esthétiques accompagnent l’imaginaire de l’effondrement ?
Comment se réconcilier avec nos sentiments contradictoires face à la fin du monde tel que nous le connaissons ?
Je veux vivre avec le trouble et je ne connais qu’une manière de le faire : elle réside dans la joie générative, la terreur et la pensée collective.
— Vivre avec le trouble, Donna Haraway
Depuis des jours que les lichennes s’épuisent à marcher à travers la grisaille épaisse de pétrole en confettis, le paysage n’a pas changé. Les marqueurs de territoire indiqués sur les anciennes cartes sont méconnaissables. Calla ne jure plus que par sa boussole et les fait avancer coûte que coûte. Malgré les gourdes pleines d’algues-à-purger, il est difficile de trouver de l’eau sur le chemin. Là où un ancien étang figurait sur les cartes, il ne reste qu’une boue plastique, mélasse grise et collante. Thelma souffle fort, tousse de plus en plus fréquemment. Elle suçote en continu un petit bâton de réglisse pour au moins saliver, mais elle se sent sèche. […]
— Les Lichennes, Marine Forestier
[…] Mais comment penser l’urgence de cette situation sans avoir recours aux mythes complaisants et autoréalisateurs de l’apocalypse ? Chaque fibre de notre être fait partie, et même s’avère complice, du tissu des processus qui doivent, d’une manière ou d’une autre, être combattus et réorganisés. Récursivement, la figure est entre nos mains, qu’on l’ait voulu ou non. Penser, nous devons : ainsi faut-il répondre à la confiance de la main tendue.