Ce mémoire marque le début de mon DNSEP et d’un cycle de travail sur les zines. Un sujet avec lequel j’ai toujours eu une certaine affinité, mais sans jamais réellement le questionner … jusqu’à maintenant.

Pressé par le temps et les difficultés que j’ai eu à trouver le matériel à analyser (de par sa nature), je n’ai parfois pas eu la chance de pouvoir m’encrer suffisamment dans les communautés et le vif de mon sujet. Voici toutefois le résultat de mon travail, qui je l’espère viendra apporter des réponses, ou soulever quelques questionnements auprès de mon cher lectorat. Bonne lecture !

Introduction

Si vous êtes étudiant en design ou amateur d’art, vous connaissez probablement le terme « fanzine ». On fait, on collectionne, on aperçoit fréquemment ces petits ouvrages. On leur porte souvent une grande affection pour leur contenu, leur âme ou leur rareté. Pourtant, toutes ces éditions qu’on partage de mains à mains, qu’on vend sur les marchés graphiques ou en librairie sont si différentes les unes des autres.

Alors que nous sommes aujourd’hui dans l’ère post-numérique, qu’Alessandro Ludovico définit au cours de Post-Digital Print comme l’époque dans laquelle le numérique n’est plus une nouveauté et s’est intégré à nos vis et nos usages : Quel va être l’impact de notre familiarisation avec ce média ?

Étant designer tant de l’imprimé que du numérique, j’ai fini par me poser une question sur ces ouvrages qui semblent si fondamentalement lié au tangible :
Est-ce que l’art du zine est intrinsèquement lié à une pratique imprimée, ou est-ce que certains glissements par (ou vers) le numérique sont envisageables ?

Cet écrit va donc chercher à répondre à la question problématisée ainsi :

Un paradigme de la micro-édition tel que formulé historiquement par les zines est-il compatible avec les outils et enjeux de l’ère post-numérique ?

I. Zines : une pratique de l’imprimé …

1. Historique de la micro-édition alternative

Historique jusqu’au miméographe

Depuis de nombreux siècles, les sujets ou citoyens se sont regroupés pour parler d’idées politiques. D’abord dans des salons de haute société au cours de la France des Lumières, puis au sein des milieux ouvriers après la révolution industrielle1. Cependant il est moins accessible d’imprimer tout un journal à l’aide d’une presse au XIXe siècle, que de produire un pamphlet à l’aide d’un miméographeLe miméographe en question, le premier moyen d’impression – relativement – personnel. Cet ancêtre du duplicopieur vient alors démocratiser les moyens de production (avant les machines à écrire, puis les scanners et imprimantes) ce qui permet une création rapide et non-censurée de manifestes ou supports de dialogues mettant en forme les opinions du peuple. C’est alors le début d’un développement de l’auto-édition politique et contestataire du pouvoir2. Ces éditions partagées dans des circuits alternatifs, souvent entre individus en pair-à-pair, se sont ensuite également développées dans le cadre des travaux culturels comme la littérature dans l’exemple du samizdat. Aujourd’hui, cette branche de publications politiques et sociétales existe notamment du côté des milieux LGBT+, au travers desquels circulent des textes et réflexions plus élitistes, demandant un socle de références préalables.

Zine, Fanzine, Graphzine … les grandes catégories

Au cours du siècle précédent, les auto-publications auto-éditées ont eu divers objectifs et préoccupations. Elles devraient donc être traitées en conséquence. Je qualifierai de zine ce grand groupe. Ce qui fait d’une édition un zine, c’est son échelle de production entre très petit et moyen tirage (pour les plus ambitieux) ainsi que le rejet d’un contrôle ou d’une censure de la part de maisons d’édition. Cela permet de développer une pensée ou de partager des informations pointues, avec une instantanéité qui se voit interdite par le processus d’édition classique (Toffoli. C, 2020). À son origine, le zine est censé être périodique – souvent de manière irrégulière – mais par glissement de sens et abus de langage cette préoccupation s’estompe et disparaît.

Sous ce terme parapluie de zine se retrouvent tant des manifestes sociétaux ou politiques que des publications par et pour les fans : les fanzines ; que des essais graphiques : les graphzines.

Les fanzines sont des publications qui se partagent entre férus d’un sujet précis. Il en existe pour tout, cuisine, science-fiction, jeux-vidéos (Triggs. T, 2010) … Avec un « pic de production dans les années 50 » (Ludovico. A, 2016) ils bénéficient alors de cette risographie rudimentaire du miméographe. Un des fanzines plus notoires est Sniffin’ Glue Couverture et extraits du 12e numéro du fanzine punk Sniffin’ Glue, un fanzine destiné aux amateurs de musique punk-rock britanniques. Ce fanzine a été une étoile filante : paru l’espace de quelques mois seulement (1976–1977) c’est toutefois devenu une référence dans le milieu tant par son ton direct, décalé et teinté d’humour, que par son esthétique brute et DIY qui s’assumait tant qu’elle se mettait en avant. Ce fanzine a d’ailleurs contribué à poser les bases de l’esthétique punk.

Les graphzines quant à eux sont caractérisés tant par leurs praticiens, que par leur contenu. Ce sont en quelques sortes des livres d’artistes DIY3. Cette forme de zine permet donc à l’artiste / designer de pratiquer et expérimenter son art sans réellement s’inquiéter d’enjeux économiques, de plaire à une cible ou de se conformer à un système éditorial comme l’explique Camille Toffoli dans son entretien. Ces graphzines sont des objets expérimentaux et libérateurs qui permettent une pratique enrichie et libérée, tout en sortant du cadre de la commande (É.Ozeray in Pour un design graphique libre).

2. Le chemin de l’autonomie : éviter la censure

Il me semble essentiel de commencer cette partie par un aparté sur le samizdat, dont la nature est liée intrinsèquement au fait d’échapper la censure. Ce courant d’auto-publications dissidentes, date de l’URSS des années 50 (jusqu’à la fin du régime) et trouve son origine dans une recherche d’émancipation de la censure du bloc de l’Est. Ces écrits de poésie, de littérature et de politique se partageaient sous le manteau dans une peur intense du régime et du KGB. Chaque personne recevant un exemplaire réalisait ensuite une poignée de copies, la plupart du temps à la machine à écrire ou à la main, le fond prenant ici largement le pas sur la forme. Les lecteurs-éditeurs trouvaient alors des moyens de camoufler leurs écrits. Un moyen courant étant de cacher un texte au sein des couvertures des travaux admis du régime. La peine associée à la possession ou la contrebande de tels ouvrages étant le goulag ou un séjour auprès du KGB, les liens de communauté créés alors par les lecteurs étaient d’autant plus fort.

En occident toutefois, à la même époque, la liberté d’expression était censée être acquise. Pourquoi les zinesters chercheraient donc à éviter une censure ?

La création de zines – et plus particulièrement de fanzines – relève d’une envie de partager quelque chose de cher à son créateur. C’est un média de la contre-culture. Si l’édition classique est une haute-culture, le fanzine en est la basse-culture ; dans sa recherche d’émancipation, de se placer à contre-courant, de produire libre de règles. La culture mainstream quant à elle, a ses propres médias reconnus, tels que les magazines traditionnels, les journaux, des émissions TV etc. L’explosion de cette pratique contestataire du fanzine va main dans la main avec les préoccupations du mouvement punk. Comme énormément de mouvements artistiques, cette pratique vient se placer en opposition avec quelque chose, le fanzine s’opposant à la culture en place.

Ce mode de fonctionnement non-formalisé passe donc par des moyens de production plus modestes car moins organisés. Choisir la liberté d’expression avant l’ère numérique, c’est choisir l’autonomie dans le circuit de publication car les maisons d’éditions n’iront pas dans votre sens. Grâce à ce choix, les zinesters avaient donc un espace, un média afin de parler de ce qui leur tenait à cœur.

« Fanzine writers were free to say whatever they wanted without having to worry about journalistic standards and conventions or the demands of owners, publishers, designers and production editors. Spelling mistakes, bad grammar and egomania were commonplace but nobody really cared. » (stillunusual)

Les zinesters n’ayant pas toujours d’affinité avec le design graphique ou le façonnage, le contenu prime souvent sur la forme. Une publication DIY permet de dire ce qu’on veut, comme on veut, car elle est auto-produite, auto-éditée, auto-publiée.

« On essaie plutôt d’exprimer ses propres opinions, d’une part, et de compléter des questionnements qu’on ne trouvera pas dans la presse nationale, dans les livres ; des opinions à la marge, différentes. […] Et puis des idées personnelles aussi. Parce que voilà, un fanzine ne se sent pas la vocation d’être forcément professeur ès questions de genres mais il va donner ses opinions perso. C’est ça qui est intéressant, cette démarche elle est personnelle. Elle est pas forcément universitaire, ni objective parce que c’est aussi une vertu du fanzine cette subjectivité qui amène beaucoup. » (Bourgoin M. 2022)

La deuxième de couverture du fanzine Bondage4Couverture du fanzine punk Bondage met bien les mots sur ce sentiment général de son époque : « It’s 1976 OK, and you still can’t say fuck on TV ». Les zinesters veulent pouvoir s’exprimer sur n’importe quel sujet, sans filtre, et avoir la liberté d’avoir leurs propres « unpopular opinions ».

Au final, toutes ces initiatives isolées ont fini par rapprocher des gens et créer des communautés. Dans les années 70 et 80, on fait l’acquisition d’un zine en l’achetant chez le disquaire, en l’empruntant à un ami. Que ce soit en se regroupant dans un endroit spécialisé ou en échangeant entre passionnés, il y avait un rapport humain qui rapproche. Une fois dans la boucle, l’accès se voyait grandement facilité. Les communautés se sont aussi rapprochées entre elles via les recommandations des lecteurs entre eux, et celles des créateurs dans leurs zines.

« Fanzine writers often encouraged their readers to create zines of their own, even to the extent of writing “how to” guides which would generally include a breakdown of how much everything cost. It also became customary for fanzines to include (usually favourable) reviews and/or the mail order details of other fanzines. So buying one zine often led you to send off for several more. » (stillunusual)

Le développement de telles communautés parallèles a fortement contribué à la naissance de différentes contre-cultures. De nos jours, on retrouve des fonctionnement similaires via Reddit ou Discord, où des internautes se regroupent sur des subreddits et serveurs à thèmes. Toutefois, les communautés offline continuent toujours à fleurir avec le glissement du papier vers une valeur affective et esthétique. (Ludovico. A, 2016)

En soi, le zine est une pratique à vocation communautaire. Quelle que soit sa forme, on ne produit pas réellement ce genre de micro-édition pour soi. Ce qui ne l’empêche pas d’être un plaisir, d’être une œuvre dans laquelle on met de soi.

« A zine […] is an affective object that invites the creators to inject their “ soul ” into a physical form. Odd One Out artist Yiyu Lam said that a zine is an “ intimate vehicle ” through which she can communicate her feelings. » (K.Tong, 2020)

L’intérêt de cette pratique, quand on en est consommateur, c’est de faire partie d’une culture, d’un groupe d’amateurs, de vivre sa passion. Quand on est créateur, c’est aussi de voir comment son édition va interagir avec ou impacter les autres, car son sujet nous tient à cœur. Au final, c’est pour donner à voir à autrui une réflexion, des conseils, un univers intérieur qu’on fabrique un zine. C’est une démarche sensible et personnelle, qui provient de l’intérieur pour l’extérieur.


3. Le chemin de l’autonomie : produire en « faisant avec »

Dans Bricolages en design, Sophie Fétro évoque une notion qu’elle appelle « bougé technique ». Cette notion représente la

« capacité à prendre des distances avec les usages courants […] tout en les ayant parfaitement intégrés, qui lui [le designer] permet de pressentir un résultat sans toutefois exactement le prévoir ».

Elle enchaîne avec :

« Le designer fait œuvre de design à chaque fois qu’il « instaure » ce détour, ce « pliage technique », autrement dit à chaque fois, non pas qu’il se plie à la technique, mais qu’il s’éloigne de ses régulations imposées, déloge la technique de sa droiture, déroge à son efficacité, fait exister un rapport non régulier à la technique ».

Cette idée que le bougé – et plus largement bricoler – c’est faire faire œuvre de design, différencie une approche de designer/bricoleur, et une approche d’ingénieur comme la définit Lévi-Strauss dans La Pensée sauvage. Cette différenciation trouve son origine dans le décalage qu’ont leur interprétation de l’efficacité. Le zine est à l’origine une production de peu de moyens. Le zinester va donc adopter une approche de bricoleur, en faisant avec ce qu’il a et s’en accommodant lors de la création. Là où l’approche d’une grande maison d’édition se rapprocherait éventuellement plus de l’ingénierie car les moyens déployés sont bien plus vastes. Le procédé de conception de l’objet éditorial alors se libère (toutes proportions gardées) de la préoccupation matérielle à disposition et peut faire design in a vacuum.

Cette approche de bricoleur par les zinesters est tant voulue que subie. En effet, les zinesters choisissent cette approche en privilégiant la liberté par le biais de l’auto-édition. Cependant, il en découle des contraintes économiques et matérielles liées à une production autonome. Une auto-édition, qui est auto-publiée et veut se distribuer aisément entre individus, ne peut pas avoir un coût de production faramineux. Le coût de production par édition doit donc être faible, vu qu’il est imprimé en petits tirages. Cette recherche d’une production à moindre coût pousse donc à faire avec ce que l’on a sous la main.

Pour étendre le domaine des possibles, les créateurs peuvent en venir à collaborer avec d’autres individus. Démultiplication des savoir-faire, du matériel accessible, réduction éventuelle de tarif chez un ami imprimeur et tant d’autres choses qui invitent à l’autonomie et non pas à l’indépendance5. On en arrive donc à une autre façon de « faire avec » ; où on ne parle plus de se débrouiller avec ce qui est devant nous, mais de dépasser ce cercle fini pour l’élargir via la collaboration. Alors, on fait avec quelqu’un.

II. … Jusqu’au numérique

Dans les années 90, la pratique du zine s’est étendue au numérique avec le début de la démocratisation des ordinateurs personnels. Cela a donné naissance aux e-zines.

Ils sont complexes à aborder parce qu’il est ardu de réellement définir ce qu’est un e-zine tant ce terme a regroupé des productions prenant des formes différentes. On pourrait séparer dans la terminologie un webzine en tant que « magazine publié sous forme d’un site web, sans contrepartie imprimée » (source : Wikipedia). Un problème que j’ai avec cette définition est qu’elle se base sur le terme magazine, et non pas dans la continuité du zine de la contre-culture. Ce qui dérangea également Larry-bob, éditeur de l’e-zine Holytitclamps :

« There is no apostrophe in zine. Zine is not short for magazine. A magazine is a product, a commercial commodity. A zine is a labor of love, producing no profit. In magazine, information is just another ingredient, thinly sliced layers to keep the cream filling of advertising from sticking together. Information is the reason a zine exists; everything else, down to on. » (Larry-bob, date inconnue)

Le e-zine serait alors un zine se trouvant sur un support numérique et à vocation de lecture multimédia. Fred Wright les définissait tel quel il y a une vingtaine d’années dans sa thèse From Zines to Ezines: Electronic Publishing and the Electronic Underground :

« The ezine category is one which takes many forms. […] For the purpose of the study, I used this categorization to denote the publication of new material online that was not available in print. In some cases, the publishers operated exclusively online whereas in other cases the publishers still operated in print, but featured exclusive material on their electronic publications. »

Au final, en analysant les différentes entrées de The Ezine Directory ou eZINESearch, deux databases qui succèdent philosophiquement à la E-Zine List6 de John Labovitz ; on peut y trouver ces webzines et e-zines dont certains ressemblent à s’y méprendre à des blogs, ce qui pose la question :

1. Les e-zines sont ils vraiment des zines ?

E-zines, blogs et réseaux sociaux

On pourrait penser qu’avec l’arrivée d’internet, le zine aurait été remplacé par d’autres moyens de partager l’information, comme les blogs, puis les réseaux sociaux. Si cela a été vrai sur certains points (e.g l’annonce d’évènements, la promotion d’autres créateurs…), ces médias ont tout de mêmes des façons d’être sensiblement différentes.

Jenna Freedman l’évoquait en 2005 dans Zines Are Not Blogs: A Not Unbiased Analysis. Elle parlait d’une différence économique disant qu’on a vraiment besoin de très peu de ressources (papier, stylo, ciseaux, colle…) pour faire un zine, alors qu’un ordinateur et accès internet étaient bien plus coûteux. 17 ans plus tard, cette analyse est devenue erronée, à minima dans le cadre de nos sociétés occidentales. Rentrés dans cette ère post-digitale, il n’est pas excessif de dire que l’accès à internet est acquis, dans sa poche ou à domicile7 . Toutefois Freedman différenciait à juste titre la manière dont l’instantanéité qui se manifestait dans les blogs et les zines :

« I think the key distinction is that a blog posting tends to be written and published on the spur of the moment, as opposed to a zine’s creation over time. Most zines tend to be compiled, with material gathered, written, or drawn over weeks, months, or years, and actually edited » (Freedman. J, 2005)

L’instantanéité dans les réseaux sociaux et blogs est quasi littérale dans le sens où il suffit d’une paire de secondes pour envoyer un tweet ou une story Instagram. Cette idée d’instantané dans l’édition de zine, existe plutôt par opposition à l’édition papier traditionnelle et son processus de publication long et laborieux (Toffoli. C, 2020). Elle se reflète aussi dans la manière de s’adresser à son lectorat, sans filtre dans le propos du zinester : l’opinion d’un passionné, pour des passionnés.

Au travers de cette évolution des moyens d’expression, d’abord avec le fanzine, puis le blog8 et enfin via les réseaux sociaux, on observe une évolution dans le moyen de partager.

Elle se concentre sur trois points : l’accessibilité, la temporalité du support, et sa matérialité.

Les zines sont naturellement difficiles d’accès. Des petits tirages, distribués dans des cercles restreints. C’est un objet physique, pérenne et immuable, sur lequel on va éventuellement revenir s’il est dans notre bibliothèque. Ce dernier est manipulé et bénéficie de la « chaleur » du papier. C’est une édition limitée, qu’on achète, ce qui crée un lien affectif et un certain hic et nunc9

Les blogs eux, ne sont pas forcément faciles à trouver, mais le nombre de tirage n’étant pas limité, son public est virtuellement infini. Étant accessible via les moteurs de recherche, il n’est pas géographiquement confiné. Les blogs créent un lien périodique avec le lecteur : on s’attend à une nouvelle entrée et on peut voir l’évolution des écrits, là où les fanzines ont tendance à disparaître subitement. Cela apporte une notion d’archivage, sous réserve que le blog reste hébergé.

L’arrivée du support numérique, sans matérialité et « froid » comparé au papier, permet toutefois toute une nouvelle panoplie de façons de naviguer le contenu, amenant du contenu multimédia animé, audio et interactif. On perd toutefois ce sentiment affectif lié à la préciosité, qui aura plutôt tendance à devenir un sentiment d’appartenance avec les réseaux sociaux.

Enfin, les réseaux sociaux. Ce sont des plateformes centralisées où tout est regroupé sur un même site, une même application. Au travers d’onglets « Discover », l’usager peut y voir du contenu en tout genre10. Tout y est fait pour être consommé de plus en plus vite. D’abord avec Vine et ses vidéos courtes, puis avec la démocratisation des stories et l’arrivée de TikTok. L’accès aux posts sauvegardés sur Instagram devenant plus difficile au cours des années est le parfait exemple de cette politique du « ne pas regarder en arrière » des réseaux sociaux. D’ailleurs tout le contenu est stocké sur des serveurs propriétaires, l’information n’est donc pérenne qu’au dépends de l’entreprise. Il ne reste que peu d’emprise sur ces applications, par comparaison aux zines.

On peut donc dire que les différents moyens d’expression publiés des passionnés ont muté au cours des ans. Des fanzines aux réseaux sociaux en passant par les blogs, on observe une évolution provoquée par internet et sa capacité à mettre en réseau tant les informations que les individus. Cette évolution peut être résumée en quelques points. Tout d’abord l’accessibilité permise par internet permet de partager sa voix et ses opinions de manière moins coûteuse, à un public moins restreint. Ensuite, l’édition s’est dématérialisée, ce qui a tendance à réduire l’attachement au contenu. Enfin, de pair avec cet éloignement se trouve l’augmentation de l’information à la minute, ce qui réduit l’attention du lecteur au profit / en dépit d’une plus grande quantité de contenu.

La problématique de l’hébergement du contenu abordée plus tôt résonne fort avec un évènement de notre actualité fin 2022 : le chaos Twitter.

Avec l’arrivée d’Elon Musk à la tête de la plateforme et les nombreux changement qu’il y a imposés, Twitter a été ébranlé pendant plusieurs mois. Les problèmes de modération, visions alarmistes de la chute de Twitter, et la réalisation de ce qu’impliquait son hégémonie, ont poussé des centaines de milliers d’usager à migrer sur son concurrent open-source : Mastodon11.

Ce grand mouvement met en lumière une envie d’une tranche d’internautes de regagner un contrôle sur leur contenu en ligne, après une décennie de centralisation du contenu multimédia vers Facebook, Twitter et consorts. Que se passerait-il en cas de fermeture de ces plateformes ? Qu’adviendrait-il de nos posts, nos tweets, nos discussions privées, nos contenus likés ? 2023 sera peut-être une année qui marque la quête d’un retour vers un web autonome aux visées autogestionnaires, qui cherche à éviter la censure et une vie aux dépends d’une poignée de réseaux sociaux. Ce qui marquerait un renouveau de la préoccupation première des zines : s’auto-éditer pour dire et partager ce qu’on veut.

2. L’énergie zine et le sampling numérique

Cet éventuel retour vers un web plus autonome s’alignerait fortement avec ce qu’on peut appeler « l’énergie zine ».

C’est cette envie qui pousse les individus à produire leur propre publication, leur propre zine. Ça regroupe de nombreuses envies et préoccupations. Nous avons déjà cité précédemment l’importance capitale de l’autonomie, tant pour éviter la censure que par volonté autogestionnaire. Le fait d’éditer un zine est une décision forte en soi.

« Faire un fanzine, c’est déjà un acte militant à la base […] c’est dire je fais par moi-même, sans aucune contrainte extérieure, sans censure, sans qu’on me dise, il faut faire comme ci il faut faire comme ça… Je fais absolument librement. C’est déjà un acte de militantisme. […] On va se sentir totalement libre et ça c’est déjà un acte de résistance à la passivité. » (Bourgoin. M, 2022)

Elle place directement son auteur dans une communauté, dans une contre-culture où il ne rend de compte à personne si ce n’est ses pairs.

Le fait de produire des petits tirages ou d’être au sein de communautés serrées amène les zinesters à produire des publications à l’échelle humaine, empreintes de leur personnalité. Ce qui permet de toucher plus sincèrement leurs lecteurs. Le système économique de ces éditions montre qu’elles sont créés par passion, et non pas dans un espoir lucratif. Nombreux sont ceux qui pensent problématique que la recherche de l’argent vienne retirer de sa pureté au propos.

« From their viewpoint, magazines are produced for money, and for money alone; the magazine supplies a demand in the marketplace and would not exist if there were not money to be made from advertisers and readers. Consequently, Larry-bob and other zine publishers view the zine as the antithesis of the magazine; it is uncorrupted by money or the demands of advertisers. » (Wright. F, 1997)

Pour continuer, il semble pertinent de se plonger dans une technique qui caractérise bien toute cette « énergie zine » évoquée précédemment. Une pratique de l’ère pré-numérique qui a été totalement reprise et magnifiée par l’outil informatique : le sample.

En effet, le numérique a une propension folle à la culture du sample. « Enregistrer sous », « Ouvrir avec > Photoshop / Paint / Gimp … », tout autant d’opération qu’on a tous réalisés en tant qu’usager du numérique. On fait un PowerPoint en récupérant des images sur internet sans vérifier leurs licences. Les cultures du libre promouvaient l’open-source. Les internautes envoient des captures d’écrans. Ce fait de « piocher » chez l’autre est omniprésent parce qu’il est rendu facile.

Avec un œil de designer graphique, on peut analyser les méthodes et les esthétiques développées par les communautés d’internet via le sampling.

On retrouve pêle-mêle montages, memes, screenshots ou encore le prélèvement d’images. Le fait de retirer un impératif matériel à la naissance et au partage de l’image a causé leur multiplication. Plus besoin d’imprimer, de développer des photos ou d’entasser des dizaines de magazines pour trouver une image. Une recherche sur Google Images ou sur des sites d’images stocks comme Unsplash suffisent à illustrer un propos. Cette abondance de visuels, accompagnée de leur facilité d’accès, et par la simplicité de manipuler ces mêmes images, a conduit les communautés du numérique à désacraliser ces visuels.

Twitter, Reddit et TikTok regorgent d’internautes qui accompagnent d’un trait d’humour les screens de vidéos ou d’émission TV. Un des points culminants de cette époque de la désacralisation du visuel par les memes a été atteint vers 2018–2019, au sommet des deep-fried memes. Ces derniers, au delà des implications de leur média, voient leurs visuels endommagés et saturés, au point de devenir presque incompréhensibles.

En voici une rapide analyse des points les plus intéressants. Premièrement : comment le visuel en est arrivé là ? On peut trouver une origine dans le partage de screenshots, qui sont à leur tour capturés, et qui à chaque nouvelle itération sont réencodés et perdent donc en qualité. Cet article nous offre une citation à ce sujet :

«  It implies that, whatever the incomprehensible content may be, it somehow resonated with enough people to get to you in this godforsaken state » (Voidboi, 2022)

Deuxièmement, dans la continuité de la citation ci-dessus, c’est un contenu hyper référencéAllez comprendre ce meme sans connaître Juan. Pour comprendre ces memes, il faut passer suffisamment de temps sur internet et en voir suffisamment pour ne pas se « laisser dépasser ». Car tout va très vite, et certaines blagues rentrent dans la culture populaire en quelques jours seulement.

Enfin, ce qui marche au final dans ce type d’humour, c’est sa valeur choc. D’habitude par une association particulièrement absurde ou politiquement incorrecte, mais ici par des visuels distordus au possible, compréhensibles par un cercle « d’initiés ».

Faire tomber le visuel de son piédestal est de nos jours plus facile que jamais. Chaque téléphone propose un appareil photo, de prendre des captures d’écransCaptures en creux, un zine constitué de memes et captures d’écrans. Lien sur lesquelles on peut dessiner, mais aussi une multitude d’applications pour modifier des images. Tout ce qui était possible dans les années 80 l’est toujours : couper, coller, dessiner, scanner etc. Des fanzines reprenant l’esthétique Sniffin’ Glue étaient fait en découpant des images, tapant à la machine et finissant au feutre, puis en photocopiant le tout. Le visuel servait le propos. On assistait donc à du dessin par dessus les images, des ratures, qui parfois faisaient effet de palimpseste. L’important résidait alors dans le sens d’urgence d’en parler, même si les médias mainstream ne le font pas.

Dans cette approche désinvolte, cette désacralisation, on retrouve des caractéristiques qui existaient des décennies auparavant avec le mouvement punk. Cela donne comme résultat des esthétiques plus libérées, directes et sans prétention.

Pour finir, un bon moyen de résumer toute cette démarche, cette « énergie zine » est de citer un extrait de So, You Want to Start a Zine? écrit par Steven Svymbersky

« Before getting out your scissors and committing your thoughts to paper, ask yourself, “Do I have anything new to say? Do I know any new ways to say them?” These are tough questions to answer honestly. Everybody thinks their ideas are truth. So also ask yourself, “Do I have any talent? Can I write better than your average college graduate? Can I draw a straight line … consistently? Do I have superior taste and sense of design?” When you’ve answered yes to all these questions, ask them of someone close to you-someone who will tell you the truth. Finally, if it is agreed by many that you have the direction and talent to pull off something special, take the time to do it right. For you extraordinary few, I offer these recommendations in the hope that as you prepare to cast your lure, you’ll do it with skill and panache. The rest of you can go back to watching television. » (Svymbersky. S, date inconnue)

3. Analyses de cas

1. La visionneuse d’Electric Zine Maker

Au cours de mes recherches sur les e-zines, on m’a fait découvrir ElectronicZineMakerExemple d’un zine en réalisation sur EZM sur itch.io12 (qu’on va raccourcir en EZM). C’est un logiciel de PAO libre, créé par AlienMelonqui permet à tout un chacun de produire un zine de manière plutôt simple. Le logiciel fait l’imposition, inclus des tutoriels sur le façonnage, et permet bien sûr de créer et modifier du visuel. Il comprend donc une foule d’outils différents, allant du pinceau et du texte à des outils plus incongrus comme l’outil « Glass Stamps » qui déforme le visuel comme vu au travers d’une ville en verre. Ou encore l’outil « runny ink » qui produit des tâches qui s’étendent, avec des bords similaires à une tâche d’encre. Cet ensemble d’outils et la démarche du logiciel sortent EZM du carcan d’un autre Photoshop-like, tout en le plaçant dans la ligne éditoriale légère et loufoque d’AlienMelon.

En continuant de naviguer sur itch, on découvre un groupuscule de zinesters qui y partagent leurs créations. Nombeux utilisent un outil créé par Jeremy Oduber un internaute qui a créé un script pour permettre de récupérer les fichiers produits par EZM, et les lire sous forme de liseuse en ligne. D’une part, c’est un hack très intéressant de l’outil de base. Mais d’autre part, cela ne permet que de « donner un aperçu », une sorte de maquette lisse du produit fini. Car malheureusement, je ne pense pas que cette façon de visionner un zine soit un rendu final. C’est une approche figée dans un skeuomorphisme13L’application Bibliothèque d’Apple en 2012, une beauté du skeuomorphisme digne d’Apple en 2012. Cette manière de faire, pas particulièrement mauvaise, reste loin d’être la meilleure. Elle n’est au final que l’imitation bâtardisée d’un autre média, sans bénéficier de ses nombreux avantages. On peut citer la « chaleur » du papier : son grain, sa manipulation intrinsèque, le pouvoir d’annoter, déchirer et tant d’autres. Cette copie ne reprend que les points fonctionnels, c’est à dire un codex, avec des pages recto-verso – ce qui crée toutefois un vis-à-vis, qui a un certain intérêt de par sa rareté dans le numérique. Au delà du support immatériel et sa capacité à s’inscrire dans un site, on ne profite d’ailleurs pas réellement des avantages du numérique non plus. Impossible de scroll des pages avec un contenu adaptatif, changer la taille des polices, obtenir une traduction automatique etc.

Personnellement, contrairement à la critique posée ci-dessus, je trouve cet add-on génial. Il vient remplir un vide dans la capacité à visualiser un contenu virtuel avant de l’acheter. Il peut également permettre de servir de maquette pré-impression, pour voir si les vis-à-vis fonctionnent ou non. Cependant, si on supprime à cet outil ces enjeux, qui servent comme étapes dans l’accompagnement du lecteur ou du créateur ; on obtient ce que les agences de marketing appellent des flipbooks numériques. Des .pdf sous forme de livres virtuels sans aucun intérêt. Toutefois, à l’heure où j’écrit ces lignes, certaines écritures de ces espaces numériques commencent à utiliser les avantages de leur médias : images animées, hyperliens ou carrousel.

2. alt.zines et la E-Zine List

L’essence même d’internet est de relier, de créer des réseaux. C’est donc tout naturellement qu’une des applications phares du numérique avec les zines soit de relier les gens. Nous aborderons ici certains exemples de distribution des débuts du numérique.

Avant ces réseaux online, la distribution se faisait offline via réseaux postaux, d’individu à individu, dans des boutiques liées au thème dudit zine (ie. discaire, librairie…).

« I never took them by hand to sell at gigs. I was lazy, so I sold them through record shops – Rough Trade, Virgin. Using their distribution networks, you could get them to pretty much every shop in the country. » (Perry. M. on Sniffin’ Glue, 2019)

L’arrivée des pages web, des blogs, réseaux sociaux et autres supports d’expression en ligne n’a pas été instantanée. Une fois le numérique arrivé, les premiers zinesters ont produit des déclinaisons numériques dans des fichiers textuels, parfois avec des visuels ASCII. La distribution s’est alors adaptée, entre accès FTP14, échanges par mails, ou groupes de discussion. En parlant d’e-zines je pense qu’il est nécessaire d’aborder à un moment ces places fortes des zines électroniques du début d’internet.

alt.zines est un groupe de discussion sur Usenet15 datant de 1992. Comment le décrire mieux que par une citation de ses créateurs à son sujet :

« alt.zines is a place for reviews of zines, announcements of new zines, tips on how to make zines, discussions of the culture of zines, news about zines, specific zines and related stuff. » (Pore. J & Vielmetti. E, 1992)

C’était plus ou moins un des seuls groupes de discussion dédié aux zines sur internet au cours des années 90’s. La singularité d’alt.zines permettait d’avoir toute un communauté regroupée à un seul endroit. Ce qui a mené à de nombreux débats entre zinesters, entre lecteurs et autres.

Ensuite, uniquement centrée sur les publications numériques, la E-zine List de John Labovitz. C’est une documentation d’e-zines, commencée en 1993. Labovitz fouillait et parcourait le web, en contactant les zinesters pour mettre en place une liste particulièrement fournie et précise. Ensuite il envoyait mensuellement sa liste aux abonnés de cette proto-newsletter, en demandant à ces derniers leur avis sur la liste et les nouvelles parutions, et enrichissant la liste via les allers-retours avec le lectorat.

Ainsi, via cette liste John Labovitz utilise les caractéristiques d’internet afin de pouvoir relier, mettre en réseau des centaines d’e-zines et de zinesters au même endroit. C’est en quelque sorte une bibliothèque accessible à toute sa communauté, partout dans le monde.

Aujourd’hui cette liste n’est plus entretenue ni hébergée. Toutefois certaines initiatives similaires ont repris le flambeau, comme The Etext Archives jusqu’à 2009, ou encore The Ezine Directory jusqu’en 2018.

Plus récemment, une autre forme de distribution issue du numérique est le mouvement des Dropbox zines. Le terme « Dropbox zines » est tiré de la thèse DIY Print Activism in Digital Age par K-L. Tong. Il s’en sert pour qualifier les zines distribués au travers d’hébergeurs de fichiers en ligne comme Dropbox ou Google Drive. Ce paradigme de partage de zines via un hébergeur en ligne n’est pas nouveau car c’était déjà un modus operandi des premiers e-zinesters. C’est en quelques sortes une réactualisation de l’usage des FTPs.

3. Quelques webzines et e-zines

Voici l’analyse de deux e-zines très différents afin de vous donner un aperçu de ce que peut-être un zine numérique.

  1. acid-free

Aperçu du 3e volume d’Acid-Free Acid-free se qualifie de manière en tant que « The e-zine of visual arts » et « An E-zine of Visual Art, Literature and Net Culture ». C’est réellement une drôle de publication. Chaque volume prend place sur son propre site. À mi-chemin entre site web expérimental et e-zine, on y retrouve alternativement de la poésie, de l’art sans explication, tant virtuel que tangible sous forme de photo. Le 3e volume était également accompagné d’une soundtrack composée pour l’occasion, mais introuvable de nos jours.

Ce thème du document incomplet est intéressant à questionner dans le cadre du support digital. Le site n’étant plus accessible tel quel, j’ai dû recourir à WebArchive afin de visiter les pages telles qu’elles étaient en 2002. Certaines pages et images n’ont pas été sauvegardée, et parcourir le site revient presque à naviguer dans une ville à moitié inondée. On en devine l’usage et certaines zones sont encore fonctionnelles, mais d’autres sonnent faux voire disparaissent. C’est une notion – le lien mort – qui est relativement inexistante dans la pratique imprimée des zines. Tant que l’édition n’est pas déchirée ou perdue elle reste intacte et pérenne.

Quant à Acid-free, en en regardant la structure des zones fonctionnelles, on tombe sur des mécaniques ludiques, comme des chasses au trésors. Alors peut-être cette navigation pêle-mêle qui semble même enrayée était en réalité prévue comme telle ou presque.

  1. 40zines

40zinesAperçu du dernier 40zines est un graphzine collaboratif sous forme de flipbook numérique. Il a été publié à partir du premier confinement, en 2020. Ce qui le rend plutôt unique, c’est le contexte de sa création. Durant ces quelques mois où les sorties étaient impossible, la réponse des créateurs du graphzine a été de permettre à des artistes de se retrouver. Ils ont donc lancé leur appel à contribution et ça a été une occasion pour les créateurs de se découvrir les uns les autres, se rencontrer.

Le choix du support numérique est ici purement une contrainte technique, pour simplifier le partage de la publication et réduire frais et façonnage. C’est parfois dommage car certaines des œuvres qu’on retrouve dans le zine ont un grain particulier, ou des jeux de trames qui auraient pu profiter d’un passage à l’imprimé.

Pour ce qui est l’emploi des spécificités du média, j’avais pensé au premier abord qu’il était relativement faible. Le site web hébergeant les zines étant maladroit, utilisant une visionneuse pour montrer ses publications estampillées d’un « Powered by flipsnack ». Mais je m’étais trompé. Le support est exploré au travers d’hyperlien vers les Instagram des artistes – ce qui renforce la puissance d’exposition et d’émulation communautaire de la démarche – et surtout par le biais d’images animées. Bien que les images animées ne soient pas nouvelles dans les publications numériques (cf. GIF ou bannières sur les webzines et forums), les voir ainsi sur un format codex permet d’entrevoir différentes possibilités des zines dans les années à venir.

III. Quelles options à l’ère post-numérique ?

1. Explorer et hybrider numérique et analogique

« […] many of the interlocutors communicated that they feel optimistic about the future of zine production, as they believe that zines are irreplaceable. The arrival of digital age does not necessarily bring the death of traditional print media; on the contrary, it marks the transformation in its fundamental modes of production. » (K.Tong in ZINES vol.1)

Un des enjeux les plus intéressants de l’ère post-numérique est l’usage qu’on va faire du numérique, maintenant qu’il n’est plus une nouveauté. Comment allons nous utiliser une technologie qui a désormais un historique, s’est démocratisée, et a développé des techniques subséquentes plus pointues. Dans le cadre de l’édition, l’enjeu phare se trouve à la lisière du numérique et de l’imprimé.

L’hybridation la plus courante de nos jours est le QR code. Une fois scanné avec un téléphone, ce code barre 2D permet d’obtenir du contenu, le plus souvent une redirection vers une page web ou une application.

Mais les hybridations peuvent aller plus loin et apporter plus. Au travers de son graphzine introspectif Insecurties I’m trying to hide behind meAperçu du zine, d’abord à nu, puis en réalité augmentée, Bella Cardenas expérimente une édition hybride à l’aide de réalité augmentée (AR). La lecture se fait donc en deux temps. Un premier, à l’œil nu, où on découvre des messages positifs qu’elle se laisse. Puis un second, au travers l’application d’AR, où apparaissent ses insécurités. Elle y utilise du texte, de l’image animée et une narration audio avec sa voix.

Les applications de cette association sont presque infinies. Cela permet d’avoir un objet imprimé et pérenne, qui se voit augmenté ou complété par l’AR. Les portes sont donc ouvertes à du contenu génératif via des APIs16, ou bien du contenu visuel animé, audio, voire même interactif (à l’échelle d’une édition ou de tous les tirages). Les informations, statistiques ou commentaires peuvent être mis à jour par l’auteur, bien que l’objet soit originellement imprimé. Ce qui apporte flexibilité et malléabilité à un objet fait pour être figé.

Toutefois, est-ce-que apporter ces nouvelles écritures serait compatible avec la préoccupation principale du fond avant la forme ?

Auto-éditer un zine tangible demande moins de capacités techniques qu’un e-zine (hébergement web, programmation), d’autant plus si on rajoute des éléments interactifs. La force du print étant dans son intuitivité, sa matérialité et sa simplicité. La force du numérique, elle, est dans sa capacité à mettre en réseau, permettre la flexibilité du contenu et apporter le multimédia. L’intérêt du numérique se débloque alors au travers d’une complication.

Il serait donc intéressant de fournir aux zinesters des outils pour leur permettre d’étoffer leur palette transmédia, en rendant plus accessibles les techniques numériques. Cela en restant en accord avec ce désir d’autonomie, en créant des outils libres, comme Electric Zine Maker par exemple.

Mais à quoi ressemblerait un e-zine utilisant pleinement les capacités suggérées précédemment ? Serait-ce une unique page web avec tout son contenu dans une étendue 2D, un ensemble de pages connectées à la manière d’un site ?

Ben Roswell propose un début de réponse intéressant dans un poème. Dans son projet dyslexia poem Aperçu d’extraits du poème mis en page la narration avance grâce aux interactions de l’usager. Principalement le clic, mais aussi le hover, et le scroll. Le choix de la forme appuie le fond, en permettant au lecteur d’imaginer certaines difficultés d’une personne dyslexique. La navigation avançant à chaque clic crée un lien entre le lecteur et l’histoire, la transformant en une expérience vécue.

Au final, la question capitale est de comment imaginer un zine alliant imprimé et numérique qui investirait pleinement les capacités transmédias.

Nous avons déjà une amorce de réponse au travers de ce mémoire, élaboré pour être consultable en version web et imprimée grâce à paged.js17. Ce choix a l’avantage – lors d’une consultation virtuelle – de permettre l’ajout de GIFs, d’hyperliens, un partage facile du contenu, et le rendant facile à consulter n’importe où car responsive. Sa version WebToPrint permet quant à elle de bénéficier des avantages du numérique de par sa force de personnalisation. On peut choisir le format, le texte s’adaptera. Chaque personne avec une imprimante peut obtenir son exemplaire et choisir de n’en imprimer qu’un extrait. Une fois imprimée, cette version appartient au lecteur, et sa pérennité est liée au soin de son propriétaire. Enfin, le contenu à la source est mis à jour. On peut ainsi imprimer une partie rajoutée à posteriori.

2. Mitiger la brièveté

Je pense que l’éphémérité que subit le numérique est souvent liée à son manque de matérialité. J’ai été mis sur cette piste lors de mon entretien avec la Fanzinothèque (qui a un biais pro-imprimé).

« Je trouve qu’il y a un vrai retour à l’artisanat parce que je pense que quand on est artiste on ne peut pas être totalement satisfait de juste un Photoshop ou d’un truc comme ça. Ça manque un petit peu de matière disons. Donc les gens retournent quand même vraiment beaucoup à l’artisanat mettre les mains dans la peinture. » (Bourgoin, M. 2022)

C’est probablement en partie lié au fait qu’on aura beau naviguer tout internet sur notre ordinateur, on sera resté sur sa chaise. Alors qu’une édition imprimée est son propre média et sera lue dans des contextes différents. Mais lire une publication numérique dans d’autres contextes impose l’usage des smartphones, ou de mettre en place des dispositifs plus complexes (ie. scénographie d’exposition).

Comment créer ce rapport affectif qu’on a avec le zine, un objet manipulable et tangible, dans le cadre numérique, sans matérialité et au rythme de consommation bien plus rapide ?

CyberRag est un e-zine créé en 1990 par Jaime Levy pour sa thèse de master. Distribué sur des disquettes poussées à leurs limites, ça a été une production révolutionnaire. Influencée par les jeux vidéos et la culture punk, Levy a créé un des premiers zines utilisant plusieurs médias. Elle a ainsi samplé textes, images, musiques, et a créé une expérience interactive en utilisant les codes de storytelling venus des jeux. Le premier numéro de CyberRag contient de la poésie, des animations contre la guerre du Golfe ainsi que des jeux.

« I had to send the disk out to all the magazines that I respected, like Mondo 2000 and High-Performance magazine, and the editors would get them and they’d look at them and they’d be like, “What the fuck is this?” And then they’d stick it in their computer and it would explode with all this content » (Levy. J, 2022)

En lisant cette partie d’une interview de Jaime Levy, j’ai réalisé ce qui manquait selon moi à la majorité des zines numériques que j’ai pu visionner. C’est ce sentiment d’happening : « Il se passe quelque chose, je suis tombé sur quelque chose qui en vaut la peine ». À la vitesse à laquelle on consomme le contenu sur internet, c’est souvent difficile de s’émerveiller devant un énième site. La solution pour retrouver ce « facteur wow » peut se trouver dans un écartement du web.

En effet, les disquettes de CyberRagCollection des numéros 1 à 3 de CyberRag et des numéros 1 et 2 d’Electronic Hollywood, tous produits par Jaime Levy sont des objets qui existent dans une espace physique. Qu’elles traînent ou soient bien rangées sur un bureau, dans une étagère ou autre, elles existent physiquement. Cela a un impact sur la manière dont on va s’en souvenir, on va y faire attention, se souvenir du contexte dans lequel on les a eu / les a laissées.

Du coup, comment mitiger l’éphémérité qu’on trouve dans le numérique ? Probablement en arrêtant d’entrer en compétition avec tous les autres internautes pour quelques secondes d’attention. Pour ce faire, créons donc des plateformes alternatives hors des réseaux établis, tout en les rendant suffisamment intéressantes et attractive pour en valoir le détour. Changeons notre manière de consommer le virtuel en cessant de vouloir tout dématérialiser. À une époque où une clé USB 8GB peut coûter 3€, revenir au périphériques est facile18. Place à la manipulation physique, et l’accès volontaire, et non subi (par opposition aux notifications, réseaux sociaux, publicités …) à l’information et au contenu culturel.

Conclusion

Au travers de ce mémoire, nous avons cherché à comprendre la pratique du zine au travers plusieurs époques et plusieurs médias. En partant de l’imprimé pré-internet, puis les débuts des publications numériques, avant d’imaginer un futur possible dans l’ère post-numérique.

On peut sans difficulté tirer des questions subséquentes à la problématique d’origine :

Un paradigme de la micro-édition tel que formulé historiquement par les zines est-il compatible avec les outils et enjeux de l’ère post-numérique ?

Par exemple, est-ce que la création de zines, fanzines ou graphzines imprimés est toujours pertinente ? La réponse est bien sûr. On n’a pas arrêté d’écrire à la main lors de la création du clavier. Les auto-éditions qu’elles soient totalement imprimées, ou totalement numériques bénéficient chacune des avantages intrinsèque à leur média. Que ce soit une valeur sentimentale liée à un zine exposé dans sa bibliothèque, ou bien la grande audience qu’on peut atteindre sans frais avec un e-zine.

Toutefois la réponse à la problématique originale se concentre sur la compatibilité avec les outils et enjeux de notre ère.

Ce paradigme établi de la micro-édition auto-publiée se base sur quelques points clés. Premièrement, l’autonomie de l’auteur dans une volonté autogestionnaire, afin de partager un avis subjectif sans censure ou limite dans ses propos. Cela permet de donner une voix aux communautés de différentes contre-cultures et aux minorités oubliées ou mal représentées par les médias dominants. Deuxièmement, ce choix de l’autonomie pousse le zinester à faire avec ce qu’il a – c’est plus particulièrement vrai dans l’imprimé. La volonté de partager sa passion ou son message, sans arrière-pensée lucrative, et ce sans l’aide de maisons d’édition, force l’auteur à jouer de la débrouille19. Cela se fait parfois au détriment du fond car l’accent est mis sur la forme. On peut regrouper ces deux premiers points par le terme parapluie de « l’énergie zine ». Troisièmement, on trouve la recherche d’un sens de communautés, d’individus similaires, aux mêmes centres d’intérêts.

Ces enjeux sont plutôt compatibles avec l’ère post-numérique. Particulièrement le fait de se retrouver au sein de communautés spécifiques, minoritaires et parfois marginalisées. Cependant, internet et l’arrivée de plateformes telles que Reddit ou Discord simplifie bien plus la mise en relation au sein de tels groupes que n’importe quelle forme de zines. Désormais, le rôle des zines se trouve sans doute autre part. Une de ses forces se trouve dans le fait que ce soit un objet standalone. Il développe et contient une opinion, un bout de pensée, un message. Peut-être qu’à une époque où les échanges entre individus n’ont jamais été aussi instantanés et fréquents, le rôle des zines se trouve plus dans la création de mini-manifestes ou le partage d’expériences avec une certaine profondeur, plutôt que dans du contenu qu’on pourrait aborder d’une paire de SMS.

Toutefois, l’arrivée de nouveaux outils et d’autres préoccupations devrait pousser les zinesters à adopter de nouvelles pratiques encrées dans cette ère post-numérique. Par exemple, nos sociétés passent de plus en plus de temps sur des écrans, à consommer du contenu animé ou interactif. Comment le donner à voir au travers d’une publication classique ? Les zines numériques ont commencé à répondre à cette question au travers l’incorporation de contenu multimédia, qu’il soit vidéo ou audio. Quelle est la prochaine étape ? Les réponses sont multiples et vont de l’accès multi-plateformes à un même contenu, à la réalité augmentée. D’ailleurs, avec une éventuelle démocratisation des réalités virtuelles, les utilisateurs vont-ils développer une pratique éditoriale ? Certains s’en servent déjà d’espace d’exposition ou de concert 20, ce n’est donc pas inimaginable.

Un autre exemple réside dans le fait de garder à jour une information. Au travers de mon interview avec Marie Bourgoin de la Fanzinothèque, elle a soulevé ce point dans les fanzines :

[En parlant du fanzine papier] Ce que ne fait pas un réseau social, ne fait pas un site internet qui est toujours au même niveau, dans une espèce d’intemporalité. Ce qu’on aime bien dans le fanzine, c’est qu’un fanzine des années 80, le papier est jaune, il est craquant, les agrafes sont rouillés enfin il est daté dans le temps il est figé dans le temps. Il restitue beaucoup plus d’une époque qu’un site web, clairement. (Bourgoin. M, 2022)

Les fanzines d’antan étaient effectivement des morceaux d’opinions datés, immuables et témoins de la pensée de son auteur à un instant T. Toutefois, avec l’arrivée des outils du numérique et l’accélération constante de notre société, nous pourrions songer à utiliser ces derniers pour garder un contenu à jour. On pourrait par exemple user d’APIs pour illustrer les derniers posts d’untel artiste évoqué dans un fanzine, ou afficher des nombres actualisés de certaines statistiques dans un autre. Ce mode de fonctionnement soulève cependant la question de l’archivage et la propriété du zine. Si le contenu est hébergé, l’archivage doit-il être forcé ? Doit-il permettre de voir chaque version ? Si le contenu est imprimé, comment avoir accès à cette information actualisée ?

Pour conclure, la pratique du zine a encore de beaux jours devant elle. Elle est née d’une volonté d’adaptation à son époque, et à continué à le faire au travers divers changements d’horizons, d’outils et de médias. En se faisant, elle a changé d’apparence, parfois de fonctionnement, mais jamais de préoccupations. Pour continuer à faire évoluer cette pratique à l’ère post-numérique, il n’appartient qu’à nous de continuer à chercher des solutions et associations au sein de l’imprimé, du numérique et entre eux. Tout cela dans l’optique de développer des écritures créatives, plus justes et donnant de nouvelles alternatives à nos contemporains et tous ceux qui viendront après.

Guilhem Pujol
Entretiens

Entretien

Entretien avec Marie Bourgoin de la Fanzinothèque, le 17.12.2022.

Au travers des yeux d’une structure qui archive des fanzines depuis plusieurs décennies, comment voir l’avenir du fanzinat ? De par cette discussion avec Marie Bourgoin, documentaliste à la Fanzinothèque de Poitiers, j’essaye d’affiner ma compréhension de l’histoire des zines, de leur nature, de ses praticiens.


Après une courte description de mon sujet de mémoire j’en arrive à la problématique

Guilhem : Un paradigme de la microédition telle que formulée historiquement par les zines est-il compatible avec les outils et enjeux de l’ère post-numérique ?

Marie : Je trouve que tu es en plein dans les problématiques actuelles qu’on se pose aussi. Nous la problématique avec le mot fanzine et le mot microédition, c’est que ça recouvre pas les mêmes réalités. Puisque à la base, depuis le début du fanzine, le fanzine c’est un périodique, ce n’est pas la microédition qui va être du livre. Après ce qui va les réunir – c’est pour ça que l’on dit “micro” – c’est que ce sont de faibles tirages. Mais ce sont quand même deux objets aussi différents qu’un livre et un magazine. À la base il y a quand même cette différence qui devient très très flottante actuellement, puisque le terme fanzine est utilisé à toutes les sauces. Ce qui devient gênant puisqu’on sait plus toujours vraiment où on en est. Mais le fanzine à la base c’est un périodique c’est-à-dire c’est un magazine d’information d’abord. Alors évidemment depuis les réseaux sociaux toute la partie informatique des fanzines s’est glissée bien sûr sur Internet, parce que pour des tas de raisons tellement évidentes : que c’est gratuit, qu’on touche beaucoup de monde, pour les fanzines musicaux on peut rajouter de la musique … c’est bourré d’avantages. Donc on a beaucoup moins de fanzines musicaux actuellement, ce qui nous a permis de faire ressortir quand même tout un nouveau pan de la création graphique qui justement n’a pas envie d’Internet, ou en est blasé, ou qui n’en est pas satisfait. Et il y a un retour justement par la microédition a beaucoup plus d’artisanat. C’est-à-dire de la risographie, de la gravure, de la sérigraphie etc. avec toujours cette idée de faire des petits objets en peu d’exemplaires. Et donc l’arrivée d’Internet à dévié le fanzine vers d’autres objets. Mais ça n’a pas arrêté. Cela peut toutefois changer sa nature. Ce que je peux dire aussi c’est que chez les gens, je trouve qu’il y a un vrai retour à l’artisanat parce que je pense que quand on est artiste on ne peut pas être totalement satisfait de juste un Photoshop ou d’un truc comme ça. Ça manque un petit peu de matière disons. Donc les gens retournent quand même vraiment beaucoup à l’artisanat mettre les mains dans la peinture, faire du découpage, du collage, du pliage et vont utiliser plutôt internet et les réseaux sociaux pour la diffusion, pour la communication, pour se présenter à l’extérieur. C’est les grandes tendances que je vois actuellement. 

G Et dans les publics qui s’intéressent aux différents types de zines, est-ce qu’on a vu une évolution vis-à-vis des personnes intéressées ?

M Ce qui se passe actuellement c’est que effectivement les beaux-arts et toutes les écoles d’art sont pas sensibles et essayent de sensibiliser leurs élèves à la microédition. Est-ce que cela développe vraiment le public ? Je ne suis pas sûre, ça reste quand même quelque chose de niche, avec un public très très restreint, d’amateurs, de passionnés. Ça s’adresse rarement au plus grand nombre, ce n’est pas vraiment la vocation du fanzine que de correspondre aux tendances du moment. C’est même plutôt le contraire. Donc est-ce que ça se développe ? Je dirais que c’est pas mieux, pas pire.

G **D’accord, donc il n’y a pas vraiment eu réellement d’évolution. Parce que avant l’arrivée des blogs et des réseaux sociaux, c’était un moyen de partager entre passionnés, mais avec l’arrivée d’internet en fait, ces discussions se sont déplacées. Comme on disait avant, le fanzine est peut-être plus devenu un terrain d’expérimentation graphiques.** 

M Oui voilà. Parce que c’est vrai que tout cet aspect de communication il est plus simple sur les réseaux sociaux. Sur un site internet on peut réactualiser, être toujours à jour. Le problème du fanzine, c’est qu’il est un peu long à produire et qu’il est souvent périmé quand il sort. Dans les fanzines informatifs il y a souvent des gros soucis à ce niveau-là. Quand il s’agit de graphzines, on est un peu intemporel, ça pose plus du tout de problèmes. Donc tout ce qui est domaine de la communication pure, on est sur les réseaux sociaux et après : ce retour au papier, à la valeur papier, à la valeur sentimentale aussi de l’aspect physique de la chose. Il y a le grain, l’odeur, il y a des choses qui bon, ne sont pas rendues sur Internet et qui je pense, gênent un peu les artistes. 

G C’est à dire ?

M Je pense qu’une production purement numérique, manque de chair. Et je pense pas que ce soit satisfaisant pour les artistes. Si toutes leurs production … après il y a tout ce que l’on va appeler les arts numériques c’est conçu pour, c’est fait pour, il n’y a pas de problèmes. Mais je sais que voilà, publier sur Internet c’est un peu aussi fausser les couleurs, on n’a pas idée du format ou très difficilement, ni de l’épaisseur. Il y a beaucoup de données que je trouve gênantes, qui ne vont pas être présentes.

G C’est vrai que le numérique parfois va être moins ergonomique quand on parle de publication que l’objet papier, dans la manière dont on le manipule. Ça a plus de chaleur le média papier.

M Oui et puis tu vois par exemple je pense justement à énormément de leporellos alors que sur Internet, ça rend rien du tout

G Au final Internet, c’est un leporello. Une page web, c’est une page qui défile, qui glisse…

M Le leporello, au final s’il est dans l’autre sens tu vas te tordre le coup mais tu vas pas du tout pouvoir manipuler comme le papier. Puis si c’est un leporello où selon les pliages tu vas voir des images en correspondance ou autre, cela va être compliqué à rendre. Ça va être beaucoup plus compliqué à rendre que sur l’objet papier qu’on peut manipuler ou ouvrir de différentes manières le retourner… La manipulation est beaucoup plus chiante sur Internet.

G À la fanzinothèque vous archivez, vous regroupez plein de fanzines, de graphzines imprimés mais est-ce que vous vous intéressez également aux pratiques numériques. Même avant ça : d’où est venue cette démarche d’archiver, de regrouper ?

M Cette démarche elle est très ancienne car ça date de 1988. Donc ça fait plus de 30 ans que la ville de Poitiers – étant une ville étudiante, jeune, socialiste – a décidé d’ouvrir ce petit lieu. On avait déjà le confort moderne qui est un lieu de concert punk à l’époque. Voilà, c’était pas du concert institutionnel, c’était vraiment très underground. Et il y avait déjà ce lieu, et quand des jeunes de Poitiers ont demandé à la ville de Poitiers : « On voudrait une fanzinothèque », la ville a dit OK. Elle a donc embauché quelqu’un pour se faire, et puis lui a fourni une petite pièce à l’intérieur du confort moderne. C’est-à-dire dans un lieu de concert, ce qui est à l’époque en ’88 ’89 le fanzine était vraiment énormément musical donc c’était parfaitement cohérent qu’on soit dans un lieu de musique. Voilà, et la ville ne nous a pas retiré sa confiance, c’est quand même une initiative municipale ce qui est quand même plutôt paradoxal pour un lieu de contre-culture. C’est assez unique dans son genre. Puis ils ont embauché une personne à mi-temps et puis il y a eu tout un groupe de passionnés qui s’est créé, qui s’est mis autour, qui a réussi à se faire embaucher au fur et à mesure des années. Donc cette structure elle perdure depuis voilà plus de 30 ans. Elle est tout à fait reconnue nationalement internationalement. Je pense que c’est le deuxième plus gros centre de conservation de fanzine derrière San Francisco, pour te dire l’importance du truc. Le fait qu’on existe depuis très très longtemps ce qui nous permet d’avoir par rapport à d’autres petites fanzinothèques qui se montent maintenant, on a tout un fond historique qui est maintenant très compliqué à récupérer.

G De la nature même du fanzine qui rend compliqué l’archivage comme ça. Et du coup est-ce que vous avez une continuité dans les gens qui travaillent à la fanzinothèque ? Des gens qui sont là depuis presque le début, depuis le début ?

M Alors oui, ça a un peu bougé mais par exemple, pour te dire : moi je suis là depuis le début, Gilou – le comptable – qui bossait avec nous était là depuis les début mais il est parti l’année dernière. Andy, qui est le nouveau directeur, lui suit la fanzinothèque, il était président de l’asso depuis 15–20 ans. Donc il y a quand même cette continuité dans le personnel.

G Et du coup vous pratiquez de votre côté le fanzine ? Est-c’est que vous en faites, vous êtes artistes en même temps ou plus amateurs ?

M J’suis pas artiste mais oui. On fait des fanzines très régulièrement, on vient d’en sortir un avec d’autres fanzinothèques. J’en fais plusieurs par an. Après c’est pas des fanzines persos, c’en est de la fanzinothèque. Sur les fanzines. Des fanzines sur des fanzines… On appelle ça des méta-fanzines ! Il y a suffisamment de matière sur le fanzine pour maintenant avoir des publications qui s’intéressent vraiment au fanzines. Dans leur globalité, soit par thème parce que bon entre la bande dessinée et la musique ça peut être assez différent. Il y a aussi tous les tendances politiques, y a aussi toutes les tendances sociétales avec les questions de genres, les questions d’écologie, ça revient à force. C’est des thématiques qui étaient… même le féminisme c’était assez prégnant dans les années ’70 et puis ça s’est totalement arrêté et là ça reprend depuis une bonne dizaine d’années. Voilà les thématiques un peu toujours sur ce principe du Do It Yourself, c’est-à-dire on le fait soi-même et puis aussi on pense par nous-mêmes. Actuellement je pense pas qu’on soit tellement rebelle en parlant de bande dessinée ou de musique. Par contre les questions de genres ça intéresse vraiment beaucoup de gens, qui ont envie de donner leur opinion là-dessus, de forger une opinion, de communiquer avec d’autres gens sur ces thématiques. C’est le gros truc du moment : le féminisme, et l’écologie.

G En plus ça permet de développer – vu que c’est dans des cadres plutôt restreints – des recherches plutôt pointues sans avoir à forcément à vulgariser.

M Ah oui complètement, le fanzine c’est un média de passionnés pour des passionnés. Donc on parle déjà, on est déjà dans un réseau de gens où on ne fait pas de pédagogie dans ces cas là, ou très peu. On essaie plutôt d’exprimer ses propres opinions, d’une part, et de compléter des questionnements qu’on ne va pas trouver, ou qu’on ne trouvera pas dans la presse nationale, dans les livres ; des opinions à la marge, différentes.

G Oui, c’est un média de la contre-culture.

M Et puis des idées personnelles aussi. Parce que voilà, un fanzine ne se sent pas la vocation d’être forcément professeur ès questions de genres mais il va donner ses opinions perso. C’est ça qui est intéressant, cette démarche elle est personnelle. Elle est pas forcément universitaire, ni objective parce que c’est aussi une vertu du fanzine cette subjectivité qui amène beaucoup.

G Très clairement. Mais du coup, est-ce qu’on voit le fanzine plus comme un média ou un médium ? Dans le cadre de l’expression est-ce que c’est plus un support pour une manière de s’exprimer ou est-ce que c’est directement une manière de s’exprimer ?

M Et bien, on va dire « Les deux mon capitaine ! » Parce que effectivement, les gens qui faisaient du fanzine dans les années 80 vont utiliser du papier, de la photocopie, tout ce qui va être l’imagerie du fanzine… Tout simplement par manque de moyens, manque de techniques, manque de possibilités de faire mieux. Maintenant, la nouvelle tendance ça va être … Toutes ces notions de communication, plus besoin du papier pour ça. Donc on va plus se tourner vers l’objet papier vraiment pour produire un objet, plus que des pensées. Les pensées on peut les trouver ailleurs. Et puis les deux peuvent cohabiter, évidemment.

G D’accord, du coup vous auriez tendance à dire que le zine est devenu moins militant qu’avant et est devenu peut-être plus une manière d’expérimenter graphiquement quelque part ?

M Alors j’en parlais hier avec une autre fille, une journaliste qui me demandait ça. Je lui disais que faire en fanzine, c’est déjà un acte militant à la base. Donc voilà sans aller plus loin, faire un fanzine, c’est à dire je fais par moi-même, sans aucune contrainte extérieure, sans qu’on me dise, sans censure, il faut faire comme si il faut faire comme ça… Je fais absolument librement. C’est déjà un acte de militantisme. On va pas se dire je vais suivre les conseils ou la manière de penser de tel ou tel. On va se sentir totalement libre et ça c’est déjà un acte de résistance à la passivité. Quelles que soient les opinions qui sont à l’intérieur, qu’il y en ait d’ailleurs ou pas, parce que dans le dessin il y aura pas forcément des opinions. Mais le fait de vouloir faire un graphzine et de proposer ses dessins ou ceux d’amis c’est déjà une démarche qui n’est pas une démarche de consommation mais d’action.

G Oui, c’est pas un média neutre le fanzine. Il y a déjà une revendication de choisir de s’émanciper de toute censure ou de tout schéma de publication, de tout ce genre de choses.

M Complètement oui. Le fait que y a pleins de dessinateurs, qui vont aussi bien être dans des maisons comme Dargaud ou Glénat, des maisons officielles mais qui vont garder ce petit support papier pour pouvoir délirer, faire absolument ce qu’ils veulent, ne pas avoir de deadline tu vois ? 

G C’est son petit jardin.

M C’est la liberté de format, de thématique de nombre de pages on va faire absolument ce qu’on veut : on s’amuse. On s’amuse pas toujours quand on doit éditer un livre avec un éditeur au cul qui va peut-être – ce qui est arrivé à pas mal de dessinateurs – intervenir dans le dessin en disant « Ah c’est pas très bien dessiné », « Rajoute moi telle scène », « Je comprends rien à l’histoire » … Là, c’est la grande liberté le fanzine à ce niveau là. Puis ça permet justement d’expérimenter et comme c’est un média de proximité qui va vraiment fonctionner en réseau, les retours positifs ou négatifs, ils vont venir de pairs et non pas d’institutions. Ils vont venir d’autres dessinateurs, de gens avec lesquels on aura échangé et ça aura une valeur bien plus importante pour le dessinateur. D’être reconnu par ses pairs plus que par un éditeur ou je ne sais quelle institution.

G C’est donc un fonctionnement plus horizontal que vertical.

M C’est pour ça que c’est gênant un peu cette mode des écoles des Beaux-arts. Mais c’est parce qu’ils ont embauché des profs qui connaissent bien le fanzine qui en ont souvent pratiqué. Du coup il y a beaucoup de fanzine des Beaux-Arts qui ne sont pas des fanzine parce que c’est des travaux scolaires tout simplement. C’est-à-dire que si c’est un travail de commande, c’est plus un fanzine. Je trouve ça un peu dommage d’utiliser ce terme à toutes les sauces, parce qu’il y a beaucoup d’autres mots qui désignent une petite publication. On peut dire un livret, une brochure, un recueil… Enfin il y a beaucoup de mots. Je trouve qu’il y a un petit peu une espèce de glissement de sens qui brouille les pistes en fait. C’est ça un peu le problème. Il y a beaucoup de gens qui ne savent pas que le fanzine – des gens qui justement sont au beaux-arts – qui tombent des nues quand je leur dit « Non, le fanzine c’est un magazine ». Qui pensaient vraiment que le fanzine c’est la microédition graphique actuelle. En oubliant tout cet historique derrière, puisque c’est un mot qui a quand même pas loin de 100 ans qui a une longue histoire.

G C’est vrai qu’il y a cette ligne un peu floue du coup entre le fait de d’avoir une commande et le fait de le faire par soi-même. Parce que du coup dans le cadre des Beaux-arts, comme quand vous en parlez, j’imagine peut-être que les professeurs essayent peut-être de les inciter vraiment à faire un fanzine ou c’est vraiment des exercices en tant que tel.

M Ça va être des workshops. Il y en a beaucoup, nous on a des tas d’exemples à Rouen, à Orléans. Fin il y a énormément d’école des Beaux-Arts qui vont faire effectivement des workshops. On en a des très beaux en riso sur des thématiques. Alors là ça marche de toute façon. On a eu de workshops comme ça sur le féminisme alors là ça branche tout le monde. Et puis ça le fait il font des publications… Mais c’est pas eux qui ont décidé d’eux-mêmes de publier quelque chose là-dessus.

G Puis à partir du moment où il n’est pas périodique de toute façon ça devient une microédition quelque part non ? Vu que c’est une démarche de une fois sur un workshop.

M Voilà et puis après des fanzines très très anciens des graphzines français anciens des années 80 qui sont hyper connus qui sont des références dans le fanzinat ce sont quand même des gens qui étaient au Beaux-Arts de Strasbourg. Mais leur production, leurs fanzine qui s’appelle La Langouste, n’était pas fait au Beaux-arts et ne parlait pas du tout des mêmes choses. C’était totalement différent, indépendant. Après ils pouvaient bien évidemment se servir des outils des Beaux-Arts de Strasbourg, de ce qu’ils avaient pu apprendre en classe, en cours. Mais leur production n’avait rien à voir, elle était parfaitement indépendante, elle parlait d’autre chose, pas forcément d’art mais aussi bien de musique, d’autres choses. Et puis c’est là qu’on va se lâcher qu’on va dire énormément de gros mots, de bêtises. Ce qu’on ferait pas dans la classe. Et donc voilà ces gens-là ont très bien su… Je pense à un type en particulier il est devenu prof d’art plastique donc il y a des pratiques quand même qui sont différentes et sa pratique artistique professionnelle n’est pas la même que sa pratique complètement altruiste, tout ce qu’il va faire chez lui, pour lui et pour ceux dans lesquels il se reconnaît. 

G Et du coup est-ce qu’on aurait tendance à dire que toute cette pratique du fanzine, est-ce que c’est une pratique personnelle pour soi ou est-ce que c’est une visée quand même quelque part communautaire ? Dans le sens où on fait un fanzine parce que c’est quelque chose qui nous plaît, mais on le fait pour le partage avec les autres.

M Moi je pense qu’on ne peut pas les dissocier, je pense ça marche vraiment ensemble. C’est pour se faire plaisir mais c’est vraiment aussi pour partager des idées, des valeurs, ou même simplement partager un objet. Mais les fanzines, quand j’emploie le terme fanzine justement en restant un peu sur quelque chose qui est périodique – sachant qu’un fanzine périodique ça veut dire une périodicité aléatoire. On va pas dire que les mensuels qui sortent tous les quatre mois c’est ce qu’on a nous ici. Rien n’est régulier et puis les numéros un qui attendent des numéros deux, on en a plein aussi. Ça s’arrête aussi vite que c’est né le fanzine. Mais c’est quand même l’idée de partager quelque chose avec d’autres gens : il y a des gens qui vont faire leur profession. Mais c’est pareil, qui vont aussi distinguer leur pratique du fanzine de leur métier. Je pense à un mec qui a fait longtemps du fanzine qui s’appelle David Dufresne, qui est journaliste que tout le monde connaît maintenant. Il ne fait plus de fanzine maintenant il fait des films maintenant, et de la télé. Mais voilà il va y avoir plein de gens qui vont l’avoir utilisé [le fanzine] au final parce que c’est une école formatrice, mais ils ne vont pas le mélanger avec leur pratique professionnelle parce que elle est quand même beaucoup plus contraignante et il n’y a plus du tout les mêmes notions de totale liberté.

G Puis c’est pas la même nature parce qu’à partir du moment où on rentre dans le cadre professionnel où on fait pour quelqu’un. C’est le cadre de la commande.

M Et puis il faut que ça soit vendu aussi, quelque part. On peut pas non plus faire n’importe quoi.

G Oui, ça retire cette liberté.

M Donc ça retire par exemple cette liberté de format, parce que les fanzines adorent faire des formats totalement barjot. On en a des totalement minuscules qui sont pas plus gros qu’un timbre poste. Ça, comment veux-tu mettre en valeur dans une librairie ? C’est pas possible, c’est invendable. Ou alors on a des formats gigantesques aussi. C’est invendable. C’est pas fait pour être vendu clairement.

G Du coup, est-ce qu’on peut penser – de la manière dont on a défini le fanzine – est-ce que c’est une pratique qui est compatible avec des pratiques numériques ? Dans le sens où on sortirait de l’imprimé. Parce que cette idée de se faire plaisir à soi-même, de produire graphiquement, de faire quelque chose d’engagé, de s’émanciper de la censure etc., c’est tout autant de choses qui ne sont pas forcément intrinsèque au media papier, au médias imprimés. Est-ce que c’est une pratique qu’on peut envisager sortir du tangible ?

M Il y en a qui le font, qui vont rester que sur des supports numériques surtout dans la musique surtout quand il s’agit de thème. Mais si tu es dans le graphisme quand même, je pense qu’il y a quand même ce rapport à la matière qui est important. Je pense pas qu’on puisse vraiment s’en passer.

G Il y a plein de possibilités qui sont liées au média numérique par exemple tout ce qui est l’image animée, tout ce qui va être sonore, tout ce qui est « augmenté » entre guillemets qui peuvent peut-être être investis.

M Oui mais alors tu vois là on va plus parler de… Tu vas pas parler de livre quand il s’agit d’un film. Les supports déterminent aussi les objets, parce que quand une image est animée c’est plus une bande dessinée c’est un dessin animé. 

G C’est vrai mais du coup est-ce que les flipbook qui créent des animations c’est pas des objets à la limite aussi ?

M Oui, * rires * si tu veux

G Je cherche les limites de la chose

M En plus on a toujours des exceptions. Même moi je te donne des grosses généralités mais il y a toujours moyen de trouver des choses qui vont me contredire en permanence.

G Oui mais c’est intéressant de justement, De chercher ces moments où ça se croisent ça se dépasse …

M Oui et puis c’est un média qui existe quand même depuis très longtemps, qui a vachement évoluer qui va encore évoluer, encore se transformer. Ça change tout le temps, enfin tous les 10 ans on voit que ça suit aussi la société: c’est fait par des jeunes. Donc c’est eux qui vont – principalement à 98 % c’est des jeunes – amener leur fraîcheur leurs nouvelles idées, leurs nouvelles pratiques que ce soit artistique, une façon de créer, de communiquer. C’est vrai que maintenant tu vas voir des fanzines papier avec des playlists sur internet. La musique qui va avec la lecture, ça c’est de l’augmenté.

G Peut-être pour finir – je pense que j’ai fait le tour des questions, j’ai même pas eu à les poser vous êtes directement êtes allée sur le bon sujet c’est formidable. Oui pour finir, quel futur vous envisagez pour le fanzine ?

M Je vais juste faire un petit aparté quand tu disais tout à l’heure le fanzine l’intérêt c’est qu’il peut quand même être anonyme. Actuellement la meilleure façon de garder son anonymat, de le protéger, c’est encore d’aller dans un photocopieur du Monoprix et de faire des tirages. Parce que les adresses IP ça se repère, on est toujours traçable. Par contre si tu veux vraiment, le papier reste encore vraiment garant de l’anonymat. Beaucoup plus que d’autres que l’on peut imaginer, comme le deepweb. Et du coup je sais plus ce que tu m’avais demandé…

G C’était quel futur vous imaginez pour le fanzine ?

M Ah je vois un très bon avenir pour le fanzine parce que je me souviens qu’en 2004, 2010, les questions c’était toujours est-ce qu’avec Internet c’est la mort du papier ? On le disait pour la presse en général, pour l’édition en général, et on voit bien que c’est pas le cas. C’est vrai que nous on l’a vu dans le fanzinat, il y a une chute considérable des fanzines musicaux, c’est une hécatombe. On peut dire en quelques années il y en a beaucoup qui sont revenus au papier après.

G C’était l’engouement au début du numérique, de la nouveauté. Mais du coup, après le papier a gagné une nouvelle valeur, une valeur de entre guillemets « sûreté ». Puis vu que ça garde cette chaleur, c’est plus plaisant de consommer du papier que du numérique quand on veut lire je trouve.

M D’abord c’est plus agréable aller lire un fanzine sur une plage c’est mieux qu’une tablette clairement. En plus on a pas la garantie franchement, tout ce qui est numérique est-ce que ça sera encore là dans 50 ans. Les fichiers qu’on aura téléchargés c’est pas sûr nous nos fanzines on est sûr qu’ils vont tenir au moins plusieurs centaines d’années.

G Tant qu’il y a pas d’incendie … * rires *

M Voilà, sauf si ça crame évidemment. Mais on a des sécurités aussi, à se partager des fanzines avec d’autres fanzinothèques. Et ce qui est bien aussi avec le papier, c’est qu’il vieillit dans le temps. Ce que ne fait pas un réseau social, ne fait pas un site internet qui est toujours au même niveau, dans une espèce d’intemporalité. Ce qu’on aime bien dans le fanzine, c’est qu’un fanzine des années 80, le papier est jaune, il est craquant, les agrafes sont rouillés enfin il est daté dans le temps il est figé dans le temps. Il restitue beaucoup plus d’une époque qu’un site, clairement.

G C’est intéressant j’avais jamais pensé à cette temporalité du papier de cette manière.

M Oui et le papier on y revient pas. Un papier qui a été imprimé en 80 ça y est, même si la personne a dit des bêtises c’est écrit c’est figé. Alors qu’internet on peut revenir sur ses mots, on peut trafiquer. Il y a cette espèce de sécurité du papier comme ça, une espèce de pérennité quand même. Après tu vois ici on a le papier et en numérise quand même les exemplaires pour pouvoir les faire circuler aussi, pour pouvoir les utiliser, les prêter c’est quand même plus simple. Mais clairement les gens qui font des études de fanzines, on leur dit qu’on peut les numériser à distance mais on leur dit toujours « venez les voir en vrai » parce qu’on a les formats, les odeurs, des tas de choses à considérer qu’on peut pas du tout rendre sur un écran.

G Je viens d’y penser, parce que au cours de nos recherches je suis tombé sur une pratique du fanzine de gens qui durant les manifestations à Hong Kong en 2019, il y avait des gens qui se partageaient des fanzines, fin c’était plutôt des zines politiques engagés contre la Chine du coup, et qui les partageait par Dropbox, par des drives. Puis qui de leur côté, les partageaient, les reliaient par eux-mêmes. Et je me demandais si vous aviez, des exemplaires de zines qui se distribuent comme ça, de manière numérique mais que vous imprimez et qui sont reliés par vos soins ou par les soins d’autres personnes. Parce que ce que je trouvais intéressant dans cette pratique, c’est que en fait deux personnes qui comparent le même zine d’origine vont se retrouver avec deux éditions différentes parce qu’ils l’auront peut-être pas imprimé sur le même papier, ils n’auront pas forcément imprimé avec le même genre d’imprimante, il y aura des décalages, ils seront peut-être reliés différemment…

M Ah oui d’accord, c’est marrant. En tout cas nous on en a pas, mais c’est marrant parce que il y a une maquette de départ et en fait l’original est virtuel et c’est après les exemplaires qui vont être différents selon chaque personne qui va l’imprimer.

G Oui chaque personne se la réapproprie peut-être, parfois en rajoutant des choses du contenu.

M C’est ce que je disais tout à l’heure ça sera beaucoup plus anonyme si c’est s’imprimé sur du papier qu’il y a aucune trace ça sera beaucoup plus compliqué de retrouver l’auteur du sacrilège. C’est comme quand je vois toutes les manifs en Chine, je trouve ça génial. Il tendent des pancartes blanches avec rien dessus, des panneaux blancs. Comment veux-tu inculper quelqu’un pour un panneau qui ne dit rien, c’est très malin.

Remerciements et fin de discussion

Guilhem Pujol
Glossaire

Glossaire

Zines
Auto-publications auto-éditées. Elles peuvent avoir pour vocation tant de donner un avis sur des problématiques politiques ou sociétales que l’envie de partager ou expérimenter sur un sujet particulier. Ce qui définit un zine, c’est son énergie. C’est une publication de la contre-culture, qui cherche à être honnête et libre de toute contrôle extérieur.
Zinester
Auteur et auto-éditeur de zine.
Samizdat
Un courant d’auto-publication dissidente, datant de l’URSS et originant dans une recherche d’émancipation de la censure du bloc de l’Est. Provient du russe самиздат qu’on peut traduire par la contraction de sam : « par soi-même » et izdat : maison d’édition (abréviation)
Fanzine
Type de zine particulier. C’est une publication de fan, pour des fans. Il a connu un âge d’or dans le milieu de la musique des années 70’s 80’s, porté par l’idéologie punk de l’indignation rebelle et du DIY. Il sera également investi dans les domaines de l’informatique, du jeu-vidéo, de la cuisine etc.
Graphzine
Zine créé le plus souvent par des bédéistes, photographes, designers graphiques et autres genres d’artistes, dans l’objectif de produire sans contrainte. C’est l’occasion d’essayer de nouveaux formats, compositions, personnages ou tout simplement de ne pas se faire censurer par un éditeur. Ce genre de zines se préoccupe en généralement moins d’être contestataire.
E-zine
Le e-zine est un zine se trouvant sur un support numérique et à vocation de lecture multimédia. Ce dernier peut prendre une multitude de formes. L’essence d’un e-zine se trouve dans l’usage de techniques et outils propres au numérique, et rendraient son impossibles sans ces dernières. Cela donne des auto-éditions parfois totalement virtuelles, parfois imprimée et numérique, ou encore imprimée mais augmentée de contenu multimédia.
Webzine
Magazine publié sous forme d’un site web, sans contrepartie imprimée. Contrairement à l’e-zine, il a tendance à moins explorer les possibilités de son média et se place plutôt dans l’alignement du magazine que du zine.
DIY (Do It Yourself)
Qualifie la volonté et l’acte de faire des projets à la main, par soi-même, plutôt que de l’acheter ou le faire faire par un professionnel. On le retrouve plus fréquemment dans le domaine des arts créatifs et de l’artisanat (ie. menuiserie, décoration d’intérieur, édition …)
Ère post-numérique
Époque dans laquelle les technologies numériques ne sont plus perçues comme un phénomène révolutionnaire mais comme appartenant pleinement à notre quotidien. De nos jours, on attend de tout individu d’être « lettré » en interfaces numériques.
Réalité augmentée (AR)
« Superposition de la réalité et d’éléments calculés par un système informatique en temps réel. Elle désigne souvent les différentes méthodes qui permettent d’incruster de façon réaliste des objets virtuels dans une séquence d’images. Elle s’applique aussi bien à la perception visuelle (superposition d’images virtuelles aux images réelles) qu’aux perceptions proprioceptives comme les perceptions tactiles ou auditives. » (Wikipedia)
API
C’est une « interface » logicielle entre eux deux logiciels ou services. Cela permet d’échanger des informations entre client et serveur, telles que du texte, des images etc.
FTP
Diminutif de « File Transfer Protocol ». C’est un protocole qui permet à un ordinateur de communiquer avec un autre ordinateur sur un même réseau. C’est notamment utilisé pour héberger des fichiers en ligne, des sites web etc.
Standalone
Qualificatif utilisé pour signifier que l’objet / produit peut être utilisé seul, tel quel.
Discord
Service de VoIP qui permet de communiquer vocalement et par messagerie. Il permet tant l’échange sur des serveurs communautaires, dans des canaux dédiés, que de manière directe entre amis.
Reddit
Site web communautaire permettant la navigation sur un réseau de subreddits.
Subreddit
Entité du site Reddit. C’est une communauté plus ou moins auto-modérée, centrée sur un sujet bien particulier. On peut y créer des posts, et ensuite les commenter, tout en ayant la possibilité d’inclure du contenu d’autres subreddits.
Guilhem Pujol
Références

Références

Le zine est une pratique de passionnés. Le mémoire est une pratique académique. Il y est généralement mal vu d’utiliser des sources non-établies lors de l’élaboration de travaux de thèses. Toutefois, la nature de mon thème de recherche me pousse à faire un pas vers des sources moins conventionnelles d’informations, souvent subjectives, parfois approximatives. Cette bibliographie ne se limitera donc pas aux sources éditées dans la haute-culture, et conjuguera avec tout type de matériau source.

Bibliographie

LUDOVICO Alessandro, Post-digital print: la mutation de l’édition de l’édition depuis 1894, Éditions B42, 2016

DONNOT Kévin, MASURE Anthony, GAY Élise (dirigé par), Back Office N°1 : « Faire avec », Éditions B42, 2017

DONNOT Kévin, « Faire avec : Pour une pratique informée des programmes », dans Techniques et design graphique, Éditions B42, 2020

LEGENDRE Izabeau, L’Euguélionne actrice de la scène du zine de Montréal : interview de Camille Toffoli, dans ZINES vol.1 n°1, Strandflat, 2020

TONG Kin-Long, DIY Print Activism in Digital Age : Zines in Hong Kong’s Social Movements, dans ZINES vol.1 n°1, Strandflat, 2020

TRIGGS Teal, Fanzines : la révolution du DIY, Éditions Pyramid, 2010

FÉTRO Sophie, Bricolages en design, 2015

BIDORET Julien, Bricoles : bricolage, design, pratiques numériques, thèse de master, 2014

OZERAY Étienne, Pour un design graphique libre, thèse de master, 2014

GIANNARA Eirini, Ezines.gr: Hypertextuality and Visual Alphabet in modern network environments. Design and communication principles, thèse de doctorat, 2006

WRIGHT Fred, From Zines to Ezines: Electronic Publishing and the Electronic Underground, thèse de master, 2001

Wikigraphie

Sitographie

E-zinographie

Florilège d’e-zines et webzines consultés lors de mes recherches. Tous consultés sur entre fin novembre 2022 et fin janvier 2023

Guilhem Pujol
Remerciements

Remerciements

Je remercie ma résilience et ma capacité à survivre à mon ADHD. Je remercie également Marie Bourgoin pour m’avoir donné de son temps et partagé une formidable discussion. De gros bisous à ma classe et mes amis pour le soutien :)


  1. C’est le cas de L’atelier par exemple, un journal socialiste ouvrier publié entre 1840 et 1850. ↩︎

  2. Comme la publication lancée par Trotsky, le Biulleten Oppozitsii, 1929–41 ↩︎

  3. Ce qui avait déjà été le cas via les maisons d’éditions du mouvement Fluxus comme Something Else Press de Dick Higgins ↩︎

  4. Bondage est un fanzine punk britannique créé en 1976 par Shane MacGowan. Il bénéficiera de la notoriété de son créateur connu dans la scène punk sous le nom de Shane O’Hooligan. Ce fanzine ne verra toutefois paraître qu’un seul numéro. ↩︎

  5. Dans le sens où l’autonomie vise à avoir une liberté tout en ayant des liens aux autres individus. Là où l’indépendance impose un refus de ces mêmes liens. ↩︎

  6. Démarche de documentation des e-zines, commencée en 1993. ↩︎

  7. 92% des ménages ont accès à internet dans l’UE, et 93% en France. (INSEE 2022) ↩︎

  8. Le cas de YouTube dans la démarcation qu’on en fait ici est plutôt intéressante. Le service est considéré comme un réseau social, mais une page YouTube fonctionne plutôt comme un blog dont chaque vidéo est une nouvelle entrée. ↩︎

  9. Walter Benjamin appuie sur l’importance de l’unicité d’une œuvre pour qu’elle aie une aura. On ne peut donc pas réellement parler d’unicité avec les zines, mais leur tirages limités et surtout le fait que c’est un objet unique, singulier et précieux pour son possesseur, lui donne en quelques sortes une aura similaire. ↩︎

  10. Quand bien même les algorithmes nous présentent du contenu personnalisé, la nature même des réseaux permet avec un peu de curiosité de découvrir de nombreux créateurs, projets, comptes à thèmes. ↩︎

  11. Mastodon est un réseau social open-source similaire à Twitter dans son principe : les gens y postent des « toots » avec un nombre maximum de caractères, et ces derniers apparaissent sur le feed de l’utilisateur. La grosse différence se trouve dans le fonctionnement par réseaux de l’application. Chaque usager rejoint un serveur particulier, avec ses propres règles. ↩︎

  12. Marketplace pour du contenu digital créé par des créateurs indépendant. Le contenu y est en grande majorité centrée sur les jeux-vidéos, mais on y trouve des BDs, zines, plug-ins, soundtracks… ↩︎

  13. Apple a porté le skeuomorphisme pendant de nombreuses années jusqu’à la mort de Steve Jobs qui en était un fervent défenseur. Ainsi l’application Notes prenait forme d’une cahier de notes, Bibliothèque d’étagères remplies de livres … ↩︎

  14. C’est un protocole qui permet à un ordinateur de communiquer avec un autre ordinateur sur un même réseau. C’est notamment utilisé pour héberger des fichiers en ligne, des sites web etc. ↩︎

  15. C’est un ancien système de discussion décentralisé, plus ou moins l’ancêtre des forums internet. C’est un réseau existant sur Internet aujourd’hui encore en parallèle du World Wide Web, bien qu’il n’en aie pas la popularité. ↩︎

  16. Une API est une « interface » logicielle entre eux deux logiciels ou services. Cela permet d’échanger des informations entre client et serveur, telles que du texte, des images etc. ↩︎

  17. Librairie JavaScript permettant la mise en page de document imprimés via du HTML, CSS et JS. ↩︎

  18. En faisant attention toutefois aux enjeux écologiques que cela induit. ↩︎

  19. L’ère post-numérique offre des solutions à ces zinesters par le biais de plateforme de financement telles que Kickstarter ou même Patreon. ↩︎

  20. Respectivement le Studio Dumbar avec une exposition sur Roblox de leur festival DEMO. Puis les concerts virtuels de Travis Scott sur Fortnite, ou encore Alonzo sur GTA5 RP. ↩︎