Introduction
Aussi longtemps que je me souvienne, j’ai toujours eu la tête plongée dans des bandes dessinées. C’était mon échappatoire vers d’autres mondes, souvent fantastiques. Au fil des années, j’ai affiné mes goûts que ce soit aux niveaux des thèmes, des univers ou des styles graphiques. Je suis devenue sensible au toucher, à la façon dont le livre avait été fabriqué, à ce qu’il m’inspirait aux premières impressions. Durant mes études, j’ai pris conscience de l’importance que donnaient les maisons d’édition à la conception de leurs produits. En regardant dans ma bibliothèque personnelle, j’ai constaté qu’une majorité venait de maisons d’édition indépendantes.
J’ai développé alors un grand intérêt pour ces structures, c’est-à-dire, celles qui ont été fondées par des passionnés, des inventeurs, des auteurs et autrices. Depuis les années 90 des maisons d’édition voient le jour en France. Illustrateurs et auteurs se rassemblent, partagent des idées, des concepts, pour renouveler le format de la BD, comme L’association. Cette dernière brise certaines normes alors établies à l’époque des années 90, dans l’univers de la bande dessinée franco-belge, comme le format de l’album ou le mode de diffusion.
Mais la bande dessinée indépendante reste un milieu assez discret. J’ai découvert ces maisons d’édition de manière fortuite dans des festivals comme celui de Colomiers. C’est un milieu qui veut toujours expérimenter et créer à partir de thèmes et de sensations qui ont du sens. Loin des grandes maisons d’édition qui formatent la BD aux lecteurs, par des choix qui ne vont pas brusquer le public, et prennent peu de risques, les maisons d’édition indépendantes sont toujours là pour remettre en question certaines façons de faire des maisons d’édition classique, et donner leurs chances à des petits ou grands auteurs qui veulent simplement faire ce qu’ils leur conviennent.
Les maisons d’édition indépendantes de BD sont-elles des laboratoires d’expérimentations pour les auteurs de bande dessinée?
Dans un premier temps, nous verrons la maison d’édition à l’origine de ce bouleversement au début des années 90 dans la BD. Il s’agit de L’Association et nous nous intéresserons à ses débuts. Cette dernière a ouvert les portes au public à la BD alternative et à une nouvelle façon de publier. Nous parlerons de la collection Patte de mouche, qui est l’un des éléments déclencheurs de la création de L’Association ainsi que des autres collections, des revues et des plus récentes éditions. Puis dans un second temps, nous nous intéresserons à différentes maisons d’éditions créées vers les années 2010. Cette période, qui correspond à celle de mon adolescence, est celle où j’ai commencé à m’intéresser plus en détail à la BD. C’est aussi une période où beaucoup de jeunes diplômés se lancent dans l’ aventure de l’édition. Nous verrons ses variétés, ses concepts et les idées proposées par les maisons d’édition pour renouveler ou créer de beaux objets.
L’Association : le début d’un changement
L’Association est l’une des plus importantes et influentes maisons d’édition indépendantes de la BD, fondée officiellement en mai 1990 par Jean-Christophe Menu, Lewis Trondheim, David B.1, Matt Konture, Patrice Killoffer, Stanislas et Mokeït. Ces sept auteurs sont issus de L’Association pour l’apologie du neuvième art libre (AANAL) et de Futuropolis2, ainsi que de la revue Labo. AANAL, Futuropolis et Labo furent les premiers collectifs à éditer leurs créations personnelles, sans passer par les éditeurs traditionnels. Ils font partie du milieu de la bande dessinée alternative en France depuis bien longtemps. Ils ont pris appui sur leurs expériences passées dans ces structures pour améliorer et développer le 9e Art. En créant les éditions L’Association, ils montrent aux éditeurs classiques de l’époque, comme Dargaud ou Dupuis, que les auteurs peuvent prendre le pouvoir et s’autoéditer et qu’ils refusent de se soumettre aux formats et aux usages traditionnels. Le but de L’Association est d’accompagner les auteurs, de leur proposer leur professionnalisme, leur multitude de collectifs et de formats pour correspondre au mieux à leurs attentes. Elle met en avant des collections atypiques, pour ne pas enfermer les auteurs dans des standards classiques. Dans leurs démarches de défiance de l’édition traditionnelle, nous remarquons qu’ils se refusent à l’utilisation du code-barre, jusqu’à très tard pour des cohérences graphiques et préfèrent créer des stickers code-barre avec une justification de cette décision. Ils reviendront sur cette décision en 2011 avec la réapparition du code-barre en quatrième de couverture. À ses débuts, avant d’avoir la confiance des distributeurs et des libraires, L’Association était composée d’un vaste réseau d’adhérents à la maison d’édition qui a permis la diffusion des objets. Les adhérents pouvaient recevoir des livres de L’Association pour les revendre ou les distribuer à des libraires en quête de nouveautés. En échange, les membres de ce « club » peuvent profiter, en remerciement, de cadeaux et de goodies, comme des images-chocolat3 de 1991 à 2005, un jeu de Tarot4 en 1998, un Cahier de lapins5 en 2000 reprenant des tentatives graphiques des auteurs quand ils étaient enfant. Bien d’autres dérivés sont sortis, allant de rééditions plus travaillées à des recueils pour rendre hommage ou montrer des fondations de la maison d’édition. Ce vaste réseau, L’Association le doit à ses moyens de communications, se détournant des nouveaux médias, les membres utilisent le bouche-à-oreille dans un premier temps puis les services de la Poste qui leur permettent de distribuer leurs revues comme Le Rab de Lapin et Les Nouvelles de l’Hydre. Avec ces procédés, ils font découvrir l’envers du décor et expriment les accords et désaccords de travailler ensemble. Mais surtout ils montrent leur travail, et peuvent se mettre en avant avec des sujets plus sensibles ou plus justes pour eux. Au cours de son existence, L’Association a connu des conflits internes. Vers 2005, plusieurs fondateurs de la structure sont partis d’eux-même, le seul qui est resté est Jean-Christophe Menu. Les causes de ces démissions viennent de divergences éditoriales, de conflits d’égos, d’aspirations contradictoires, des tensions grandissantes au sein de la maison d’édition. Le premier à partir fut Mokeït, quelques mois après la création de la maison d’édition, puis en 2005 David B. se retire, suivit en 2006 par les autres. Face à ce constat, une assemblée d’adhérents demande la réformation de ce groupe mythique, mais aucun des anciens membres ne souhaite revenir. Après cette annonce, Jean-Christophe Menu lui aussi prend la retraite de L’Association, c’est la fin d’une époque. On peut voir l’évolution de cette époque par les modifications apportées au symbole de la maison d’édition : une hydre à six têtes pour les six fondateurs au début, puis à sept têtes pour rappeler que Mokeït faisait partie des fondateurs, même s’il n’est pas resté longtemps. De nos jours le symbole à évoluer avec plusieurs têtes qui forment une spirale, elle montre une réunion de personnalités différentes et divergentes.
L’Association propose un large choix dans son catalogue, chaque collection repose sur des critères, des thématiques spécifiques, tout en gardant une grande cohérence. L’une des premières collections à voir le jour est Patte de mouche, celle-ci avait débuté assez timidement avec AANAL en 1984, puis elle revient avec une nouvelle formule en 1995, pour les cinq ans de L’Association. Cette collection est sous le format 10,5 x 15 cm, avec 24 pages en noir et blanc, sa couverture est cartonnée et en couleur. Elle est la plus petite collection de L’Association. Si la mise en page change selon les auteurs, on reconnaît la collection à l’utilisation du bandeau et du titre en violet clair et violet foncé. Les auteurs sont souvent libres de leur sujet allant de thèmes durs à des thèmes plus légers. La collection qui a lancé le départ de L’Association, en 1991, est la collection Éperluette. Son nom fait référence à l’esperluette qui est le petit signe typographique « & ». Leurs couvertures sont imprimées en deux couleurs et les pages varient entre 32 et 320 pages. De même que leurs formats peuvent être de 22x29 cm ou 22x26 cm. De nos jours, plus d’une cinquantaine de titres sont apparus dans cette collection.
L’Association propose une collection emblématique par son format roman. C’est la collection Ciboulette créée en janvier 1992. Le premier livre qui a inauguré la collection, est Le Cheval blême de David B. Son nom ne vient pas de la plante, mais du signe typographique qui signifiait autrefois « ou ». Les livres de cette collection varient en 48 et 512 pages, mais toujours au format 16,5 x 24,5 cm.
En 1999, la collection Mimolette voit le jour. Ce sont des récits d’environ 32 pages dans un esprit « Comix ». Ces récits sont plutôt courts, très proches de la vocation nouvelliste. Elle est reconnaissable à sa couverture bleue et orange. Elle partage des caractéristiques venant d’autres collections de L’Association, elle hérite du même format que Ciboulette et elle a le même aspect de « nouvelle » comme les Pattes De Mouche. Mais les auteurs peuvent approfondir leurs propos et leurs histoires. Il y a plus de soixante-dix titres dans cette collection.
L’Association, présente cette collection comme étant la plus « littéraire » d’entre toutes car elle est conçue comme étant un journal intime romanesque. Côtelette est un format très libre sur sa pagination, elle est vue comme un journal intime, pour les auteurs. Regroupant des journaux, des carnets, des manuscrits dessinés et d’autres ouvrages divers de plusieurs auteurs comme Joann Star, Julie Doucet et Trondheim. Sa couverture est toujours imprimée en rouge et en vert sur un format de 14 x 19 cm.
La collection Éprouvette est perçue comme la plus « théorique ». Prévue depuis la création de L’Association, elle accueille des textes, des essais, des travaux qui ont pour but d’avoir une réflexion sur la bande dessinée. Éprouvette est une tentative à la fois sérieuse et plaisante de montrer le potentiel de la bande dessinée dans ses développements les plus contemporains. Comme Pattes de Mouches, elle tient ses bases d’avant la création de la maison d’édition. Elle s’inspire de la revue Labo publiée chez Futuropolis. Son format est de 14 x 19 cm et la couverture est imprimée avec deux couleurs.
En 2008, L’Association a dû créer une collection pour un format inexistant. La collection Espôlette est étrange, car elle accueille des œuvres proches des essais. C’est un format qui est identique aux Éprouvettes, mais à l’intermédiaire entre Ciboulette et Côtelette.
Ils ont lancé en 1992, l’Oubapo, ce qui signifie « Ouvroir de la Bande Dessinée Potentielle". On retrouve des productions de groupes qui traitent de la bande dessinée sous contrainte. Elle reprend le concept du OuLiPo6 qui était autour de la littérature. Les auteurs de cette collection sont composés d’Ayroles, Baraou, Ciment, Gerner, Groensteen, Killoffer, Lécroart, Menu & Trondheim. Leurs recherches sont publiées petit à petit.
En 2018, une nouvelle collection voit le jour: Patte d’eph. Elle est tout semblable à Pattes de mouche, mais elle n’accueille que des titres en quadri couleur.
L’Association aime les formats atypiques qui se rapprochent plus du livre. Mais la collection 48CC revient au format classique de l’album cartonné de 48 pages, malgré son combat acharné contre ce dernier. Elle se réapproprie ce format pour publier Les nouvelles aventures de Lapinot. Le premier livre de collection dédié à Lapinot7, Un monde un peu meilleur est sorti en 2017.
Il y a une dernière collection qui n’en est pas vraiment une, c’est Hors collection. L’Association publie de plus en plus de livres qu’ils considèrent comme étant « exceptionnels aux formats extraordinaires et aux projets impossibles ». On retrouve des ouvrages comme Un cadeau de Ruppert & Mulot, sorti en 2013, ce livre objet doit être décortiqué au fur et à mesure de la lecture, toutes les cases sont collées les unes aux autres et les lecteurs doivent venir arracher des morceaux pour voir la suite comme l’étudiant en médecine qui découpe un cadavre. On retrouve le classique Persepolis de Marjane Satrapi, qui, en 2017 a été réédité en mono volume pour fêter ses 10 ans. Ce livre est l’autobiographie de l’autrice, il retrace tout ce qu’elle a vécu en Iran.
En même temps que de publier les collections, L’Association met en place une revue pour tenir informer les gens de l’évolution de la maison d’édition. Elle permet de présenter les différents auteurs et le travail fourni. Cette revue, c’est Lapin, elle vient de l’expérience des sept fondateurs et de leurs travaux dans Logique de guerre Comix. Son nom provient d’un hommage à un personnage de J.C. Menu : Lapot8. La première série apparaît en janvier 1992 avec une couverture monochrome et un dessin fortement agrandi. Les pages de la revue varient entre 92 et 140 pages. Jusqu’en 1994, la revue était semestrielle puis trimestrielle à partir de 1996 et la couleur apparaît à partir du numéro 16.
La deuxième série débute en janvier 2001, avec 68 pages toutes en couleur. Menu explique qu’il veut un retour aux sources en imposant aux auteurs un rythme de travail régulier et il veut développer des histoires entre les numéros. Beaucoup d’auteurs ne répondent pas à son appel et en avril 2002, la formule change encore à cause du manque de contenu. La troisième formule est irrégulière, que ce soit dans le format ou dans ses parutions. Seulement trois numéros sont sortis en cinq ans (de 2002 à 2006). Elle reviendra avec des parutions trimestrielles en 2009, et sortira son dernier numéro en 2011.
En septembre 2013, la revue revient sous le nom de Mon Lapin, avec une formule mensuelle. Chaque numéro à un rédacteur en chef qui décide du contenu. Puis, encore une fois, la revue s’arrête au bout du neuvième numéro en 2014.
De nos jours, la revue qui reprend la suite, c’est Mon Lapin Quotidien (MLQ). Le premier numéro est paru en février 2017 et tous les trois mois un nouveau numéro sort. Sous forme d’un journal de 12 à 16 pages en noir et blanc. Il a été repris par Killoffer et Jean-Yves Duhoo qui sont les rédacteurs, pour la mise en page du journal elle est réalisée par le graphiste et illustrateur Rocco.
L’Association a un parcours assez atypique et conflictuel. Toujours à expérimenter depuis bien avant la création de la maison d’édition, les fondateurs ont voulu diversifier leurs contenus et ont combattu les normes de l’époque. De nos jours, elle se montre toujours autant active même si les fondateurs sont moins présents ou sont partis, laissant leurs places à une autre génération. Cette jeune génération d’auteurs et d’autrices gravite autour du noyau de L’Association. Mais le monde de la bande dessinée indépendante est encore niche pour le grand public et L’Association ne parle pas vraiment à ceux qui ne s’intéressent pas à la BD malgré les avances qu’elle a pu produire au cours de son existance.
Les maisons d’édition indépendantes dans les années 2010
Vers les années 2010, on voit apparaître de nombreuses maisons d’édition autour de la BD. Celles-ci sont composées de jeunes qui ont fini leurs études plus ou moins liées au monde de l’édition, ou au monde des arts. Souvent il s’agit de groupes d’amis ou de classe qui veulent continuer de travailler ensemble ou tenter leur chance. Ils peuvent s’identifier comme étant une association ou un collectif pour débuter et pour produire. Par exemple, les éditions Matière Grasse9 et Les siffleurs10 sont dans ce cas là. En se réunissant, ils peuvent créer dans un premier temps des fanzines, des mini-éditions, des petites histoires, ou éditer leurs projets de diplôme, pour pouvoir se faire connaître et ouvrir leurs réseaux de connaissances. Ils peuvent aussi facilement s’entraider pour réaliser des projets, les auteurs ne sont pas restreints à une maison d’édition seulement. En faisant ce genre d’exercice, cela permet de toucher à l’édition et de commencer à publier de petites productions, comme des fanzines ou des petites éditions. De plus, c’est un moyen plus facile de commencer de cette manière, car les grandes maisons d’édition sont peu enthousiastes au fait d’accueillir des jeunes avec peu d’expérience ou des projets qui sortent trop de leurs codes. Certains en profitent pour tester des nouveaux formats ou de nouvelles façons d’écrire et reprendre des histoires.
Chez les éditions Polystyrène, ce sont deux jeunes sortant de l’école d’Angoulême, Alex Chauvel et Adrien Thiot-Rader, qui l’ont fondé en octobre 2010. Le principe de cette maison est de réaliser des bandes dessinées qui se déplient, se combinent, se mélangent, qui se manipulent. Leur catalogue se compose d’ouvrages de toutes formes, styles comme la collection Façade. Cette dernière demande aux auteurs invités qui y participent de réaliser une histoire à la verticale sur un leporello. Les sujets sont libres, seule la forme du leporello est imposée. Beaucoup de jeunes auteurs et autrices comme Cy.11 ou Léa Muraweic12 ont participé à cette expérience de la contrainte. Ce qui donne une collection qui peut être affichée au mur pour créer une fresque de façade d’immeuble, au style différent et unique de chaque auteur. Cette série rejoint la collection Pattes de mouche car elles reposent toutes les deux sur un exercice de création libre: l’auteur peut créer son histoire en respectant un format donné.
Polystyrène propose d’autres collections et ouvrages comme Polychomie, c’est un recueil de plusieurs nouvelles, de quinze auteurs différents, regroupées dans un ouvrage collectif, dont le principe repose sur la bichromie. Le livre se lit avec deux calques de couleurs : un rouge pour faire apparaître le bleu et un bleu pour faire apparaître le rouge. Les histoires vont de quatre à seize pages et prennent comme point de départ le roman Les villes invisibles de l’italien Italo Calvino. À travers ce principe, c’est au lecteur de décider de la manière dont il veut lire et de se demander comment il souhaite se confronter aux récits.
Dans le catalogue de Polystyrène, on ne trouve pas que des collections autour d’un concept de collections, ils proposent aussi des ouvrages réalisés par un ou deux auteurs. Thomas et Manon est un livre malgré son apparence, créé par Alex Chauvel & Rémi Farnos. C’est un livre qui se compose de 200 cartes qu’on peut manipuler comme on le veut. Le but du lecteur est de reconstruire l’histoire de Thomas et Manon qui se séparent au début de l’aventure. Le livre peut se relire autant de fois qu’on le souhaite, car il est toujours possible de la recomposer et de recommencer, car il est assez difficile d’utiliser toutes les cartes d’un coup.
Le but des éditions Polystyrène est de créer des livre-objets qu’on puisse manipuler pour jouer ou recréer les histoires. À travers ces concepts, les éditeurs demandent aux lecteurs une nouvelle façon de lire la BD. Même s’ils ne visent pas de public précis, une grande partie est appréciée par un public jeune.
Dans ce travail de réalisation de beaux ouvrages, on retrouve les éditions Magnani, créées en 2011 par Julien Magnani. Les éditions ne considèrent pas leur travail comme simple pourvoyeur d’auteurs, mais comme un constructeur de livre, un metteur en page. Farouchement attachés aux livres-objets, les éditions considèrent ce dernier comme l’essence de leur travail, ce qui se partagera et transmettra pour plusieurs générations. Ils attendent d’un auteur qu’il soit moderne, dans le sens que ses idées prennent conscience d’une autre possibilité du réel, et qui donne la possibilité aux lecteurs de penser, de construire et d’exister. Dans leur catalogue, on retrouve des ouvrages comme Le mystère de la maison brume de Lisa Mouchet. Ce livre raconte l’histoire de trois personnages différents qui partent à la découverte d’une maison étrange. Chaque personnage a un style de dessin et de caractères typographiques différents. Ce choix vient montrer que les personnages qu’on suit n’ont pas les mêmes objectifs en s’infiltrant dans la maison. La couverture n’a pas de texte et représente plusieurs fenêtres qui reprennent les styles différents qu’on retrouve dans l’ouvrage. Le travail de narration passe plus par les images que par les textes.
Chez Magnani, on retrouve aussi des livres qui entremêlent textes et dessins, comme Les Contes de Petit Duc de Jérémie Fischer et Jean-Baptiste Labrune. Les deux auteurs créent ensemble une mythologie, dont l’arc narratif est conté dans le livre par plusieurs histoires qui s’enchaînent. Il y a dans cet ouvrage un travail de mise en page pour lier le texte et les images dans des jeux visuels. À travers ce livre, les auteurs rendent hommage à l’imaginaire de l’Homme pour donner vie à ces histoires.
Toujours dans les éditions Magnani, Fantasmas, sorti en 2016, de Maïté Granjouan met en place une narration centrée sur les images, on comprend case après case les déplacements du protagoniste et de l’enquête qu’il mène pour retrouver une femme disparue. Les transitions entre les images sont souvent faites avec des plans rapprochés, éloignés et par les couleurs qui deviennent plus présentes dans la case suivante. L’autrice montre beaucoup les expressions du personnage pour faire avancer son histoire. Les dialogues sont là quand le protagoniste interagit avec un autre personnage pour avancer dans sa recherche, ils sont toujours sur une page à part sans image dessus, centrés quand c’est le protagoniste qui pense et décalés à gauche ou à droite quand c’est un dialogue entre deux personnages.
Dans cette idée du livre, on retrouve les éditions 2024 qui proposent un catalogue de beaux livres, autour des illustrations et de la bande dessinée. Leur but, soumettre aux lecteurs des ouvrages soignés et qui procurent du plaisir juste en les admirant. Dans le façonnage, on retrouve plusieurs volumes qui varient selon les formats, mais le soin et la qualité sont présents et représentent la maison d’édition.
En 2016, les éditions 2024 publient Hélios de Etienne Chaize, c’est une édition d’une quarantaine de pages dans un grand format. L’auteur dépeint des paysages à couper le souffle dans son récit de voyage jusqu’au soleil, car ce dernier s’est arrêté, obligeant le royaume tout entier à partir à sa recherche. À travers cette histoire, le lecteur est seulement guidé par de grandes double-pages illustrées et sans aucun texte, à part celui du début qui explique la situation.
Toujours dans ce type de livre que font les éditions 2024, Terre rares de Clément Vuillier propose dans son ouvrage, de 148 pages, des illustrations d’objets célestes comme des planètes, des astéroïdes, des comètes qui explosent dans l’espace. Bien que les dessins soient figés sur le papier, on peut facilement ressentir la violence des impacts et la chaleur des explosions. Clément Vuillier n’en est pas à son premier coup d’essai, c’est son troisième ouvrage, toujours dans le même univers graphique. Son travail chez 2024 ne l’empêche pas de fonder avec des amis les éditions 3 FOIS PAR JOUR13 autour de la micro édition.
Mais les maisons d’édition s’intéressent aussi bien à des jeunes avec de nouvelles idées qu’à d’ anciennes histoires ou des BD venues d’un autre continent. Dans le catalogue des éditions 2024, on retrouve aussi des rééditions de contes et d’anciens ouvrages, dans la collection Patrimoine, comme Histoire de la sainte Russie ou L’île de la fée bijou. Ce premier ouvrage, Histoire de la sainte Russie, reprend plus de 500 gravures dessinées durant la guerre de Crimée, par Gustave Doré pour raconter les histoires dramatiques, caricaturales d’anciens historiens et chroniqueurs. L’île de la fée bijou est une réédition des contes de Victor Joseph Louis Mousselet, alias G.Ri, paru entre 1907 et 1911. C’est un recueil de trois contes fantastiques. A travers cette collection, les éditions 2024 réhabilitent des anciens ouvrages et des contes qui sont vus comme étant d’ordre historique et public. Ils les rééditent dans de beaux ouvrages mais sans en changer le contenu. Au cours de cette collection, ils ont publié des auteurs français plus ou moins connus, l’un des derniers ouvrages parus dans la collection est La Pérégrination vers l’ouest avec des illustrations datant entre 1806 et 1837 réalisées Ōhara Tōya, Utagawa Toyohiro, Katsushika Taito II. Pour cet ouvrage, ils ont bénéficié d’aide pour traduire mais aussi pour commenter et expliquer. Il contient les contes les plus importants et les plus connus de l’Asie. A travers des commentaires réalisés par Christophe Marquet, Vincent Durand-Dastès, Xavier Guilbert et Delphine Mulard, ils introduisent les mythes et les contextes pour ouvrir ses contes et qu’ils soient compréhensibles pour ceux qui ne connaissent pas cette culture. En rééditant des ouvrages, les maisons d’édition peuvent refaçonner l’objet-livre, avec l’accord des auteurs quand ces derniers sont encore en vie. C’est le cas de Gregory Mackay, ce jeune auteur australien publie les aventures de Anders dans un journal local. La BD d’origine est en noir et blanc, par manque de moyens de son éditeur. En France, ce sont les éditeurs The hoochie coochie qui s’en occupent. En discutant avec l’auteur, les éditeurs ont pu colorer la série en orange et violet. Les histoires gravitent autour d’Anders et ses amis, qui vivent des aventures et découvrent des lieux. Gregory Mackay revisite des notions comme la solidarité, la solitude ou encore le courage ou la sensibilité. Il montre l’enfance comme une période où les enfants doivent découvrir par eux-mêmes, tout en leur donnant un regard sur le monde qui les entoure. Les éditeurs ont pu alors rééditer : Anders et le volcan, Anders et la comète, Anders et le château. Sachant que la dernière histoire éditée est en couleur. Sa couverture est sérigraphiée et gaufrée. Il signe aussi la fin des séries colorisées par les éditeurs The hoodie coochie. Face au succès des livres, les éditeurs d’origine de la série ont autorisé à Gregory Mackay d’utiliser de la couleur dans ses prochaines aventures avec Anders.
Lors de la création d’une maison d’édition, l’une des premières activités qui peut être réalisée est la mini-édition ou des revues. Cela a pour but de montrer le travail de l’auteur ou produire un objet pour rester actif en tant qu’éditeur. Dans ce cas-là, les éditions Flûtiste proposent, depuis leur création en janvier 2012, une revue collective entre plusieurs auteurs. Les premiers numéros de la revue étaient faits avec les moyens du bord, sérigraphiés et conçus au milieu de la cuisine parentale d’un des fondateurs. Issus d’une école de publicité, les éditeurs en herbe fuient pour proposer quelque chose qui les intéresse. Pour les premiers numéros, imprimés dans leur école, ils se servaient de la laser noir et blanche. Le contenu était divers : horoscope, photos, illustrations, jeux, avant de se recentrer sur la bande dessinée. Ils proposaient un thème sur le web et dans leur école, ensuite ils sélectionnaient ce qui les intéressait. Puis avec la sortie de Flûtiste 8, les membres de la maison d’édition ont commencé à apporter plus d’intérêt à l’histoire. On peut voir cela dans le Flûtiste 11 paru en 2022, une histoire qui continue dans une autre histoire ainsi de suite pour finir de faire une boucle. Cela reprend le concept du livre dans le livre. Chaque auteur apporte son style et son univers. En d’autres termes, on commence dans une première histoire, et le protagoniste tombe sur un livre qui contient l’histoire suivante. Ainsi de suite, jusqu’à arriver à l’histoire centrale, puis on repart dans l’autre sens, tout en réglant les problèmes de chaque histoire, pour retomber sur la première histoire et son dénouement final.
Toujours dans l’idée des revues collectives, on trouve les éditions Misma, fondées en 2004 par les frères jumeaux Estocafish et El don Ghuillermo. Ces dernières publient depuis 2004 un fanzine nommé Dopututto. En novembre 2011, Misma décide de faire une refonte totale du fanzine en le reprennent dans le format d’une revue, rebaptisée pour l’occasion Dopututto Max. Maintenant la revue propose plus de 130 pages, dont une section a de la couleur. Si le format change, ce n’est pas le cas de son contenu, la revue reste toujours dans son esprit d’expérimentation et de mutation, entre récits et graphisme drôles ou étranges, ou les deux. Ce changement de volume et de format répond à une envie de Misma, celle de continuer à cultiver les objets collectifs, libres et créatifs dans une époque où les revues se font de plus en plus rares.
Jusqu’à présent, j’ai présenté des maisons d’édition qui publiaient une ou deux revues sur un an, mais d’autres essaient d’être plus régulières. Aux éditions Biscoto, ce n’est pas juste une revue, mais bien un journal qui paraît tous les mois depuis 2013. Un journal culotté pour les enfants, avec 24 pages très fournies. Chaque numéro aborde un thème sous plusieurs angles comme l’humour, la poésie, les histoires, et l’aspect documentaire. Le journal propose une histoire complète de quelques pages, un petit livret à couper et à assembler, un feuilleton à suivre chaque mois, des activités manuelles et sportives, et surtout des pages documentaires sur le sujet du journal. En plus de montrer des aspects pédagogiques, il propose aussi aux enfants plusieurs types de style de dessins, des images, des idées étonnantes et audacieuses. Leur but est de rendre les enfants curieux, tout en s’amusant. Il montre que les enfants n’ont pas à être pris comme des simplets. Ils font aussi appel à beaucoup d’auteurs et d’autrices, experts ou débutants, pour apporter le plus d’univers graphiques.
On retrouve la bande dessinée sous plusieurs formes, formats et bien travaillée. C’est devenu quelque chose de courant pour les éditeurs de bandes dessinées indépendants de proposer des livres qui soient de qualité pour les lecteurs, et qui sont l’équivalent des BD qu’on peut retrouver chez les plus gros éditeurs. Tout en gardant le travail d’expérimentation pour développer de nouvelles formes pour la narration. De plus, ils peuvent transmettre leurs histoires et leurs créativités comme bon leur semblent.
Conclusion
En conclusion, les maisons d’édition de la bande dessinée sont de petits laboratoires d’expérimentation, dont de vrais passionnés en sont les moteurs. Pour ceux et celles qui sortent d’étude, liée de près ou de loin à la BD, ce sont des structures qui cherchent plusieurs moyens, styles, idées originales ou pas, pour éditer des productions qu’ils trouvent intéressantes sans trop se soucier de savoir si cela va vraiment fonctionner auprès d’un public. En se rassemblant, les auteurs peuvent aussi définir à quel type de public ils veulent parler, comme Biscoto qui s’adresse plus aux enfants. Même s’il peut être difficile de gérer une maison d’édition, il existe de nombreux moyens de faire fructifier son projet. Ces structures sont rarement dirigées par une seule personne. Ce sont des gens, souvent des auteurs de BD, qui travaillent collaborativement au bon fonctionnement de la maison d’édition. Il n’est pas rare de voir des auteurs être publiés dans plusieurs éditions à la fois, les auteurs peuvent être guidés par les éditeurs pour savoir quelle maison d’édition sera plus apte pour certains de leurs projets. Les maisons d’édition indépendantes s’entraident, car elles restent de petites structures qui ne peuvent pas publier plus d’une dizaine de livres dans l’année car cela est trop coûteux et plusieurs d’entre elles font partie du Syndicat des Éditeurs Alternatifs14. Nous pouvons voir que ces structures se sont bien améliorées depuis l’époque de Futuropolis et de AANAL, pour proposer de nouvelles bandes dessinées qui créent l’émerveillement auprès des lecteurs.
Annexes
Références
Bibliographie
Groupe ACME (2011). L’Association, une utopie éditoriale et esthétique, Les impressions nouvelles
Etienne Chaize (2016). Helios, éditions 2024
Clement Vullier (2019). L’année de la cométe, éditions 2024
Clément Vullier (2022). Terre rare, éditions 2024
G.Ri (2019) L’île de la fée Bijou, éditions 2024
Gustave Doré (2018)Histoire de la sainte russie, éditions 2024
Ōhara Tōya, Utagawa Toyohiro, Katsushika Taito II (2023) La Pérégrination vers l’ouest, éditions 2024
Lisa Mouchet (2019) Le mystère de la maison brune, magnani
Maïté Grandjouan (2016)Fantasmas, Magnani
Fischer & Labrume (2018)Les contes de petit duc, Magnani
Polystyrène, Collectif Collection facade, polystyrène
Polystyrène, Collectif (2013) Polychromie, éditions polystyrène
Alex Chauvel & Rémi Farnos (2015)Thomas & Manon, éditions Polystyrène
Gregogy Mackay (2016)Anders et la comète, The hoochie Coochie
Gregogy Mackay (2021)Anders et le Chateau, The hoochie Coochie
Biscoto, Collectif (novembre 2022) n°109 • Les Cavernes, éditions Biscoto
Biscoto, Collectif (janvier 2022) n°111 • C’est du gâteau !, éditions Biscoto
Flutiste, Collectif (2022)Flutiste 11, Abymes, éditions Flutiste
Flutiste, Collectif (2017)Flutiste 8, Solidor & Kinesis, éditions Flutiste
Misma, Collectif (novembre 2011)Dopututto Max 1, éditions Misma
Misma, Collectif (2005)Dopututto n°4, éditions Misma
L’Association, Collectif Collection Patte de mouche, éditions L’Association
Rupert & Mulot (2013) Un Cadeau, éditions L’Association
Marjane Satrapi (réédition 2017) Persepolis, éditions L’Association
L’Association, Collectif (octobre 1999) Lapin, éditions L’Association
L’Association, Collectif (Février 2017) Mon lapin quotidien, éditions L’Association
Sitographie
Benjamin Caraco (2013). La communication éditoriale : un outil de légitimation. Le cas de L’Association, Comicalité, https:
Jade L’épicurien, LES 7 FAMILLES DE LA BANDE DESSINÉE, https:
Radio Grandpapier (2016) Flutiste, interview à Angoulême, Radio Grandpapier, https:
Jérôme Dutel (2009) « L’Association », ou l’hydre de l’indépendance, Hermès, La Revue, https:
Éditions Polystyrene, http:
Misma, https:
L’Association, https:
Éditions 2024, https:
Éditions Flutiste, http:
Éditions The Hoodie Coochie, https:
Éditions Biscoto, https:
Le Syndicat des Éditeurs Alternatifs (2014), S.E.A, https:
La bande FM-Bande dessinée (2009) 23-Collectif Flutiste – Jours de sable – L’été des bagnold – Polémique Bastien Vivès, Spotify, https:
La bande FM-Bande dessinée (2009) 18-Éditions Misma – Les Cahiers d’Esther – Rocking chair – Tintin vs Spirou, Spotify, https:
Remerciements
Merci à Alexandra, à Adeline, à Mathilde
Nom de plume de Pierre-François Beauchard. &
#8617;& #65038; Futuropolis est une maison d’édition de bandes dessinées fondée en 1974 par Étienne Robial et Florence Cestac, qui privilégie depuis l’origine la création d’auteur. &
#8617;& #65038; Les “Images-Chocolat” représentent un des chantiers collectifs les plus longs et les plus discrets des six Associés-Fondateurs qui se sont partagé quatorze ans durant les 500 images de “Mon Album”. Les 500 images en couleurs sont réparties en 13 Métapaquets. &
#8617;& #65038; Jeu de cartes réalisé par les six Associés-Fondateurs, s’inspirant du Tarot de Marseille, mais comportant ses propres arcanes et ses propres règles. On peut l’utiliser dans un but divinatoire ou en tant que jeu de société, le “Tapok”. (Boîte de 36 cartes quadrichromie avec notice explicative) &
#8617;& #65038; Ce cahier d’écolier (cousu, coins arrondis) propose des bandes dessinées des principaux auteurs de L’Association réalisées entre l’âge de 5 et 12 ans (et entre les années 1969 et 1988). Avec Kikif le Martien, Al Carbone, Mike Reau, Chaource, et les Contures. &
#8617;& #65038; Acronyme de « L’Ouvroir de littérature potentielle », un groupe de recherche littéraire fondé en 1960. Ce groupe a pour but de découvrir de nouvelles potentialités du langage et de moderniser l’expression à travers des jeux d’écriture &
#8617;& #65038; Personnage fictif et protagoniste de l’univers de Lewis Trondheim. &
#8617;& #65038; Personnage récurrent et créer par Jean-Christophe Menu. &
#8617;& #65038; Fondé en 2013 par Mathieu Zanellato, le but de cette maison d’édition est d’éditer que des projets pénibles, coûteux et absolument pas rentables, que personne d’autre ne voudrait prendre le temps d’éditer. &
#8617;& #65038; Un collectif d’auteurs de bande dessinée qui explorons différents aspects du genre fantastique. &
#8617;& #65038; Autrice de bande dessinée, elle a publier plusieur ouvrage aux éditions Glénat. &
#8617;& #65038; Léa Murawiec est une autrice et éditrice de bande dessinée française, ses ouvrages sont parus aux éditions 2024 et aux éditons Flûtiste dont elle est la co-fondatrice. &
#8617;& #65038; 3 FOIS PAR JOUR est un collectif et une micro-édition composé de: Idir Davaine, Clément Vuillier, Sébastien Desplat et Christophe Gomes. Fondé avec Aurélien Cantou en 2010, et s’est enrichit pendant un temps de la présence de Jérémie Fischer. &
#8617;& #65038; Les éditeurs réunis au sein du Syndicat des Éditeurs Alternatifs (S.E.A), éditent et publient des livres en s’attachant avant tout à la mise en valeur d’une œuvre ; ni stratégies marketing ni exploitation de droits dérivés ne président à leurs choix éditoriaux. &
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