Introduction
Depuis le début de l’ère numérique, internet a profondément transformé notre façon de communiquer et de consommer du contenu. Le genre horrifique, depuis son arrivée sur Internet a beaucoup évolué. Sous la forme des creepypastas tout d’abord, des légendes urbaines écrites par des internautes dans le but d’effrayer les lecteurs, puis le format a évolué, devenant de plus en plus visuel. L’incorporation d’images dans ces histoires horrifiques se fit assez rapidement et le format vidéo vint s’y ajouter assez naturellement. Ces évolutions ont mené à l’utilisation d’Alternate Reality Games dans le milieu horrifique. Les ARG (Alternate Reality Games) sont un phénomène relativement récent qui consiste en des jeux de rôle immersifs se déroulant principalement sur internet. Ils ont su captiver de nombreux joueurs en leur proposant des expériences immersives et interactives qui mêlent réalité et fiction. En parallèle, l’horreur analogique, c’est-à-dire l’horreur utilisant les codes vidéos de supports physiques comme les cassettes vidéo ou audio, est un sous-genre qui a connu une forte croissance sur internet grâce à la diffusion de courts métrages ainsi que d’ARG horrifiques.
Ce mémoire vise à étudier l’évolution de ces deux phénomènes sur internet, en s’intéressant à leurs caractéristiques ainsi qu’aux thèmes abordés. Nous traiterons de créations horrifiques utilisant le médium de l’ARG ainsi que du sous-genre de l’horreur analogique qui s’est développé sur Internet ces dernières années.
Nous verrons comment les ARG ont su séduire un public de plus en plus large grâce à leur immersion et leur interactivité, et comment l’horreur analogique a su s’inscrire comme un genre à part entière, se servant des plateformes numériques tout en s’inscrivant dans la continuité du film found footage.
Qu’est-ce qu’un ARG ?
Les Alternate Reality Games sont des jeux de piste qui créent une histoire entièrement fictive et ancrée dans notre réel. La forme que peuvent prendre les ARG est variée mais on en retrouve une large majorité n’utilisant principalement que le web comme vecteur de communication. Cependant on peut en trouver qui se déploient en dehors du web et utilisent d’autres outils pour continuer la narration. Ces jeux de pistes ne se présentent pas comme des jeux mais plutôt comme des situations prenant place dans notre monde et pouvant être dangereuses ou suspectes. C’est pour cela d’ailleurs qu’une majorité des ARG s’inscrivent dans le genre horrifique. En effet, les ARG permettent d’ancrer facilement une histoire dans notre réel tout en y ajoutant des éléments paranormaux comme des glitchs sur un site web venant parasiter au fur et à mesure une page comme c’est le cas avec le site de Claridryl 1, ARG débuté par la vidéo Unedited Footage of A Bear 2 d’Alan Resnick. En cliquant sur les différents liens, le site se dégrade et devient presque menaçant pour l’utilisateur. Certains ARG prennent la forme de séries de vidéos souvent postées sur youtube ou bien hébergées directement sur un site faisant partie de l’histoire.
Le premier ARG est une histoire collaborative ayant commencé aux alentours de 1993, Ong’s Hat. Ayant tourné en théorie du complot, ce jeu de piste débutait avec une légende en ligne parlant d’une ville fantôme nommée anciennement Ong’s Hut au New Jersey qui aurait accueilli un groupe de scientifiques ayant trouvé un moyen de passer dans une autre dimension de la Terre où aucun être humain n’existait. L’histoire invitait les internautes à se rendre sur le lieu pour chercher ledit passage en précisant qu’il n’était pas si simple à trouver.
Bien qu’ayant commencé comme une simple légende locale et orale, l’accès à Internet a permis de diffuser cette histoire très rapidement en incluant de faux documents confidentiels ancrant l’histoire dans le réel. Certains de ces éléments deviendront la norme des ARG, comme ancrer l’action dans le réel, inviter le spectateur à prendre part à l’histoire et à chercher la suite par lui-même. Malheureusement, ce jeu de piste est parti trop loin et dès la fin des années 90, on trouvait des campements dans la ville abandonnée de Ong’s Hat de personnes croyant réellement à l’histoire et essayant d’entrer en contact avec l’ancienne civilisation et de retrouver le passage interdimensionnel. Malgré tout, la production de documents factices nourris l’intrigue avec des plans d’engins permettant de voyager dans l’autre dimension, des enregistrements audios de scientifiques ayant travaillé sur le projet ainsi qu’un livre 3 regroupant les comptes rendus d’expéditions du groupe de scientifiques.
Le tout était orchestré par une seule personne, Joseph Matheny, écrivain américain et artiste qui sans le savoir, allait devenir le précurseur des Alternate Reality Games. Son projet avait pris forme dès les années 80 et il avait déjà commencé à rédiger de faux articles journalistiques ainsi que de faux enregistrements radios. Avec l’apparition et le développement d’Internet, Joseph Matheny y a vu une opportunité pour diffuser et raconter son histoire, il n’avait pas pour but de créer une théorie complotiste. Ce qui différencie cette histoire et mise en scène d’une théorie du complot est que cette dernière se définit par un événement néfaste dirigé par un groupe d’individus malveillants et dissimulé du grand public. Ici, les scientifiques ne sont pas des personnes malveillantes et ne commettent pas d’actes néfastes pour la population, au contraire. Le groupe serait mené par les jumeaux Dobbs qui grâce à leurs recherches autour de l’alchimie et de la science auraient créé une machine nommée L’Œuf capable de voyager dans les dimensions parallèles. Après avoir découvert cela, les scientifiques auraient décidé en majorité de s’installer sur une version alternative de la Terre où les humains n’existent pas. Dans son ouvrage Conspiracy Theories: Secrecy and Power in American Culture 4, Mark Fenster, juriste américain s’intéressant aux phénomènes de paranoïa collective aux Etats Unis, donne cette définition de la théorie du complot : « un groupe ou un individu omnipotent, navigant aux marges de la société, contrôle secrètement, en totalité ou en partie, l’ordre politique et social ». Ong’s Hat ne se rapproche donc pas de la théorie du complot. Ce sont les internautes qui, s’emparant de l’histoire, ont décrété que ces informations ainsi que L’Œuf étaient dissimulées par le gouvernement. Joseph Matheny a perdu le contrôle de son œuvre et malgré ses multiples tentatives d’explications auprès des complotistes, ces derniers ne veulent pas accepter qu’Ong’s Hat est une fiction.
L’ancrage dans le réel, la création de personnages factices ainsi que d’une intrigue invitant le spectateur à découvrir ce qu’il se cache sous la surface, le tout nourri par des photographies, des documents divers créés pour l’occasion. Avec ce premier ARG nous sommes face à ce qui allait devenir et influencer la création de jeux de piste sur Internet.
L’horreur analogique
Qu’est ce que l’horreur analogique ?
Les origines de ce genre peuvent être retracées jusqu’à la lecture de La Guerre des Mondes d’Orson Welles à la radio en 1938. Welles a posé les bases sur lesquelles ce genre allait se fonder : une horreur immersive qui présente des événements fictifs à l’apparence véridiques.
Ce mouvement s’inscrit dans celui de l’unfiction, terme anglophone décrivant des œuvres qui affirment être de vrais événements se déroulant dans notre réalité au lieu de signaler que c’est une pure fiction. L’horreur analogique est un sous-genre horrifique partant du found footage. Il prend son émancipation lorsque internet arrive dans les foyers. Contrairement au found footage cependant, l’horreur analogique ne présente pas forcément de personnage principal, peut-être une série d’émissions télé détournées, corrompues (On note l’utilisation fréquente de EAS : Emergency Alert System, ou alerte d’urgence du gouvernement). Souvent on part d’une source assez triviale qui dérive vers l’horreur, des éléments paranormaux interviennent et sont souvent présentés comme dangereux pour le spectateur.
Le nom “horreur analogique” n’en a que l’esthétique puisque ici, nous ne sommes pas face à de véritables vidéos analogiques mais à des vidéos numériques utilisant les codes des vidéos destinées à être diffusées sur des écrans de télévision. Ce qui distingue l’horreur analogique d’un film d’horreur utilisant également l’esthétique analogique est le fait d’utiliser cette technologie pour ses défauts afin de les détourner et de les utiliser comme partie intégrante de l’histoire. Le contenu que l’on visionne ne pourrait pas venir d’une vidéo filmée numériquement, contrairement à des films tels que VHS de David Bruckner et Glenn McQuaid sorti en 2012, où l’on pourrait remplacer l’esthétique analogique sans que cela impacte l’horreur du contenu visionné.
On retrouve également beaucoup de créations autour de programmes télé comme des archives de chaînes locales, de publicités, … Les créateurs de contenu d’horreur analogique comme Alex Kister et Kris Staub définissent ce genre comme utilisant les limites des vidéos analogiques, comme la basse résolution, les imperfections, les glitchs, le grain ainsi que la neige pour essayer d’évoquer la peur. On peut noter l’utilisation de musiques jazz ou du mouvement vaporwave. C’est un courant musical qui, en reprenant des sonorités des années 80 donne un effet nostalgique à sa musique tout en étant produit et en visant un public n’ayant que très peu connu les années 80/90. C’est un élément que l’on retrouve également dans l’horreur analogique et sur lequel nous reviendrons plus tard.
Certains films ont eu une grande influence sur ce mouvement comme Videodrome sorti en 1983 de David Cronenberg qui est un film d’horreur où l’antagoniste et le danger vient de la télévision cathodique et du contenu analogique diffusé. On retrouve également Ghostwatch sorti en 1992 et réalisé par Lesley Manning. C’est un docu-fiction dans lequel des chasseurs de fantômes vont en direct dans des maisons hantées et où rien ne se passe comme prévu. C’est un long métrage qui s’inscrit dans le genre de l’unfiction et utilise des codes comme l’interaction avec le public en simulant des appels en live de téléspectateurs inquiets pour appuyer sur son aspect réel. En 1999 Le Projet Blair Witch de Daniel Myrick et Eduardo Sanchez s’accompagne d’un site web ainsi que d’un documentaire sorti peu de temps avant la diffusion du film en salle. La promotion a été faite autour de l’idée que ce qu’on s’apprête à voir est réel, qu’il est le contenu trouvé d’une caméra abandonnée. Ces codes horrifiques ont influencé ce qu’allaient devenir les ARG horrifiques ainsi que les séries d’horreur analogique.
Une autre influence notable et importante est le piratage de chaîne de télévision. L’exemple le plus probant est le Max Headroom Incident qui a eu lieu le 22 novembre 1987. Au moins deux personnes ont réussi à réaliser une intrusion sur le signal de diffusion de deux chaînes de télévision à Chicago aux Etats Unis. Ce qui fut diffusé était une parodie de Max Headroom, présentateur télé, en le tournant au ridicule. Se voulant humoristique, le sketch a cependant effrayé de nombreux téléspectateurs car ayant été diffusé sans contexte, coupant brutalement le programme qu’ils regardaient pour laisser place à un son de qualité très médiocre et à une grande incompréhension.
La première vidéo d’horreur analogique dont on trouve la trace sur Internet est The Wyoming Incident, publié en 2006 pour accompagner une creepypasta, une histoire horrifique amateur. Cette vidéo est une fausse interruption de diffusion télévisée où des visages étranges accompagnés de bouts de texte menaçant apparaissent sur l’écran. L’histoire ainsi que la vidéo sont passées assez inaperçues et ne furent redécouvertes qu’une décennie plus tard. Ce n’est donc pas cette œuvre qui a influencé le mouvement bien qu’elle soit considérée comme la première tentative d’horreur analogique publiée sur Youtube. Les deux premières séries d’horreur analogique ayant eu un impact important sur le genre sont Local 58 de Kris Staub débuté en 2015, et CH/SS de Turkey Lenin III, débuté en 2016. Ces séries ont ancré les codes du genre avec l’utilisation de EAS, de détournement de diffusion télévisé et d’horreur lovecraftienne.
Après analyse, il est intéressant de noter que la grande majorité des séries d’horreur analogique sur Youtube utilisent deux polices de caractère principalement : Helvetica ainsi que VCR OSD Mono. Kris Staub le créateur de Local 58 justifie ce choix par la nécessité d’utiliser des polices existantes à l’âge d’or du contenu analogique.
On peut naturellement se demander pourquoi ce genre fonctionne aussi bien. Il est important de noter qu’aux Etats Unis, entre 1950 et 1959, la télévision cathodique s’est largement répandu dans les foyers, passant de 9% de familles en possédant une à 85% en seulement 9 ans7. L’âge d’or de la télévision et son vaste déploiement dans les maisons américaines expliquent donc l’attachement culturel à cette esthétique analogique chez cette génération.
Cependant, on constate que la majorité du public d’horreur analogique est composé de personnes étant nées à la fin de cette ère cathodique et beaucoup n’ont même jamais connu cette technologie. Pour ces générations, il est possible que l’aspect de mystère autour de cette technologie qu’ils n’ont connu que durant leur enfance les intrigue. C’est un rappel nostalgique à cette période. Par exemple, on retrouve beaucoup de personnes ayant été terrorisées pendant leur enfance par les sons des bumpers placés juste après des dessins animés. Les bumpers ne sont en rien horrifiques, mais un enfant n’étant pas en capacité de comprendre pourquoi un son fort et un logo énorme s’affiche sur son écran peut s’en effrayer. Lorsqu’on se réfère au temps de la vidéo analogique, on parle aussi d’une ère où l’information n’était pas aussi accessible et donc l’information qu’on pouvait obtenir avait beaucoup plus d’impact, de gravité.
Kris Staub, créateur de Local 58 une série d’horreur analogique, s’exprime dans une interview donnée à Alex Hera, vidéaste « Pour moi, un grand facteur de l’horreur vient du fait de perdre confiance en quelque chose dans lequel on avait entièrement confiance. » Le créateur de la série Mister Manticore8, Alex Kansas ajoute « La télé et la technologie analogique fonctionne bien comme vecteur de terreur car elle laisse énormément place à l’imagination. On a cette ambiguïté qui stimule l’imaginaire. » Plus on a de la résolution dans une vidéo plus il est compliqué de la rendre effrayante car une grande part de la peur se passe dans l’imaginaire et le principe de suggestion. Voir le monstre est souvent moins effrayant que ce que l’imaginaire pourrait produire à partir de l’évocation de ce monstre.
Analyses de séries d’horreur analogique
Local 58
Local 58 est la série d’horreur analogique ayant le plus façonné le genre dans ce qu’il est aujourd’hui. C’est une série incontournable du genre qui est source de références ainsi que de fortes inspirations dans la création d’horreur analogique. Le but de Kris Staub était de créer une seule vidéo narrant que la lune est un danger. Il n’avait pas prévu que sa série allait gagner autant d’attention et devenir la référence de l’horreur analogique. Dans la première vidéo nous sommes face à une EAS qui demande à tous les citoyens de bien vouloir rester chez eux et de ne pas regarder la lune. C’est là qu’une série de messages contradictoires vont commencer à apparaître à l’écran et qu’une discussion s’engage entre deux personnages, l’un peut être perçu comme le gouvernement et l’autre comme une entité lovecraftienne. On voit ces deux entités se battre pour diffuser leur message lorsque le texte « Don’t look at the moon » tente d’être affiché à l’écran et que le fond est partiellement noirci laissant uniquement « look at the moon » apparaître. Le texte change soudainement de couleur et devient blanc pour ressortir correctement sur le fond sombre. Cette série de vidéos est également connectée à Candle Cove, une histoire d’horreur textuelle accompagnée d’une vidéo que Krist Staub avait réalisée en 2009. En effet, dans ce récit, il est suggéré qu’un dessin animé pour enfant avait été diffusé sur la chaîne de télévision locale 58. Ce dessin animé très étrange aurait été diffusé seulement durant la nuit. Bien qu’utilisant l’esthétique analogique, la vidéo attachée à cette histoire n’est pas réellement considérée comme faisant partie du mouvement d’horreur analogique car elle ne détourne pas les problèmes techniques pour provoquer de l’horreur chez le spectateur. Local 58 est cependant cité dans l’histoire, liant ces deux projets.
Kris Staub parle de son processus créatif assez ouvertement et de son usage des archives. Il cite notamment la bibliothèque de vidéo de glitch VHS9 de Christopher Huppertz qu’il a utilisé à de nombreuses reprises. Il cite également la série de vidéos de prévention Inside Out10 diffusées en Amérique dans les écoles entre 1972 et 1973. Ce contenu l’a marqué car il avait un côté presque dérangeant dans sa mise en scène et la manière dont les sujets sont abordés. Lorsque ces vidéos de préventions étaient contextualisées et montrées en classe à des enfants, elles avaient tout leur sens, mais lorsque l’on visionne ces vidéos en dehors du contexte, seul chez soi, nous voyons juste une série d’événements tragiques et parfois même des accidents mortels arrivant à des enfants. Ces vidéos s’arrêtent souvent au moment de l’incident dramatique pour laisser la place au professeur de parler. Sans ce contexte, les événements arrivant aux enfants ne sont jamais résolus, apportant un aspect morbide et dérangeant au contenu.
Ce qui est également important pour Krist Staub est que le spectateur soit celui qui visionne directement la vidéo horrifique et non qu’il ne regarde un personnage fictif regarder la vidéo comme c’est souvent le cas dans d’autres genres cinématographiques. Ici, le spectateur est celui qui tombe sur une vidéo inquiétante s’inscrivant dans sa réalité, il est le personnage principal. Par exemple, dans sa vidéo You are on the fastest route available, nous nous retrouvons face à ce qui pourrait s’apparenter à une caméra de bord, filmant le trajet d’un individu. Le conducteur est guidé par un GPS qui lui répète qu’il est sur le chemin le plus rapide pour se rendre à destination. Cependant, plus le conducteur suit les instructions qui lui sont données, plus il est évident que le GPS lui donne des informations erronées. Le danger n’est jamais montré et tout est habilement suggéré. C’est un classique du cinéma horrifique où nous sommes souvent embarqués dans la voiture avec le personnage principal, poursuivi par une entité inquiétante. La grande différence est le fait que la caméra soit un objet présent dans la voiture sous la forme d’une dashcam, et que nous n’ayons pas d’autre point de vue, donnant cette impression de séquence brute d’images de surveillance. L’aspect inquiétant est renforcé par le fait qu’on ne voit pas la menace et qu’on nous la suggère uniquement.
Cette formule est celle qui a été reprise le plus lors de l’essor du genre. En effet, l’utilisation de EAS et d’images de base provenant de chaînes de télévision locales normales interrompues par des éléments étranges avant de revenir à la normale est devenu très courant après la popularisation de Local 58. On retrouve notamment CH/SS, série créée par Turkey Lenin III, ou encore ECKVA, série d’horreur analogique de Troy Wagner qui ne cache pas l’influence de Local 58 sur leurs travaux.
The Mandela Catalogue
Débutant le 9 juin 2021, The Mandela Catalogue est une série d’horreur analogique créée par Alex Kister et publiée sur Youtube. C’est une série assez récente et toujours en cours de production, poussant encore plus loin les codes du genre de l’horreur analogique. C’est pour cela qu’elle a attiré l’attention d’un public assez large et qu’elle est aujourd’hui connue de beaucoup de personnes en dehors de la sphère horrifique.
Cette série se concentre autour d’humains faisant face à des “alternates” en 1992 dans le comté de Mandela. Les alternates sont décrites comme des entités démoniaques qui s’attaquent aux humains de manière inattendue. Au lieu de les attaquer physiquement, elles utilisent des techniques de torture psychologique pour pousser leurs victimes au suicide. Les techniques utilisées ne sont pas détaillées ou connues mais le taux de survie face à un alternate est très bas. Ces créatures peuvent changer d’apparence et se déguisent souvent en êtres humains qu’ils peuvent observer. Il est donc fréquent que l’alternate prenne l’apparence de sa victime pour l’attaquer.
Suivant bien sûr les codes de l’horreur analogique, cette série se distingue cependant par sa grande qualité narrative ainsi que ses visuels mémorables. Alex Kister utilise des visages pouvant s’apparenter à la vallée de l’étrange. Notre cerveau reconnaît que nous sommes face à un visage, mais que celui-ci n’est pas totalement humain. En modifiant des visages de manière distordue, les alternates deviennent inquiétants, imprévisibles et une véritable menace. Alex Kister a notamment avoué avoir choisi un célèbre portrait robot pour un des alternates car il en était lui-même terrifié dans son enfance. De plus, l’utilisation d’imagerie religieuse est récurrente dans la série, utilisant des dessins animés catholiques ayant été diffusés dans les années 90 et les déformant pour y ajouter un aspect corrompu. La religion chrétienne ayant une très grande importance dans la culture américaine, le fait d’utiliser son imagerie dans le contexte horrifique évoque directement le diable et autres figures maléfiques. Cette religion est beaucoup plus ancrée aux Etats Unis qu’en France. D’après une étude du professeur Burge publiée en 2020, les croyants sont plus craintifs que les non-croyants, surtout sur les notions d’enfer, de démons et de Satan. L’association de cartoons religieux à des entités démoniaques résonne donc grandement chez le public américain.
Ce qui est d’autant plus effrayant dans cette histoire est le fait que les alternates peuvent prendre contrôle des médias, des diffusions en direct à la télévision. Cela peut notamment faire écho à des films d’horreurs comme Videodrome ou encore Ring d’Hideo Nakata sorti en 1998 qui utilisent cette peur du contenu analogique corrompu pouvant atteindre et tuer celui qui le regarde.
L’originalité de The Mandela Catalogue vient également du fait qu’Alex Kister ne s’est pas limité aux programmes télévisés pour raconter son histoire. Nous trouvons dans le récit de nombreuses méthodes astucieuses qui permettent de suivre les événements des protagonistes. Par exemple, il utilise des vidéosurveillances, des dessins animés, du contenu found footage, des publicités, des messages de préventions ainsi que des appels téléphoniques retranscrits. Cet astucieux mélange amène le spectateur à se mettre dans la peau des personnages et à se sentir plus investi dans l’histoire, comme s’il avait trouvé une mine de documents retraçant un drame et qu’il était de son devoir de comprendre ce qu’il s’est passé.
Pour Alex Kister, l’horreur analogique est très efficace car elle touche des objets physiques tels que des VHS, qui dans l’imaginaire collectif sont des objets beaucoup plus dur à modifier, à corrompre qu’une vidéo numérique. Nous avons donc naturellement plus confiance en ce qu’on s’apprête à voir.
Conclusion
En somme, l’évolution de l’horreur sur Internet a mené au développement de différentes formes d’expressions uniques aux modes de diffusion. On retrouve néanmoins un regard critique de notre société dans ces œuvres horrifiques, majoritairement de la société américaine, de sa surconsommation, de sa superstition religieuse ainsi que de sa crédulité. Grâce aux ARG qui se sont développés très tôt à l’arrivée d’internet, le genre horrifique a pu prendre avantage de cette avancée technologique. C’est également le cas avec l’horreur analogique qui a connu un essor sur les plateformes vidéos. Cet outil et ce sous-genre s’inscrivent dans une continuité du cinéma horrifique, puisant leur inspiration dans le found footage et l’horreur cosmique.
Le genre horrifique, qui a connu un fort succès sur des plateformes plus traditionnelles comme YouTube, a également trouvé sa place sur TikTok et d’autres plateformes similaires. Et tandis que l’on peut retrouver de jeunes créateurs qui continuent de se lancer sur Youtube comme Kane Parsons, produisant du contenu de plus en plus poussé autour d’une série d’horreur analogique, on peut se questionner sur l’évolution ainsi que l’adaptation de ce genre aux nouvelles plateformes et quels sont les codes de l’horreur sur ces dernières.
Annexes
Glossaire
- Alternate Reality Game
- Ou ARG, est un jeu interractif et utilisant les plateformes numériques ainsi que le monde réel comme plateforme et outil narratif. C’est un jeu en narration transmédia qui évolue en fonction des actions des joueurs.
- Emergency Alert System
- L’EAS est un système d’alerte national aux États-Unis. Il permet au président de communiquer avec les citoyens dans un délais de 10 minutes sur un sujet urgent. Ce signal est aussi utilisé pour prévenir de catastrophes météorologiques locales.
- Analogique
- L’analogique reproduit le signal d’un audio, d’une vidéo sur un support magnétique en conservant les mêmes amplitudes que l’onde enregistrée en signal électrique. Les supports physiques des enregistrements analogiques peuvent être des cassettes vidéo, audio ou encore des disques vinyle.
- Found Footage
- Procédé technique et genre cinématographique où la caméra est subjective. Pouvant se traduire par « caméra trouvée », le genre se caractérise par ses prises vidéos sur le vif et par l’existence de la caméra dans l’univers fictif. En raison de sa qualité visuelle et sonore volontairement imparfaite et de la tention qui se crée avec l’aspect authentique des enregistrements, ce genre est très populaire pour les productions d’horreur à bas coût.
Références
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Remerciements
Merci à Corinne Melin pour ses relectures et précieux conseils.
Merci à Angèle et à mes chats, Hermès et Tsuki, d’être restés à mes côtés pendant le visionnage de contenu d’horreur analogique.
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/ &/ archive .org /details /incunabula _originals /page /n3 /mode /2up #8617;& #65038; Se traduisant par Théories du complot : Secret et Pouvoir dans la Culture Américaine, publié par University of Minnesota Press en 2008. &
#8617;& #65038; 4chan est un forum anglophone anonyme calqué sur le forum japonais 2channel. Le forum était au départ le support de discussions autour de la culture japonaise (anime, mangas, dōjinshi) grâce à différentes sous catégories. Il est maintenant connu pour regrouper de nombreuses communautés qui peuvent commencer des discussions en postant des images accompagnées de texte. &
#8617;& #65038; Adult Swim est une chaîne de télévision américaine créée en 2001 par le groupe Warner Bros. Discovery et orientée vers un public adulte. Son slogan est « A Place for Adults Only ». Ils ont popularisé certaines séries pour adultes comme Les Griffin, Futurama et Les Oblong. &
#8617;& #65038; D’après TV History. “Number of TV Households in America: 1950–1978.” Accessed November 15, 2014. http:
/ , “Number of TV Households in America 1950–1978,” The American Century, 2023, https:/ www .tvhistory .tv /Annual _TV _Households _50–78 .JPG / . &/ americancentury .omeka .wlu .edu /items /show /136 #8617;& #65038; Mister Manticore est une série d’horreur analogique réalisée par Alex Kansas et ayant débuté en 2016. L’histoire prend place dans un monde parallèle où des monuments célèbres sont habités par des « eldritch abominations », des créatures dont l’abomination dépasse l’entendement. &
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Comment se déploie un ARG ?
CICADA 3301
Le 4 janvier 2012, un étrange message est posté sur le forum 4chan 5 connu pour réunir un très grand nombre de personnes d’extrême droite et de rebuts de la société. Ce forum est à l’origine de beaucoup de controverses, de blagues de très mauvais goût ainsi que d’incidents graves. Les utilisateurs peuvent poster une image de manière anonyme ou non accompagnée de texte et sur différentes sous-catégories de forums. Ce jour-là, dans le sous forum /b/ random, endroit où les utilisateurs peuvent poster sur des choses triviales et ne rentrant pas dans les autres sous-catégories proposées, un texte blanc sur fond noir est posté. Le message peut être traduit de cette manière : « Bonjour. Nous cherchons des individus très intelligents. Pour les trouver, nous avons conçu un test. Un message se cache dans cette image. Trouvez-le, et il vous mènera sur la voie pour nous trouver. Nous sommes impatients de rencontrer les quelques personnes qui réussiront à faire le chemin jusqu’à nous. Bonne chance. » — 3301
C’était le début d’une énigme complexe qui allait passionner les internautes durant les cinq prochaines années. La première étape était d’ouvrir l’image dans un éditeur de texte, ce qui donnait une suite de caractères dont une ligne était à retenir à la fin « TIBERIVS CLAVDIVS CAESAR says « lxxt>33m2mqkyv2gsq3q=w]O2ntk » ». Grâce à une méthode appelée “chiffre de César”, il était ensuite possible d’accéder à une URL qui menait à une image de canard en boisPièce de l’énigme de CICADA3301 accompagné d’un message suggérant que la personne s’était trompée de chemin pour résoudre l’énigme. La phrase « Woops, just decoys this way. Looks like you can’t guess how to get the message out. » étant une mauvaise tournure de phrase, il fallait en extraire les mots “out” et “guess” qui pointent vers l’utilisation du logiciel de stéganographie OutGuess, qui permet de trouver des informations dissimulées dans les fichiers. La suite de l’énigme menait à un numéro de téléphone qui jouait le message préenregistré suivant dans une voix robotique : « Très bien. Vous avez été performants. Il y a trois nombres premiers associés à l’image originale. 3301 est l’un d’eux. Vous allez devoir trouver les deux autres. Multipliez les trois nombres les uns aux autres et ajoutez .com à la fin pour atteindre la prochaine étape. Bonne chance. Au revoir. » Par la suite, certains des éléments étaient placés dans différentes villes à travers le monde trouvables grâce à des coordonnées GPS cachées dans les énigmesListe de coordonnées postée par CICADA3301Poster de CICADA3301 en Arkansas.
Le fait que cet ARG ait été posté sur 4chan et non un autre site relève sûrement du fait que beaucoup de ses membres réguliers sont des personnes passant énormément de temps sur Internet et pouvant même être considérés comme des personnes en marge de la société. Cette catégorie de la population est beaucoup plus encline à connaître le fonctionnement d’Internet, des logiciels, des données cachés et autres méthodes utilisées dans le jeu de piste. Si Cicada avait débuté sur Facebook ou bien Twitter, cela n’aurait pas eu le même impact et la publication serait peut-être même passée inaperçue.
L’horreur de cet ARG vient surtout du côté mystérieux de la démarche, de sa complexité et de son imagerie. Le fait que l’énigme débute sur 4chan avec très peu de contexte et qu’on ignore qui se trouve derrière cet ARG de très grande ampleur a créé un sentiment d’inquiétude chez les internautes et cela en a mené beaucoup à se demander si Cicada 3301 n’était pas une secte cherchant à recruter de nouveaux membres. L’horreur est ici lovecraftienne puisqu’elle ne vient pas d’éléments paranormaux, gores ou de créatures monstrueuses, l’horreur vient de l’incompréhension, de l’inconnu. H. P. Lovecraft était un auteur de fiction horrifique et fantastique. C’est un genre horrifique qu’on peut également qualifier d’horreur cosmique. C’est la crainte de ce que l’homme n’a pas encore découvert, de ce qui nous dépasse. Souvent on peut y trouver une attache à un folklore lointain, des traditions locales et les entités ne sont que rarement vues par le spectateur, laissant une part au mystère et à l’horreur. Très peu d’individus vont au bout des énigmes de 3301 et il est encore plus rare de trouver des témoignages sur ce qu’il se trouve à la fin de l’ARG.
This House has People In It
Le second ARG horrifique ayant fortement marqué le genre est This House has People In It, réalisé par Alan Resnick en 2016. L’Alternate Reality Game part d’un court métrage réalisé pour la chaîne Adult Swim 6 et destiné à être diffusé à 4h du matin pendant plusieurs mois. Dans cette vidéo, ce que nous voyons est filmé à travers différentes caméras de surveillance dans une maison familiale. L’utilisation de ce système de surveillance apporte un aspect intrusif dans la vie des personnes que nous nous apprêtons à observer. Nous pouvons voir ces personnes sans être vues et sans qu’elles ne le sachent et cela ajoute un facteur horrifique fort car nous les observons à leur insu. Le voyeurisme peut être associé à un harcèlement névrotique, mettant le spectateur dans une position inconfortable. La surveillance constante peut renvoyer à des œuvres de fictions dystopiques comme 1984 de Georges Orwell ou encore The Truman Show de Peter Weir où des forces supérieures observent à l’aide de caméras de surveillance les moindres faits et gestes de la population. La peur vient de l’intrusion de l’intimité de personnes inconnues rendues par ce moyen vulnérable. Ici, les moments intimes de cette famille sont donnés à voir à tous en les diffusant sur la chaîne Adult Swim mais également sur Youtube, pouvant donc toucher une grande part de la population. Leur intimité est tournée en spectacle télévisé à leur insu.
Les caméras sont placées dans différentes pièces de la maison, alternant entre la cuisine où se trouvent les parents, le salon où la grand-mère regarde la télé avec un bébé dans un landau, la chambre d’un des enfants, le jardin où des invités festoient et le sous-sol où un plombier est en train d’intervenir. Le court métrage dure un peu moins de 12 minutes et diffuse une tranche de vie d’une famille inconnue. Aux premiers abords, nous pouvons suivre la vie de ces individus lors d’un événement paranormal. En effet, dans une séquence, alors qu’ils parlent de sujets triviaux, on voit soudainement une personne au sol dans la cuisine derrière le couple, face au sol. C’est une jeune fille nommée Madison qui ne semble pas répondre et lors que le couple la remarque et essayent de la relever, ils réalisent que cette dernière est bloquée et qu’elle est en train de passer à travers le solCapture du court métrage This House Has People In It. Dans la panique, ils délaissent le repas en train de cuire au four et ce dernier commence à brûler, enfumant le salon. La grand-mère regardant la télé semble s’être assoupie et le bébé est sorti de son landau, déambulant donc à présent dans la maison. On peut entendre le programme télé dans le salon parler de la maladie de Lynks et on apprend qu’elle peut causer de larges cloques sur le corps et provoquer des comportements absurdes, comme chanter frénétiquement, chez la personne atteinte.
Madison, traversant toujours le sol, finit par atterrir au sous-sol où le couple ont agencé en panique un matelas pour amortir sa chute. Soudain des cris retentissent, on peut voir les invités dans le jardin, allongés face contre terre, les caméras coupent et lorsqu’elles reprennent dans le silence le plus total, plus personne n’est visible.
On pourrait donc s’arrêter là et prendre ce court métrage horrifique comme une simple critique de notre société voyeuriste, surtout lorsque l’on voit les quelques touches humoristiques caractéristiques d’Alan Resnick éparpillées un peu partout. Cependant, ce dernier a également souhaité mettre en place un site web lié au court métrage et dont le lien apparaît à la fin de la vidéo : http://absurveillancesolutions.com/ .
Cette entreprise est censée être le fournisseur des caméras de surveillance. Pourtant, c’est bien le point de départ de l’ARG car l’utilisateur peut à présent interagir avec l’intrigue. Pour accéder à la suite de l’histoire, il faut attentivement regarder This House Has People in It. En effet, des inscriptions sont cachées dans le décor de la maison comme “bedsheets” ou “sadday”. En entrant le numéro donné en début de vidéo comme nom d’utilisateur et en entrant “bedsheets” en mot de passe sur le site d’AB Surveillance Solutions, on se retrouve dans une banque de données d’archives de vidéo-surveillancePage d’entrée dans les archivesListe des fichiers d’archive. Pour entrer dans l’archive, il faut entrer le mot de passe “sadday” qui permet d’accéder à différents documents concernant la famille. À travers les différentes vidéos, photos et autres pistes, on comprend que cette famille est sujette à des hallucinations. Ce que l’on peut voir est ce qu’une personne infectée par la supposée maladie de Lynks pourrait voir. Les documents que l’on peut consulter donnent accès à des courriers entre la famille et un centre médical leur demandant d’arrêter de leur demander des analyses concernant la maladie de Lynks car cela était une perte de leur temps. De plus, toutes les informations que l’on peut réunir sur cette maladie sont contradictoires. Elle pourrait s’attraper en touchant de l’argile et donc pour éviter cela il faudrait la rincer, cependant on sait que cette maladie ne s’enlève pas en se lavant les mains ou au contact de l’eau.
Dans les archives, on accède aussi à des photos d’articles à propos de la maladie de Lynks qui ne semblent avoir aucun sens. Toutes les photos semblent prises au téléphone avec le flash. De plus, dans les archives, on peut y trouver d’autres vidéos surveillance de la maison et ce qu’on y voit est pour le moins étrange. La famille parait obsédée par la pizza et n’arrête pas d’en commander. Pourtant dans l’une des vidéos, on se rend compte que ce qu’il y a à l’intérieur d’une des boîtes à pizza est de l’argile. Ces éléments ont une symbolique forte. La pizza est une nourriture populaire, pas cher, nourrissante et qui réunit. Elle a été popularisée aux États-Unis par les enfants d’immigrés italiens et grecs après la seconde guerre mondiale. Ils cherchaient à partager les saveurs et le savoir-faire de leurs familles. Cependant, de nos jours, des grandes chaînes sont nées sans ces objectifs en tête, perdant le savoir-faire au profit de la rapidité et du gain facile. La pizza est donc à la fois un symbole du peuple et de la surconsommation américaine. Quant à l’argile, c’est un symbole que l’on retrouve à de nombreux endroits comme dans la Bible Genèse 2:7 « L’Eternel Dieu forma l’homme de la poussière de la terre, il souffla dans ses narines un souffle de vie et l’homme devint un être vivant. » et Esaïe 64:8 64–7 « Cependant, ô Eternel, tu es notre père; Nous sommes l’argile, et c’est toi qui nous as formés, Nous sommes tous l’ouvrage de tes mains. ». Le nom d’Adam se relie également à la terre puisque sa racine hébreux adama signifie “fait en terre rouge” et en babylonien « humanité ». L’argile est donc symbole de création de la vie, de naissance, de la genèse. De plus, cet aspect religieux est important dans le contexte de cette production puisque c’est un court métrage américain, produit pour un public américain, connu comme étant très croyant et attaché à la Bible. L’argile est également symbole de médecine. C’est une matière qui a été utilisée par l’Homme pour panser ses blessures, guérir les maladies gastro-intestinales. L’argile a donc une symbolique forte.
Pour en revenir à l’ARG, on peut voir son omniprésence avec la maladie de Lynks. Cette maladie se transmettant par l’argile se diffuse donc par un vecteur et symbole de vie et de mort très fort. Dans This House has People in It, nous sommes confrontés à la paranoïa de ces individus face à une maladie dont l’existence et les symptômes sont inconnus. L’esthétique des vidéos surveillance est très bien reprise, de la qualité de l’image jusqu’au son un peu étouffé, cela immerge totalement le spectateur dans l’histoire. En somme, en utilisant de fausses vidéosurveillances et en diffusant This House Has People In It à un large public, cela met le spectateur dans une position voyeuriste envers une famille inconnue. L’intrusion dans la vie privée de ces personnes et l’ancrage dans le réel induisent l’horreur et l’étrangeté de cette situation. Cela est renforcé par la folie collective de la famille. Cette esthétique rappelle celle du found footage puisque ici la caméra filmant les événements existe en tant qu’objet dans l’univers filmé, contrairement à d’autres genres cinématographiques.