Introduction

Au cœur de la tempête musicale des années 70, le punk a émergé comme un cri de liberté, une cacophonie de rébellion contre l’ordre établi. Bien au-delà des accords dissonants et des paroles incendiaires, nos rebelles enragé·es ne se sont pas limité·es à résonner à travers des enceintes. Leur révolte explose aussi à travers des affiches déchirées, des pochettes d’album frénétiques, des fanzines anarchiques, et d’autres artefacts visuels d’une audace indomptable. Le punk a transcendé le simple territoire musical pour infiltrer tous les recoins de la culture visuelle. Il a injecté un souffle de créativité iconoclaste dans le domaine du design graphique.

Débarquons en plein cœur de cet univers visuel tourbillonnant, en commençant par retracer l’histoire mouvementée du punk, puis en nous plongeant dans la personnalité déjantée de ses protagonistes et de leur musique. Notre exploration se poursuivra en analysant les objets graphiques du mouvement, en scrutant leurs caractéristiques distinctives et les empreintes indélébiles qu’iels ont laissées sur la toile visuelle de l’époque. Attachez vos ceintures et bonne lecture.

Définitions et contexte historique

Pour comprendre le mouvement punk, il faut l’envoyer dans le bain bouillonnant de son époque. Durant les seventies, c’était le chaos à l’échelle planétaire. Aux États-Unis, la guerre du Vietnam avait tranché profond et la cicatrice encore ouverte réduisait en miettes l’économie mondiale. En Europe, la Guerre froide s’éternisait, planant comme une menace constante. Le Royaume-Uni, quant à lui, faisait face au cruel règne de la mère Thatcher avec son cortège de conservatisme, de nationalisme et de capitalisme qui dévorait tout sur son passage. Évidemment, c’est les pauvres qui ont trinqué. À ce moment-là, les britanniques connaissent la pire crise de chômage et de grève générale qu’iels n’ont jamais connu. La première ministre décide donc de matraquer les grévistes avec une violence telle qu’on lui colle le surnom de « La dame de fer ».

Il n’y a que dans ce bordel de Londres que le punk pouvait émerger avec ses riffs déchirants, ses fringues en lambeaux, et son cri de révolte qui crache à la gueule du système : « Fuck you, Thatcher, et fuck ton système ! »

Tout le monde connait les hippies qui luttaient contre toutes les horreurs des années 70’. Mais les punks arrivent en contestation, crachant sur les bourgeois·es et sur ce mouvement qu’iels rangent dans le même tiroir. Ces dernier·es sont vu·es comme des utopistes édulcoré·es qui pensent sauver le monde avec des fleurs et des câlins. Pendant ce temps, les punks crachent dans la soupe de cet optimisme béat et aboient « no future ». Iels adoptent une attitude plus agressive, rebelle, et nihiliste.

Dans leur quotidien, les punk ne passent pas inaperçus. Iels ont des vêtements déchirés, des épingles à nourrice, des cheveux en éclat de couleurs, des tatouages, des piercings. Chaque détail est une arme visuelle contre les normes étriquées. C’était l’époque où on évitait de rester sur le même trottoir que les marginales·ux.

En plus de ça iels ont l’activisme politique qui pulse dans leurs veines. Manifestations, rébellion, provocation, paroles de musiques assassines, les punks sont au centre de l’arène de la lutte sociale. Iels font ce qu’iels veulent, se revendiquant de l’anarchisme.

Les ClashPhotographie des membres du groupe, ce groupe punk londonien de haut vol, ne se contente pas de jouer, il organise des émeutes avec une jubilation démente. Il saccage tout avec une joie débordante, allant jusqu’à dénicher des armes pour affronter les flics. Joe Strummer, leur leader, assène : « Nous sommes anti-fascistes, anti-violence, anti-racistes, pro-créatifs, et farouchement opposés à l’ignorance ». Au-delà de leur virtuosité musicale, ce groupe est perçu comme une force militante, injectant un profond sentiment de révolte parmi la jeunesse, s’élevant farouchement contre le gouvernement Thatcher.

À Londres, les punks attaquent les gros bonnets. L’image iconique de l’ère punk, « God Save the Queen », est une affiche façonnée par Jamie Reid pour les célèbres Sex Pistols. L’affiche est basée sur une photographie par Cecil Beaton de la reine Elizabeth II, avec une épingle à nourrice transperçant sa bouche et des croix gammées dans ses yeux. L’affiche fait un scandale monumental, toucher à l’image de la reine voire seulement la critiquer, c’est douloureux pour les anglais. Alors, comparer Elizabeth II aux nazis, c’est insoutenable. (C’est carrément le déni anglais sachant que l’oncle de la reine a collaboré avec les nazis). Mais Jamie ne s’arrête pas là, il invite à la révolte avec des affiches du genre "Up They Rise"Affiche de Up They Rise et il créé le design de six publications du Suburban PressPage de couverture du Suburban Press, un magazine socioculturel qui partage les écrits très engagés des situationnistes.

Une des version de God Save the Queen

En France le punk est bien plus politique. Les groupes français ont débarqué sur la scène avec la rage, des vrais guerriers sonores comme Bérurier Noir, Les Wampas, Métal Urbain et Ludwig Von 88. Iels ont balancé des paroles qui te lacèrent, abordant des thèmes sociaux et politiques de manière ultra crue. On a toustes en tête la musique Porcherie des Béruriers Noirs et leur cri de haine contre les politiciens néo-nazis : « la jeunesse emmerde le Front National », ou « cet enculé de gros Lepen » qui fait encore grincer des dents quand on la sort aujourd’hui. Leur graphiste, Laul, aime dessiner des camions de flics torturés Cover d’album de Nuit Apache réalisée par Laulou des clowns qui se suicident devant l’absurdité de la vie. Des illustrations crades et caricaturales, caractéristiques des mouvements plutôt de gauche radicale qu’on connait dans les journaux satiriques comme le canard enchainé, un vieux briscard de plus de cent piges ou Charlie Hebdo qui a débarqué en 1970, à la même époque où le punk a foutu le feu.

En France la capitale du punk c’est Mont-de-Marsan.

Un festival y est organisé par Marc Zermati avec son label SkydogFestival du punk de Mont-de-Marsan. Il y a foutu le feu les 5 et 6 août 1977 pour la deuxième édition. Ce fut une phénoménale tempête sonore qui a déferlé sur l’hexagone. À l’affiche, les tueurs de la scène punk britannique, The Damned et The Clash, et tout un tas de musicien·nes déchainé·es, Anglais·es comme Français·es. Le festival a attiré l’attention des médias français qui, jusqu’à cette période, percevaient le punk comme une rumeur lointaine. Ils étaient ébahis comme des gamin·es devant une caisse de bonbons. Iels ont rien pigé. L’apparence des punks, c’était tout ce qui les intéressait. Iels ont craché sur les tenues déjantées, les gueules tatouées, comme si c’était ça le cœur du mouvement. Iels ont aussi parlé des aspect sociaux culturels, vu le punk comme une simple bizarrerie, le tout avec une grande panique morale. Mais pas un mot sur la musique. Le festival de Mont-de-Marsan a quand même mis en avant les punk, faisant connaitre le bruit des guitares partout dans le pays du cocorico.

Le punk graphiquement

Dans le tumulte frénétique du punk des années 70 et 80, le design ne se contente pas d’orner la surface, il devient la bannière visuelle d’une rébellion déchaînée. Les icônes emblématiques du mouvement se dévoilent à travers une variété de supports : des pochettes d’albums qui provoquent, des vinyles rayés d’une énergie brute, des flyers vibrants qui annoncent le désordre sonore à venir, et des fanzines intimes qui captent l’essence subversive des groupes (bien que je ne m’attarde pas davantage sur ce sujet dense).

Parmi les accessoires, les pins se démarquent comme un super terrain de jeu pour des esprits créatifs tels que Gee Vaucher, qui conçoit pour les Crass toute une panoplie d’objets, dont des pins ornés d’une image détournée de Margaret Thatcher avec l’inscription « you’re already dead »Pins réalisé par Gee Vaucher. Ces p’tites épingles, c’est pas juste des trucs qui te percent le cuir, ça devient des emblèmes arborés avec fierté, injectant une dose rebelle dans l’attirail punk.

Le pouvoir du design graphique punk réside dans sa capacité à fracasser les codes établis. Il déchire les règles du design conventionnel, adoptant une esthétique « crado » qui reflète le mépris punk envers la norme. Le design devient un langage visuel de rébellion, un moyen de propulser des messages radicaux. Dans son essence, le punk n’est pas simplement entendu, mais aussi vu à travers des images qui résistent, provoquent et défient.

Dans l’univers graphique punk, la créativité se déchaîne avec une variété visuelle qui envoie tout valser. Des rendus allant de l’esthétique des photomontages en noir et blanc percutants de Gee Vaucher pour l’album « Crass Christ The Album »Cover de l’album de Crass « The Feeding of the 5000 ». des Crass aux explosions colorées des dessins signés Olivia ClavelIllustration de Olivia Clavel, le punk se démarque comme un très vaste terrain de jeu anarchique.

Les outils de cette rébellion visuelle sont tout sauf ordinaires. La photocopieuse, utilisée pour sa simplicité et sa rapidité, donne naissance à des images qui frappent. Le tramage, le collage, et le photomontage, comme illustré par l’artiste Linder Sterling qui a bossé pour le démentiel groupe Buzzcocks, ont permis des images nouvelles. L’utilisation d’un feutre tachant sans croquis préalable, comme le fait Michel WürthleIllustration de Michel Würthle est courante. La sérigraphie a également été adoptée, offrant une irrégularité crade qui reflète l’essence même du design punk. La caractéristique commune à toutes ses techniques est la capacité de produire des images rapidement sans se casser la tête. Aujourd’hui ce sont des techniques qu’on trouve évidentes mais durant le règne punk c’était du délire.

Image de Linder Sterling pour la chanson « Orgasm Addict » des Buzzcocks

Le punk imagine la culture du DIY, du « Fais-le toi-même », qui pulse au cœur de cette production graphique. L’idée est de réduire les coûts économiques mais aussi quelque part les coûts écologiques. Donc les punks utilisent les photocopieuses des gares, volent celles de leur taff, font les façonnages un à un, utilisent leurs feutres usés, des lettres récupérées dans des journaux… et ça donne un style inédit au graphisme. Keith Allen, membre d’Atome, raconte avec fierté comment, avec un prêt de 500 livres à un pote, il a sérigraphié à la main 2 000 pochettes de l’album « Max Bygraves Kilts My Mother » dans un squat près de Harrow Road – il a tout vendu. Pas de chichi, juste de l’ingéniosité. Cette anecdote démontre l’intérêt voir la nécessité du do it yourself dans ce contexte de pauvreté et dans leur choix d’œuvrer en dehors du système.

On remarque aussi que la typo, c’est le fer de lance du design graphique punk. Elle se la joue rebelle, mixant les genres sans se soucier des règles étriquées. Prends l’affiche du Swedish Punk Rock FestivalAffiche du Swedish Punk Rock Festival de 1979 à Slottskogen réalisée par Hakan Sandsjo de 1979 à Slottskogen, signée Hakan Sandsjo : un pur délire textuel. Chaque groupe du festival se pavane avec sa propre police de caractère, résultat ? Une belle collection de 18 polices différentes. Depuis le 20e siècle, pour la majorité des graphistes, utiliser beaucoup de polices de caractère différentes est signe de mauvais graphisme, mais les punks ? Eux, ils s’en foutent.

C’est la débandade stylistique. Ça sort des sentiers battus. On intègre des textures à coup de pochoirs, comme Hakan Sandsjo sur la pochette de l’album Stila Dej Inte des légendaires AttentatPochette de l’album « Stila Dej Inte » de Attentat. Des lettres brossées avec rudesse, griffonnées au feutre, c’est le foutoir alphabétique assumé. Et bien sûr, on a toustes en tête Jamie Reid pour les Sex Pistols, qui se la jouent kidnappeur de lettres, un joyeux bordel d’écritures variées, comme dans les rançons des films à suspense.

Design de Jamie Reid avec les lettres découpées

La brutalité visuelle, c’est la marque de fabrique du punk graphique. Le choc, c’est leur kiff, les artistes rebelles font des références aux sujets sensibles : nazisme, capitalisme, christianisme. Le flyer de soutien à OZFlyer anonyme lors de leur procès pour obscénité est un bon exemple. On ne sait pas qui a pondu ça, et ça vaut mieux pour ellui, parce qu’iel a dessiné les décisionnaires de la censure en uniforme de nazis, c’est une bonne recette pour finir en taule. De manière générale, la croix gammée fait son show, en star du mauvais goût, elle est un symbole très récurrent. C’est le punk, sans pudeur ni filtre.

La brutalité se ressent également dans l’esthétique « crado » des visuels, dont on a déjà causé plus tôt. Mais au-delà de la saleté, les punks revendiquent le moche. Regarde le groupe Subhumans, 4 pochettes d’album signées Nick LandAlbum The Day the Country Died de Subhumans, ce mec qui s’éclate à dessiner des hommes répugnants, du vomi, des zombies, des animaux mutilés… un déballage d’images aussi crades, ça tabasse.

Et l’humour, c’est un autre trip des punks. Ça passe par exemple par la photo. Peter Gravelle shoote les Damned qui se prennent des tartes à la crème sur la tronche pour l’album Damned Damned Damned.Album Damned Damned Damned des Damned Les Bérurier Noir, c’est l’œil déjanté de Roland Cros qui les immortalise sur scène en pleine frénésie déguisée, chiens, clowns, travestissements, accessoires chocs, maquillages chaotiques, tout y passe. L’humour punk, c’est la satire de la vie à base de caricatures et de blagues à l’image de Laul, qui croque un clown qui se met une balle dans le crâne, avec écrit « enfoncé l’clown », histoire de tordre le cou à l’expression « enfoncer le clou ».

Album enfoncé l’clown des Bérurier Noir

Conclusion

Pour conclure, on a vu que le punk est bien plus qu’une symphonie rebelle, il transcende les frontières nationales et pulvérise les normes établies. De la politique tumultueuse aux physiques délibérément subversifs, le punk, par son essence même, incarne une rupture radicale. Cette déchirure s’étend au-delà de la bande-son, pour infiltrer les domaines graphiques, où le design devient une expression visuelle de la colère. Le graphisme est partout, pins, pochettes d’album, affiches de concert… On a vu à quel point il est fabriqué à l’arrache, avec le DIY, dans une volonté d’exprimer la brutalité du monde et de ne dépendre de personnes. Ni Dieu, ni maître. Chaque œuvre tire sa puissance de l’urgence, de l’énergie brute qui anime le punk. Les techniques graphiques sont intelligemment choisies pour renvoyer l’effet violent et crado voulu. La satire grince autant dans les enceintes que sur le papier. Les typos fusent des tracts aux affiches, avec des concepts qui font un fuck aux normes graphiques établies. Le punk, tel un démolisseur créatif, a dynamité les conventions, lançant l’idée audacieuse que le design peut être brutal, impulsif, loin des canons de beauté acceptés.

Aujourd’hui le punk comme il l’était à l’époque n’existe plus. Les personnes qui en reviennent ont malheureusement pour certains renié leurs origines gauchistes pour se tourner vers l’extrême droite. Potentiellement en partie à cause de leur obsession à se laisser crever, à se dire qu’il n’y aura jamais de futur heureux. Il faut donc ne pas idéaliser cette période de l’histoire sans remettre en question certaines dérives comme les idéologies racistes ou sexistes qui ont pu ou qui peuvent exister.

L’esprit punk cependant persiste, ses éclats visuels frappent encore chez des artistes comme Tagada Johns, un groupe de punk métal, dans leur clip réalisé par Edza Films, Mort aux cons qui utilise des techniques de photomontage pour l’animation. Il résonne aussi dans des mouvements artistiques tels que la new wave, les gothiques ou le bad cave rappelant que la créativité authentique puise souvent dans le tumulte du chaos et la frénésie de la rébellion. Certaines caractéristiques comme le do it yourself, l’apologie du crade et la volonté de briser les codes persiste encore dans des cultures underground tel que le drag et le clubkid. L’esprit punk, bien loin d’être six pieds sous terre, continue de faire vibrer les cordes sensibles de la création, clamant avec une énergie défiante : Punk is not dead.

Sarah Fradin
Bibliographie

Bibliographie et sitographie

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