Introduction
1 Cameron Chapman a dit dans son article Following Trends: Homage vs. Design Plagiarism: « Chaque designer dans le monde travaille avec à peu près les mêmes outils de base : la même gamme de couleurs, les mêmes interfaces, les mêmes alphabets, les mêmes formes. Comment ils les assemblent varie largement, bien sûr. Mais, quel que soit le résultat final, sont-ils vraiment originaux ? »
Dans la lutte constante pour différencier leur travail du lot, les designers sont obsédés par l’originalité. Mais dans un monde où tout semble avoir déjà été fait, cela est-il vraiment justifié? Comment faire la distinction entre la reproduction et l’appropriation, entre l’hommage respectueux et le plagiat ?Le design graphique est intrinsèquement influencé par la riche histoire de l’art et les tendances contemporaines. En tant que domaine dynamique et en évolution, il prospère grâce à l’interaction de la créativité, de l’innovation et de l’inspiration. Les designers naviguent constamment dans l’équilibre délicat entre s’inspirer d’œuvres existantes et créer des designs originaux et percutants. Cependant, cet équilibre délicat fait face à des défis sous la forme de plagiat, une pratique qui compromet les fondements éthiques et l’intégrité créative du design graphique.
Ce document écrit explore l’interaction entre l’hommage et le plagiat dans le design graphique, examinant la ligne fine qui sépare ces concepts en explorant les facteurs qui contribuent à leur convergence. Il plonge également dans l’impact de l’évolution de la technologie, avec la croissance de l’intelligence artificielle sur le sujet du plagiat.
Pastiche, Hommage, Parodie, Plagiat
Pastiche:
Le pastiche, tel qu’introduit par le critique littéraire marxiste Fredric Jameson, Postmodernism, or, The cultural Logic of Late Capitalism (1991) , est caractérisé comme une forme d’imitation dépourvue de profondeur, d’engagement critique et de contexte historique. Il reflète la condition postmoderne et les changements culturels associés au capitalisme tardif, où l’accent sur l’aspect visuel et l’emprunt de styles divers prend le devant sur une exploration plus profonde du contenu historique et culturel. Les designers graphiques trouvent souvent de l’inspiration dans une multitude de styles, de périodes historiques et d’influences culturelles. Le pastiche implique le mélange délibéré de ces éléments divers pour créer des designs qui reflètent un kaléidoscope d’influences.
Si l’on examine le projet Public Theater Identity (1994)() de Paula Scher, [fig
Hommage:
L’hommage en design graphique est une danse harmonieuse entre tradition et innovation. Une reconnaissance sincère et une célébration des contributions faites par des designers influents, des mouvements ou des œuvres emblématiques, tout en permettant au designer d’insuffler sa marque dans ses compositions. Cela peut se manifester sous différentes formes, que ce soit en rendant hommage à un mouvement de design particulier, en adoptant un élément stylistique spécifique, ou en faisant référence à un designer emblématique.
C’est un concept qui est mis en avant dans une affiche de montre Swatch (1986) créée par Paula Scher. Il s’agit d’une appropriation d’une affiche de voyage suisse (1934) créée par le designer Herbert Matter. Un lecteur général du magazine Mademoiselle, où l’affiche est brièvement apparue, ne trouverait rien de particulier ni d’alarmant dans sa composition. Cependant, ce design a créé polémique et a remis en question la notion du plagiat dans le monde du design graphique, en raison de sa ressemblance frappante avec celle d’Herbert Matter. L’affiche en question est une affiche de voyage suisse créée pour l’Office national du tourisme suisse en 1934. Il s’agit d’un design innovant, mettant en scène une composition dynamique avec une montagne stylisée et un skieur en action, et au premier plan, une femme souriante qui regarde à travers l’ombre de sa visière. Elle capte l’essence de la Suisse en tant que destination pour les sports d’hiver et le tourisme. La conception se caractérise par l’utilisation du photomontage (une technique familière à Matter), de couleurs vives, de formes géométriques audacieuses et d’un sens du mouvement - des caractéristiques distinctives du mouvement du design moderniste.
Dans la composition de Scher, on trouve les montres swatch (le produit vendu) sur le poignet de la femme, et le mot “Swatch” ecrit avec une police audacieuse en bas de l’image suivant le même axe que la femme. Bien qu’il y ait quelques différences entre les deux affiches, il y a trop de similitudes pour que ce soit une coïncidence, et cela s’explique car ce n’en est pas une. Le design de Scher avait un lien évident avec l’originale; Scher explique en Make It Bigger. New York: Princeton Architectural Press (2002) qu’elle admirait le travail de Matter et avait ses affiches de voyage suisses accrochées aux murs de son bureau. L’idée de plagiat peut être écartée au profit de l’hommage, vu qu’elle avait l’autorisation de la veuve de Matter pour l’utilisation d’image, et elle a payé les droits d’auteur pour l’utilisation de la forme. Avec la notion de plagiat, il y a très souvent l’intention de dissimuler la source, dans le travail de Scher, on ne se pose aucune question d’où elle a puisé son inspiration, et Scher ne tente pas de le cacher, mais rend directement hommage au travail d’un artiste qu’elle admire et le crédite avec le nom – Koppel & Scher avec Herbert Matter.
Parodie:
La parodie dans le design graphique est une forme dynamique et engageante d’expression créative qui implique l’imitation délibérée et la réinterprétation humoristique d’éléments visuels existants. Enracinée dans la satire et l’humour, les graphistes utilisent la parodie pour commenter, critiquer ou célébrer divers aspects de la culture, de la société, de la politique et même de leur propre discipline.
La parodie définie par la théoricienne littéraire canadienne, Linda Hutcheon, est une forme de répétition avec différence critique. Dans A Theory of Parody: The Teachings of Twentieth-Century Art Forms (1985), Hutcheon souligne que la parodie implique à la fois l’imitation et l’innovation. Et elle repose sur la répétition d’éléments existants, mais cette répétition s’accompagne d’une différence créative. La parodie ne se contente donc pas de reproduire ; elle transforme et commente souvent l’original.
Un exemple de cela est la parodie de Laugh it Off de la de la célèbre marque de bière sud-africaine Carling Black Label de South African Breweries (SAB) . Laugh it Off est une marque de streetwear sud-africaine qui a attiré l’attention pour son approche satirique, notamment dans sa parodie du logo et de la marque de la Carling Black Label. Ils ont utilisé la satire pour commenter divers problèmes sociaux et politiques en Afrique du Sud, concernant la culture de consommation, l’ethnicité et la publicité. Cette parodie reprend le style visuel du logo de la Carling Black Label, en utilisant une typographie similaire, des couleurs et une mise en page semblables, mais en substituant les texte de « America’s lusty, lively beer, Carling Black Label beer, enjoyed by men around the world » par « Black Labour White Guilt, Africa’s lusty lively exploitation since 1652, no regard given worldwide » . Bien que ce travail puisse être considéré comme une parodie, il n’a pas échappé aux accusations de plagiat, où la SAB a tenté de poursuivre Laugh it Off pour dilution de marque par dépréciation en 2001. SAB n’est pas reparti vainqueur, vu que cette parodie n’a pas causé de baisse en vente à SAB, et remets en question les enjeux de la liberté d’expression.
Plagiat:
Le plagiat dans le design graphique fait référence à l’acte d’utiliser le travail ou les idées de quelqu’un d’autre sans attribution correcte. Il s’agit d’une question complexe qui remet en question les principes d’originalité et de conduite éthique au sein de la communauté créative, où les designers doivent naviguer sur la ligne fine entre s’inspirer et plagier. Avec ce problème évolutif, des précautions légales ont été mises en place pour protéger les designers et leur travail, telles que les lois sur le droit d’auteur, mais cela reste un problème dans la domaine, surtout quand ce qui est considéré comme du plagiat est floue.
Le plagiat dans le design graphique peut se manifester de manière visuelle, qui implique de copier des éléments visuels tels que des images, des illustrations ou des mises en page sans autorisation. Ou bien le plagiat conceptuel ou du concept ou de l’idée d’un autre designer sans citer la source (Même si, d’un point de vue juridique, il est légal de « voler » l’idée de quelqu’un d’autre, cela n’en reste pas moins moralement incorrect). Cela peut impliquer l’utilisation de thèmes, de motifs ou de stratégies de conception similaires.
Le plagiat reste commun dans le monde du design. En particulier avec les grandes entreprises qui profitent et volent de designers moins connus. En 2018, le matériel promotionnel de Solo_: A Star Wars Story_ a été examiné de près en raison de sa ressemblance avec les pochettes d’albums créées par l’artiste français Hachim Bahous pour la série Legacy Recordings de Sony Music en 2015. Les deux images partagent une typographie presque identique avec des personnages rendues à l’intérieur des lettres en gras. Elles partagent également les mêmes schémas de couleurs (texte rouge, bleu, violet et marron, placée sur un fond de papier jaunâtre, vintage et rustique). Avec les deux séries côte à côte, il est impossible de nier les similitudes troublantes entre elles.
Hope – Shepard Fairey
Généralement, les frontières entre ces quatre notions peuvent être floues et entremêlées, particulièrement entre le pastiche, l’hommage et la parodie, qui sont toutes des façons positives de réapproprier des connaissances et des idées existantes. Cependant, le fait qu’une œuvre se situe dans une catégorie ne signifie pas qu’elle ne peut pas appartenir à une autre. L’affiche emblématique Hope de Shepard Fairey en est un exemple parfait, car elle peut être reconnue comme étant à la fois du pastiche, de l’hommage, de la parodie et du plagiat.
Le pastiche, tel qu’il est décrit précédemment, consiste à emprunter ou d’imiter des éléments de différentes sources. Dans Hope de Shepard Fairey , il puise son inspiration de plusieurs éléments visuels, styles et références historiques. L’image principale, celle de Barack Obama, est une forme de pastiche, car il intègre une photographie reconnaissable et largement diffusée, du photographe Mannie Garcia . Le style graphique utilisé évoque une résonance culturelle et historique des affiches de propagande soviétique , du Pop Art et de street art, avec son choix de couleurs vives, créant un fort contraste et un impact visuel puissant. Le choix des couleurs, rouge, blanc et bleu, évoque également des associations patriotiques, faisant référence au symbolisme politique traditionnel [fig
L’affiche Hope de Fairey rend hommage au langage visuel du constructivisme , un mouvement qui a émergé au début du XXe siècle, faisant également référence à la propagande soviétique de cette période. Fairey utilise des formes géométriques audacieuses et simples avec les couleurs rouge et bleue, créant une composition forte et dynamique, évoquant le mouvement artistique constructiviste. L’utilisation d’une représentation simplifiée de Barack Obama, le visage légèrement tourné, rappelle également les représentations héroïques des dirigeants dans la propagande soviétique fig. [10.0]. La typographie utilisée pour l’affiche Hope rappelle le lettrage constructiviste, avec des lettres majuscules en gras et en blanc, sur fond rouge. Le choix du rouge, du blanc et du bleu s’aligne non seulement avec le symbolisme patriotique, mais s’inspire également du vocabulaire visuel des affiches politiques de différents contextes historiques.
Fairey utilise souvent une technique de pochoir dans ses œuvres, comme on peut le voir avec Hope. Ceci peut faire référence au street art et à l’activisme politique subversif. Cette technique peut être interprétée comme un hommage à la nature brute et accessible des mouvements de street art, où les artistes utilisent des pochoirs pour transmettre rapidement des messages puissants dans les espaces publics fig. [11.0]. L’hommage dans le travail de Fairey n’est pas simplement esthétique, mais il est également aligné avec le message de la campagne de Barack Obama. Le mot « HOPE » (espoir) est mis en avant, reflétant le message optimiste et transformateur de la candidature d’Obama. Le design de Fairey rend hommage non seulement aux mouvements artistiques, mais aussi aux idéaux et aspirations incarnés par la campagne politique d’Obama. L’hommage dans l’affiche Hope de Shepard Fairey sert à lier la campagne d’Obama à une riche histoire visuelle et politique. En se référant à l’esthétique constructiviste, Fairey associe la campagne avec les idéaux de progrès, d’unité et d’activisme politique. L’utilisation intentionnelle de l’hommage par Fairey ajoute du sens à l’affiche. Elle invite les spectateurs à considérer le contexte historique de l’art politique, mettant en avant la continuité et les valeurs partagées tout en suggérant le potentiel d’un changement transformateur.
Bien que l’affiche Hope de Shepard Fairey pour la campagne présidentielle de Barack Obama en 2008 soit souvent abordée dans le contexte de l’hommage et du pastiche, elle peut également être analysée comme une forme de parodie.Hope de Fairey imite délibérément le langage visuel des affiches de campagne politique traditionnelles fig. [13.0 – 13.2]. Toutefois, l’utilisation d’une typographie audacieuse, de couleurs patriotiques et d’un symbolisme emblématique parodie les conventions esthétiques des campagnes politiques, en les exagérant et en les stylisant pour obtenir un effet. Les lettres majuscules en gras qui épellent « Hope » (Espoir) au bas de l’affiche empruntent un style que l’on retrouve couramment dans les slogans politiques. L’utilisation de cette typographie est à la fois une parodie et un commentaire sur les clichés et la prévisibilité des messages politiques. L’utilisation du mot « Hope » lui-même, bien qu’il s’agisse d’un message positif et optimiste, peut être interprété de manière ironique dans le contexte de campagnes politiques connues pour promettre le changement. La parodie réside dans la juxtaposition du mot idéaliste avec les réalités du discours politique. La parodie implique souvent une forme de moquerie, et même si les intentions de Fairey n’étaient pas ceci, son affiche Hope peut être considérée comme une moquerie des conventions de conception des campagnes politiques. Elle remet en question la sincérité et l’authenticité des messages politiques habituels en les présentant d’une manière visuellement frappante mais légèrement exagérée.
Son œuvre Hope a inspiré de nombreuses parodies, remplaçant Obama par d’autres figures politiques ou personnalités célèbres, et remplaçant le mot hope par un autre mot qui rime, tout en conservant la palette de couleurs emblématique, (rouge, blanc et bleu), et le style contrasté du pochoir . Ces parodies sont des imitations évidentes de Hope. Par exemple, une ou le portrait d’Obama a été remplacé par celui de Bill Clinton, accompagné du mot « GROPE » , faisant référence à ses accusations d’agression sexuelle. Ou encore la commande passée par le magazine ANIMAL à l’artiste Michael Ian Weinfeld pour créer une parodie en édition limitée en l’honneur de la visite du pape Benoît XVI à New York, où le portrait d’Obama a été remplacé par celui du pape Benoît XVI, et le mot « HOPE » a été remplacé par « POPE » .
Bien que l’affiche Hope de Fairey soit reconnue dans le monde entier, on oublie de reconnaître son origine, qui est une photo prise par le photographe Mannie Garcia pour Associated Press (AP), comme Fairey l’a avoué par la suite. Cette affaire en particulier a fait polémique et est devenue une affaire judiciaire reconnue concernant le plagiat dans le domaine du design graphique.
En 2009, l’Associated Press (AP), qui détient les droits sur la photographie de Mannie Garcia, a déclaré que l’utilisation de l’image par Fairey sans autorisation constituait une violation des droits d’auteur. L’AP a fait valoir que Fairey avait violé ses droits de propriété intellectuelle en utilisant la photographie comme base d’une œuvre d’art à succès commercial. Fairey a défendu son action en affirmant que son utilisation de la photographie relevait de la doctrine de '"fair use". Il a fait valoir que son travail de transformation, qui consistait à modifier l’image, était une forme légitime d’expression artistique protégée par l’usage équitable. En y réfléchissant, Fairey a réinterprété et transformé la photo originale de Garcia. Il a modifié les textures et les couleurs, et a ajouté son propre arrière-plan et son propre texte. Il est passé d’un portrait réaliste à une représentation minimale d’Obama en utilisant des formes et des couleurs, mais cela ne suffit-il pas pour en faire le sien? surtout lorsque l’image « volée » est une qui est facilement accessible au public. Il est argumenté par le fait que l’œuvre de Fairey a été réalisée à des fins commerciales, générant un prix de marché élevé. Du point de vue de Garcia, on peut comprendre qu’il se sente floué. L’affiche de Fairey est reconnue dans le monde entier, mais personne ne sait vraiment qu’elle provient d’une de photos de Garcia, et sans cette photo, Hope de Fairey ne serait probablement pas ce qu’il est aujourd’hui. Peut-être que si Fairey avait simplement crédité l’Associated Press cette l’affaire aurait pu être évitée. Mais ce n’est pas le cas. 2 Le Bureau américain des droits d’auteur (U.S. Copyright Office) déclare que « la mention de la source du matériel protégé par les droits d’auteur ne remplace pas l’obtention d’une autorisation » (« Fair Use »). Sur cette base, Fairey aurait dû non seulement créditer Garcia (ce qu’il n’a pas fait), mais aussi lui demander l’autorisation d’utiliser son image. Il est possible que Garcia aurait refusé, mais on peut penser que pour Fairey l’affiche était sa propre image, différente de la photographie originale, et qu’aucune autorisation n’était donc nécessaire. La question est donc de définir quel pourcentage de l’image vient de la part de Fairey et combien est de Garcia.
L’affaire s’est conclue en 2011, Fairey ayant été reconnu coupable. Il a accepté de régler une somme non divulguée à titre de dommages et intérêts à l’AP. En outre, Fairey et l’AP ont accepté de collaborer sur de futurs projets utilisant les œuvres de Fairey basées sur des photographies de l’AP. Les termes du règlement visaient à résoudre les problèmes juridiques et à établir un cadre de collaboration pour l’avenir. L’affaire a toutefois suscité des discussions sur l’équilibre entre la liberté artistique et les droits de propriété intellectuelle. Certains ont fait valoir que l’application stricte des lois sur les droits d’auteur pouvait étouffer la créativité et limiter la capacité des artistes à s’engager dans des éléments culturels existants et à les transformer. L’affaire a mis en lumière l’intersection complexe de l’art, de la propriété intellectuelle et de l’utilisation équitable, suscitant des discussions sur les considérations éthiques et juridiques entourant l’utilisation du source material dans les créations artistiques.
L’intelligence artificielle et le plagiat dans le design graphique
La technologie a évolué au fil des années, impactant de manière significative tous les secteurs, y compris celui du design graphique. Cet impact a été à la fois bénéfique et négatif. La technologie facilite le processus de création, nous permettant presque de produire tout ce que l’on peut imaginer. Et la diffusion du contenu de design n’a jamais été aussi facile, le rendant accessible à tous. Toutefois, cette technologie en constante évolution peut poser des questions concernant la facilitation et l’augmentation du plagiat, surtout avec l’émergence de l’intelligence artificielle (IA) dans le champ du design graphique. Au fur et à mesure de leur évolution, les technologies de l’IA entraînent de profonds changements dans la manière dont les designers créent, collaborent et innovent.
L’intelligence artificielle (IA), fait référence au développement et au déploiement de systèmes informatiques et d’algorithmes capables d’effectuer des tâches normalement dévolues aux humains. Ces ordinateurs sont formés sur de grandes quantités de données qui les aident à apprendre, raisonner, résoudre des problèmes et prendre des décisions dépassant parfois les capacités humaines.
Les images créées avec l’intelligence artificielle ont proliféré et se sont améliorées ces dernières années, produisant des résultats incroyablement détaillés et imaginatifs. Mais comment fonctionnent-elles ? L’art de l’IA est, tout simplement, une œuvre d’art réalisée avec l’aide de l’IA générative – une technologie qui trouve des modèles dans de grands ensembles de données et utilise ces informations pour créer un nouveau contenu. L’art de l’IA est généré par un processus dans lequel les algorithmes d’intelligence artificielle, en particulier les réseaux adversoriels génératifs (GAN) ou les autoencodeurs variationnels (VAE), sont entraînés sur de vastes ensembles de données d’œuvres d’art existantes. Au cours de la formation (des IA), l’IA apprend les modèles, les styles et les caractéristiques complexes présents dans les différents genres artistiques. Une fois formée, l’IA utilise ces connaissances pour créer de nouvelles œuvres d’art de manière autonome.
La question du plagiat dans le domaine du design graphique est devenue encore plus floue avec l’introduction de l’IA. Malgré son potentiel créatif, l’utilisation de l’IA dans le graphisme pose des problèmes liés au plagiat involontaire. Les vastes répertoires d’éléments de design, et de styles sur lesquels les modèles d’IA sont formés peuvent conduire à la reproduction involontaire d’œuvres existantes. L’IA ne crée pas comme le font les artistes. Elle n’interprète ni n’exprime l’originalité, car elle n’est pas consciente. L’art de l’IA nécessite l’apprentissage de données afin d’apprendre à générer de nouveaux visuels. Ces données d’apprentissage comprennent des milliers de supports visuels provenant souvent de sites d’hébergement d’images en ligne tels que Behance, Art Station, Deviantart, Dribbble et Pinterest pour recueillir des images pour leurs données d’apprentissage, souvent sans créditer ou payer les artistes en question. Par conséquent, l’IA crée-t-elle vraiment quelque chose de nouveau ou reproduit-elle des schémas appris au cours de sa formation ?
Au début de l’année 2023, Getty Images a intenté une action en justice contre un générateur d’IA soupçonné d’utiliser des photos Getty Images sans licence pour créer des images d’IA. Bien que les images résultantes ne soient pas protégées par des droits d’auteur, les photos utilisées pour les créer y étaient, et ces droits n’avaient pas été respectés.
Cela soulève la question de qui devrait protéger les œuvres des designers. Les designers devraient-ils être conscients des risques liés à la publication de leurs créations, en sachant que leurs travaux pourraient être sujet au plagiat, et donc accepter les conséquences en les publiant ? Les sites de publication d’images devraient-ils assumer la responsabilité et protéger les designers qui publient leurs travaux contre l’IA ? Ou les développeurs d’IA devraient-ils agir de manière plus éthique, en achetant leurs données et donnant crédit aux designers dont ils puisent leurs données ? Par exemple, avec le générateur d’IA Adobe Firefly, à un usage personnel, à l’aide d’images provenant d’Adobe Stock et non d’œuvres d’art publiques, ce qui est un pas dans la bonne direction pour la protection des droits d’auteur publics.
Une autre question soulevée est qui possède ces œuvres/images produites à l’aide des IAs? Est-ce que c’est l’humain qui fournit des informations pour que l’IA les produise ? Est-ce que c’est le créateur de l’IA ? Est-ce que c’est l’IA elle-même ? Ou est-ce que ça appartient aux divers designers à partir desquels les données sont extraites ? S’il est parfois difficile de déterminer la propriété de l’art traditionnel créé par l’homme, il est encore plus difficile de déterminer la propriété de l’art généré par l’IA, car le processus créatif fait appel à des algorithmes et à des modèles d’apprentissage automatique.
L’IA brouille les frontières entre la contribution humaine et l’autonomie de la machine. On peut estimer que si un être humain apporte une contribution significative aux données d’apprentissage ou à la conception du système d’IA, et guident l’IA dans le processus créatif il devrait en être reconnu propriétaire. Et que l’IA n’est qu’un outil, utilisé par les créateurs humains. En revanche, on peut aussi considérer que la nature autonome de l’IA, en particulier dans les modèles génératifs, devrait accorder à l’IA elle-même une forme de personnalité juridique, lui conférant un droit de propriété. Ou bien accorder l’œuvre résultante comme un effort collaboratif, des deux parties. Déterminer l’ampleur de la contribution humaine devient donc crucial pour établir la propriété, mais ceci est loin d’être noir ou blanc.
En 2018, l’USPTO (United States Patent and Trademark Office) a refusé le droit d’auteur au Dr Stephen Thaler, expert en IA, pour son œuvre d’art générée par l’IA intitulée A Recent Entrance to Paradise (Une entrée récente au paradis) . Pourquoi ? L’examinateur n’a pas trouvé d’auteur humain. 3 Selon l’Office : « …L’œuvre n’a pas pu être enregistrée parce qu’elle a été réalisée « sans aucune contribution créative de la part d’un humain » ». Toutefois, en février 2023, l’auteur de romans graphiques Kris Kashtanova s’est vu accorder des droits d’auteur pour sa bande dessinée générée par l’IA Zarya of the Dawn, pour la simple raison qu’il y a eu une contribution humaine à la création de l’ensemble de la bande dessinée et de son histoire. L’ensemble de la bande dessinée a été « assistée par l’IA » et non « générée par l’IA », ce qui explique qu’elle ait pu être protégée par le droit d’auteur. Les images individuelles générées par l’IA dans la bande dessinée n’étaient en revanche pas soumises au droit d’auteur.
Ceci étant dit, on peut remarquer comment l’IA s’insinue nonchalamment dans le monde du graphisme, et prend peu à peu le rôle des designers graphique, non seulement dans le processus de création, mais aussi maintenant dans le processus créatif.
Même si l’utilisation des IAs peut nous mener à un terrain glissant vers le plagiat involontaire. On peut reconnaître qu’elle peut aussi être la solution aux problèmes liés au plagiat. Comme vu précédemment, la technologie de l’IA assimile d’énormes quantités de données, d’images, de designs, etc., et les analyse pour ensuite générer des œuvres d’art. Cela a été perçu davantage comme un problème, soulevant la question de est-ce que l’IA devrait avoir un accès gratuit à ces données. Cependant, si l’on considère les choses sous un angle différent, la collecte de ces images et données par l’IA peut en réalité aider les designers à protéger leurs travaux. L’IA peut être développée avec des algorithmes de reconnaissance d’image qui dissèquent les éléments visuels tels que les formes, les couleurs, les textures et la composition au sein des images. En utilisant des réseaux neuronaux et l’apprentissage profond, l’IA peut discerner les nuances qui rendent chaque design unique, ce qui la rend apte à identifier les cas où ces éléments ont été reproduits ou modifiés sans attribution appropriée. Elles peuvent apprendre à reconnaître les modèles et à extraire les traits distinctifs qui caractérisent les dessins originaux. Elles peuvent également effectuer des recherches inversées d’images en les comparant à des vastes bases de données téléchargées. Dans ce cas, le fait de disposer d’un vaste ensemble de données à comparer et à analyser permet à l’IA de mieux reconnaître les travaux plagiés.
Conclusion
Pour conclure avec les mots de 4 Mark Twain dans Mark Twain’s Own Autobiography : The Chapters from the North American Review « Il n’existe pas d’idée nouvelle. C’est impossible. On prend simplement un grand nombre de vieilles idées et les plaçons dans une sorte de kaléidoscope mental. On les fait tourner et elles forment des combinaisons nouvelles et curieuses. On continue à tourner et à faire de nouvelles combinaisons indéfiniment ; mais ce sont les mêmes vieux morceaux de verre coloré qui ont été utilisés à travers tous les âges. »
Rien n’est jamais nouveau, un designer est en évolution permanente. Il voit resurgir de temps en temps des vieilles tendances qui avaient été oubliées, il apprend des créations précédentes, s’en inspire, y ajoute ses propres éléments et sa propre personnalité, et les applique au contexte dans lequel il se trouve. Malheureusement, il est très difficile de faire la distinction entre le fait de s’inspirer d’œuvres qui ont été créées précédemment et le fait de copier d’autres designers. Il est tout aussi facile de tomber dans l’acte du plagiat, qu’il soit volontaire ou involontaire. La question de qui décide de quoi, reste floue, car il s’agit d’une étude au cas par cas, et les conditions pour déterminer le plagiat ne sont pas gravées dans le marbre. En outre, avec l’introduction de technologies telles que l’IA, les designers peuvent souvent se retrouver emmêlés dans des questions encore plus floues concernant le plagiat dans le domaine du design graphique et la propriété des œuvres. D’un autre côté, plus positive, cette technologie pourrait être la solution au problème répandu du plagiat dans le monde du design graphique, en discernant si certaines œuvres partagent des qualités similaires et si certains éléments ont donc été copiés à partir de designs déjà existant. Avec le temps, nous allons observer sans aucun doute une croissance rapide de l’utilisation de ces technologies dans le monde du design graphique. Mais la question de savoir si elles vont contribuer à résoudre le problème du plagiat dans le monde du design graphique ou si elles vont nous entraîner sur une voie encore plus floue reste indéterminée.
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Remerciements
Je tiens à remercier toutes les personnes qui ont contribué a la realisation de ce document écrit, surtout Alexandra Aïn, qui m’a guidé dans mes choix et qui a relu et corrigé mon texte.
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