Introduction
Cet objet, que j’utilise plus comme porte « choses » et bijoux que présentoir à gâteaux, possède en lui quelque chose qui me pousse à remettre en question sa beauté.
Est-il superbe, ou rentre-t-il dans une catégorie de « mauvais goût » ? C’est par cette interrogation que m’est apparue l’idée de traiter le sujet du kitsch : produit jugé par son apparence grossière et démodée. Alors, ayant certaines connaissances artistiques en tant qu’étudiante aux Beaux-Arts, spécifiquement en design graphique, je vais me pencher sur la signification du kitsch dans l’art et plus précisément dans
le design graphique, afin de tenter d’observer via des artistes et des œuvres, ce que le kitsch est réellement.
Nous verrons alors dans un premier temps les origines du kitsch, dans un deuxième temps, les critiques formulées à son encontre ainsi que sa place au sein de l’art, puis, dans un troisième et dernier temps, son rôle et son insertion dans le milieu du design graphique.
Les origines du kitsch et sa place dans l’art
Le terme « kitsch » est apparu en Allemagne au milieu du XIXe siècle, pour décrire des objets bon marché et de mauvais goût, produits pour répondre à la demande croissante des biens de consommation. Par ailleurs, il est certainement dérivé du mot allemand « kitschig » qui signifie « banal », ou encore, « kitschen » signifiant : ramasser les déchets dans la rue. Un terme difficile à définir, d’où son apparition en français comme simplement : kitsch. Nous pouvons ajouter que cette question de la consommation est importante dans le sujet du kitsch, car ce dernier permet à un grand nombre de personnes d’accéder à l’art, chose réservée auparavant à un petit groupe d’individus. L’artiste graphique trouve alors ici sa place dans le fait d’élaborer des objets culturels avec une certaine symbolique. Même si la chose est produite à grande échelle et en masse, il y a bien une personne qui a conçu cet objet pour le rendre accessible au plus grand nombre. Dès son apparition, le kitsch a donc un rôle majeur dans la démocratisation de l’art, via l’augmentation massive de la consommation. De plus, la création artistique se faisait notamment à l’unité, c’est-à-dire qu’un artiste ne faisait qu’une seule fois son œuvre. Or, avec l’apparition de la consommation de masse et de la création d’objets en série, le kitsch a pu apparaître comme un mélange entre art et produits populaires de masse. La classe moyenne du XIXe siècle prenant une place de plus en plus importante vis-à-vis de l’aristocratie, mais avec des moyens bien plus minces, se tourne alors vers un style d’art bien plus abordable. C’est alors que le kitsch a tenté de se défaire d’un art unique, en le rendant accessible à tous. Nous pouvons noter que cela a été particulièrement fait pour des objets relevant du design.
Nous pouvons diviser le kitsch en plusieurs périodes. La première, suivant ce que nous avons précédemment dit, au milieu du XIXe siècle, est considérée comme ayant débuté avec l’émergence de la production de masse et la croissance de la classe moyenne. Durant cette période, divers objets étaient devenus accessibles à de larges publics comme par exemple : des statues en plâtre ou des gravures bon marché. La création de ces objets provenaient souvent d’imitation de certains styles artistiques plus chers et par la même occasion, plus respectés. De plus, les matériaux utilisés étaient bien moins coûteux, comme du bois utilisé à la place du marbre par exemple. Ainsi, ces objets permettaient de décorer les intérieurs d’une manière assez élégante, tout en étant à moindre coût. Nous pouvons alors dire que cette première période du kitsch apparaît pour les individus de la classe moyenne souhaitant des objets semblables aux classes supérieures, mais sans se ruiner. La deuxième période se déroule à partir du milieu du XXe siècle et est vu comme un prolongement de la première période kitsch, car encore plus accessible auprès d’un public toujours plus large. Par ailleurs, nous pouvons intégrer à cette période, la nôtre, avec ce style kitsch très répandu. Autant vu comme un terme péjoratif, sentimental, voire humoristique, il a une place majeure dans la culture artistique de nos jours. Nous pouvons citer comme artistes du kitsch : Jeff Koons ou encore Lou Parisot.
Nous avons ci-dessus 2 œuvres créées respectivement par Jeff Koons et Lou Parisot. En premier lieu, nous pouvons parler de Jeff Koons représentant le célèbre chanteur Michael Jackson, assis sur un trône orné de fleurs, portant un costume doré brillant et tenant dans ses bras un chimpanzé nommé Bubbles. Jeff Koons utilise ici des matériaux tels que le marbre, le bronze et des couleurs vives donnant ainsi vie à la scène. L’artiste combine alors tous les éléments du kitsch, d’une part en exagérant l’esthétique de son œuvre puis en utilisant une figure de la culture pop pour la réinterpréter de façon ironique d’un point de vue consumériste en créant des objets à une clientèle très riche et se basant uniquement sur l’aspect. Il reste dans une définition du kitsch qui se veut simple par son sens et son aspect. Le design de son œuvre aspire à la simplicité et directement compréhensible. Il est également une figure emblématique du kitsch.
En deuxième lieu, nous pouvons parler de l’œuvre de Lou Parisot qui use d’objets kitsch dans son travail en les liant entre eux. Détournant ainsi des objets afin d’en créer une œuvre originale et purement kitsch, dans ses matériaux, comme dans sa finalité. En utilisant des matières déjà existantes et en ne les créant pas simplement, elle fait un lien avec l’origine du kitsch qui est la consommation. Elle aborde alors différemment ce style par rapport à Jeff Koons, en donnant un certain sens artistique à ses créations purement kitsch. Ici, le mélange d’objets donne un aspect unique et beaucoup moins lisible à première vue que la création de Koons.
Cependant, certaines personnes voient le kitsch comme un outil pour critiquer la culture de masse. Dans le sens où ce dernier, objet démocratisé à tous et pour tous, enfermerait les individus dans une culture consumériste et rabaissante. L’apparition de la culture populaire a influencé les tendances kitsch avec notamment la télévision, la musique ou encore la bande dessinée, vues comme nouvelles sources d’inspiration pour les objets kitsch. L’apparition de ces médias s’intègrent alors dans celui-ci, amenant nouveaux objets, mais aussi nouvelles critiques.
Les critiques formulées à son encontre
Depuis un certain temps, le kitsch est un sujet de débat entre critiques, artistes et même public. Certains le considèrent comme une forme d’art populaire, tandis que d’autres le considèrent comme sans valeur artistique.
Les critiques qui sont contre le kitsch argumentent en mettant en valeur le fait que ces œuvres sont souvent fabriquées pour imiter de “véritables styles artistiques” mais sans la profondeur ou la signification de ces styles, comme nous l’explique par exemple Florence Bancaud dans son article “Entre diabolisation, séduction et légitimation. Le kitsch ou l’imitation comme « mal esthétique » ?”.
L’auteure souligne ici que le kitsch se résume à une imitation, transformant une pièce sans authenticité en un objet d’exposition, basé sur la reproduction et la réinterprétation de modèles ou de stéréotypes d’un public de masse. Il est souvent considéré comme superficiel, avec des images et des thèmes qui sont évocateurs, mais pas nécessairement profonds. Ils estiment également que le kitsch est souvent associé à des objets de consommation bon marché, qui sont produits en série sans aucun souci de l’originalité ou de la qualité artistique. L’art graphique ici se voudrait comme unique, réfléchi et exprimé avec des intentionnalités et non pas juste comme un objet dénué de sens, ayant pour objectif d’être vendu en masse.
Il y a alors ici une critique du kitsch comme un « faux art » et qui ne serait pas authentique. Selon un article datant de juillet 2000, publié dans le Journal of Material Culture, le sociologue Sam Binkley avance que dans son écrit “Kitsch as a Repetitive System. A Problem for the Theory of Taste Hierarchy” : « Rabaissant les adultes en enfants, le nouveau kitsch rend les masses plus faciles à manipuler en réduisant leurs besoins culturels à la gratification facile offerte par les dessins animés de Disney, la littérature pulp (bon marché), et les romans à l’eau de rose ». Dans sa critique du kitsch, ce dernier met en lumière l’idée que ce dernier est un outil enfermant les individus dans une logique de consommation plus que discutable.
D’un autre côté, des critiques en faveur du kitsch disent que ces œuvres peuvent être appréciées pour leur caractère amusant, mais aussi peu coûteux. Elles considèrent que le kitsch peut être une forme d’expression artistique qui reflète les tendances culturelles et les préoccupations de la société de consommation. Elles estiment également que le kitsch peut être utilisé pour explorer des thèmes sociaux et culturels. De plus, il n’est pas nécessaire que les individus s’intéressent à l’art plus traditionnel pour comprendre le kitsch et les enjeux qu’il met en avant, permettant à ces derniers une nouvelle vision de l’art. Le kitsch peut aussi, en dehors de l’art, permettre aux gens d’acheter des objets avec des aspects amusants, plaisants ou simplement peu chers, en s’intéressant à la question de leur design.
Donc, sur cette interrogation entre critique pour ou contre le kitsch, l’appréciation de ce style est subjectif et il n’y a pas encore aujourd’hui de consensus sur ce sujet. Certaines personnes peuvent considérer le kitsch comme de mauvais goût et sans valeurs, tandis que d’autres peuvent le voir comme une forme d’expression artistique intéressante et pertinente.
Le kitsch dans le design graphique
Enfin, pour cette dernière partie de notre plan, nous pouvons nous interroger sur ce qu’est, et apporte, le kitsch au design graphique. En nous basant sur de nouveaux exemples, nous pouvons voir que le design graphique et le kitsch peuvent s’associer sur de nombreux aspects.
Comme nous avons pu l’analyser, le caractère kitsch est souvent subjectif et dépend des préférences esthétiques de chacun mais contrairement à d’autres formes d’art, le design graphique kitsch tend à privilégier l’esthétique superficielle plutôt que la profondeur conceptuelle, souvent pour attirer une attention immédiate plutôt que de transmettre un message significatif.
Avant toute chose, le design graphique kitsch se caractérise par son esthétique exagérée et frappante, ses couleurs et par son côté souvent ironique.
Les graphistes qui explorent cette esthétique ont souvent recours aux couleurs vives et contrastées, par exemple les nuances néons ou pastels vont créer une atmosphère excentrique et joyeuse dans une œuvre.
On observe notamment ce rendu dans les travaux de Natalia Pawlak, une graphiste polonaise qui se dit, d’après un article sur “It’s Nice That” de Laura Snoad: “Polish graphic designer Natalia Pawlak on bad taste and reinterpreting Polish kitsch”, être “une grande adepte du mauvais goût”.
Le travail de Natalia est en majeure partie influencé par les dessins animés des années 80, 90 ou encore par les productions cinématographiques de Disney.
Cette graphiste exprime également une passion prononcée pour les mangas tels que Sailor Moon et Fuushigi Yuugi. Sa lecture et son amour pour ces mangas exercent une influence pertinente sur le choix des couleurs, dégradés et textures de ses œuvres.
En examinant, par exemple, le manga Sailor Moon et certaines affiches de Natalia telles que Miami Vice ou Shine, on peut constater de nombreuses similitudes au niveau des textures que la graphiste applique à ses créations tels que les effets de brillance ou de reflets.
En effet, la manipulation des textures telles que le métallique, le brillant, les paillettes et les visuels exagérés tels que les ombres ou reflets adoptent une grande importance pour les designers qui aspirent à obtenir un effet kitsch dans leurs créations.
Pour illustrer cela avec un exemple qui se rapporte davantage à des éléments graphiques qu’à des œuvres réalisées par des designers, nous observons également ce phénomène sur le web avec les « memes d’internet ». Les memes se traduisent sous forme d’image, de vidéo ou de composition accompagnées la plupart du temps avec du texte, souvent humoristiques et qui se propagent rapidement sur le web avec fréquemment des déclinaisons.
Ces images virales sont considérées comme kitsch en raison de leur tendance à exagérer permettant ainsi de capter notre attention, leurs références populaires, leurs humour (parfois de mauvais goût et donc considéré kitsch pour certains) et leur rapidité de diffusion.
Le design graphique kitsch ne se limite pas uniquement à un travail qui englobe les couleurs, les matières et les textures, c’est aussi une grande référence aux motifs rétro, psychédéliques, aux souvenirs nostalgiques, aux formes excentriques et surdimensionnées.
Pour mieux traiter cette partie de mon document, nous allons nous intéresser au travail de Gilles de Brock, un directeur artistique et designer.
Ce designer choisit une approche psychédélique dans le choix des couleurs et compositions de ses œuvres, plus précisément de ses affiches.
En effet, si on observe ses œuvres on remarque immédiatement une harmonie de couleurs très prononcée et une composition d’objets qui paraît à la fois réfléchie et chaotique. Sa série réalisée pour le Studium Generale au KABK à la Haye se compose d’une mélange d’images trouvées sur Google, des références de culture pop et des polices de caractères rappelant les styles graphiques typographiques des années passées, réussissant ainsi tous les critères d’une œuvre qualifiée de kitsch dans le design graphique.
Pour rester dans la continuité des collages qui fusionnent le surprenant, la typographie et la nostalgie nous allons regarder le travail de Jurgen Maelfeyt, un designer, éditeur et photographe belge.
Je me suis tout particulièrement intéressé aux affiches que Jurgen a réalisé pour Kaskcinema, un cinéma belge connu pour ses projections qui exclut le cinéma classique laissant place aux courts métrages et films alternatifs.
L’artiste, ici, procède de la même façon que Gilles De Brock, en mélangeant images trouvées sur le net et références cinématographiques populaires telles que Rocky ou encore The Love Witch, tout en donnant vie à des collages fantaisistes et singuliers.
Jurgen Maelfeyt a également sorti une édition parue en 2022, éditée chez Art Paper, qui rassemble une sélection des affiches réalisées pour Kaskcinema allant de 2016 jusqu’à 2022.
Certains designers graphiques tels que Gilles De Brock, Jurgen Maelfeyt et bien d’autres, utilisent donc le kitsch pour créer des œuvres qui attirent l’attention et suscitent une réaction émotionnelle telles que l’amusement, l’ironie ou encore la mélancolie. Également, certains d’entre eux peuvent utiliser le kitsch pour créer des œuvres qui sont ludiques, en utilisant des images et des styles populaires qui rappellent les tendances culturelles passées. Cela peut ajouter une dimension de nostalgie ou de charme à un design.
Conclusion
En conclusion de ce document, l’étude du kitsch dans l’art et plus précisément dans le design graphique, nous a avant tout permis de comprendre ses origines et son évolution au fil du temps mais il reste cependant toujours compliqué d’émettre un avis sur ce qui est considéré comme kitsch ou ne l’est pas.
Le kitsch, bien que présentant de multiples définitions assez confuses, est considéré comme un terme péjoratif dans la majorité d’entre elles néanmoins chacun garde sa propre définition du terme.
Le terme “kitsch” restera une appellation ambiguë et offensive pour certains mais ne cessera d’évoluer et d’occuper une place significative dans le monde de l’art et en particulier dans le monde du design graphique contemporain.
Annexes
Références
Bibliographie
Jeff Koons, Jeff Koons by Koons, Centre Pompidou, 2015
Juergen Maelfeyt, KASKCINEMA, Art Paper Editions, 2022
Sitographie
Abraham Moles, “ Qu’est-ce que le Kitsch ?”, disponible sur
https://
Amber Lee, « A discussion of Kitsch Aesthetics in Graphic Design », disponible sur
https://
Florence Bancaud, « Entre diabolisation, séduction et légitimation. Le kitsch ou l’imitation comme « “mal esthétique” » disponible sur
https://
Jhm, « Gilles de Brock expose au signe », disponible sur
https://
Juliette Cardinale, « À Flers, Lou Parisot invite le public à plonger dans l’univers de son exposition », disponible sur
https://
Laura Snoad, « Polish graphic designer Natalia Pawlak on bad taste and reinterpreting Polish kitsch », disponible sur https://
Sam Binkley, « Kitsch as a Repetitive System: A Problem for the Theory of Taste Hierarchy », disponible sur
https://
Vivien Philizot, « Kitsch, bad taste, Scheiße. Une esthétique de la dissonance », disponible sur
https://
Remerciements
Je remercie Alexandra Aïn pour son accompagnement et son aide tout au long de ma réalisation de mon document.
Je remercie également Théo Patru, mon meilleur ami, pour son approche sociologique du kitsch de mon écrit ainsi que pour sa relecture.