Introduction
Pour commencer, j’aimerai définir ce que j’entends par milieux ruraux pour ainsi remettre en contexte mon développement. Selon l’INSEE1, jusqu’à encore 2020, une commune rurale comptait moins de 2000 habitants. Désormais, Il s’agit l’espace rural, qui regroupe l’ensemble des petites unités urbaines et communes rurales n’appartenant pas à l’espace à dominante urbaine. Cet espace représente 70% de la superficie totale et les deux tiers des communes de la France métropolitaine. Ces surfaces participent aussi à mon sujet, pour cerner la place de la communication dans ces communes rurales. J’ai aussi intégré les communes qui vont jusqu’à 5000 habitants pour élargir un peu plus ma notion de rurale en lien avec le design graphique pour ce document.
Le design graphique est quelque chose qui est vu partout et par tout le monde, et pourtant le large public ne met pas toujours le doigt dessus, il ne l’assigne pas à du design, et à du design graphique. Étant étudiante actuellement dans ce domaine, je commence à avoir des notions de cette sphère, mais je sais également que hors de ce cursus, ce n’est pas une majorité qui observe, analyse les images, les formes graphiques environnantes, hors surface, c’est-à-dire au-delà de la première lecture de son visuel, son intérêt n’est pas toujours sollicité. Alors que c’est un domaine, une pratique qu’on retrouve sous beaucoup de formes dans le quotidien, comme l’affiche (je prends l’exemple qui me semble être le plus parlant et intuitif), exposée régulièrement à notre regard. Mais l’affiche n’est pas toujours vu comme un objet graphique, pourquoi ? On en voit tout le temps et on ne les remarque plus ? Pour qu’elle soit regardée doit-elle devenir un objet « artifié », s’ancrer dans les murs d’un musée/lieu d’exposition ? Je pense, de mes très très humbles réflexions, que le point de départ est tout simplement que le design graphique est juste un terme inconnu pour une majorité, et ses formes, manifestations, lectures également. Tout comme l’art contemporain, par exemple, il faut qu’il soit expliqué, montré lors d’expositions avec une mise en contexte ; qui se manifeste par le lieu, le cadre, des descriptifs, les formes, les matériaux, etc, dans des galeries, les musées. Malgré cela, beaucoup restent sceptiques face à l’art contemporain, devenant une branche moins comprise alors que c’est quelque chose qui soit très présenté. Tout comme le design, et notamment le design graphique, le public « conscient », observateur, appréciateur n’est pas très large, il reste inconnu pour une partie de la population, il est moins exposé que l’art, et il est paradoxalement visible à grande échelle.
Avant d’arriver à la ruralité (je n’ai pas oublié mon sujet pas d’inquiétude), il est intéressant de voir la décontextualisation du graphisme exposé. Son entrée dans un régime d’appréciation esthétique et l’acquisition du statut d’œuvre/d’objet de contemplation mérite d’être interrogée en détail. Par exemple dans l’exposition de 1985, L’image des mots au Centre Pompidou [fig
Mais ces expositions qui permettent de donner une vision ainsi qu’une définition plus large et diverse du design graphique au yeux des gens, où sont-elles présentes ? À quelles fréquences ? On en vient donc à mon développement, la place du design graphique dans les milieux ruraux, son accessibilité, son dynamisme, comment il peut se manifester et se lier aux productions de bourgades.
Villes, villages, dynamismes
La décentralisation a permis le développements de l’économie et de nouvelles scènes culturelles, dans les deuxièmes villes ou les villes moyennes hors de la capitale et des mégalopoles. Notamment à Chaumont où il s’est créé une scène du design graphique, plus spécifiquement sur l’affiche (avec la Biennale Internationale consacrée à celle-ci). Le Centre du graphisme à Échirolles a lancé en 2022 sa première Biennale de design graphique organisé par le TRAcé. Ou bien le Bel ordinaire à Pau qui propose une grande diversité d’expositions. Il existe d’autres lieux, centres consacrés au graphisme notamment dans des villes telles que Nancy, Lyon, Toulouse, Paris bien évidemment, Rennes, ainsi que d’autres lieux qui s’y intéressent de plus en plus et qui organisent de temps en temps des expositions dédiées à cela. Comme la Maison d’art Bernard-Anthonioz, à Nogent-sur-Marne qui depuis 2006 porte une attention particulière à la question du graphisme et l’intègre comme un axe à part entière de sa programmation artistique. Mais cela reste aux mains des grandes villes secondaires et de métropoles. Le Graphisme en France de 2018 à répertorié les expositions de design graphique qu’il y a eu en France, on compte les mégalopoles, les deuxièmes villes donc des lieux qui restent très habités et dynamiques, possédant des bâtiments, des cadres qui arrivent à proposer des expos, vernissages régulièrement, qui se renouvellent et qui sont pérennes.
Le dynamisme des deuxièmes villes et des mégalopoles n’est à la base pas comparable à celui d’un village/d’une zone rurale. Il y a moins d’activités, de lieux pour la culture comme des cinémas ou bien des musées, d’habitants, de transports (cela nécessite d’avoir une voiture pour aller à tel endroit), les mairies ont moins de budget2. Bien qu’il est y ai eu la créations des communautés de communes en 1992, le rapport Loisirs des villes, loisirs des champs ? paru le 21 novembre 2023 du ministère de la culture témoigne et compare le dynamisme des activités culturelles entre les générations, ainsi que des différences entre les zones rurales et urbaines. Il en conclut que les sorties culturelles comme les visites de musées, les fréquentations des bibliothèques ou encore les spectacles sont moins animées, partiellement dues à un moindre accès aux équipements culturels.
La communication visuelle n’est pas un facteur principal au sein d’une commune, à l’intégration des habitants, pour les informations, il existe quand même des tableaux d’affichages, et même les murs des rues sont placardées des affiches, de prospectus. Un point essentiel qui a un impact sur l’énergie des flux est le manque de transports. Une ville moyenne avec une large partie de sa périphérie possède au minimum plusieurs bus par jours, plusieurs itinéraires, une gare, rendant la ville ainsi que ces alentours accessibles aux personnes ne possédant pas de voiture. Rendant un évènement, une exposition accessible à un plus large public plus ou moins éloigné du lieu. Concernant les communes rurales, dans la majorité des villages, il n’y a pas de transports, de gares (ou alors elles sont fermées depuis longtemps), il faut compter sur le fait d’avoir une voiture (ou alors faire du stop).
En Ariège par exemple les liaisons en transports en commun, entre les sous-préfectures (St-Girons), la préfecture (Foix), et la capitale régionale (Toulouse) sont très réduites et insuffisante. De mêmes pour les lignes ferroviaires, les seules d’ouvertes sont du côtés de Foix dans la direction de Toulouse (ce qui permet d’aller à Toulouse avec des plus grandes activités culturelles il est vrai).
D’autres éléments rentrent en jeu, de manière générale, les expositions, festivals dédiés au design et design graphique ne sont pas les évènements les plus répandus (je me concentre toujours sur la France). Il y a la Biennale de Chaumont citée plus tôt, également celle de Saint-Étienne, Les rencontres internationales de Lure dédiées à la typographie (qui se produit dans une ville assez petite), MotionMotion à Nantes portant sur le motion. Il existe un large éventail de maisons d’édition qui s’accordent à la culture du graphisme réparties dans le pays ; La Fanzinothèque de Poitiers portant sur le fanzine, la micro-édition laissant place à un espace public et de partage, les éditions Fotokino à Marseille et encore bien d’autres, qui participent souvent aux festivals, biennales. Ce qui est surtout reconnu et se partage par le plus grand nombre ce sont les livres, les éditions, les fanzines, les affiches.
On aura plus tendance à voir des musées sur l’art, avec des réalisations sur lesquelles se pose des regards d’observateur, différents de celui qu’on a sur les enseignes des bâtiments, le visuel du réseau des transports de la ville par exemple, car la notion d’objet utilitaire prime. On ne les montre pas dans un contexte d’observation, de réflexions des choix graphiques. Par conséquent, comment on peut présenter le design graphique ? L’exemple du plan de la SNCF présenté au Centre Georges Pompidou déjà relevé dans l’introduction est selon moi un bon moyen de trouver l’intérêt du grand public, étalant les recherches graphiques, les choix typographiques et de couleurs permettant de voir au-delà d’un simple plan composé de lignes et de textes. Le contexte du lieu peut être primordial également, il doit s’adapter au support (à l’inverse de la standardisation des installations dans les musées afin d’accueillir le plus de collections d’œuvres d’arts possible). Pour des éditions, des pancartes, des panneaux, une signalétique… cela demande d’établir une scénographie qui diffère, qui s’ancre avec ce qu’elle présente, réduisant le nombre d’évènements autour de cela.
Évènements de bourgades
Comme je l’ai mentionné précédemment, le budget d’un petit village n’est pas le même que celui d’une ville (en plus de cela il faut prendre en compte des richesses d’une région). Il est essentiel pour une mégalopole ainsi que pour une ville décentralisée d’avoir un flux culturelle est donc de se réserver un budget pour ça. Donc de faire des commandes auprès d’artistes, de designer.euse.s, des appels à projets, dans les petites communes ce n’est pas une priorité. On trouve quelques appels à projets par-ci par-là, notamment le cinéma d’Auch sur lequel l’illustrateur et graphiste Bonnefrite a participé à conception de l’identité visuelle du bâtiment , mais Auch n’est pas un village rural même si elle reste une assez petite bourgade. Mais l’exception enlève la notion de continuité, les endroits qui organisent des concerts, spectacles se doivent d’avoir une régularité, pour avoir lieu qui permet de créer du dynamisme. Donc déjà il faut avoir un ou des espaces qui arrivent à organiser des évènement en continue ce qui demande une certaine somme, une gestion des programmes réservée à ça.
La visibilité d’un territoire de campagne se construit assez souvent autour d’un patrimoine qui est propre au lieu, comme les panneaux historiques d’un patelin. À l’inverse d’un territoire urbain qui dispose d’une richesse multiculturelle, les petites bourgades sont généralement connu pour une caractéristique (ou seulement que quelques-unes), comme Castelnaudary avec le cassoulet, Carla-Bayle considéré par tous.te.s comme le (petit) village d’Art de l’Ariège. La communication graphique se lie en général avec le domaine, son histoire, sa culture, ses productions, son architecture… et annonce un évènement qui concerne et se produit sur le dit même lieu ou au alentour (en zone rurale, certains villages possèdent un patrimoine plus prononcé que d’autres). Quand on se penche sur l’analyse de la communication visuelle d’une campagne, on constate un graphisme vernaculaire, avec beaucoup de choses peintes à la main, avec des matériaux très accessibles, peu coûteux comme du bois, du papier . Le design « d’amateur » cité par Yohann Bertrandy dans son ouvrage Tout le monde est graphiste, datant de 2008, est une production locale, peu coûteuse, non pérenne, réalisée sans forcément avoir conscience de faire du graphisme, il s’agit d’un besoin précis, à un moment défini. Cette pratique du graphisme « amateur » se justifie aussi par une méconnaissance générale du métier de graphiste, et les territoire ruraux en sont les premiers à être les plus ignorants. C’est une pratique très liée à la campagne, les villes ont la possibilité de faire appel à des graphistes de profession pour la communication visuelle.
Mais un design graphique purement campagnard est possible et accessible (?) ; il est certes vernaculaire mais présent et pratiqué de manière plus ou moins régulière. C’est un moyen de faire des productions à moindre coût, généralement avec des logiciels accessibles facilement comme LibreOffice, avec une possibilité de créer ses esthétismes, codes, styles. Et à ce sujet, je suis sûre qu’on en connaît déjà tous.te.s de ces objets graphiques de bourgades. Je pense à ces affiches sur support papier fluo (rose, jaune, orange, vert…), avec des grosses polices en noirs généralement sans serif et sans trop de folie dans le dessin du caractère typographiques. Elles sont très tape à l’œil, sous forme d’affiches (en majorité en format A3), de flyer, annonçant le prochain évènement champêtre de la commune [fig
Comment les présenter (?) Multiples sont les réponses, il existe autant de manières qu’il y a de formes graphiques, mais on peut constater que lorsque l’on présente un visuel qui se lie de base à l’utilitaire, l’intérêt se porte sur les recherches, le travail des formes, de typographies, de couleurs, des matériaux, supports, formats. S’adapter avec les matières, les lieux, les concepts, les ressources qu’on peut avoir. Présenter les affiches, flyer des campagnes peuvent-elles se faire historiquement, par thèmes (?) Essayer de monter une exposition sur leur(s) origine(s) par exemple. Ou alors de manière très assumé, on placarde tout endroit, on l’envahit d’affiches, de façon très radical, qui s’accumule. Aussi le choix du lieu est important, une librairie (de campagne ou de ville) aura les capacités de présenter des éditions, fanzines, pancartes, affiches, panneaux, de par son essence. En revanche, il sera peut-être plus compliqué de présenter des réalisations vidéos, web, à cause du matériel technologique nécessaire, le besoin d’une place suffisante sans éléments autours qui gêneraient. Il faut concevoir les possibilités des procédés, comprendre les avantages et les désavantages des zones rurales, de ce qu’elles possèdent en propre et de ce qu’elles sont en capacités de faire, de montrer.
Conclusion
Pour conclure, initier des lieux, qu’ils soient déjà établis pour une fonction (comme une bibliothèque) ou non ; développer des projets hors des villes moyennes et des métropoles, pourrait faire intéresser un plus large public au design graphique. Susciter l’intérêt de la personne en le rattachant à son lieu de vie et à son patrimoine, pour l’amener à déplacer son attention sur ce qui se passe ailleurs. Renforcer les flux entre communes (par le biais des communautés de communes par exemple), entre villes-campagnes. Réussir à organiser de manière régulière ce genre d’évènements.
Je tiens à préciser que je ne parle d’envahir les campagnes, de les aménager en lieux de productions. Juste porter de l’intérêt sur un endroit qui pourrait être amené à présenter des travaux graphiques par exemple. Suffisant pour faire un peu plus connaître et diversifier les dispositifs, objets graphiques des expositions, sans être dédiés à cela uniquement.
C’est un paradoxe que le design (ainsi que le design graphique) soit partout très pratiqué mais restant la plupart du temps invisible; cela est très véridique dans les zones rurales. Tout le monde est graphiste, notamment par défaut, amateur.trice, graphiste d’exception. C’est une pratique récurrente, qui selon moi, possède des caractères des plus intéressants : économiquement avantageux, s’adaptant aux matériaux présents, relevant du travail manuel, ou avec des logiciels accessibles facilement ou bien déjà pré-installer sur n’importe quel ordinateur. Et pourquoi ne pas voir ces réalisations hors contexte d’objets utilitaires, dans un dispositif d’exposition, d’installation, des rétrospectives de ce design graphique vernaculaire. Il y aurait de nombreuses possibilités d’exposer un design graphique vernaculaire, s’accordant au lieu dans lequel il sera montré, avec les matériaux utilisés.
Annexes
Bibliographie & sitographie
Oriane CHARVIEUX, Copains des patelins,
mémoire, 2019, 63 pages → http://
Clémence IMBERT, Maddalena DALLA MURA, Lise BROSSEAU, Jon SUEDA, Exposer le design graphique,
Graphisme en France, Paris, 2018, 85 pages → https://
European Creative Cities, Étapes : 232, Paris, 2016, pp 01–57
Tout le monde est graphiste, Yoann BERTRANDY, Mémoire, 2008
Loisirs des villes, loisirs des champs ?, rapport du Ministère de la culture, 2023
Remerciements
Merci à Alexandra Ain pour son suivi et ses conseils !
Merci à Clémence Brunat de m’avoir remerciée <3 et merci à moi !
voir sur le site insee
.fr : Une nouvelle définition du rural, pour mieux rendre compte des réalités des territoires et de leurs transformations. ↩︎Livre de Sylvie Dubuc : Dynamisme rural : l’effet des petites villes ; ou bien voir l’article du Sénat
.fr : Mobilités dans les espaces peu denses en 2040, un défi à relever dès aujourd’hui. ↩︎