Branchez-vous sur Internet : pratiquement chaque site visité enregistrera le but de votre recherche et sa durée. Ces renseignements peuvent être vendus – d’ailleurs ils le sont – à des sociétés de vente par correspondance ou à des boîtes de marketing qui les utiliseront ensuite pour vous bombarder d’incitations à la dépense.
Puis, il existe maintenant un tas de courtiers en informations, des sortes de détectives privés de l’électronique qui passent leur temps à fouiller Internet pour y glaner des informations personnelles sur les gens, renseignements qu’ils cèdent ensuite moyennant finance. Si vous êtes citoyen américain et inscrit sur les listes électorales, ils obtiendront votre adresse et votre date de naissance, détails légalement disponibles sur la plupart des registres électoraux de tous les États.
Munis de ces deux éléments, ils peuvent (pour une somme allant de 8 à 10 dollars ils s’en feront même un plaisir !) vous fournir n’importe quel renseignement sur n’importe quel individu : casier judiciaire, dossier médical, infractions au code de la route, passe-temps favoris, emprunts bancaires, achats habituels, revenus annuels, numéros de téléphone (y compris ceux sur liste rouge), bref, tout ce que vous voulez.
Vous auriez sans doute pu obtenir tous ces renseignements autrefois, mais il vous aurait fallu des jours d’enquête et maintes visites aux différents services administratifs. Maintenant vous les obtenez en une minute, de façon parfaitement anonyme, grâce à Internet. De nombreuses sociétés mettent ces possibilités technologiques au profit d’une productivité impitoyable. Dans le Maryland, selon le magazine Time, une banque a fouillé les dossiers médicaux de ses clients, apparemment le plus légalement du monde, pour identifier ceux souffrant d’une maladie grave puis résilier leurs prêts. D’autres entreprises visent non pas leurs clients mais leurs salariés et cherchent par exemple à découvrir quels médicaments ils utilisent. L’une d’elles, une grosse boîte bien connue, s’est acoquinée avec un laboratoire pharmaceutique pour éplucher les dossiers de ses employés et déterminer si certains prenaient des antidépresseurs.
Selon l’American Management Association, les deux tiers des sociétés américaines espionnent leur personnel d’une façon ou d’une autre. 35 pour 100 surveillent les appels téléphoniques et 10 pour 100 les enregistrent – puis les écoutent. Environ un quart des entreprises reconnaissent fouiller dans les ordinateurs de leurs employés et lire leurs emails. D’autres boîtes admettent surveiller secrètement leur personnel. La secrétaire d’une université du Massachusetts a découvert qu’une caméra cachée filmait son bureau vingt-quatre heures sur vingt-quatre.
Dieu seul sait ce qu’ils espéraient y découvrir ! Tout ce qu’ils ont obtenu, en tout cas, ce sont des images de cette dame en train d’ôter chaque soir ses vêtements pour passer un survêtement de façon à rentrer à la maison en faisant un peu de jogging. Elle les a poursuivis et peut espérer recevoir une grosse somme d’argent. Mais en général les tribunaux soutiennent les droits des entreprises à espionner leur personnel. Ainsi, une femme travaillant pour une grosse société d’informatique appartenant à des Japonais s’est aperçue que cette compagnie lisait systématiquement les e-mails de ses salariés après avoir juré ne pas le faire. Elle l’a révélé et a été aussitôt renvoyée. Elle a porté plainte pour licenciement abusif et a perdu son procès. La cour a jugé qu’il était parfaitement légal pour un employeur de lire le courrier de ses employés et de mentir à ce sujet.
Bravo ! Dans un genre différent, pour en revenir à une question qui me tient à cœur, il y a toute la paranoïa autour de la drogue. Un de mes amis a été recruté par une grosse boîte de l’Iowa il y a un an. En face des bureaux se trouve une taverne où les gens de l’entreprise se rendent après le travail. Un soir où mon ami prenait un pot avec ses collègues, il a été accosté par une consœur lui demandant s’il connaissait un endroit où elle pourrait se procurer de la marijuana. Il lui a répondu qu’il n’en consommait pas lui-même mais, comme elle insistait vraiment et qu’il voulait s’en débarrasser, il lui a donné le numéro de téléphone d’une personne qui en vendait parfois. Le jour suivant, il était viré. Le seul boulot de cette femme consistait à espionner les employés pour dénoncer ceux qui avaient touché à la drogue. Pourtant mon copain ne lui en avait pas vendu. Il ne l’avait pas poussée à en consommer.
Il avait bien insisté sur le fait que personnellement il ne fumait pas. Il n’en a pas moins été licencié pour avoir « encouragé et facilité l’obtention d’une substance illégale ». 91 pour 100 des grandes entreprises – je trouve ce chiffre incroyable – font subir des examens à leurs employés pour dépister tout usage de drogue. Beaucoup d’entre elles ont introduit la réglementation TAD (abréviation de tabac, alcool, drogue), qui interdit à leur personnel de consommer ces substances en tout lieu et à tout moment. Il existe donc des sociétés qui interdisent à leurs salariés de boire ou de fumer, même le samedi soir, même dans leur foyer ! Pour s’assurer que ces règles sont bien respectées elles leur demandent des échantillons d’urine.
C’est révoltant mais c’est comme ça ! Les choses peuvent devenir parfois carrément alarmantes : on a mis au point un badge permettant de suivre les mouvements d’un employé. Ce badge émet toutes les quinze secondes un signal infrarouge perçu par un ordinateur qui enregistrera les moindres faits et gestes de l’individu pendant sa journée de travail. Si vous ne trouvez pas ça scandaleux, je ne sais pas ce qu’il vous faut ! Cependant il y a d’autres découvertes, je suis heureux de vous l’apprendre, qui me donnent de l’espoir. Une boîte du New Jersey a breveté un gadget permettant de déterminer si une personne travaillant dans la restauration se lave bien les mains après être allée aux toilettes. Là, franchement, je suis pour !
Félicitations ! Vous venez d’acheter un PC multimédia Anthrax/2000 615X avec un boosteur de bidule digital incorporé. Il vous assurera des années de bons et loyaux services si, par chance, vous arrivez à le faire fonctionner. En prime, nous vous offrons avec votre PC quelques logiciels gratuits préinstallés – Tondre sa pelouse sans peine, Comment gagner au morpion, Atlas des routes secondaires de l’Afrique de l’Est – qui vous fourniront des heures de distractions imbéciles tout en épuisant la mémoire de votre ordinateur. Maintenant tournez la page et commençons ! Préambule. – Félicitations ! Vous avez réussi à tourner la page, vous êtes donc prêt à commencer. Importante note totalement inutile : l’Anthrax/2000 est configuré pour utiliser un 80386, 214J10 ou tout autre processeur plus puissant correspondant à un cycle de 2 472 hertz à vitesse variable. Vérifiez votre installation électrique et les clauses de votre assurance incendie avant de poursuivre. Ne pas essorer !
Mise en route. – Félicitations ! Vous êtes prêt à effectuer la mise en route de l’appareil. Si vous n’avez pas passé votre diplôme de génie électrique, vous feriez bien de vous y mettre tout de suite. Connectez le câble du moniteur (A) à l’unité de sortie côté bâbord (D) ; attachez le sous-orbiteur déchargeur de tension (Xii) au servo-canal (G) du câble coaxial AC/DC. Branchez la fiche trois points de la souris dans le boîtier du clavier (percer un nouveau trou si nécessaire). Reliez le modem B2 au jack de la connexion parallèle audio/vidéo. À défaut, adoptez la procédure suivante : branchez les câbles dans les trous qui vous semblent vaguement appropriés, allumez l’appareil et attendez de voir ce qui va se passer.
Félicitations ! Vous êtes maintenant prêt à utiliser votre ordinateur. Voici maintenant quelques exercices très simples qui feront de vous, très rapidement, un utilisateur averti.
Perdu dans Cyberland lorsque nous sommes venus vivre en Amérique, le passage à un système électrique différent m’a contraint à changer tout mon équipement de bureau – ordinateur, télécopieur, répondeur, etc. En temps normal, je ne suis déjà pas très porté sur le shopping ni très disposé à y laisser de grosses sommes d’argent, mais cette fois la perspective d’avoir à arpenter toute une série de magasins en écoutant le boniment de toute une série de vendeurs me démoralisait franchement.
Aussi, imaginez mon ravissement lorsque dans le premier magasin d’informatique où j’ai mis les pieds j’ai trouvé une machine équipée de tout ce que je recherchais – répondeur, télécopieur, répertoire d’adresses électronique, liaison Internet, ainsi de suite. Présenté comme la « solution bureautique absolue », cet ordinateur promettait de tout faire, sauf le café. Je l’ai donc installé chez moi et j’ai pianoté allègrement un fax guilleret pour un ami de Londres. J’ai tapé son numéro de fax dans la case appropriée, selon les instructions, et j’ai appuyé sur envoyer.
Presque instantanément, des bruits de tonalités internationales ont été diffusés par les haut-parleurs de l’appareil, suivis d’une sonnerie et finalement d’une voix inconnue disant : « Allô ? Allô ? » « Hello ! » ai-je lancé en retour, mais je me suis très vite aperçu que je n’arriverais pas à parler à cette personne, quelle qu’elle soit. Mon appareil se contentait d’émettre un bourdonnement de fax. « Allô ! Allô ! » a repris la voix avec une nuance d’étonnement et d’inquiétude, puis on a raccroché. Mon ordinateur a aussitôt recomposé le numéro. Et cela a continué comme ça une partie de la matinée. La machine harcelait un correspondant inconnu dans un pays inconnu tandis que je feuilletais fébrilement le manuel pour trouver comment interrompre l’opération. Finalement, en désespoir de cause, j’ai débranché l’ordinateur, qui s’est éteint en affichant « Grosse erreur ! » et « Vous le regretterez ! ». Trois semaines plus tard – c’est authentique – nous avons reçu une facture de téléphone indiquant 68 dollars d’appels vers Alger. Une enquête ultérieure m’a révélé que les auteurs du logiciel de fax n’avaient pas prévu la possibilité de téléphoner ailleurs qu’aux États-Unis. Confronté à l’inconnu, l’ordinateur se mettait en mode dépression nerveuse. J’ai également découvert que mon répertoire électronique nourrissait une aversion particulière pour les adresses non américaines, ce qui le rendait totalement inutile, et que mon répondeur aimait se mettre en marche au milieu des conversations téléphoniques.
Vous imaginez ma perplexité en constatant qu’un outil aussi cher et aussi technologiquement avancé puisse être aussi nul. Et puis j’ai fini par comprendre qu’un ordinateur était une machine stupide capable de faire des choses incroyablement intelligentes tandis qu’un informaticien était un être intelligent capable de choses incroyablement stupides, et que la rencontre des deux formait un couple parfait mais potentiellement dangereux. Vous avez tous entendu parler du bug de l’an 2000, j’en suis sûr. Vous savez qu’au dernier coup de minuit, à la première seconde du 1 er janvier 2000, tous les ordinateurs du monde devaient se dire : « Bon, nous voici dans une année qui finit en 00. Je parie que c’est 1900. Mais si c’est 1900, les ordinateurs n’ont pas encore été inventés. Donc je n’existe pas. Je crois que je ferais mieux de m’arrêter et d’effacer toute ma mémoire. » Cela devait coûter des milliards de milliards de dollars pour rectifier tout ça. Car un ordinateur peut calculer le nombre pi, à la vingt millième décimale près, mais il ne peut pas calculer que les années vont en augmentant. De son côté, un programmeur peut écrire quatre-vingt mille lignes de systèmes codés hypercomplexes mais ignorer que tous les cent ans on change de siècle. Associez les deux, donc, et c’est la catastrophe. Lorsque j’ai lu que l’industrie informatique avait réussi à se créer un problème aussi trivial, aussi colossal et aussi bête, j’ai compris pourquoi mes fax et autres gadgets digitaux étaient de la camelote. Mais cela n’explique toujours pas la splendide incompétence, l’inutilité monstrueuse du correcteur d’orthographe de mon ordinateur. Comme tout ce qui touche aux ordinateurs, le correcteur d’orthographe est quelque chose de merveilleux. En principe. Quand vous terminez votre texte, vous activez une fonction et la traque aux fautes commence. En fait, comme un ordinateur est par essence incapable de reconnaître les mots, il cherche les groupes de lettres qui lui sont étrangers. Et c’est là que les choses se gâtent. D’abord, il ne reconnaît ni les noms propres – noms de personnes, de lieux ou de grandes sociétés – ni les orthographes non américaines comme centre ou colour. Il ne reconnaît pas non plus certains pluriels, ni les abréviations, ni les acronymes. Ni, bien évidemment, les mots inventés depuis l’élection d’Eisenhower à la présidence.
Il reconnaît donc spoutnik et beatnik, mais pas Internet, fax, ou cyberspace, parmi tant d’autres. Mais là ou les choses deviennent vraiment drôles – pour les gens qui n’ont vraiment rien d’autre à faire –, c’est que l’ordinateur est programmé pour vous suggérer des alternatives au mot inconnu. Elles sont parfois sublimes. Pour Internet, par exemple, il m’a proposé internat (un mot que je n’ai trouvé dans aucun dictionnaire américain ou anglais), internode, interknit et underneath. Le mot fax a fait apparaître pas moins de trentetrois possibilités, dont fuzz, feats, feaze, phase et deux substantifs inconnus de ma lexicographie : falx et phose. Cyberspace a laissé mon ordinateur en panne d’inspiration. Mais il s’est rattrapé avec cyber pour lequel il m’a proposé chubbier et scabbier. Je ne peux pas concevoir quelle logique a poussé le tandem ordinateurprogrammeur à établir que quiconque écrit f-a-x a pu vouloir dire p-h-a-s-e. Ni par quel processus ils sont passés de cyber à chubbier et scabbier plutôt qu’à, disons, dollar ou sofa, pour ne citer que deux exemples tout aussi incongrus. Et je ne comprends toujours pas comment des mots sans existence comme falx ou phose ont pu s’introduire dans le programme. Vous allez sans doute m’accuser de couper les cheveux en quatre, mais selon moi un ordinateur qui refuse un mot qui existe pour proposer à la place un mot qui n’existe pas devrait sérieusement être révisé avant toute mise sur le marché. D’autant que, non seulement le système propose des inepties comme solutions de rechange, mais il insiste carrément pour les insérer. Si vous acceptez par erreur sa proposition, il procédera au changement dans tout le fichier.
C’est ainsi que récemment j’ai produit un texte où woollens avait été remplacé à longueur de pages par wesleyans, Minneapolis par monopolists et – j’adore ! – Renoir par rainwear. S’il y a un moyen simple de parer à ces transformations involontaires, je ne l’ai pas encore trouvé ! J’ai lu dans le US News & World Report que cette même industrie qui a oublié de prévoir l’arrivée d’un nouveau millénaire n’a pas compris non plus que les matériaux sur lesquels on enregistre l’information – bandes magnétiques et autres – se dégradaient rapidement. Récemment, les experts de la NASA ont essayé d’accéder à des informations concernant la mission Viking de 1976. Ils ont découvert que 20 pour 100 des bandes s’étaient déjà effacées et que le reste n’allait pas tarder à en faire autant. Il semblerait donc que les informaticiens aient pas mal d’heures supplémentaires à fournir au cours des prochaines années. Et je suis le premier à crier Hourra ! Ou héroïne, hara-kiri, houla-hoop, comme mon ordinateur préférera.