Hyper­sexualisation des avatars féminins, cyberharcèlement :
pas facile d’être une gameuse !

Les stéréotypes des personnages féminins de jeux, la lourdeur de certains gamers et parfois même le cyberharcèlement sexiste font grincer des dents les utilisatrices et les associations de gamers.

Formes disproportionnées, combats sanguinaires en petite culotte, voix lascive et regard aguicheur… Les avatars féminins de jeux vidéo sont bien loin de leurs homologues masculins, raisonnablement musclés et vêtus de manière appropriée pour des affrontements. Exemple incontournable de la super-nana virtuelle, Lara Croft s’impose depuis deux décennies dans Tomb Raider, habillée le plus souvent d’un mini-short et d’un crop top laissant apparaître à la fois son décolleté et son nombril. Pas beaucoup de vêtements pour une archéologue exploratrice qui s’aventure de par le monde dans d’anciennes ruines pleines de dangers. Et pourtant, pas de quoi décourager les joueuses, qui sont de plus en plus nombreuses en France. Les statistiques montrent ainsi une pratique du jeu vidéo quasiment paritaire : aujourd’hui, les joueurs dits réguliers sont composés de 53 % d’hommes et 47 % de femmes. Sont-elles insensibles à l’hypersexualisation des avatars censés les représenter sur l’écran ? Loin de là.

« Je ne me reconnais absolument pas dans ces personnages »

Juliette, gameuse aguerrie de 24 ans, estime passer environ quatre heures par jour sur les écrans à incarner ses personnages favoris de jeux vidéo. Parmi ses jeux préférés on trouve The Biding of Isaac, jeu d’action sur PC dans lequel le personnage explore un donjon infesté de monstres qu’il faut combattre ; ou encore League of Legends, jeu de stratégie dans lequel deux équipes de cinq s’affrontent pour détruire la base adverse.

« Je suis incapable de m’identifier aux avatars féminins, je ne me reconnais absolument pas dans ces personnages vulgaires et stupides »

Et pour cause, une grande majorité des championnes proposées sont hypersexualisées tant dans leurs tenues que dans leur attitude, que ce soit par exemple Zyra, Vi, Miss Fortune ou Sivir (la plupart des avatars féminins du jeu avaient d’ailleurs été bannis en Iran en 2013, étant trop dénudés). Dans le but d’éveiller les consciences et d’amorcer une réelle réflexion sur le sujet, l’association Women in Games a récemment réalisé l’expérience #GenderSwap, largement relayée sur les réseaux sociaux. Le principe est simple, il s’agit de revisiter les plus grosses licences du jeu vidéo en échangeant les animations des personnages masculins et féminins, c’est-à-dire en inversant leur comportement. La vidéo ludique remet les idées en place : Batman qui se trémousse, adopte des poses suggestives ou danse sensuellement permet une prise de conscience de ces mêmes comportements qui, au féminin, ne choque plus par habitude. Potiches de service assoiffées de séduction, la grande majorité des personnages féminins semble alors constamment tournée au ridicule.

« T’as pas besoin d’un gilet
pare-balles, t’as qu’à utiliser
tes nichons »

« Plus jamais de jeux en ligne »

Il y a quelques années, l’étudiante jouait beaucoup à World of Warcraft, autre jeu en ligne dans lequel le joueur communique avec d’autres, via un micro ou un chat d’équipe.

« J’incarnais un personnage féminin avec un pseudo du même genre. Dès que j’activais le micro, je me prenais des remarques sexistes ou des insultes. Les hommes supportent mal de perdre tout court, mais alors contre une fille… »

C’est désolant se rappelle-t-elle, qui pour fuir le sexisme ne joue plus qu’aux jeux en solo depuis 2016. Partant du constat que 77% des gameuses ont déjà subi du cyberharcèlement, le média CulturePub a mené en mars dernier une expérience sociale dans laquelle un joueur de jeux vidéo professionnel norvégien, Joakim Myrbostad, incarne le temps d’une partie un personnage féminin du jeu CS : GO. Le slogan de l’expérience « Don’t change your name, change the game », fait référence aux 59 % des gameuses qui utilisent un pseudo masculin pour ne pas subir de sexisme. Le joueur, outillé d’un modulateur vocal assimilant sa voix à celle d’une femme, ne se remet pas des remarques qui fusent comme « t’as pas besoin d’un gilet pare-balles, t’as qu’à utiliser tes nichons », pour ne citer que le moins pire.

« Ralentir la spirale du harcèlement en ligne »

« Il est urgent de ralentir la spirale du harcèlement en ligne »

estime Christopher Klippel, président de l’association Nous Sommes Tous Gamers (NSTG) et initiateur du mouvement #WePlayAsOne sur les réseaux sociaux. Luttant contre toutes les formes de cyberharcèlement dans le monde du gaming, l’association veut sensibiliser les joueurs, les influenceurs, les créateurs de contenus, ou encore les développeurs.

« Le but du mouvement est de proposer une loi obligeant les plateformes des réseaux sociaux à communiquer les coordonnées des harceleurs dans les cas de propos tenus extrêmes comme des menaces de mort ou de viol »
explique-t-il. Si pour lui l’hypersexualisation des avatars féminins perturbe pour sûr la vision des femmes qu’ont certains joueurs, le problème principal du cyberharcèlement reste l’impunité consciente des harceleurs sur les réseaux sociaux.