Pourquoi cela concerne-t-il les designers graphiques ?
Il est impossible de résumer en quelques phrases la cause qui nous a menés ici. Mais il est largement reconnu que notre société capitaliste mondiale qui carbure à l’accumulation de richesses en incitant sans relâche à la production et à la consommation, et en exploitant les pauvres tout en repoussant les limites de l’environnement, a été l’un des principaux moteurs du changement climatique.[5]
Et le design graphique a marché côte à côte avec le capitalisme. Lorsqu’on examine l’histoire du design graphique et la façon dont il est devenu un concept culturel largement accepté, il n’est pas difficile de voir le lien entre la pleine expansion du capitalisme pendant et après les deux guerres mondiales, et la demande croissante de designers, ainsi que l’émergence de mouvements de design graphique dans les pays industrialisés.
Le terme « design graphique » apparaît pour la première fois en 1922 dans un essai de William Addison Dwiggins intitulé « New Kind of Printing Calls for New Design ». Au cours de la même période, les progrès de l’imprimerie et de la photographie, ainsi que le marché, ont entraîné deux changements majeurs dans la vie des citoyens : premièrement, le public a été bombardé d’une plus grande quantité d’informations, et deuxièmement, le principal moyen de communication est passé du texte à l’image. Pour tenter de donner un sens à ce nouveau paysage qui s’accélère, le design graphique s’est donné pour mission de rationaliser, simplifier, digérer, et mettre en valeur l’information tout en tenant compte de la capacité d’attention de plus en plus fragile des masses.[6]
Lorsque le design graphique devient une discipline indépendante, l’objectif d’attirer l’attention, jusque-là peu discuté, est désormais ouvertement exprimé comme une exigence fondamentale. Initié par Kurt Schwitters en 1928, Ring était un magazine qui regroupait des designers graphiques de différentes pratiques afin de promouvoir ce nouveau langage visuel. L’ambition de Ring est expliquée dans l’introduction Gefesselter Blick(Le regard captif) : « Dans notre époque de rationalisation, […] on doit veiller à ce que le message soit aussi bref que possible, […] les images sont supportées par du texte, les textes sont supportés par les images. Ce melange d’images et de mots est le principal champ d’activité du design publicitaire. »[7]
Nous pourrions conclure que le design graphique moderne a trouvé sa place dans ce que nous appelons aujourd’hui « l’économie de l’attention ». Ce rôle a contribué à façonner les structures sociales telles que nous les connaissons. Comme le dirait Jonathan Barnbrook lors d’une interview avec It’s Nice That en 2020 :
« Design graphique est au cœur du capitalisme. C’est le cœur de l’encouragement à la consommation – vous y consentez en tant que designer graphique. »