Andréas Camps —
Document Écrit
Actualité Typographique
DNA — 2022
Mention Design Graphique Multimédia
École Supérieure
d'Art et de Design des Pyrénées — Pau
INTRODUCTION

Étudiant en troisième année de licence à l’école supérieure d’Art et de Design des Pyrénées, je m’intéresse depuis longtemps à la typographie, ses enjeux, ses remous, ses applications, son ordre et son désordre. L’idée selon laquelle les glyphes ont commencé à jouer un rôle majeur, une importance critique tant dans le fonctionnement de la compréhension, que dans l’appréhension du monde, dès que l’humanité eut besoin de communiquer autrement qu’à l’oral, me parait fascinante.

Pour la plupart des gens, les polices de caractères que l’on voit au quotidien sont des acquis, des formes graphiques du domaine public, immuables. On ne pense pas forcément au travail et aux personnes qui se cachent derrière. En effet, grâce à des constructions sociales bien ancrées depuis des siècles, les dessinateurs de caractères sont à même de produire des formes graphiques et typographiques ayant un vrai enjeu sur l’esprit du/de la lecteur.ice.

Comme l’Art, la lecture et la création de caractères sont des reflets de l’époque dans laquelle elles évoluent. Aujourd’hui, nous pouvons aisément nous retrouver devant un panneau publicitaire composé en caractères dit « ornementaux » ou « displays », mais ce n’est pas anodin. C’est très certainement en lien à l’avancée technologique que nous vivons. L’apparition de l’informatique a largement facilité la production de caractères typographiques et les dessinateurs de caractères ont pu expérimenter, dans un but personnel, le dessin de lettres plus excentriques, comme le confirme André Burnier dans une entretien que j’ai eu la chance d’obetenir avec lui (voir Entretien).

Or il n’y a pas si longtemps, le style suisse et les caractères linéaux constituaient le seul style recevable, étant sobre et rigide, rationnel et puriste, permettant une communication rapide et sans ambiguïté. Mais depuis quelques décennies, à partir des années 1970 pour être précis, et lié à l’émergence du mouvement Do It Yourself, nous assistons à une révolution qui fait de la typographie non plus seulement l’outil du message mais où elle est le message.

L’année dernière, en tombant par hasard sur une publication Instagram, j’ai découvert le challenge « 36 days of type » (point que nous développerons plus tard). Cette découverte m’a donné à voir un puit incroyablement riche de formes de lettres, usant de médiums et de créativités pour créer des formes de lettres n’ayant plus rien à voir avec ce que l’on connaissait  ; c’est ce qui m’a amené à me poser cette question.

Dans un monde d’Helvetica où tout doit aller vite, pourquoi continuer à concevoir de nouvelles formes de lettres, aussi excentriques soient-elles  ?

Pour essayer de répondre à ces questions, nous verrons en première partie les origines et termes de notre sujet, en analysant brièvement ce dont il est question et de quel héritage nous disposons aujourd’hui. Puis nous regarderons quels sont les supports de ces caractères, les outils de leurs créations, les expérimentations menées.

PARTIE I
1. Contexte & Histoire:

Tout d’abord, quand on parle de polices de caractères « display », il faut se demander ce que cela signifie exactement. La notion de « display », vient de l’anglais qui littéralement veut dire « Affichage ». Historiquement, les polices que nous appelons aujourd’hui display sont issues des polices grasses et voyantes, celles que l’on aperçoit sur des enseignes de garage, des affiches de manifestations, etc…

« A display typeface is a typeface that is intended for use at large sizes for headings, rather than for extended passages of bodytext. » — Wikipédia

C’est un type de dessin de caractère relativement inclassable, et d’ailleurs souvent malmené par les classifieurs typographiques de l’Histoire. En effet, ces derniers ont souvent eu du mal à les définir et les catégoriser, du fait que ces polices ont besoin d’un contexte fort et précis pour exister en toute cohérence. Par exemple, nous pouvons le voir avec les différentes classifications faites dans l’histoire par différents typographes comme Joël Bertin ou Jean Alessandrini. C’est toujours un mic-mac de formes de lettres un petit peu « hors normes » misent ensemble comme un groupe discriminé parce qu’on ne sait pas comment les qualifier, par rapport aux règles et formes déjà établies.

Pour beaucoup, les termes « display » et « ornementale » sont synonymes en matière de typographie, bien que « display » soit à l’origine un terme surtout utilisé pour désigner des polices qui sont à lire en grand corps et n’ayant pas forcément à être des formes non-conventionnelles, par rapport au style suisse, par exemple. Alors que le terme « ornementale » peut plus facilement désigner des formes de lettres excentriques, avec une forte personnalité. En effet, ce terme comprend énormément de variation dans la typographie et le panel est si large que nous ne pourrons pas tout aborder dans ce document. Ici l’idée est de voir comment, et pourquoi, la création contemporaine se sert de ces dessins excentriques.

Passant par les caractères issus de l’art nouveau, les caractères de labeur à variation optique, les caractères impactant, la calligraphie, en soit tout caractère ayant une expression et une personnalité forte. On peut retrouver les premières traces d’archivage et présentations de caractères display et de gestion expérimentale de la typographie dans les parutions du magazine Fuse, fondé par Neville Brody et Jon Wozencroft en 1991. Cette collecte nous montre que, déjà dans les années 1990, l’engouement pour la création typographique expérimentale était présent et engagé.

La typographie est aujourd’hui plus qu’ambivalente et doit aussi bien être pensée pour le numérique, offrant plus de possibilités et ouvrant donc plus à la création de polices ornementales, que pour l’impression. Elle peut aujourd’hui (et en réalité depuis quelques années) être autant déformée, triturée, détruite, repensée, que les éléments iconographiques, conduisant a une vague d’ambition générale de questionner les règles typographiques en vigueur. Cela vaut pour les compositions statiques, mais on peut aussi parler de la typographie dite cinétique, ou typographie en mouvement, qui est un vaste terrain d’expérimentation formelle. Les polices de caractères variables aussi nous forcent à reconsidérer l’intérêt et la pertinence des règles typographiques établies.

→ PARTIE 2

PARTIE II
2. Applications Concrètes :

Nous avons vu que la typographie a pris un tournant majeur dans l’histoire et, par exemple, qu’elle est passée d’un rôle de support et de soutien dans les problématiques d’identités visuelles, à un rôle premier, un pilier. La création de polices de caractères typographiques sur mesure a vu son nombre de commandes se multiplier considérablement depuis l’avènement de logiciels numériques dédiés comme Glyphs ou FontLab (ainsi que d’autres outils créatifs sur lesquels nous reviendrons). Ces caractères sur mesure sont certes créés et pensés pour avoir un jeu de caractères complet, mais ils sont aussi la plupart du temps autosuffisants dans la communication de l’entité qu’elle sert.

→ PARTIE 3

Nous pouvons prendre quelques exemples de cette nouvelle création typographique au service d’identités visuelles, dans l’ouvrage Type for Type, paru aux éditions CounterPrint en 2021, qui retrace quelques projets aux problématiques d’identités visuelles particulières et résolu grâce à des polices de caractère display.

Pour premier exemple, intéressons-nous à l’identité visuelle du Flow Festival créée par le studio Tsto. Flow Festival est un festival de musique qui prend place tous les ans à Helsinki. Il est l’un, si ce n’est le plus gros festival de musique des pays nordiques, une identité expressive mais néanmoins claire et informative était donc de mise. Le but du studio était de créer un système graphique autonome et reconnaissable au premier coup d’œil, la solution typographique s’était imposée naturellement. Cette fonte avec quelques glyphes changeant, donnent le rythme ainsi que des anomalies significatives sur certaines lettres. Liée à ce système de répétition et de couleurs dans l’identité globale, elle en fait un caractère qui remplit sa fonction autonome.

Pour deuxième exemple, prenons le cas du Gravient, un caractère créé et pensé pour la compagnie de réalité virtuelle augmentée du même nom, par le studio Pràctica, en collaboration avec le motion design David Galar. Gravient a la particularité de fonctionner selon le point de vue que l’on a sur le texte. Par un système créatif d’extrusion 3D (variable). Construite à partir d’une typographie du nom de « Gravient », une linéale standard, ils ont développé un comportement typographique utilisant l’interaction et la tridimensionnalité. Les lettres sont configurées pour changer en fonction de l’angle sous lequel elles sont regardées, de cette façon, le point de vue de l’utilisateur devient essentiel pour déterminer la forme de la typographie. Suivant cette approche, le langage typographique devient infini et les différents styles de la famille sont déterminés par l’utilisation de la perspective. Ce concept typographique a été conçu en premier lieu pour la réalité virtuelle et augmentée ainsi que l’interaction sur le site Web.
La typographie cinétique (en mouvement), dérivé de kinetic type est un autre moyen d’aborder la typographie ornementale. En effet, la typographie cinétique a autant, si ce n’est plus, d’impact que les caractères ornementaux pouvant identifier une marque. C’est ici le pure produit d’une tendance, liée à une certaine avancée technologique, mais ça n’en est pas moins intéressant de l’explorer. Prenons l’exemple de Squarespace, une plateforme de formation en ligne sur les métiers de l’image et du multimédia, qui a demandé au studio DIA de faire leur identité visuelle en utilisant les principes de typographie cinétique pour montrer un des points abordables dans les formations proposées. En utilisant le caractère Clarkson Medium, une linéale des plus communes, ils ont donné à la police une dimension fraîche et attrayante via un grand nombre d’animations typographiques.

Diffusée principalement sur écran, cette dynamique et ce rythme constituent à eux seuls une forte expression et caractérisent la plateforme, faisant marque avec leur identité.Squarespace a pu « surfer sur la tendance » et se faire connaître auprès d’un nouveau public, envieux d’apprendre. Le succès qu’a gagné Squarespace peut se vérifier aux vues des nombreuses nouvelles formations dispensées par des particuliers sur la plateforme, et ce dans beaucoup de champs (Design, Photographie, Animation). Ces exemples montrent, d’après moi, que d’une certaine manière la typographie est certe un terrain d’expérimentation et une matière riche à exploiter, mais aussi un enjeux professionnel qui peut se suffir à elle-même pour résoudre, dépendamment de son contexte, des problèmes d’identités visuelles.


→ PARTIE 3
OUTILS & INITIATIVES
Typographie et code

Nous arrivons maintenant à la partie qui concerne la typographie et le code. Médium très actuel et en perpétuelle évolution, de plus en plus de studios se servent du code génératif pour tenter de nouvelles approches avec la typographie. La conception de polices de caractères est un métier rare qui implique de dessiner des formes de lettres et de régler minutieusement l’espacement entre elles. Pendant des centaines d’années, les designers ont dû maîtriser la sculpture sur bois et le moulage du métal pour pratiquer leur art. Avec l’essor des ordinateurs, ils ont appris à conquérir le bitmap et les vecteurs à l’aide d’outils tels que Glyphs, FontLab ou RoboFont. Alors que la programmation devient une partie commune, pour les plus braves, de l’ensemble des compétences du designer, l’innovation se poursuit dans ce sens.

Selon le typographe et enseignant Cyrus Highsmith, la popularité croissante de la balise « @font-face » qui a été officialisée dans les spécifications CSS3 en 2011 revigore la typographie sur le Web en permettant à une gamme variée de polices uniques mais de haute qualité d’être « appelées » sur une page à partir d’un fonderie externe. Grâce à celà, les Web designer peuvent penser davantage comme des spécialistes de l’impression et choisir délibérément des polices de caractères plutôt que de choisir par défaut les polices internes au système. Un engouement conduisant à un intérêt certain pour continuer l’expérimentation typographique au travers du web et du code, notamment avec des outils comme JavaScript et P5js.

Il y a par exemple le studio SchultzSchultz, un studio de design indépendant de Francfort, en Allemagne. Depuis 2007, ils créent des identités visuelles et servent une clientèle internationale en s’appuyant sur des concepts solides, un savoir-faire en utilisant les outils de code créatifs/génératifs (principalement Processing). Ils ont, entre autres choses, développé un outil de dessin numérique, donnant la possibilité à l’utilisateur de dessiner en faisant varier la taille et les vides sur le format, le tout à partir d’une grille modulaire reliée. Ce faisant, l’utilisateur est à même d’utiliser l’outil et de concevoir des formes innovantes et de les diffuser. Cela montre, d’un point de vue purement plastique et non théorique, que chacun, si on donne des outils simples et appropriés, tout un chacun peut créer des formes graphiques (donc potentiellement typographiques) sans se soucier de quelconque règle pré-établie, ce qui amène à se demander si, réellement, les règles que l’ont connaît sont incontestablement imuables. Dans la même veine, ils ont également développé un outil de déstructuration d’image laissant le choix à l’utilisateur d’importer ses propres images, outil qui relève plus de composition iconographique que typographique mais qui est néanmoins interéssant.

36 DAYS OF TYPE

Pour aller encore plus loin dans l’angoument général, autour de la typographie, chez créateurs contemporains, on peut s’intéresser au 36 Days of Type. C’est un projet qui invite des designers, illustrateurs et graphistes à exprimer leur interprétation particulière des lettres et des chiffres de l’alphabet latin. Un appel ouvert annuel explorant les limites créatives des formes de lettres, où les participants sont mis au défi de concevoir une lettre ou un chiffre chaque jour pendant 36 jours consécutifs, comme un acte global et simultané montrant le résultat de la capacité à représenter les mêmes symboles sous des milliers de perspectives différentes. Un projet qui se veut un espace de création autour de la typographie et de ses infinies possibilités graphiques. Les images ici montrés sont un bref échantillons de cet évènement, puisé parmi la sélection officielle de l’équipe de 36 Days of Type. Il n’est pas vraiment représentatif de la variété immense de techniques et créativités utilisées. Le mieux est d’aller voir par sois-même pour se rendre compte.
Le site et la page Instagram de l'évènement.

CONCLUSION

La typographie et ses usages sont variés. leur exisitences dépendent du contexte qu’elles servent, c’est un fait. Les usages de la typographie peuvent aussi bien être utiles à une entreprise qui veut se faire connaître via son identité en usant de spécificités typographiques, autant que pour quelqu’un qui voudrait s’auto éditer, pour un fanzine par exemple, en usant de la typographie comme médium à part entière. Et comme toute invention humaine, on peut constater une évolution de ce médium en même temps que les époques qu’il traverse. Aujourd’hui, certes il exisite une infinité de possibilités typographiques et nous sommes dans une ère où la typographie et les polices de caractères ont un vrai rôle, un enjeu majeur dans la transmission et communication de messages. De plus en plus de typographes et designers graphiques se servent de la typographie non plus pour faire lire mais pour faire voir. Des lettres complètement distordues, triturées par différents outils ( dessin, code, manipulation numérique, scan, etc… ). Autant de possibilités qui nous montre que, en réalité, les règles typographiques rigides ne sont peut-être pas si intouchables, un lecteur reste un lecteur, et quoi qu’on en dise, l’humain a une capacité, une nécéssité à comprendre ce qu’il voit, qu’il s’agisse de lettres ou d’images, dans tous les cas, le public sera récéptif à ce qu’on lui montre car il voudra comprendre, même si on lui présente une police illisible, il essaiera.

Pour conclure, je voudrais dire qu’il est assez complexe de répondre à la question « Pourquoi continuer à concevoir de nouvelles formes de lettres, aussi excentriques soit-elles  ? ». Tout simplement parce que c’est une actualité tellement en mouvement constant qu’il est difficile d’y voir complètement clair. Je dirais qu’on continue à en concevoir parce qu’on le peut, parce que l’on développe des outils qui permettent de le faire, parce que la limite des possible n’a pas été atteinte. Des résultats d’experimentations sans prétention, pour le plaisir d’essayer, par passion. Mais également parce que cela peut avoir un vrai enjeu sociétal, pour des polices de caractères créées sur mesure par exemple, car elle sont vues par un public plus ou moins large, et donc ont une réception de même nature, nourrissant et enrichissant les yeux de ce public et les habituant à voir des lettres plus ou moins dans la norme.

Entretien

Le designer graphique et codeur créatif André Burnier a bien voulu répondre à mes questions.



Pour commencer, qui êtes-vous ?

Je m’appelle André Burnier, je suis un designer graphique et codeur/programmeur créatif basé à São Paulo, Braisil.

Quelle est votre pratique ? Comment avez-vous commencé et apprit ? Quels sont vos mediums ?

J’ai passé un bachelor et un master en design graphique et j’ai travaillé dans ce secteur pendant 13 ans. Récemment, je me suis mit à me concentrer sur le champs du codage créatif, et particulièrement à cette intersection entre code et graphisme. Quasiment tout ce que j’ai apprit sur le code provient de YouTube et autres sources d’apprentissages en ligne.

Vous vous considérez plus comme un designer graphique ou un codeur créatif ? (ou les deux sont au même niveau dans votre pratique ?)

Pour moi, le code est plutôt un outil des champs du design graphique. Je ne m’y connais pas tant que ça en programmation et je sens que mon expertise se situe dans le domaine de la conception graphique.

Qu’est-ce qui vous a conduit à expérimenter le code appliqué sur la typographie ?

Je ne sais pas vraiment, j’ai préssenti que cela aurait pu être fun de jouer avec la typographie par le code.

Avez-vous senti/remarqué un changement dans l’expérimentation dans la typographie ? (par le code par exemple)

Les artistes visuels ont expérimenté la typographie pendant des décennies. Les nouvelles technologies et les tendances visuelles mènent à de nouveaux résultats, nous sommes toujours sur le cycle des nouvelles expressions et des voix qui fusent. Peut-être que les réseaux sociaux ont accéléré et diffusé ces expressions - et ces nouveaux médias pourrait, pour moi, être le plus grand changement dans l’expérimentation de la typographie.

Quelle est la meilleure expérience que vous ayez eue dans le code créatif et la typographie ?

Il est difficile de désigner une seule expérience comme la meilleure. Chaque projet a ses défis et ses leçons.

Que changeriez-vous, si vous le pouviez, dans votre pratique ? (de quoi avez-vous besoin de plus)

J’aimerais plus travailler avec des designers qui codent. Ce serait passionnant de voir ce que l’on pourrait faire avec une équipe de designers graphgique capables de coder. Je pense que cela permettra des systèmes de conception plus grands et plus complexes.

Quel est l’avenir de la typographie pour vous ?

Je ne peux pas vraiment vous dire puisque je ne suis pas en contact direct avec la pratique de la typographie.