"En fait, un milieu rudimentaire peut déconcerter l'être vivant et, a plus forte raison l'homme. Nous connaissons l'exemple de ce jaguar capable de repérer une proie à trois cent mètres de distance, dans une jungle foisonnante et qui en laboratoire, ne trouve pas sa victime située dans un labyrinthe d'une dizaine de mètres. Comment expliquer ce paradoxe? Sans doute faut-il que notre intérêt soit stimule. En présence d'un milieu pauvre, nous accordons qu'ne perception limitée, traversée par des zones d'inconscience. L'homme cet être compliqué a besoin d'un partenaire complexe digne de nous, en l'occurrence la ville. Il ne se laisse pas déborder par une telle richesse parce qu'il sait élaguer, reconnaitre ce qui l'enrichira ou ce qui satisfera quelques-unes de ses aspirations fondamentales. Quand il répond à des situations trop simples, quand il accomplit des tâches répétitives desquelles on a exclu tout événement imprévisible, c'est par nécessite et il n'a pas les sentiments de s'y réaliser"
SANSOT, Pierre, Reveries dans la ville, p. 87
Cher lecteur, chère lectrice – ceci est un carnet de voyage comme son titre l'indique. C'est donc un texte personnel écrit lors de mon exploration dans la réalité, qui se présente souvent sous la forme d'un visage multiple. Pendant mon parcours je m'approprie ce que je vois, entends, expérimente. Cette appropriation continue dans le texte sous la forme de termes de mon choix. Parfois, pendant la lecture, il se présentera devant vous un agent d'expression (un mot) semblable au terme de votre propre dictionnaire. Cependant ils ne seront pas unis par la même définition. Parfois je donnerai la possibilité d'exister aux expressions nouvelles – néologismes. Or j'emprunterai des termes dont j'indiquerai la source. N'ayant pas trouvé des mots justes existants, je donne des noms nouveaux. Pour que vous puissiez mieux comprendre, mieux imaginer de quoi je traite, je vous propose un glossaire. Celui-ci n'a été rédigé qu'après mon aventure. Sur le vif le voyageur n'est pas toujours en mesure de décrire, d'une manière universellement comprehensive, la nature des phénomènes passionnants qu'il rencontre. Le désir de rendre compte de l'expérience personnelle telle que l'aventure est étroitement lié avec l'envie de partager. Le lecteur deviendra l'aventurier de cette expédition ou de sa propre exploration future, donc inédite. Dans ce deuxième cas le carnet de voyage pourra servir comme le point de départ d'une exploration. Le carnet a un rôle: il propose un cadre mobile, qui s'adapte aux envies et besoins des lecteurs expérimentateurs: preparation au voyage, aventure et son déroulement, retour. Avant le départ – Sortir de la zone noire. À la fin de mon séjour dans la zone noire je commence à activer mon corps. Le désir de le préparer à la confrontation avec le réel extérieur est là, mais le corps n'est pas encore prêt. Je commence une série d'entrainements. La première phase consiste à réunir moi-même non corporelle avec moi-même corporelle. Il semble que retrouver cet équilibre est possible par l'exercice d'une présence consciente solitaire. La deuxième phase est celle de l'interaction corporelle à deux. Il s'agit d'un autre il ou elle-même corporel réunit avec son il ou elle-même non corporel qui a pris la décision de déclencher le même processus d'activation que moi. Dans ce cadre nous inventons une série de protocoles qui prend la forme des courtes actions d'une activation mutuelle. Nous mettons en place quelques règles: pas de code vestimentaire: nous ne souhaitons pas rentrer dans des rôles, incarner des personnages, nous voulons être nous-mêmes et personne d'autre. Nous libérons les gestes. Le scénario n'existe pas. Certes il y a quelques consignes, idées qui indiquent le départ mais le scénario se fait, apparaît pendant l'action. présence d'un objet: Il n'est pas tout à fait évident d'établir une connexion directe entre les corps dans cette deuxième phase d'entrainement sans recours à un "objet connectable". Sa présence invite à son utilisation qui deviendra le prétexte d'établir une connexion. La satisfaction naissante de cette réussite nous conduira à l'usage de nos corps sans connecteur matériel extérieur – ultérieurement. une trace vidéo, photo: nous servira à analyser l'action. Sur le vif c'est nous-mêmes corporelles qui étant nos propres capteurs, participeront à cette expérience directe et resentiront avant de comprendre la connexion. Nous aurons besoin d'une image extérieure à cette action. Cela nous séparera de nous-mêmes corporelles pendant l'analyse des images. Nous aurons un point de vue supplémentaire, extérieure mais le nôtre. Nous n'allons pas refaire les mêmes actions au service d'une "meilleure" trace vidéo, photo qui pourrait finalement "plaire" à tous. L'esthétique avec ses normes à programmer les perceptions. Le confort de la zone noire porte un autre visage, d'une mise en veille prolongée. Une fois activée est consciente je procède ainsi – j'en sors. Je me dirige vers les espaces physiques, réels extérieurs – concrètement ruraux et urbains. Je developpe le processus d'activation de moi-même corporelle d'abord dans l'espace extérieure rural. Pourquoi rural? Je dois retrouver l'usage de moi-même corporelle dans le contexte réel, différent de celui des entrainements. Je suis sortie. Il est trop tot pour interagir avec l'architecture vivante. Il est aussi trop tot pour prendre le risque d'un conditionnement corporel. Ici, dans l'espace rural extérieur le corps, son comportement reste à l'abri des règles indiquées dans l'espace urbain. Par ces règles je comprends un cadre, omnipresent dans l'espace urbain. Un "bon" citadin a une "bonne" maitrise de son corps. La ville a ses attentes envers nous et nous ne voulons pas la decevoir... Ces normes sont representees d'abord par l'architecture dont le dessin est fidèle à une ligne-modèle; invariablement droite! Cette norme est visuellement prolongée dans de déplacements d'éléments d'architecture vivante. Nous pouvons pourtant dessiner des nombreuses lignes non-droites! Je commence l'expérience de mon corps et de ce lieu (l'espace rural). À mon rythme je retrouve l'usage de mon outil. Je libère le geste! Je saute, je me roule dans l'herbe pas encore violonté par mes semblables, de mon espèce. Je souris avec la bouche ouverte et je sens le vent entrer dans ma bouche! Je suis un conscient papalagui, car j'ai retrouvé l'usage total de mon corps! Les premières actions dans l'espace extérieur ont lieu! Ici le corps est le médium. Il sculpte, il crée un échantillon issu de ce paysage concret. Cet échantillon devient la preuve tangible de la matérialité du corps et du paysage/territoire parcouru. Cet échantillon peut paraître simple. Sa simplicité, sa quotidienneté – le rend réel et accessible. Sa force, ne demeure t-elle pas dans son évidence? Lève-toi et marche! Et est-ce-que cette aventure ne serait pas une quête pour retrouver le sens perdu lors des nombreux voyages vers des espaces matériels et non-matériels toujours plus lointain? De questions se posent. Elles engendrent de nouvelles questions. L'aventure continue! Etre en dehors de la zone noire – Explorer des espaces. Cette liberté est fantastique! Le corps est un formidable outil polyvalent! Puisque je parcoure le territoire via mon corps, les données telles que la taille, largeur, longueur, hauteur, poids – sont constantes pour moi-même corporelle et pour l'espace, en parlant bien sur de ce qui est de l'ordre d'architecture. Mon corps s'associe avec des outils simples, mais efficaces rencontrés pendant mon expédition. De point vue pratique le déplacement devient plus facile physiquement, et la façon de me déplacer crée un autre sens à ce déplacement. Je trace, je dessine. Voudrais-je m'approprier un element, un morceau de ce territoire? Je me sens prête pour aller vers la ville! L'espace urbain – L'observation et la récolte. Entrainement continue. Moi-même corporelle reste moins active. J'ai changé d'espace. Le territoire a changé, cela implique des éléments inconnus. Cette situation me demande d'activer le mode d'une mise en garde. Je reste cependant présente ici et maintenant, il n'est pas question de remettre le corps en veille à ce stade d'aventure. J'observe. Ici le nombre des donnes est infini. Cela donne l'illusion d'accélération du temps par rapport à l'espace rural. Mais qui est faux, je trouve. Les donnes éphémères semblent être mes préférés. Surtout celles d'une communication, un dialogue, un code – les signes d'une interaction entre eux – eux-mêmes corporels. Il y a des signes qui se détachent du corps au moment de leurs créations. Ce qui est étonnant ces signes ne sont pas prévus pour une lecture immédiate par leur destinaire. Elles comportent un code forme, code couleur et code endroit. Elles ne pourraient jamais exister ailleurs, en dehors de ce contexte. Ce qui est intéressant, leur destinaire est choisi est designé au préalable. Ce qui est encore plus étonnant – il est en dehors de l'espace où le signe est realisé. Il est donc rare, pendant l'expédition d'échanger avec les participants de ce dialogue. Je récolte les signes, j'agrandis ma bibliothèque. Par une communication future? Je l'ignore. Il y a d'autres signes. Signes dont l'apparition est conditionnée par le corps. Pour ces signes je me souviens de certains visages d'expéditeurs. (J'ai dialogué avec eux.) Ce n'est pas étonnant car cette communication est une action directement liée au corps, qui veut dire que lui-même corporel ou elle-même corporelle ont été présents, entièrement présents, au moment du choix, création et diffusion de leur signe. Pourquoi m'intéressent ils? Comment moi, pourrai-je participer à ces échanges? Je ne maitrise pas encore ces signes. La recherche des connexions, interactions par l'observation continue. continue. J'y introduis maintenant le jeu. Action Plus les règles d'un jeu sont simples plus il est probable d'avoir un retour positif à cette invitation implicite. Il n'y a pas de paroles. Le corps active l'objet, l'objet active le corps. C'est une activation mutuelle. Puisque c'est l'espace partagée, l'espace commun qui est ma plateforme de jeu l'objet doit être léger; facilement transportable. Il doit être facilement tenu dans une main. Rentrer dans un sac à dos. Certaines actions sont des moments d'échanges actifs avec l'architecture vivante d'une ville - c'est-à-dire – les habitants et les passants. Ses actions sont ouvertes. L'invitation est en général implicite. La participation se fait ou ne se fait pas. Ce n'est pas grave. L'objet se range facilement dans le sac. Si les participants ne sont pas ici, ils seront probablement un peu plus loin : près d'une station de metro, d’une rue mais toujours dans cette-même ville. Je comprends, malgré le fait que la non-participation active me déçoit légèrement, que le corps de non-participant actif est son outil et non pas le mien. Nous ne sommes pas synchronisés par rapport au stade d'activation et de conscience corporelle. Mon moment de jeu ne sera pas le sien. Pas aujourd'hui. Le jeu n'est pas un produit mais un événement. L'endroit, l'heure ne sont pas indiqués au préalable. Et cela ne changera pas. Je garde les objets connectables pour les futures utilisations. Rejouer – voici la raison! La plupart de ses objets sont issus d'un savoir-faire manuel. D'un partage, d'une transmission directe. Si l'objet connectable est préparé avant que l'action a lieu, dans ce cas il est bien realisé de point de vue technique. Mais si le but de mon action est de réaliser un objet dans l'immédiateté, au coeur de l'univers concret, c'est l'action, la présence active des participants et pas la finalité technique de l'objet qui compte et qui devient l'oeuvre. Le résultat – je parle de l'objet – peut-être même "miserable". Réaliser l'objet est le prétexte d'activer son corps et créer un dialogue avec d'autres corps. Cette étape a lieu pendant les entrainements hors l'espace extérieur réel. Je renouvelle les jeux qui existent. Par l'appropriation ils deviennent les miens. J'impose les données spatio-temporelles. Je privatise l'endroit dans l'espace commun pour le temps de la durée de mon jeu, de mon action, qui peut devenir le nôtre mais jamais le vôtre, puisque je participe à tous mes jeux. Votre participation peut être passive ou active. À vous de choisir. Vous pouvez observer le processus qui se déroule en temps réel devant vous, vous pouvez vous projeter dans mon jeu. Les gestes sont simples, les jeux rappellent les jeux universels. Pas de barrières culturelles, sociales et autres. Le code vestimentaire n'existe pas. Vous pouvez vous identifier aux filles qui portent les baskets blanches, parce que vous portez les mêmes, ou à moi – puisque dans votre placard vous rangez la même polaire que vous voyez aujourd'hui sur moi, ou encore vôtre mère porte la même polaire et elle habite dans une ville voisine; étant invité dans quelques jours chez elle à diner , vous voudriez précipiter la rencontre et sans réfléchir vous activez spontanément votre corps et vous vous lancez dans mon jeu. À partir de ce moment le jeu deviendra le nôtre. Tu porteras une médaille éphémère de coocreation de mon oeuvre, un signe qui n'existera plus une fois ta participation active terminée. Il n'y aura pas de remerciments officiels dans le générique de la fin de ma vidéo parce qu'elle meme n'existera pas. Mon jeu n'est pas une marchandise. Mon jeu, notre jeu est un événement éphémère partagé. Il y aura la trace vidéo ou photo pour moi-même quand pendant les congés de moi-même corporelle je commencerai à oublier q'un corps est un formidable outil polyvalent. Il y aura la trace vidéo ou photo à titre informatif pour ceux qu'ils n'ont pas participes. Il y aura aussi l'objet à voir, toucher. Sa présence permettra à une réflexion mais pas une action (l'exposition fossilise les evenements) Peut-être une envie d'une action naitra. La place dès mes actions est dans l'espace public et non pas dans une salle d'exposition. L'espace extérieur est un territoire qui a ses limites, mais la carte sensible se déploie. Les directions sont diverses. Les directions sont inconnues, mais toujours voulues. Puisqu'il s'agit d'une exploration le parcours sera aléatoire. Google Map sera en mesure de ne pouvoir rien contrôler! Je lui donnerai ce pouvoir! Mon prochain pas sera imprévisible. La découverte dès mes actions se fera d'une manière non programmée, pendant une déambulation, sur la carte physique à l'échelle humaine. Quelques revelations sur la nature de la zone noire. La zone noire n'est pas un espace physique, mais cependant c'est un espace. Comment comprendre cela? Son immatérialité est pourtant representée par les éléments de l'espace physique que je qualifie comme réelle. C'est l'architecture vivante d'une ville qui est sa cible. La zone noire peut régner dans l'espace commun en envahissant les corps. Son pouvoir sur le corps ne vient pas comme nous pourrions penser d'une attaque corporelle. C'est le non corporel qui est visé. Mon séjour dans la zone noire ne se transorme plus en état d'une veille prolongée. Je refuse d'être verrouillée! Cependant je profite de cette pause. Je mets moi-meme corporelle en veille dans ce lieu/non-lieu. Par mon corps je ressens une nécessité biologique, physique et psychique du repos. Mon "moi-même non corporelle" est active. Les rêves sont là. Les visualisations nourries par la nostalgie des voyages antérieurs et par l'envie des voyages futurs. Mais elles n'ont rien de réel. Ce sont des espaces, paysages imaginés. Il y a aussi des connexions envisageables. Mais à tout cela manque une chose - le corps. Je tourne le dos aux abstractions car je préfère les êtres. Je repars!
Alan Kaprow Art Which Can’t Be Art (1986) From “Essays on the Blurring of Art and Life” by Alan Kaprow (Edited by Jeff Kelley)